Venus Aveugle (1941)
Une jeune femme qui a posé comme modèle pour une marque de cigarettes apprend qu'elle perdra prochainement la vue. Pour protéger l'homme qu'elle aime, un marin vivant sur un bateau en attente de renflouage, elle décide de le quitter et part vivre dans un cabaret où elle devient chanteuse.
Etonnant film que voilà !
Il y a 2 à 3 films à l'intérieur, ce qui explique une durée de 2h30 avec un tiers central un peu décevant en comparaison du reste.
Les 30-40 premières minutes par exemple propose une des réalisations les plus inspirées du cinéaste dans sa période parlante : photographie ciselée, expérimentations visuelles sur l'objectif (pour traduire les débuts de cécité), décadrages, décors poético-expressionniste, montage multipliant les faux raccords volontaires, plans très resserrés sur les visages. Sans parler d'un scénario assez torturé où l'infirmité est omniprésente (en plus de l'héroïne, il y a sa sœur boiteuse, un cimetière de bateaux ou un artiste en panne d'inspiration) mais qui évite la grisaille dépressive par de stupéfiants détails poétiques comme cette pompe pour scaphandre bricolée à partir d'un orgue de barbarie qui fait de la musique quand on l'active !
Le film en devient assez fascinant et hypnotique avec son univers très fabriqué et artificiel, presque toc mais qui demeure en adéquation avec un status quo maladif ambiant.
La suite vire malheureusement dans le mélodrame plus conventionnel avec histoire d'amour impossible, faux espoirs et mort d'enfant qui m'a laissé d'autant plus de marbre que la réalisation est moins inventive et personnelle.
Alors donc que je n'en attendais plus rien à l'approche des derniers sombres-saut larmoyants,
Venus aveugle se relance dans une ultime partie qui devient au contraire totalement légère et enjouée où le personnage de saltimbanque trouve une solution invraisemblable pour réunir le couple maudit.
Cette partie est formidable car non seulement, elle fonctionne parfaitement avec ce charme naïf et presque euphorisant mais elle permet au cinéaste de se lancer dans un magnifique manifeste sur l'art(iste) sublimant le quotidien pour faire naître de la pure magie (et cette manière de relancer un navire à l'arrêt est sans doute une métaphore de la situation de la France en attente de jours meilleurs).
Et Vivianne Romance campe un vibrant personnage du début à la fin, au milieu d'un casting un peu moins convainquant.
Un film imparfait, bancal, virtuose, riche, parfois trop symbolique mais surprenant, atypique, stimulant et avec une forte dimension autobiographique qui rend cette oeuvre émouvante (plus que par certaines péripéties dramatiques qui se jouent).
Invisible depuis la VHS sortie par René Chateau (qui exploitait de toute façon un montage raccourci), la cinémathèque vient de présenter la version intégrale nouvellement restaurée à partir de l'unique copie existante. Il repasse le 1er juillet.