Jean Renoir (1894-1979)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Watkinssien »

makaveli a écrit :la grande illusion (1937)
j'ai bien aimé le film mais je m'attendais à mieux.je m'explique, déjà je trouve que le film commence brutalement ,puis les scènes s'entrecoupent sans véritable lien,par exemple on en sait pas pourquoi maréchal va au cachot.

4.75/6
Je ne suis absolument pas d'accord avec cela, d'ailleurs je vais rebondir par exemple sur l'hallucinante maîtrise des deux premières séquences du film qui renvoient vraiment à quelque chose que l'on oublie souvent lorsqu'on parle d'art au cinéma. Mais tout d'abord, je vais répondre à ce que tu n'as pas compris, mon cher makaveli. Le personnage de Maréchal va au cachot, parce que lors du spectacle que les prisonniers font, une ville française qui a été prise par les Allemands vient d'être récupérée par les soldats français. Le personnage de Gabin, porté par son patriotisme, décide de le clamer haut et fort, et une Marseillaise s'entame. Lorsqu'il chante avec ferveur l'hymne national, Maréchal se dirige de manière provocante vers les officiers allemands. Hop, ça justifie le cachot !

Pour revenir sur le commencement du film de Renoir : rien que le début donne la preuve que l'expression écriture cinématographique n'est pas une expression abstraite. En effet, au début du film, nous voyons un disque, émanant la chanson populaire française "Frou-Frou', puis il y a un panoramique sur Jean Gabin fredonnant. Puis nous voyons des gens boire un coup, présentation des personnages principaux et la séquence se termine par un cadre sur une affiche guerrière bien de chez nous. Ellipse. Nous sommes du côté allemand, la séquence commence par une affiche guerrière allemande, on présente les prisonniers français Maréchal et Boïeldieu, escortés par le commandant Rauffenstein, puis les personnages se mettent à table et vient après une chanson victorieuse allemande. Ce début se révèle être donc un véritable chiasme cinématographique. Un chiasme est une figure de style, utilisée souvent en poésie, qui consiste à mettre des rimes dans la position suivante : a-b-b-a. Le a serait la chanson, le b l'affiche. Or dans la construction et le montage narratif, nous avons, pour récapituler, du côté français la musique (le a) puis on termine sur l'affiche (b), puis le côté allemand avec la séquence qui commence sur l'affiche (le b) pour terminer sur une chanson (le a).

En regardant cette figure de style poétique, cela témoigne de la sensibilité artistique de Renoir pour développer un propos d'égalité qu'il veut renforcer dans les relations et les situations entre les personnages.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par makaveli »

c'est pour cela que j'ai dit qu'il fallait que je le revois :wink: .
sinon personne à d'explication quand à la mauvaise qualité du son car les films comme le dictateur de 1940, à peu près la même époque, je trouve le son meilleur.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par NotBillyTheKid »

le chiasme est une figure de construction qui ne s'applique pas vraiment aux rimes Watkinssen, (plus pour une position de mots dans la phrase) mais c'est carrément bien vu ici. Très intéressant
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Watkinssien
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Watkinssien »

NotBillyTheKid a écrit :le chiasme est une figure de construction qui ne s'applique pas vraiment aux rimes Watkinssen, (plus pour une position de mots dans la phrase) mais c'est carrément bien vu ici. Très intéressant
Tu fais bien de préciser, il s'agit plus de schéma de construction, qu'une utilisation spécifiée aux rimes.

Sinon, merci pour la remarque ! :oops:
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Re: Notez les films naphtas - Février 2010

Message par Profondo Rosso »

Les Bas Fonds de Jean Renoir (1936)

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Pépel est un voleur qui vit dans une pension des bas-fonds tenue par Kostileff, un recéleur. Il est aimé par deux femmes, deux sœurs, Vassilissa, une jalouse, dont il est l'amant et la pure Natacha, qui l'aime secrètement. Lors d'un cambriolage, Pépel est surpris par le propriétaire des lieux, un baron ruiné, chez qui les huissiers doivent saisir, le lendemain, tous les meubles. Les deux hommes sympathisent et deviennent amis.

Le Baron finit par rejoindre Pépel et la communauté des marginaux qui peuplent les bas-fonds. Afin d'échapper à la police qui a repéré ses trafics, Kostileff promet la main de Natacha au commissaire de Police qui a des vues sur celle-ci. Amoureuse de Pépel, elle ne peut s'y résoudre et refuse de revoir le policier.


Adapté d'une pièce de l'auteur russe Maxime Gorki, le film s'inscrit dans le cinéma du Front Populaire et symbolise également par les idées véhiculées l'engagement de Renoir au sein du parti communiste. Il en résultera d'ailleurs quelques décalages étonnant puisque l'intrigue entièrement transposé dans un contexte français parisien se voit finalement doté d'élément disparate ayant trait à la Russie (certains personnage, la monnaie en rouble) et au communisme après que Renoir ait sous la pression de ses amis communiste fait légèrement machine arrière en incorporant certains slave à son film. Le film offre une certaine légèreté et une galerie de personnages pittoresque typique de Renoir et de ce qu'on pouvait voir dans le cinéma français de cette période. Cela n'atténue pourtant pas la réelle noirceur du cadre et de certaines figure sordides : le vieux Kostilef sous une bonhomie chrétienne qui cache un infâme tyran et usurier, sa femme qui ne vaut pas mieux et attendant de le voir mourir sans parler de la police corrompue à laquelle ils veulent livrer l'innocente Natacha (amoureuse de Gabin) pour obtenir ses faveurs. Sans doute porté par le contexte social euphorique de l'époque, le récit ne pousse pas plus loin cette facette glauque (au contraire de la pi_ce originale qui finit dans le drame complet) en dépit de certains moments éprouvant comme la raclée de Natacha par le couple néfaste. Je ne sais pas si c'est une réelle influence de Renoir (pour le cinéma pas mal d'allusion à Chaplin comme la dernière scène faisant écho à celle des "Temps Modernes") mais plus que la littérature russe on pense plus au Misérables dans un contexte moderne (pour le couple à la Thénardier) ou au "Mystères de paris" pour la description effrayante des bas fond mais aussi l'amitié entre Gabin et Louis Jouvet. Ces derniers entre le jeu réfléchi et pensé de Jouvet et celui à l'instinct et aux tripes de Gabin sont parfaitement complémentaires et complices (et une belle scène de rencontre qui scelle leur amitié lorsque Gabin vien cambrioler le Baron ruiné). Très intéressant donc et représentatif d'une époque avec ce happy end inattendu, sur une trame voisine quelques années plus tard il en sera tout autrement avec "Le Jour se lève" par exemple signe du changement d'humeur. 5/6
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par makaveli »

la bête humaine (1938)
le film est plutôt pas mal mais comme la grande illusion c'est quand même une petite déception.
4/6
je crois que c'est tout simplement pas mon truc le cinéma français :?

hs:j'ai vu aussi les 400 coups et je n'ai pas été pas emballé plus que ca
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Watkinssien
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Watkinssien »

makaveli a écrit :la bête humaine (1938)
le film est plutôt pas mal mais comme la grande illusion c'est quand même une petite déception.
4/6
je crois que c'est tout simplement pas mon truc le cinéma français :?

hs:j'ai vu aussi les 400 coups et je n'ai pas été pas emballé plus que ca
Je te conseille tout de même, si tu ne l'as pas vu, de voir La Règle du Jeu de Renoir !
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Ann Harding
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Ann Harding »

Le Tournoi dans la cité (1929, Jean Renoir) avec Aldo Nadi, Jacky Monnier, Suzanne Desprès

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En 1565, François de Baynes (A. Nadi), un chef protestant convoite la belle Isabelle Ginori (J. Monnier) qui est promise à un seigneur catholique, Henri de Rogier (Enrique Rivero). François se bat en duel avec le frère d'Isabelle qu'il tue bien que les duels aient été interdits par décret de Catherine de Médicis...

Cette belle reconstitution historique de Jean Renoir a été produite par La Société des Films Historiques qui a produit également les deux grands films de Raymond Bernard, Le Miracle des Loups (1924) et Le Joueur d'Echecs (1927) avec le même scénariste Henry Dupuy-Mazuel. Le film a été tourné à Carcassones comme l'ont été Le Miracle des Loups et La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc (1928). Renoir semble avoir eu un budget conséquent à sa disposition avec des costumes absolument somptueux. Un certain Aldo Nadi joue le rôle principal de François de Baynes, un seigneur paillard qui aime les femmes, le vin et la ripaille. C'est un homme violent qui ne s'arrêtera devant rien pour assouvir son désir. Aldo Nadi n'était pas un acteur, mais un champion d'escrime et c'est certainement une très bonne idée de l'avoir choisi pour ce rôle dont il se sort admirablement. Le premier duel sur les remparts de Carcassone est extrêmement efficace avec des angles de caméra qui nous font participer au combat. Le film se clôt sur un duel à mort (un jugement de Dieu) entre François de Baynes et Henri de Rogier lors d'un tournoi. Mais pour ce qui est de l'intrigue du film, elle reste assez limitée. Et entre les deux grandes scènes d'action, il ne se passe presque rien. Contrairement au Miracle des Loups qui a un scénario riche en intrigues amoureuses et politiques, ici le conflit se résume au duel entre les deux prétendants d'Isabelle. On ne peut qu'admirer la beauté des éclairages et des costumes dans les scènes d'intérieur. Ce qui, à mon sens, rend le film particulièrement intéressant c'est son personnage principal qui est un anti-héros. Aldo Nadi est violent, mais courageux et c'est lui qui concentre les regards plus que le pâle Enrique Rivero, en chevalier blanc. Il est difficile de reconnaître la patte de Renoir dans ce grand film historique et il aurait certainement pu être dirigé par un autre réalisateur. Mais, il montre un soucis d'authenticité remarquable avec les armures, les chevaux carapaçonnés et les combats à la lance. La copie de la Cinémathèque était en général bien contrastée avec une belle finesse de grain sauf dans les gros plans en soft-focus qui étaient décidément bien flous.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Tancrède »

je suis dans l'ensemble assez d'accord avec ça, sauf ton avis sur l'intrigue limitée. Au contraire, j'ai trouvé qu'il y avait pas mal d'enjeux narratifs autour de la dispute pour la belle: les rapports entre François de Baynes et sa mère, l'utilisation politique que fait Catherine de Medicis des amours d'Isabelle, l'interdiction des duels...
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Ann Harding
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Ann Harding »

Je comparais le scénario du Miracle des Loups avec Le Tournoi. C'est Henry Dupuy-Mazuel qui a écrit les deux films. Le film de Bernard est plus consistant en termes d'intrigues: le conflit entre Charles le Téméraire et Louis XI, Jeanne Fouquet qui aime Robert Cottereau et est convoitée par le Sire de Châteauneuf et finalement la transformation de Jeanne en Jeanne Hachette. Dans le film de Renoir, le conflit religieux est à peine évoqué, alors que nous sommes à peine cinq ans après la Conjuration d'Amboise ! Les relations entre Catherine de médicis et la Comtesse de Baynes sont également éludées. En 1565, il y avait suffisamment de problèmes religieux et de conflits de pouvoir (avec les Guises par exemple) pour remplir plusieurs films.
Nestor Almendros
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Nestor Almendros »

TONI (1935)

Le voilà donc le fameux Renoir précurseur du néo-réalisme italien. Je comprends que le film ait pu marquer son époque techniquement (à défaut d'avoir connu le succès), et la critique a posteriori, en sortant la caméra des studios, en privilégiant le décor naturel et le tournage en extérieurs. C'était une gageure technique qui apportait un réalisme nouveau à une époque où le cinéma parlant pouvait s'apparenter le plus souvent à du théâtre filmé. De théâtre il n'en est point question ici: on pourra regretter une trame romantique parfois lourdement démonstrative et un scénario moins innovant que sa forme, mais l'ensemble est relativisé par l'apport indispensable du "jeu provençal", des accents, de l'ambiance, par le mélange d'acteurs professionnels et non-professionnels. On peut aussi noter l'intérêt récurrent du réalisateur pour la classe ouvrière, ici la main d'oeuvre immigrée des carrières dont les chants à la guitare ponctuent régulièrement le film (à défaut d'avoir une réelle portée dans l'histoire).

L'une des premières impressions, en voyant TONI, est sa ressemblance avec l'oeuvre cinématographique de Marcel Pagnol. Si ce n'est l'écriture légèrement différente, tout est à peu près là: tradition, ancrage régional, tragédie, fond social. Ce n'est que très récemment que j'ai pu entendre des rapprochements entre Pagnol et le courant néo-réaliste alors que j'avais jusque-là vu cette oeuvre "rabaissée" à une simple (mais immense) popularité. Entrange, donc, que ce Renoir fut assez rapidement reconnu par la critique au détriment de Pagnol sur ce terrain-là...
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Cathy »

French Cancan (1954)

Au 19ème siècle, l'évocation de la naissance du French Cancan à travers la vie d'une petite blanchisseuse et de sa rencontre avec le propriétaire de cabaret parisien

Jean Renoir signe ici ce qu'il appelle dans son générique une comédie musicale. A travers ce film, il rend aussi hommage à l'époque de son père à travers des scènes qui semblent évoquer tous les contemporains de son père, le grand Auguste Renoir. D'ailleurs assez curieusement, c'est sans doute les tableaux de son père qui sont le moins présent. Comment ne pas penser à Van Gogh dans cette scène entre Nini et le prince assis au pied d'un arbre fruitier et qui rappelle inexorablement la période parisienne de l'artiste. Comment ne pas songer à Degas, lors de la première scène et cette vue des loges et de l'orchestre du cabaret la Belle Abbesse vue en legère contre-plongée, comment ne pas penser à Manet aussi avec toutes ces silhouettes d'hommes en costumes noirs, ou naturellement à Toulouse Lautrec dans la scène de la Reine blanche. Bref autant de tableaux et de peintre auxquels le réalisateur rend hommage, comment ne pas être aussi comblé par la composition des tableaux avec ces petites touches de couleurs fort impressionnistes, notamment ce petit garçon en veste rouge qui se distingue ainsi de ses camarades. Jean Renoir semble aussi à l'aise dans l'évocation de ces scènes parisiennes que dans celles des scènes intimes. La scène finale rend admirablement la frénésie suscitée par le fameux French cancan !

Renoir dépeint donc l'univers fantasque du monde du cabaret parisien à la fin du 19ème siècle avec un curieux anachronisme, la chanson évoquant le Père La Victoire alors que la guerre de 14-18 n'a pas encore eu lieu. Il y a aussi ces petits détails du montage, ainsi Nini fait-elle un grand écart avec pose à gauche et se retrouve-t'elle en gros plan dans la même pose à droite ! Mais bon tout cela n'est qu'anecdotique, et la magie de la reconstitution opère. Comment ne pas succomber à l'évocation de ces lieux de "débauche" parisienne à travers les numéros de la Belle Abbesse, le siffleur professionnel, etc. ! Et à l'hommage rendu par Patachou, ou Piaf aux chanteuses mythiques de l'époque ou ces airs si fameux comme Madame Arthur, ou la complainte de la butte...

Il y a aussi naturellement le casting, avec une Françoise Arnoul ravissante Nini qui arrive à rendre crédible sa danseuse, même s'il est évident qu'elle a été doublée ! Jean Gabin est magistral en Danglard, homme à femmes, homme de spectacle qui ne vit qu'à travers celui-ci et toutes les créatures qu'il crée de la Belle Abbesse à Esther Georges, la chanteuse en passant naturellement par Nini ou Prunelle, qui est devenue une clocharde ! Il y a aussi Philippe Clay qui semble l'incarnation de Valentin le Desossé avec sa souplesse mais est truculent dans son rôle d'huissier qui devient artiste. Il ne faut pas oublier Maria Felix impériale Lola, belle abbesse qui rend tous les hommes fous. Et puis tous ces seconds rôles admirablement campés par Giani Esposito, prince romantique tourmenté, Jean-Roger Caussimon, Jean Paredes, Jean-Marc Tennberg, ou même un jeune Michel Piccoli !

Le blu-ray rend admirablement la beauté du travail pictural effectué par Jean Renoir, jamais les détails des costumes n'avaient été aussi visibles comme les fleurs véritable leitmotiv des chapeaux des deux héroïnes, quel plaisir dans la fameuse scène du French cancan avec ces couleurs éclatantes. Bref French Cancan est un véritable chef d'oeuvre qui vit une seconde jeunesse grâce à cette édition somptueuse.
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Federico »

Watkinssien a écrit :
makaveli a écrit :la grande illusion (1937)
j'ai bien aimé le film mais je m'attendais à mieux.je m'explique, déjà je trouve que le film commence brutalement ,puis les scènes s'entrecoupent sans véritable lien,par exemple on en sait pas pourquoi maréchal va au cachot.

4.75/6
Je ne suis absolument pas d'accord avec cela, d'ailleurs je vais rebondir par exemple sur l'hallucinante maîtrise des deux premières séquences du film qui renvoient vraiment à quelque chose que l'on oublie souvent lorsqu'on parle d'art au cinéma. Mais tout d'abord, je vais répondre à ce que tu n'as pas compris, mon cher makaveli. Le personnage de Maréchal va au cachot, parce que lors du spectacle que les prisonniers font, une ville française qui a été prise par les Allemands vient d'être récupérée par les soldats français. Le personnage de Gabin, porté par son patriotisme, décide de le clamer haut et fort, et une Marseillaise s'entame. Lorsqu'il chante avec ferveur l'hymne national, Maréchal se dirige de manière provocante vers les officiers allemands. Hop, ça justifie le cachot !

Pour revenir sur le commencement du film de Renoir : rien que le début donne la preuve que l'expression écriture cinématographique n'est pas une expression abstraite. En effet, au début du film, nous voyons un disque, émanant la chanson populaire française "Frou-Frou', puis il y a un panoramique sur Jean Gabin fredonnant. Puis nous voyons des gens boire un coup, présentation des personnages principaux et la séquence se termine par un cadre sur une affiche guerrière bien de chez nous. Ellipse. Nous sommes du côté allemand, la séquence commence par une affiche guerrière allemande, on présente les prisonniers français Maréchal et Boïeldieu, escortés par le commandant Rauffenstein, puis les personnages se mettent à table et vient après une chanson victorieuse allemande. Ce début se révèle être donc un véritable chiasme cinématographique. Un chiasme est une figure de style, utilisée souvent en poésie, qui consiste à mettre des rimes dans la position suivante : a-b-b-a. Le a serait la chanson, le b l'affiche. Or dans la construction et le montage narratif, nous avons, pour récapituler, du côté français la musique (le a) puis on termine sur l'affiche (b), puis le côté allemand avec la séquence qui commence sur l'affiche (le b) pour terminer sur une chanson (le a).

En regardant cette figure de style poétique, cela témoigne de la sensibilité artistique de Renoir pour développer un propos d'égalité qu'il veut renforcer dans les relations et les situations entre les personnages.
Belle analyse.

Pour l'hallucinante maîtrise, Renoir mettra encore la barre plus haut avec La règle du jeu, quel bonhomme !! Film porté presque tout du long par un rythme musical de ballet ancien régime (sans parler de la présence récurrente des boîtes à musique que collectionne le marquis de La Chesnaye).

Plus que l'affiche guerrière, le panneau qui me ravit à chaque vision c'est celui où est inscrit L'alcool tue, l'alcool rend fou. Le chef d'escadrille en boit. :D
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Dunn »

Cathy a écrit :French Cancan (1954)

Au 19ème siècle, l'évocation de la naissance du French Cancan à travers la vie d'une petite blanchisseuse et de sa rencontre avec le propriétaire de cabaret parisien

Jean Renoir signe ici ce qu'il appelle dans son générique une comédie musicale. A travers ce film, il rend aussi hommage à l'époque de son père à travers des scènes qui semblent évoquer tous les contemporains de son père, le grand Auguste Renoir. D'ailleurs assez curieusement, c'est sans doute les tableaux de son père qui sont le moins présent. Comment ne pas penser à Van Gogh dans cette scène entre Nini et le prince assis au pied d'un arbre fruitier et qui rappelle inexorablement la période parisienne de l'artiste. Comment ne pas songer à Degas, lors de la première scène et cette vue des loges et de l'orchestre du cabaret la Belle Abbesse vue en legère contre-plongée, comment ne pas penser à Manet aussi avec toutes ces silhouettes d'hommes en costumes noirs, ou naturellement à Toulouse Lautrec dans la scène de la Reine blanche. Bref autant de tableaux et de peintre auxquels le réalisateur rend hommage, comment ne pas être aussi comblé par la composition des tableaux avec ces petites touches de couleurs fort impressionnistes, notamment ce petit garçon en veste rouge qui se distingue ainsi de ses camarades. Jean Renoir semble aussi à l'aise dans l'évocation de ces scènes parisiennes que dans celles des scènes intimes. La scène finale rend admirablement la frénésie suscitée par le fameux French cancan !

Renoir dépeint donc l'univers fantasque du monde du cabaret parisien à la fin du 19ème siècle avec un curieux anachronisme, la chanson évoquant le Père La Victoire alors que la guerre de 14-18 n'a pas encore eu lieu. Il y a aussi ces petits détails du montage, ainsi Nini fait-elle un grand écart avec pose à gauche et se retrouve-t'elle en gros plan dans la même pose à droite ! Mais bon tout cela n'est qu'anecdotique, et la magie de la reconstitution opère. Comment ne pas succomber à l'évocation de ces lieux de "débauche" parisienne à travers les numéros de la Belle Abbesse, le siffleur professionnel, etc. ! Et à l'hommage rendu par Patachou, ou Piaf aux chanteuses mythiques de l'époque ou ces airs si fameux comme Madame Arthur, ou la complainte de la butte...

Il y a aussi naturellement le casting, avec une Françoise Arnoul ravissante Nini qui arrive à rendre crédible sa danseuse, même s'il est évident qu'elle a été doublée ! Jean Gabin est magistral en Danglard, homme à femmes, homme de spectacle qui ne vit qu'à travers celui-ci et toutes les créatures qu'il crée de la Belle Abbesse à Esther Georges, la chanteuse en passant naturellement par Nini ou Prunelle, qui est devenue une clocharde ! Il y a aussi Philippe Clay qui semble l'incarnation de Valentin le Desossé avec sa souplesse mais est truculent dans son rôle d'huissier qui devient artiste. Il ne faut pas oublier Maria Felix impériale Lola, belle abbesse qui rend tous les hommes fous. Et puis tous ces seconds rôles admirablement campés par Giani Esposito, prince romantique tourmenté, Jean-Roger Caussimon, Jean Paredes, Jean-Marc Tennberg, ou même un jeune Michel Piccoli !

Le blu-ray rend admirablement la beauté du travail pictural effectué par Jean Renoir, jamais les détails des costumes n'avaient été aussi visibles comme les fleurs véritable leitmotiv des chapeaux des deux héroïnes, quel plaisir dans la fameuse scène du French cancan avec ces couleurs éclatantes. Bref French Cancan est un véritable chef d'oeuvre qui vit une seconde jeunesse grâce à cette édition somptueuse.
Je rejoins ton avis Cathy: Magnifique film que j'ai découvert pour ma part subjugué par sa beauté avec le transfert qui va avec..
Etonnante surprise car j'ai pris les 2 Gaumont "french cancan" et "la beauté du diable" et j'etais persuadé de préferer ce dernier alors qu'il s'est produit l'inverse :) Cela dit deux beaux films dans deux beaux ecrins et moi qui ai de grosses lacunes en cinéma naphta français , je me régale !
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Re: Jean Renoir (1894-1979)

Message par Rick Blaine »

La Fille de l'eau (1925)

Cette histoire dramatique d'une petite fille de basse condition qui fuit la péniche familiale ou son oncle la brutalise aurait pu faire un grand Renoir. Mais pour sa première réalisation en solo (Catherine est coréalisé par Dieudonné), le patron ne maitrise pas parfaitement son art. Peu rythmé, heurté, le film traine en longueur, la patte du maitre n'est pas là et on s'ennuie beaucoup devant une succession de plans plutôt statiques. Certaines scènes réalistes, notamment celles avec l'oncle ainsi que la fin du film son tout de même réussies, mais la partie intermédiaire du film est ratée (j'ai failli m'endormir :oops:), surtout le cauchemar qui lorgne vers un impressionnisme qui n'est clairement pas l'apanage de Renoir. Bref un premier film, Renoir apprend le métier, je lui pardonne. :D

Sur un air de Charleston (1927)

Attention OVNI! Ce court-métrage est une comédie post-nuke ( :shock: ), dans laquelle, au XXIe siècle, un aventurier africain va explorer la terra incognita, c'est à dire l'Europe et plus précisément la France, détruits par la dernière guerre mondiale, et y rencontre une "sauvage" blanche qui lui fait découvrir le Charleston, "danse des aborigène blancs" pour citer le dernier carton du film. Et bien c'est plutôt bon! L'inversion des rôles est intéressante et les trouvailles plutôt drôles. Le rythme s'affaisse un peu lors de la longue séquence de danse qui comporte de nombreux ralenti, mais globalement on ne s'ennuie pas. Sympathique!

La Petite Marchande d'Allumettes (1928)

Autre court-métrage, et cette fois c'est excellent. Poétique et très beau, on est emporté par le destin de Karen. Plus d'errements stylistique ici, Renoir semble avoir trouvé sa voie et réussit son film. La séquence du rêve est magistrale (on est loin du cauchemar de la Fille de l'Eau) et la multiplication des automates annonce d'ailleurs, en mineur, la Règle du Jeu.


(Pour Info: Le tout est disponible sur un DVD Studio Canal, la qualité est très bonne, les amateurs de Renoir y trouveront nécessairement leur compte)
A noter que l'interprète principale des trois films est Catherine Hessling, qui était alors l'épouse de Renoir. Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, mais disons qu'elle n'aide pas nécessairement à la réussite des trois films... Hormis sa collaboration avec Renoir (également dans Catherine, Nana et Tire au Flanc), sa filmographie est d'ailleurs très courte, ce qui n'est pas un mal si j'en crois ce que j'ai vu ce soir.
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