Stanley Kubrick (1928-1999)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Michel Ciment est mon père. (c)Ouf
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Lord Henry
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Message par Lord Henry »

La cinéphilie est une grande famille, c'est bien connu.
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francis moury
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heure d'été + Festival de Paris

Message par francis moury »

L'heure d'été plus le Festival de Paris m'on contraint de différer le fameux duel au sommet réclamé supra entre l'honorable Ciment et votre serviteur. Mais je viens de rentrer et de lire ce qui s'est écrit : le terme "renvoyé dos à dos" de Solal reprend une expression que j'avais employé dans mon commentaire fantôme effacé accidentellement et que vous n'avez pu lire l'autre soir...
Sur FULL METAL JACKET, un mot bref avant que j'aille dîner et que j'écrive davantage : j'ai vu le film une bonne dizaine de fois lors de sa sortie en exclusivité. Je pense que c'est d'ailleurs le dernier film intégral de Kubrick puisque EYES WIDE SHUT n'a pas été monté ni post-produit du vivant de Kubrick même s'il avait peut-être laissé quelques indications à la Warner qui l'a "achevé" et "distribué".
Une idée intelligente et saisissante de sa part : montrer qu'en dépit de leur entrainement inhumain et excessif, les marines US ne savent finalement pas se battre correctement : faute de "communication", de "moyens", de rapidité de réactions, ils meurent très facilement devant une sniper. Mais justement on ne sait pas encore qu'il n'y a qu'un sniper et que c'est une femme.
La première partie - camps d'entrainement - est facile et caricaturale. Elle déséquilibre le film en en occupant pratiquement la première moitié. Mais elle introduit le thème de la folie qui était déjà au coeur de THE SHINING. Soit. L'effet d'angoisse recherché est obtenu. Le héros qui aide le jeune homme persécuté jusqu'à un certain point puisqu'il contribuera lui aussi à sa persécution n'est guère sympathique. Or il semble emblématique : sa lucidité, son humour à froid, sa mise en évidence de la dualité par son casque symboliquement marqué d'une antithèse... il porterait éventuellement la vision de son metteur en scène. Pourquoi pas ?
Arrive la scène de la section décimée par le sniper et qui en vient à bout : le plan de la révélation terrible qu'il s'agit d'une jeune fille est génial. Absolument génial. Son agonie est un des moments les plus forts du cinéma mondial. Le dialogue qui a lieu entre ses victimes puis bourreaux est fort. On l'achève.
Eh bien je dis que c'est là qu'il fallait couper le film. Et Kubrick ne l'a pas coupé là.

Il a continué à filmer et quoi donc ? Une voix-off du jeune héros expliquant qu'il n'a plus peur, qu'il est devenu apte à ce qu'on réclame de lui. Et on le montre non plus isolé mais intégré aux rangs de soldats anonymes ayant survécus à l'assaut - au nettoyage - de la ville. Et les derniers plans nous font entendre une chanson dédiée à Mickey Mouse....

Je dis que cette fin est moralement ignoble, qu'elle annule la valeur morale du film, valeur qui s'était portée au point le plus haut pendant près de deux heure, point vers lequel tout le film montait crescendo s'il s'était terminé à la mort de la jeune viêt-namienne. Au lieu de celà, quoi donc ?

Au lieu d'un constat ambivalent (des victimes devenant bourreaux et réciproquement) un constat de réconciliation - commenté en voix-off dans ce sens, explicite... réconciliation avec quoi ? Avec les autres commentaires émis lors de la séquence de "l'interview" - mise en abyme de la télévision par le cinéma ? Avec les commentaires émis lors de la séquence de prostitution ? Je ne sais pas trop...

Mais le film me semble faux de deux points de vue :
- du point de vue de la guerre du Viêt-Nam déjà. Kubrick a filmé dans la banlieue de Londres sa ville viêt-namienne. C'est une stylisation anti-réaliste. Mais il en avait parfaitement le droit. Constatons d'ailleurs qu'après plus de 20 ans de films sur le Viêt-Nam, toutes les possibilités de discours réalistes contemporains comme mémorialistes (de John Wayne et Ray Kellog (1968) à Ted Post (1977) en passant par Oliver Stone (ancien soldat de cette guerre) sans parler des films dont un fragment de l'autobiographie du héros est illustré (Glickenhaus, Clark, Fruet, etc.) tout avait été dit et bien dit. On ne pouvait presque plus - au fond - que fantasmer. Et Kubrick venait de tourner un film fantastique : il en restait peut-être intimement au fond de lui une trace esthétique. Certes, la séquence de l'offensive du Têt est très bien : c'est le contraire de celle du sniper d'ailleurs : elle est réaliste. Et il y en a d'autres aussi respecteuses des données historiques. Quand bien même, convenons qu'il avait le droit créateur de ne plus rien respecter... il pouvait se le donner et se l'est donné : telle séquence absurde - le mitrailleur de l'hélicoptère abattant à la M60 des civils désarmés - tournant à la caricature la plus franche.

- Du point de vue du discours tenu sur la guerre et les hommes qui l'ont faits. Discours filmique comme discours scénaristique. La fin de FULL METAL JACKETT est d'un cynisme qui frôle l'abjection. Il s'en fallait de 5' pour que le film ait été l'un des meilleurs non seulement de Kubrick mais aussi de la filmographie de cette guerre. Tout est annihilé par cette fin inconséquente psychologiquement, ignoble moralement, esthétiquement nulle.

Esthétiquement nulle parce qu'on sait que Kubrick accordait un soin particulier à tous les aspects de son film, qu'il contribuait à chaque étape technique de sa réalisation et de sa post-production - allant jusqu'à réaliser lui-même le recadrage "pan and scan" de ses films pour la télévision américaine plutôt que de les laisser massacrer par des anonymes. Or, le fait que Kubrick ait voulut ou accepté (? - cela revient au même : il était maître à bord et avait depuis longtemps la "director's cut") cette fin, n'ai pas eu conscience qu'elle remettait les compteurs à zéro, que tout ce qui venait d'être montré n'avait strictement plus aucun sens - sinon celui d'une abjection élevée en objet de spectacle et au rang de modèle de conscience donné pour tel.

Autre point gênant : je me rappelle avoir vu le film aux Champs la plupart du temps seul, puis avec une amie. Les spots de publicités - comiques - venaient de se terminer et il n'y avait guère eu qu'une dizaine de secondes d'interruption - le film commençait immédiatement. La femme qui m'accompagnait était intuitive et fine mais avait eu un moment d'inattention. Lorsqu'elle a vu ces plans de têtes auquelles on coupait les cheveux les unes après les autres, elle a éclaté de rire. Et pour cause : elle pensait voir une publicité de plus... ! Le fait m'a frappé.... il signifiait que pour un public "standard" non-cinéphile et non-intellectuel, il n'y avait pas de différence esthétique à proprement parler entre les spots minables auquels nous avions assistés et ce début d'un film de Kubrick... cela me mettait mal à l'aise pour Kubrick. Cela ne serait pas arrivé avec, au hasard, Siegel, Post, Hawks ou un autre. Mais c'est arrivé à Kubrick. Et cela aussi mériterait d'être creusé : cette absence apparente de différence ontologique d'une image de publicité de 1988 (approx) et d'un film de Kubrick de la même année.

Mais enfin le pire est bien cette poursuite du film après l'exécution de la sniper vîetnamienne : c'est cela qui m'a été, à chaque vision du film, insupportable. Une faute esthétique et une faute morale. Non plus une dénonciation donc mais une complaisance fondamentale s'étalant, se glorifiant et se donnant pour telle.

Et c'est le même qui a réalisé SPARTACUS ? J'en viens à me demander à la réflexion si l'humanité profonde de certaines séquences de SPARTACUS ne proviennent pas tout bonnement de la pression constante de Kirk Douglas sur son cinéaste. C'est le moins kubrickien des Kubrick, SPARTACUS, c'est bien connu. Mais c'est pourquoi c'est peut-être aussi le plus populaire et celui qui vieillit le mieux. Et je ne dis pas cela à cause de sa reprise collector annoncée. C'est une idée qui prend corps depuis plusieurs années à chaque vision de ce film-là.

Poursuite de réflexions sur Kubrick plus tard...

Solal m'aura peut-être précédé utilement - comme il l'a fait ici-même aujourd'hui en complétant son dialogue avec Roy. Roy a raison de pointer l'ambition cosmologique de Kubrick mais c'est une ambition avouée qui là non plus ne me semble nullement tenue - j'ai envie de dire : "réalisée".

Pour Roy / merci de la précision - je me souviens aussi de RonBass en effet... mais cela ne change rien au plaisir que j'ai à vous lire :wink:
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francis moury
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coquilles + une phrase inachevée

Message par francis moury »

Navré j'ai écrit un peu trop vite et fiévreusement ; des coquilles (fautes d'accord et une phrase inachevée commençant par "Le fait que ...." et qu'il faut conclure par "... achève de le déconsidérer à mes yeux à tous jamais.") défigurent la forme.

Mais le fond reste le même.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Mais francis, cynisme frolant l'abjection, j'y mettrais beaucoup de films de Lee-Thompson ou Michael Winner, c'est là que je n'arrive plus à suivre. De plus chez ces deux réalisateurs, je trouve qu'en plus tout ceci est accompagné de la plus grande complaisance, ce qui me dérange vraiment beaucoup.

Je ne met pas ce message pour critiquer ces réalisateurs mais je sais que tu les apprécies et alors je ne vois pas comment voir plus de cynisme chez Kubrick que dans leurs films à eux.

ps : je ne vois aucun cynisme dans Full Metal Jacket mais un constat férocement ironique. J'adore le film dans son ensemble sans m'être fait berner :wink:

ps2 : la fin aurait été ignoble, pour moi 5 minutes de films ratés ne peuvent pas annihiler le reste de ce que j'aurais pu voir précédemment, peut-être parce que je n'intellectualise pas assez en regardant ou analysant un film mais à vrai dire ça ne m'intéresse pas, je préfère regarder un film avec le coeur qu'avec la tête. (oh que c'est lourd et benêt cette phrase mais j'assume)
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Re: heure d'été + Festival de Paris

Message par Solal »

francis moury a écrit :La première partie - camps d'entrainement - est facile et caricaturale. Elle déséquilibre le film en en occupant pratiquement la première moitié. Mais elle introduit le thème de la folie qui était déjà au coeur de THE SHINING. Soit. L'effet d'angoisse recherché est obtenu. Le héros qui aide le jeune homme persécuté jusqu'à un certain point puisqu'il contribuera lui aussi à sa persécution n'est guère sympathique. Or il semble emblématique : sa lucidité, son humour à froid, sa mise en évidence de la dualité par son casque symboliquement marqué d'une antithèse... il porterait éventuellement la vision de son metteur en scène. Pourquoi pas ?
Je suis parfaitement d'accord concernant cette première partie dont je relevais plus haut à peu près les mêmes limites. Elle me paraît vraiment emblématique des défauts et des qualités du cinéma de Kubrick : efficace (l'effet recherché est effectivement obtenu), rigoureuse dans sa réalisation, intrigante (l'altération de conscience des protagonistes, plongés dans une spirale obsessionnelle, gagne progressivement le spectateur) mais également facile et caricaturale dans sa représentation de l'institution militaire.

Par contre, l'ambivalence morale du héros, supposé incarner la position de l'auteur, me gêne considérablement plus que la fin que vous incriminez, et qui n'en est, me semble-t-il, que la conséquence logique. Au fond, que signifie cette fin ? On nous montre un jeune homme qui, bien que critique et partiellement lucide, n'en est pas moins soumis à la loi absurde d'un groupe au sein duquel il finira, comme soulagé, par se fondre. Rien ne dit qu'il y a, dans la séquence finale, une valorisation de l'évolution du personnage et on peut même y voir une forme de pessimisme foncier où la catastrophe finale est présentée sans pathos, de manière froide et fataliste - presque comme une libération. La leçon est loin d'être nouvelle et n'a rien d'original : Kafka par exemple (et c'est pour cela que je comparais un peu plus haut le plan final de Folamour à celui de l'adaptation du Procès par Welles) en a fait l'un des traits prégnants de sa littérature. La différence, c'est qu'ici, tout se passe comme si l'intelligence du héros participait de cette évolution. Comme si c'était sa capacité critique qui le conduisait à se soumettre à cette mécanique à broyer les êtres. C'est en cela que la voix-off (lieu de l'intériorité et de la distanciation) à la fin du film est aussi dérangeante - un plan muet aurait pu suffire, mais Kubrick entend dire explicitement ce qui se jouait en filigrane dès le début : les hésitations du héros, ses rapports contradictoires vis-à-vis de l'institution, n'ont rien d'une complexité morale, c'est plutôt que son regard contestaire puise à même l'autorité qu'il défie, il en est en quelque sorte la part maudite, utile à son fonctionnement et destiné à terme à y revenir pour s'y soumettre. Ce n'est ni plus ni moins que ce que Kubrick lui-même opère : s'il est effectivement un cinéaste cérébral, Roy, sa posture critique n'en reste pas moins au stade de l'attitude goguenarde de son héros qui finit, désabusé, par se livrer complaisament (et comme s'il s'agissait d'une ultime finesse intellectuelle) à ce qu'il était censé démonter.

Je n'y vois pas pour ma part une quelconque "faute morale", mais plutôt une impasse dans laquelle se fourvoie un auteur qui manie l'ambivalence et l'ambiguïté, dans l'unique but de ne pas être réduit à une position morale contestable, à une signifiaction spécifique. C'est comme se dire apolitique et renvoyer dos à dos (encore une fois) les formations qui s'affrontent - position d'une facilité extrême pour ne pas avoir à assumer (et forcément à être réduit à) un engagement. Mais Kubrick, aussi intelligent fut-il, n'était malheureusement pas plus malin que les autres.
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Majordome
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Re: heure d'été + Festival de Paris

Message par Majordome »

Solal a écrit : Mais Kubrick, aussi intelligent fut-il, n'était malheureusement pas plus malin que les autres.
Jolie formule qui résume assez bien l'homme et le malentendu qui pèse sur certains de ces films...
francis moury
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La part maudite

Message par francis moury »

J'apprécie cher Solal la référence à l'analyse de Bataille mais justement elle enfonce le clou me semble-t-il : l'être ou l'objet sacrifié au sacré dans le cadre de son économie sacrificielle propre est destinée à annihiler l'objet ou l'être en question au profit d'un surcroît d'existence, de puissance, d'énergie de ce à quoi on l'a sacrifié.

Ici c'est le processus inverse : le soldat n'est pas annihilé, ce n'est pas lui l'objet du sacrifice. Il se considère comme modifié. De faible, il est devenu fort et il le dit. Le destinataire du processus de régénération à qui le sacrifice d'un(e) autre bénéficie c'est lui-même ! Et il l'est devenu, régénéré, au moyen d'un acte immoral et contraire au droit positif de son propre pays - et du nôtre, soit dit en passant et de toutes les conventions internationales en vigueur à l'époque. Une blessée de guerre devait être faite prisonnière et remise aux autorités sanitaires pour y être soignée. L'achever ainsi est un acte de barbarie que le propos du film justifie. On retrouvera d'ailleurs une telle dérive dans le fameux : - "Don't kill them, let them burn !" que lance un soldat dans le film de Spielberg SAVE PRIVATE RYAN vers la fin de la séquence du débarquement... réplique destinée à empêcher qu'on abatte les soldats allemands brûlés par un lance-flamme afin qu'ils ne meurent pas trop vite. Réplique qui avait suscité quelques remarques et soubresauts dans la salle des Champs (les Champs-Elysées où ne cesse de voir des visions infernales au cinéma...)

Par voie de conséquence, il est vrai, cela bénéficie au groupe auquel il appartient. Groupe maudit si une part s'en détache mais qui est régénéré lorsqu'elle est réintégrée à l'identique des autres membres de ce groupe. En somme il n'y a plus de part maudite au sens de Batailles justement ! On pourrait ainsi rejoindre en effet la dialectique individualisme-collectivité que vous pointiez. Elle renverrait dos-à-dos - absolument - la lutte de l'un contre l'autre et mettrait en scène l'aberration du sacré et du sacrifice : ce n'est plus se tuer pour quelque chose, ou tuer pour quelque chose de supérieur à la contingence de sa propre vie qui vaut (liberté, justice, sacré, etc.) c'est cesser de lutter car aucun sacrifice n'a de sens. Luttons avec ceux qui luttent si on est par hasard dans leur camps et si on ne peut pas faire autrement, semble être le dernier mot de Kubrick.

Pour Jeremy : la vision du coeur est une bonne chose. Si on se donne tout le mal de réfléchir sur ce film, c'est aussi qu'il vaut qu'on le fasse et il a cette qualité de questionnement. Bien sûr. Cela dit, Winner ou Thompson dénoncent le mal, prennent l'ambivalence pour sujet esthétique (comme tout cinéaste du mal et de la violence) mais ne transforment jamais le mal en bien ou vice-versa. C'est leur grande qualité d'être aussi naïfs que le genre, le scénario, la structure qu'ils servent. Kubrick prétend réfléchir la guerre du Viêt-Nam en intellectuel et en moraliste, au-delà du genre '"film de guerre" et plus spécifiquement "film sur la guerre du Viêt-Nam". Il prétend se mettre un cran au-dessus des films de ses prédécesseurs et l'essence de sa démarche est : "Vous avez vu depuis 20 ans des films sur le Viêt-Nam mais vous n'avez rien vu : je vais vous montrer ce que les autres ne vous ont pas montré et je vais vous le montrer mieux qu'ils ne l'ont fait."
Et le résultat est celui décrit supra... même compte-tenu de l'admirable numéro "luciférien-comique" de R. Lee Ermey (le seul acteur valable du film avec la viêt-namienne, encore plus géniale actrice qui joue la sniper) dans le film, il y a tout de même de quoi se poser de sérieuses questions quant à l'intégrité morale et esthétique du film et de son cinéaste. Mais le pessimisme absolu était déjà la marque de fabrique de THE KILLING, il est vrai - on était en-deça ou au-delà du bien et du mal déjà en 1956 ou 7 - Kubrick spinoziste ou nietzchéen ? Je dirais hégélien - histoire de faire la synthèse ! - avec toutes les conséquences morales que cela comporte... Chacun tend à perséver dans son être, chacun est prédateur de l'autre et s'en nourrit, celui qui gagne est sanctifié parce qu'il a justement gagné et qu'il est plus réel aux yeux de l'histoire que celui qui a "perdu" ? Les hommes comme figures momentanées et au fond vaines d'une substance identique distribuant ou retirant son "conatus" ? Un maître-cinéaste bien proche des maîtres-penseurs parfaitement analysés par Glucksmann en son temps (1977).
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Lord Henry
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Message par Lord Henry »

Cher Francis, je serais plus enclin à croire qu'au lieu de dénoncer la violence, Thompson et Winner préfèrent célèbrer le tiroir-caisse.

Cela étant, je ne doute pas que l'un (où qu'il se trouve aujourd'hui) et l'autre vous sauront gré de leur prêter de si hauts desseins.
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Re: La part maudite

Message par Solal »

francis moury a écrit :l'être ou l'objet sacrifié au sacré dans le cadre de son économie sacrificielle propre est destinée à annihiler l'objet ou l'être en question au profit d'un surcroît d'existence, de puissance, d'énergie de ce à quoi on l'a sacrifié.

Ici c'est le processus inverse : le soldat n'est pas annihilé, ce n'est pas lui l'objet du sacrifice. Il se considère comme modifié. De faible, il est devenu fort et il le dit. Le destinataire du processus de régénération à qui le sacrifice d'un(e) autre bénéficie c'est lui-même !
Exactement, c'est ce déplacement que je pointais en faisant valoir la différence avec Kafka, et qui me semble à l'oeuvre dès les premiers plans du film dans le comportement du protagoniste principal. Une lecture que l'ambiguïté d'Orange Mécanique ne peut que conforter, me semble-t-il, ce qui m'empêche d'ailleurs de l'isoler - comme on le fait parfois - du reste de son oeuvre.
francis moury a écrit :En somme il n'y a plus de part maudite au sens de Bataille justement ! On pourrait ainsi rejoindre en effet la dialectique individualisme-collectivité que vous pointiez. Elle renverrait dos-à-dos - absolument - la lutte de l'un contre l'autre et mettrait en scène l'aberration du sacré et du sacrifice
Et c'est dans cette conclusion singulière que je vois davantage un désengagement moral qu'une quelconque forme de valorisation. Peut-être n'est-ce qu'une question d'appréciation subjective mais je crois, comme Roy, que ce qui est montré est davantage de l'ordre du constat - un constat qui ne me dérange que dans la mesure où j'y vois une forme de désabusement un peu snob, ou encore un pessimisme de pacotille comme je le formulais un peu plus haut. Il se contente de pointer un comportement sans véritablement se prononcer (il n'est pas dit "luttons avec ceux qui luttent" - c'est la conclusion de son personnage et non - explicitement - celle de l'auteur) puisque tout ce vaut : américains/Viêt-congs, individu/collectivité. Une distanciation un peu hautaine, un amoralisme qui arrange l'astucieux Kubrick dans la mesure où elle est censée l'exonérer de toute responsabilité en la matière.
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Message par acidparadouze »

Juste petite question: francis a dit que Eyes wide shut n'a pas été monté par Kubrick :shock:
Je croyais que oui et qu'il etait mort quelques jours après sa sortie moi.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Lord Henry a écrit :Cher Francis, je serais plus enclin à croire qu'au lieu de dénoncer la violence, Thompson et Winner préfèrent célèbrer le tiroir-caisse.
Je pense aussi et cela de la plus malsaine des manières. Aucune naïveté là dedans.
Martin Quatermass
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Message par Martin Quatermass »

Les arguments de Michel Ciment sont souvent béton. :arrow:
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Message par Ouf Je Respire »

Roy Neary a écrit :Michel Ciment est mon père. (c)Ouf
eh oui. Merci de le rappeler, Roy. :D
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Message par Ouf Je Respire »

Martin Quatermass a écrit :Les arguments de Michel Ciment sont souvent béton. :arrow:
Clapclapclapclap...
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