Abel Gance (1889-1981)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Tommy Udo
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par Tommy Udo »

allen john a écrit :La présence de la version de la CF, d'une part, et de la version lelouch, d'autre part, dont France 3 serait propriétaire, sous la forme de droits audiovisuels hérités de l'ORTF, exliquieraient pourquoi il est à l'heure actuelle impossible de voir en France à la télévision ou en DVD, ou Blu-ray, une version muette décente du film, dont les droits internationaux seraient détenus par Studio Canal.
Ah bon ? Je ne comprends pas très bien pourquoi ??
Parce qu'ils possèdent la version de 1971, ils ne peuvent pas diffuser la version originale de 5h30 ???
allen john
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par allen john »

Tommy Udo a écrit :
allen john a écrit :La présence de la version de la CF, d'une part, et de la version lelouch, d'autre part, dont France 3 serait propriétaire, sous la forme de droits audiovisuels hérités de l'ORTF, exliquieraient pourquoi il est à l'heure actuelle impossible de voir en France à la télévision ou en DVD, ou Blu-ray, une version muette décente du film, dont les droits internationaux seraient détenus par Studio Canal.
Ah bon ? Je ne comprends pas très bien pourquoi ??
Moi non plus, c'est ce qui était apparu si mes souvenirs sont bons dans une interview de Patrick Brion, dans les années 90, quand F3 avait programmé la version 1971 en deux parties, vers 1h ou 2h du matin. Il n'avait pas eu accès aux droits, et la seule solution était de diffuser ce film dans cette version (ignoble), qui était selon lui "la seule façon de voir le film". Maintenant, si quelqu'un en savait plus, pour satisfaire notre légitime curiosité...
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Ann Harding
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par Ann Harding »

Je ne sais rien sur la partie 'droits audiovisuels' du film de Gance. Mais, par contre, je sais que les trois versions: muette, parlante et la mouture 1971 sont la propriété de l'Etat Français par l'intermédiaire de la CF (pour la France seulement). Si vous voulez plus de détails sur les restaurations, c'est dans le topic dédié.

Quant à cette version parlante, j'en ai vu la moitié hier (la première partie qui contient des extraits de la version muette) et c'est vraiment affligeant. Gance massacre son chef d'oeuvre pour en faire un cours d'histoire magistral avec des performances outrées de la plupart de ses comédiens...
Le plus intéressant dans l'affaire est le fait que certaines séquences perdues se trouvent dans cette version parlante. Je reviendrai plus tard là-dessus. Pas le temps pour le moment....
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :Je ne sais rien sur la partie 'droits audiovisuels' du film de Gance. Mais, par contre, je sais que les trois versions: muette, parlante et la mouture 1971 sont la propriété de l'Etat Français par l'intermédiaire de la CF (pour la France seulement). Si vous voulez plus de détails sur les restaurations, c'est dans le topic dédié.

Quant à cette version parlante, j'en ai vu la moitié hier (la première partie qui contient des extraits de la version muette) et c'est vraiment affligeant. Gance massacre son chef d'oeuvre pour en faire un cours d'histoire magistral avec des performances outrées de la plupart de ses comédiens...
Le plus intéressant dans l'affaire est le fait que certaines séquences perdues se trouvent dans cette version parlante. Je reviendrai plus tard là-dessus. Pas le temps pour le moment....
Merci de ces précisions, et la dernière nouvelle est la plus intéressante: j'ai frémi en te lisant...
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Commissaire Juve
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par Commissaire Juve »

Ann Harding a écrit :...
Quant à cette version parlante, j'en ai vu la moitié hier (la première partie qui contient des extraits de la version muette) et c'est vraiment affligeant. Gance massacre son chef d'oeuvre pour en faire un cours d'histoire magistral avec des performances outrées de la plupart de ses comédiens...
tu me rassures... je pensais être le seul à avoir trouvé ça "pénible".

Quand j'avais l'âge d'être en CM2, j'étais fan de Napoléon. Un jour, le film de Gance est passé à la télé. Mes parents ont fait "noooooooooo !" quand ils ont compris de quoi il retournait ( :mrgreen: ). Je leur en ai voulu.

http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 8#p2301718

Mardi soir, je n'en ai pas cru mes yeux. Toute la partie hystérique qui évoque la Révolution m'a donné l'impression de faire un mauvais trip LSD !
Dernière modification par Commissaire Juve le 16 avr. 13, 11:31, modifié 1 fois.
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Message par allen john »

Commissaire Juve a écrit :
Ann Harding a écrit :...
Quant à cette version parlante, j'en ai vu la moitié hier (la première partie qui contient des extraits de la version muette) et c'est vraiment affligeant. Gance massacre son chef d'oeuvre pour en faire un cours d'histoire magistral avec des performances outrées de la plupart de ses comédiens...
tu me rassures... je pensais être le seul à avoir trouvé ça "pénible".
Pareil, quand je l'ai vu il y a longtemps, j'ai été sidéré. Mais c'est un sentiment que j'ai devant tous les films parlants de gance, d'ailleurs...
Commissaire Juve a écrit : Quand j'avais l'âge d'être en CM2, j'étais fan de Napoléon.
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par NapoCinePedia »

bonjour à tous, qqu'un sait il si la Roue & Napoléon seront bientôt disponible en France ? c'est délirant cette histoire, c'est comme si Griffith était indisponible aux USA ou Eisenstein en Russie, notre ministère de la Culture ne s'en soucie pas ?

Je suppose que vous savez tous que Napoléon va être projeté au printemps à San Francisco, orchestration de Carl Davis :cry:
qui cherche à nier notre passé ?
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Ann Harding
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par Ann Harding »

Il n'y a rien de nouveau en ce qui concerne des parutions en DVD. Les dernières nouvelles sur les projections futures de Napoléon sont disponibles sur le topic dédié: .

L'intérêt pour Gance est effectivement limité en France. Quand on sait que la superbe restauration de J'accuse (1919) effectuée en 2009 par le Nederlands Filmmuseum/Lobster Films Paris n'a toujours pas été projetée en France. C'est d'autant plus étonnant que la nouvelle copie a été projeté en Italie, aux Pays-Bas, aux USA, en Grande-Bretagne, etc...
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par allen john »

La folie du Docteur Tube (Abel Gance, 1915)

La carrière de Gance commence en 1910, avec notamment des rôles pour divers films Gaumont; on peut le voir dans un Molière de Perret, dans lequel il assume le rôle principal, et don il a il faut dire écrit l'argument. Mais ses propres films de cette époque sont rares, et s'il faut uniquement se fier à ce qu'il en dit lui-même, on est mal parti. Paradoxale pièce à conviction, ce film est le plus notable de ses jeunes années, avant du moins la paire de mélodrames Mater Dolorosa et La dixième Symphonie, qui vont lui permettre d'entamer sa suite d'oeuvres ambitieuses des années 1919-1930. Paradoxal, La folie du Dr Tube l'est à plus d'un titre: d'abord il s'agit d'une comédie burlesque réalisée par un metteur en scène avide de tourner toute sorte de films, mais aussi plus connu pour ses oeuvres sérieuses... Ensuite, c'est un film à vocation expérimentale, dans lequel Gance et son chef-opérateur Léonce-Henri Burel ont expérimenté avec des objectifs déformants, rendant l'image parfois bien difficile à déchiffrer... voire impossible à comprendre!
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Pour corser le tout, cette pochade est actuellement disponible dans des versions dénuées de sous-titres, mais au vu de l'ensemble, ils manquant cruellemnt, on n'est clairement pas devant un film précurseur du Kammerspiel, qui se privait intentionnellemnt de cartons de dialogues ou d'explications... C'est donc quasi impossible d'en offir un résumé convaincant. Contentons-nous de dire que dans ce court film (une bobine), un savant fou, le Docteur Tube, a réalisé un produit, une poudre, qui déforme soit la vision, soit les corps, ce n'est pas extrêmement clair. Il l'expérimente sur lui-même et son assitant, avant de s'en servir sur deux infortunées visiteuses, dont les patits amis attendent impatiemment dans la rue. Lorsqu'ils interviennent à leur tour, ils sont touchés par la loufoque invention, et le spectateur a très mal aux yeux...
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Le producteur Louis Nalpas du "Film d'Art", comme l'a reporté gance, a parait-il poussé de hauts cris devant le résultat, qui heuresuement ne pousse pas la farce jusqu'à être un long métrage, et aurait, toujours selon les dires du metteur en scène, interdit la diffusion du film. C'est ainsi que d'une aimable mais peu convaincante pochade burlesque un rien bizarre, Gance a pu faire un film révolutionnaire et légendaire, lorsqu'il est ensuite revenu su l'anecdote, comme par exemple dans le court étrage documentaire Abel Gance: hier et demain, de Nelly Kaplan. Si on veut, le film a au moins le mérite de nous permettre une introduction tumultueuse à un auteur qui n'a jamais cessé d'expérimenter avec les possibilités de l'image. Quant au résultat, le voir aujourd'hui c'est s'exposer à une certaine migraine, mais après tout, on a sans doute vu pire, depuis... Une note pour finir, tous les sites qui mentionnent le film tendent à attribuer le rôle du Dr Tube à Albert Dieudonné, mais ce dernier est l'un des jeunes hommes du film. Quant aux autres acteurs... mystère.

Au secours! (Abel Gance, 1924)

Au secours! est une récréation dans l'oeuvre d'Abel Gance, encore que la raison d'être du film soit une volonté commune de travailler ensemble pour Gance et son co-scénariste et acteur, Max Linder. Celui-ci amène son style burlesque si particulier à l'univers de Gance, qui venait de terminer La roue (dont le tournage et le montage ont pris deux années, de 1921 à la présentation du film en 1923). Le court métrage, dont il n'est pas sur qu'il ait été achevé, est un curieux mélange, donc, entre le burlesque mondain de Linder et les expérimentations tous azimuts de Gance. Celui-ci n'était pas très à l'aise dans la comédie, et il a profité du fait que le film n'était pas à prendre au sérieux pour se livrer à quelques excentricités. Le final de ce court métrage utilise quand même des éléments de montage rapide qui viennent en droite ligne de La roue...

Max et son épouse Edith (Gina Palerme) prennent un repos bien mérité entre deux films... L'homme aux guêtres et au chapeau haut-de-forme se rend à son club afin de voir ses amis, au lieu d'honorer son épouse, et là, se voit mettre au défi de rester une heure dans le manoir hanté du comte Maulette (jean toulout): les deux hommes parient, et si Max se laisse envahir par la peur et appuie sur un signal d'alarme avant minuit, il a perdu son pari... Phénomènes étranges, fantômes, valet en cire et animaux divers se succèdent, mais le pire est atteint lorsque le téléphone retentit et qu'Edith appelle au secours: il y a un monstre auprès du lit...
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Bien sur, tout ça n'est pas sérieux... Du reste, le metteur en scène comme son scénariste se sont permis de brouiller les pistes: si tout ceci ne se révèle qu'une blague de potache, il y a des images qui ne peuvent s'expliquer, comme cet étrange ballet, lorsque Max arrive au chateau, et qu'il est soudain précipité dans d'étranges convulsions de l'image, ou qu'il est suspendu à un lustre élastique, et qu'il provoque des compressions du cadre... On le voit, Gance s'est amusé à jouer avec l'image comme il l'avait beaucoup fait dans La roue, et allait bien sur continuer à le faire avec son film suivant. Il s'est aussi beaucoup ingénié à jouer sur la tension du personnage, demandant à Linde de jouer, voire surjouer, l'horreur, de façon assez impressionnante, d'autant qu'il s'agit d'un gros plan. Lumières, utilisation de truquages, et recours à ce bon vieil érotisme, un ingrédient dont Gance ne pouvait semble-t-il jamais se passer (On se demande comment Max peut laisser Edith en plan, quand on voit le grand jeu qu'elle lui sort, mais bon): pour un court métrage fait entre copains, c'est quand même remarquable. Cela dit il y a des trous dans l'intrigue, un coté rêve éveillé, qui permet d'ailleurs au film de passer depuis sa création pour un court d'avant-garde, ce qui cadre mal avec son coté farce. Le film, comparé à Entr'acte ou Un chien Andalou, jure un peu.

Pour terminer sur une note triste, ce film est à ma connaissance le dernier film disponible de Max Linder, puisque Le roi du Cirque (1925) n'a pu être retrouvé. Au secours! serait aussi l'unique film Français des années 20 conservé qui mette en vedette le grand acteur, auquel il faudra peut-être qu'on rende convenablement justice un jour...

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 19473.html
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Re: Abel Gance (1889-1981)

Message par allen john »

La roue (Abel Gance, 1922)

Montré en 1923, le film La roue est l'aboutissement d'un travail de plusieurs années, entamé par Abel Gance dans le but initial de créer une tragédie de la modernité, incarnée par cet objet cinématographique entre tous, le train. Le héros du film, Sisif, est un mécanicien-conducteur de locomotive qui un jour n'a fait que son devoir: il a supervisé avec une certaine efficacité les opérations de sauvetage après un déraillement qui s'est situé juste à coté de chez lui. Il a aussi, personnellement veillé durant les opérations sur une petite fille, Norma, dont il s'est aperçu à la fin du déraillement que personne ne venait la réclamer: il a donc pris la décision de la recueillir, afin qu'elle tienne compagnie à son fils unique, Elie. La mère de Norma a effectivement été tuée dans l'accident, et la maman d'Elie est décédée en donnant naissance à son fils. Les années passent, et on découvre un Sisif ombrageux, querelleur, porté sur le vin, le jeu et la bagarre. Surtout, il mène la vie dure à "ses" enfants, leur interdisant le plus souvent de passer du temps ensemble. Norma est restée très proche de son père, et est encore une jeune femme, insouciante et joueuse, mais elle provoque la convoitise des hommes, ce qui a le don de mettre son père dans des colères noires. De son coté, Elie manifeste aussi souvent que possible son dégout de la vie moderne telle qu'elle s'incarne dans les rails et les installations ferroviaires aux alentours, et il est devenu luthier, obsédé par l'idée de reproduire un vernis à la façon de Stradivarius, afin de créer des violons parfaits. Il aime sa soeur d'un amour profond, tendre, mais dont il n'a pas encore cerné la vraie valeur... Mais il n'est pas le seul: Hersan, un bourgeois qui supervise la travail de Sisif, et le fait aussi inventer des appareils qu'il reprend à son compte, envisage de demander Norma en mariage, et Sisif lui-même a du mal à réprimer son amour fou pour celle à laquelle il n'a pas osé avouer qu'elle sa fille adoptive... Dans un premier temps, le seul facteur de stabilité de la vie de Sisif, c'est son métier: il est un excellent conducteur, et travaille avec coeur. Mais jusqu'à quand?

J'accuse, en 1919 tranchait sur la production habituelle de Gance, qui venait de réaliser deux mélodrames bourgeois, Mater dolorosa et La dixième symphonie. Le film, qui proposait une vision hallucinée d'un poète sur la guerre mondiale, avait établi Gance comme un metteur en scène à suivre, ambitieux pour ne pas dire fou, un visionnaire qui avait à coeur d'utiliser toutes les ressources du cinéma: c'est exactement ce qu'il a fait avec La roue, spectacle monumental dont les versions les plus longues ont parait-il tutoyé les huit heures de projection; les versions que j'ai vues, raccourcies à respectivement 133 minutes (Une copie établie par Gance lui-même qui limitait le film à 12 bobines afin de le rendre exploitable) et 261 minutes (La restauration sortie en DVD par Flicker Alley, qui tente de réincorporer tout le matériau existant dans une version aussi proche que possible de l'originale) gardent l'impression d'un film épique qui d'une certaine manière réussit à faire ce que cherchait Stroheim avec Greed: traiter un matériau cinématographique en lui donnant une dimension romanesque, tout en utilisant des ressources proches du naturalisme. Sur ce dernier point, le symbolisme du film peut paraitre en contradiction: il n'échappera à personne que la présence de "Sisif" renvoie à la méythologie Grecque, et que la deuxième partie sise sur les pentes du Mont-Blanc, qui voit Sisif-Sisyphe monter et descendre en consuisant un funiculaire, insistent sur cette analogie; de plus, Elie et son métier renvoient à cette obsession pour Gance de faire de ses héros des poètes (J'accuse, La Fin du monde), des compositeurs de génie (La dixième Symphonie, Un grand amour de Beethoven), voire des dramaturges (Molière, son premier scénario pour Léonce Perret, un rôle qu'il a d'ailleurs interprété lui-même): Bref, des artistes. Cette obsession de représenter l'artiste comme étant au-dessus du monde peut évidemment faire sourire, et on est du même coup à des années-lumières de toute prétention naturaliste... sauf que la façon dont Gance dirigeait ses acteurs (Séverin-Mars en Sisif et Ivy Close en Norma sont particulièrement remarquables) leur permettait de vivre leur rôle au maximum: il était le seul à savoir ce qu'il allait ce passer, et il les guidait en permanence; par ailleurs, les scènes situées dans la vie quotidienne des cheminots respirent la vraie vie, et il se dégage une certaine tendresse de ces dépictions...

Quant à ses intentions de départ, il faut bien dire que les circonstances ont tout fait pour éloigner le metteur en scène de son but: durant la préparation du film, son épouse, Ida Danis qui avait survécu à la fameuse épidémie de grippe Espagnole de 1918, a soudain développé des complications, et la tuberculose a été diagnostiquée très vite. Il fallait donc faire en sorte que le tournage soit compatible avec les séjours de plus en plus fréquents en sanatoriums, et le plan de tournage a suivi la maladie: Nice et les studios de la Victorine, puis Chamonix et le Mont-blanc. De fait la deuxième partie, est entièrement située dans la montagne. Le film commence par des images de rails qui se rejoignent et se séparent, une métaphore courante que reprendra à son compte Hitchcock dans Strangers on a train; dans un premier temps, le film suit le plan de départ, en particulier dans la première partie La rose du rail (Un surnom dont aussi bien Sisif que Hersan ont affublé Norma): le train est partout, et la roue est cet objet qui symbolise la vie difficile du cheminot Sisif. Celui-ci est vu d'abord très assuré à la barre de sa locomotive ("Norma", bien sur!), et Gance s'amuse avec le montage, de façon excitante. Mais très vite, les séquences consacrées à ces périples en locomotive seront hantées par la mort, en particulier sous la forme de tentatives de suicide. sisif terminera sa carrière de conducteur de locomotive en "suicidant" la Norma... Une trace de la mort programmée d'Ida Danis?
Mais à cette mort annoncée de la femme de sa vie, le sort allait aussi ajouter le destin de Séverin-Mars: l'acteur était malade, au point de pouvoir incarner la mort de Sisif durant la deuième partie sans forcer le maquillage. De fait, le film est beaucoup plus un film sur la mort qu'un film sur la roue... La mort incarnée dès les premières images par l'accident ferroviaire spectaculaire, suivie de la confrontation fatale dans la montagne entre Elie (Gabriel de Gravone) et Hersan (Pierre Magnier); celle-ci est suivie d'une course contre la montre dans laquelle Gance joue avec le montage de façon sublime, mais Elie mourra quand même... on n'est qu'aux trois-quarts du film, et tout est consommé, le reste sera d'ailleurs consacrée à la lente et inexorable agonie de sisif, et à la façon dont il parviendra à faire la paix avec sa fille, bien qu'il l'ait très vite accusée d'être responsable de la mort de son fils. De la dimension sociale (Les cheminots et leur crasse opposés aux orgies de Hersan et compagnie), la deuxième partie ne retient pas grand chose, se concentrant sur l'élévation de Sisif, qui vit désormais le plus loin possible de celle qu'il a tant aimé, dans la montagne. tourné sur les lieux même, le film est d'une beauté incroyable...

Chaque grand film de Gance est un acte de foi, tant pour le metteur en scène que pour ses techniciens, ses acteurs, et leur public. Avec La Roue, le réalisateur a créé un film génial au sens premier du terme, dans lequel l'invention est permanente, et qui bénéficie du don de soi de tous ceux qui y ont participé. Que le film ait finalement dévié de son chemin initial en devenant une oeuvre sur l'acceptation du destin aussi lamentable soit-il, sur l'inéluctabilité de la mort et dans lequel la roue symbolise à la fois le temps qui passe, l'obligation de travailler, et le passage sur terre, peu importe: Gance fonctionnait ainsi, il suffit de voir ce qu'il souhaitait faire avec son Napoléon, et ce qu'il en subsiste dans le film. N'empêche, pour moi, avec ses innovations techniques, ses trouvailles de mise en scène et son atmosphère d'une cohérence permanente en dépit des circonstances, ce magnifique poème de 4 heures et demie, bouleversant du début à la fin, reste son plus grand film.
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Commissaire Juve
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Message par Commissaire Juve »

bruce randylan a écrit :
Le capitaine fracasse
Un peu mieux que le précédent grace à quelques moments où l'inspiration du cinéaste s'emballe avec quelques plans aux cadrages somptueux... ou une photographie demente comme lors de l'ouverture.
Mais ça reste épisodique et surtout ça ne rend pas l'intrigue plus passionnante ni les combats plus spectaculaire ni l'humour plus drôle ( ou drôle tout court ) ni la romance plus émouvante.
Bref j'ai du souvent lutter pour ne pas piquer du nez et je m'étais bien plus amusé sur la version muette de Calvacanti qu'Arte avait diffusé il y a quelques années.
frédéric a écrit :LA CAPITAINE FRACASSE

Pas d'accord avec le message dessus, certainement le plus réussit des films d'Abel Gance que j'ai vu jusqu'à présent. D'un visuel et décor gothique (qui n'est pas sans rappeler LA BELLE ET LA BETE de Cocteau) Gance tire un film tout à fait réussit et réalise de très belles scènes : La mort de Matamore, le duel en rime etc et l'introduction et la fin. Franchement, c'est peut être un peu théâtral, mais c'est très bien.
J'ai revu "La belle et la bête" il y a trois quatre jours... et je me suis refait une partie du "Capitaine Fracasse" la nuit dernière. Il est vrai que la première partie du film (le château, l'arrivée des comédiens) est visuellement "superbe".

Incidemment : encore un film de 1943 où l'on entend "J'ai faim" (c'est la même chose dans "La main du diable"). :mrgreen: A un moment, pendant le premier repas, je me suis demandé si la nourriture -- le cochon grillé notamment -- était authentique.

Mon regret : l'intervention castafioresque de Vina Bovy... oh la vache ! Digne du Louise de 1939.
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Boubakar
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Message par Boubakar »

Alligator a écrit :Lucrèce Borgia (Abel Gance, 1935) :

Passé le côté sulfureux très épatant vu l'âge du film (la touche érotique est même beaucoup plus "poussée" que le remake de Christian-Jaque pourtant plus récent, 1953), reste un film poussif, un brin chiant parfois. Et je sais combien il semblera innommable aux puristes que l'on puisse associer ce terme merdeux au maitre Gance. C'est donc en parfait inculte (je n'ai vu que Napoléon que j'adule) que je me permets d'exprimer une opinion certes massive et brutale.

M'enfin, c'est ma vérité du moment : je me suis fait chier sur certaines scènes, j'ai trouvé l'ampoule de certains acteurs lassante (Gabriel Gabrio surtout).
Edwige Feuillère dont j'étais tombé amoureux quand j'étais gosse devant le Cinéma de Minuit m'a paru assez peu naturelle au fond, bien qu'elle sache jouer de son incontestable charme. Elle attrape bien la lumière en effet.

Et puis cette histoire en elle même, que je commence à connaître parfaitement maintenant après avoir vu la version de 1953 dernièrement, hé bien, j'avoue que je m'en lasse un peu également. Aussi l'aspect mélodramatique du personnage de Lucrèce, jouet des ambitions démesurées de son frère César, la femme à qui le bonheur est impossible finit par fatiguer un peu.

Entre le manque de naturel des acteurs et de la mise en scène, plus prompte à érotiser le récit qu'à lui donner de l'ampleur réaliste et le détachement vis à vis des personnages, je me retrouve avec un film qui sur le plan formel livre ici et là quelques jolis plans, quelques scènes intéressantes mais laisse un goût amer. Il y manque une rage, une tempête d'émotions, une foultitude d'éléments lyriques qu'on s'attend à trouver chez Gance. Là encore mon inculture en est largement responsable. Faudra donc que je me mette sérieusement à rencontrer cet auteur.
Même sentiment d'ennui, d'autant plus que pour moi aussi, c'est le premier film d'Abel Gance que je découvre. Et le visionnage n'est pas facilité par les gros problèmes techniques inhérents à la technique de l'époque (il y a un bourdonnement fréquent, et les dialogues sont souvent incompréhensibles), en plus d'une image très moyenne, pourtant restaurée par Studio Canal.
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Message par Rashomon »

Boubakar a écrit :[Et le visionnage n'est pas facilité par les gros problèmes techniques inhérents à la technique de l'époque (il y a un bourdonnement fréquent, et les dialogues sont souvent incompréhensibles)
Question aux spécialistes et aux historiens: comment se fait-il que le son des films français des années trente était en général aussi pourri, alors qu'il était bien meilleur dans les films américains (bien sûr) mais aussi britanniques et italiens de la même époque? J'ai dû renoncer à regarder certains films que j'avais vraiment envie de voir, faute de comprendre les dialogues (heureusement que Gaumont à la demande, et parfois Pathé, prévoient des sous-titres pour malentendants) et j'ai pourtant l'oreille fine!
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Message par Strum »

Rashomon a écrit :Question aux spécialistes et aux historiens: comment se fait-il que le son des films français des années trente était en général aussi pourri, alors qu'il était bien meilleur dans les films américains (bien sûr) mais aussi britanniques et italiens de la même époque? J'ai dû renoncer à regarder certains films que j'avais vraiment envie de voir, faute de comprendre les dialogues (heureusement que Gaumont à la demande, et parfois Pathé, prévoient des sous-titres pour malentendants) et j'ai pourtant l'oreille fine!
Bonne question - je me suis souvent fait la même réflexion. Je n'ai pas la réponse, qui doit être d'ordre technique.
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Message par Ann Harding »

Strum a écrit :
Rashomon a écrit :Question aux spécialistes et aux historiens: comment se fait-il que le son des films français des années trente était en général aussi pourri, alors qu'il était bien meilleur dans les films américains (bien sûr) mais aussi britanniques et italiens de la même époque? J'ai dû renoncer à regarder certains films que j'avais vraiment envie de voir, faute de comprendre les dialogues (heureusement que Gaumont à la demande, et parfois Pathé, prévoient des sous-titres pour malentendants) et j'ai pourtant l'oreille fine!
Bonne question - je me suis souvent fait la même réflexion. Je n'ai pas la réponse, qui doit être d'ordre technique.
C'est un mystère que je n'ai pas encore éclairci. Ce qui est étrange, c'est que les studios français étaient équipés de systèmes sonores américains ou allemands. Au studio Paramount/Saint-Maurice de Joinville, ils avaient le système Western Electric et chez Pathé à Joinville et rue Francoeur, ils étaient équipés en RCA Photophone. Seuls les studios Tobis à Epinay avaient le système Tobis-Klang. Donc, le matériel de prise de son devait être au moins équivalent à ceux des USA. Par contre, il semble qu'il y ait eu des problèmes au niveau du mixage. La combinaison des différentes pistes sonores semblait poser des problèmes non résolus en France. (J'ai lu cela quelque part, mais impossible de me souvenir où!)
Sinon, la médiocrité de la piste sonore est peut-être aussi due à la médiocrité des copies conservées. Sans négatif original, le son doit être nettement moins bon.
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