Le cinéma russe

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Le cinéma russe formaliste (et autre)

Message par bruce randylan »

Sans dot (Yakov Protazanov - 1936)

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Une jeune femme refuse de se marier à un homme âgé malgré l'insistance de sa famille qui songent avant tout à la dot. Elle tombe alors amoureuse d'un dandy qui lui promet mont et merveille avant de disparaître tout aussi rapidement.

Moyennement convaincu par ce mélodrame à la narration un peu brouillonne où les motivation des personnages sont un peu trop floues à mon goût.
Il y a pourtant de jolie chose dans ce film à commencer par une très belle photographie qui sait user avec brio des contre-jours et de délicieux extérieurs fluviaux. Et il y a aussi la présence lumineuse et mélancolique d'Olga Pyjova, sublimement iconisée par la caméra de Protazanov. Si j'ai trouvé que ça tournait un peu à vide durant les deux premiers tiers, la dernière demi-heure dévoile une tristesse surprenante en esquissant un propos féministe aussi poignant qu'amer sur la place peu enviable de la femme dans la société russe (et pas seulement l'aristocratie russe), réduite clairement à une simple valeur d'objet où aucun des hommes n'envisagent qu'elle puisse bénéficier de sentiments et d'émotions. Elle n'est qu'un jeu de compétition entre eux.
Dommage que la première heure soit si peu claire dans ses enjeux et sa psychologie.
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Jeremy Fox
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Re: Le cinéma russe

Message par Jeremy Fox »

Les jeudis russes se poursuivent -petite pause dans le coffret Chepitko/Klimov- avec Le 41ème de Grigori Tchoukhraï chroniqué par Antoine Royer. Ce film fait partie d'un coffret consacré au réalisateur et sorti chez Potemkine.
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Re: Le cinéma russe

Message par Jeremy Fox »

On poursuit la découverte du coffret Chepitko/Klimov avec, toujours chroniqué par Antoine Royer, Les Ailes de Larisa Shepitko.
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Re: Le cinéma russe

Message par Jeremy Fox »

La Ballade du soldat de Grigori Tchoukhrai par Justin Kwedi. On trouve ce film dans ce coffret.
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

Souliers percés (Margarita Barskaïa – 1933)

En allemagne, au début des années 30, les enfants d'une école essaye de comprendre la vie politique de leur parents tout en n'oubliant pas les jeux de leur âge et de ridiculiser leur professeur.

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Une très belle découverte que ce film signée par une réalisatrice, ancienne actrice, qui tournait son premier long-métrage, le premier film sonore russe à s'adresser aux enfants. Il en ressort un regard formidable, jamais simpliste ni didactique tout en restant aux niveaux de ses jeunes protagonistes. Une approche très réussie qui ne prend personne pour un idiot et le film amuse autant qu'il surprend par l'originalité de son traitement. On y évoque pourtant beaucoup de sujets sensibles, surtout en 1933 avec la montée du nazisme où un certains enfants commencent à porter une croix gammée sur leur vêtement. En face d'eux, s'opposent bien-sûr ceux dont les parents sont ouvriers et qui viennent de commencer une grève sur les docks. Sans oublier le rejeton d'une famille un peu plus aisée, relais de la spoliation des richesses, qui volent les tartines de ses voisins qui connaissent pourtant la famine.
Le ton est miraculeusement léger, irrévérencieux et il est possible d'imaginer que la cinéaste a vu Zéro de conduite de Vigo. Son film est un peu moins poétique mais on y retrouve la même défiance de l'autorité avec un veine quasi anarchiste à l'image d'une géniale scène de bataille dans la salle de classe (avec une fessée mémorable à coup de globe terrestre).
Le scénario ne néglige pourtant pas l'aspect social qui pourrait presque annoncer le néo-réalisme, surtout lors du premier tiers avec la présentation d'une famille précaire type où la mère hésite entre nourrir ses enfants ou réserver son unique morceau de viande à son mari pour qu'il puisse trouver un travail. Le tout à grand renfort de cadrages virtuoses et de mouvement de caméra recherchés qui rappellent le Fritz Lang de M le maudit.
La réalisation est régulièrement très inspirée tant dans son mélange de genres que dans des fulgurances magistrales (la balle perdue qui atterrit dans l'appartement d'une mère aveugle paniquant face au silence de sa petite fille).

L'audace du traitement, la justesse de sa direction d'acteurs et sa virtuosité en font une véritable révélation qui donne envie de découvrir les autres œuvres de la Margarita Barskaïa toutes centrées sur l'enfance. Si son premier film (un documentaire) a été redécouvert il y a une dizaine d'années, par sûr qu'on puisse un jour découvrir son second, et dernier, long-métrage de fiction Père et fils qui déplut fortement aux autorités pour présenter son un jour ambigu un héros de la guerre et patron d'usine qui néglige son enfant. Sa réalisatrice fut ainsi envoyée au goulag où elle décéda au bout d'un an en 1938. :cry:

Le film repasse le 28 octobre à la cinémathèque :wink:
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Re: Le cinéma russe

Message par aelita »

Oui, une très belle surprise. Le plus étonnant, c'est le jeu des enfants (même les plus petits), d'une fraîcheur et d'un naturel que j'ai peu vus dans les films français de cette époque (ça me rappellerait plus les gamins de la guerre des boutons) . La scène de la salle de classe rappelle en effet Zéro de conduite, et la réalisation (cadrages, photo) par moments l'expressionisme allemand.
La propagande n'est pas absente (notamment dans la conclusion genre "luttons contre le fascisme"), mais jamais gênante.
Ce cycle de films soviétiques (auxquels on pourra ajouter les deux adaptations de Jack London proposées dans le cadre de "regards sur les collections" ) réserve de très belles surprises. La comédie satirique Don Diego et Pélagie en était une autre. Derrière l'aspect propre au cadre et à l'époque , le film aborde un thème éternel : la satire des bureaucrates en tous genres, thème déjà abordé par Courteline en France (par exemple). Et c'est vraiment drôle.
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

aelita a écrit : Ce cycle de films soviétiques (auxquels on pourra ajouter les deux adaptations de Jack London proposées dans le cadre de "regards sur les collections" réserve de très belles surprises. La comédie satirique Don Diego et Pélagie en était une autre. Derrière l'aspect propre au cadre et à l'époque , le film aborde un thème éternel : la satire des bureaucrates en tous genres, thème déjà abordé par Courteline en France (par exemple). Et c'est vraiment drôle.
Oui, j'en ai parlé dans le topic du cinéma muet russe :)
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

Une fois, la nuit (Boris Barnet - 1945)

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Un avion russe s'écrase dans un village en ruine. Trois membres de l'équipage survivent au crash et sont cachés par une jeune orpheline alors que les allemands fouillent les décombres.

Deuxième rencontre avec la carrière parlante de Barnet après avoir découvert assez circonspect il y a des années le pourtant très apprécié Au bord de la mer bleue. Une fois, la nuit possède une certaine parenté avec ce dernier avec un synopsis assez proche et un ressenti pour le moins dubitatif face à une interprétation pénible où la psychologie des personnages et leur comportements sont souvent arbitraires ou illogiques, comme pour mieux s'adapter à des conventions mélodramatiques teintés de propagande. Irina Radchenko joue ainsi tellement l'innocente candide qu'elle devient une d'autiste hébétée ne connaissant qu'une expression. Les aviateurs qu'elles hébergent ne sont pas mieux lotis et changent de nature d'une scène à l'autre, comme s'ils devaient s'adapter au nécessité du scénario et non l'inverse.

Reste une facture visuelle heureusement plus stimulante, qui ne sauve pas d'un ennui passif, mais qui offre quelques brillants éclats : ce stupéfiant décor de la ville en ruine tourné dans un quartier qu'on devine réellement bombardé, une réelle maîtrise du cadre et de la photographie (dénué de continuité dans le montage cela dit) et quelques séquences d'une noirceur incroyable comme celle dans le cirque où un officier laisse un résistant finir son discours devant les habitants réunis dans les gradins pour mieux les faire fusiller froidement lorsqu'ils se lèvent pour applaudir. C'est traité en quelques plans fugaces, détournant habilement un budget inexistant avec une photographie extrêmement sombre, sans plans larges et avec beaucoup de hors champ. Quand il s'agit de représenter les soldats allemands, les russes ne badinent pas avec la cruauté !
Je me demande d'ailleurs s'il ne s'agit pas du premier film de guerre soviétique tourné durant le conflit que je vois.

Le film était suivi d'un court-métrage de 30 minutes de Barnet Une tête inestimable de 1942 (un segment d'une anthologie on dirait) où une femme malade hésite à livrer un résistant aux allemands pour que l'argent de la récompense puisse soigner son enfant malade.
C'est un peu moins rigide dans le découpage et la direction d'acteur avec un dilemme pas si mal... bien que finalement peu exploité mais qui maintient un suspens (très artificiel et naïf) tout en étant forcément lénifiant dans sa propagande édifiante. Enfin, faudrait pas que ça dure plus longtemps.
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

Je me demande d'ailleurs s'il ne s'agit pas du premier film de guerre soviétique tourné durant le conflit que je vois.
Suffisait de demander !

Deux combattants (Leonid Loukov - 1943) est un drame qui décrit l'amitié de deux soldats russes aux origines différentes lors du siège de Leningrad. Évidement, une femme va venir semer la discorde.
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Les 20-30 premières minutes laissent augurer le meilleur avec un dimension humaine et mélancolique qui me semble atypique pour un film de propagande de cette période. Les visages sont filmées avec une réelle attention et dans un très beau noir et blanc. On sent l’œil humide, la terre, la fatigue, la lassitude, la solitude et l'un des deux comédiens principaux (Mark Bernes) s'accompagne à la guitare pour une délicate et touchante chanson. Les scènes de bataille y sont aussi à taille humaine (sans doute pour des questions de budget) avec quelques plans larges qui font vraiment illusion sur l'échelle des combats, agrémentés de hors champs astucieusement exploités et parsemées de vraies trouvailles visuelles comme la silhouette des soldats progressant sous les toiles de camouflage. De plus le ton n'est pas trop solemnel ni guindé.
Passée cette longue introduction, le scénario se montre un peu léger avec un personnage féminin trop absent pour rendre crédible la brouille entre les amis tandis que le dernier acte se révèle plus prévisible tant dans le déroulement des péripéties (les deux camarades séparés dans les tranchés qui cherchent à se retrouver sous le feu ennemi) que dans son virement plus ouvertement patriotique, pas trop démonstratif cela dit et qui encore une fois n'oublie jamais ses deux héros.
Un supplément d'âme et de coeur qui donne envie d'être indulgent face à des lacunes narratives par si dommageable non plus.
Bonne pioche.

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Tarass l'indompté (Mark Donskoï - 1943) s'intéresse lui à une famille vivant dans l'ouest du pays alors que les nazis commencent à occuper le territoire et à imposer leur méthodes (et ce qui en découlent) : réquisition des travailleurs, collaborateurs enrôler dans la police et, surtout plus étonnant pour l'époque, rafle et exécutions des juifs. Il semble d'ailleurs qu'il s'agisse du premier film russe à évoquer le sujet et, fidèle aux précédents films du genre que j'ai vu, le film n'use pas de pincette pour montrer un massacre de masse, même si la réalisation reste "distante", composé de deux valeurs de plans. La séquence reste en tout cas toujours glaçante par le nombre de victimes et la détermination froide des bourreaux avec plusieurs rangs de soldats qui tirent et avancent dans la foule (un peu trop passive et immobile tout de même) tandis qu'une ligne arrière se promène pour achever les quelques rescapés.
Cette évocation du génocide juif est l'une des grande forces du film qui parvient à rester digne sans trop en faire, les dialogues sont d'ailleurs quasiment absents et l'émotion passent avant tout par les regards, les attitudes, les moments d'attentes et des cadrages soignés qui mettent en valeur les comédies, qu'ils soient des rôles principaux ou de simples figurants. C'est à la fois très graphique sans être non plus dans la posture iconique.
C'est dommage que le reste du film ne soit pas de ce niveau car je dois avouer qu'une bonne partie de cette famille apparait rapidement fatigante avec leur orgueil et leur arrogances exacerbées qui ne souffrent d'aucune nuances. Ils conspuent les lâches, font la morale à tout va et braves vraiment idiotement les allemands (se souciant peu du coup de faire arrêter une petite orpheline se cachant chez eux). Ce manichéisme empêche de s'attacher aux hommes de cette famille (le grand-père et son petit fils sont à claquer) d'autant que les personnages moins lisses sont sujet à des twists prévisibles et donc décevant (le double agent !).
Plutôt frustrant car hormis les 3 séquences mettant en scène le médecin juif, il y a aussi une géniale séquence où les soixantenaires du village sont réquisitionnés pour travailler dans une usine mais se font passer pour des ouvriers non qualifiés. Ceux-ci après avoir menacés un collaborateur ne peuvent s'empêcher d'avoir le regard brillant face à la matière fumante qui ne demande qu'à être forgée et tous se livrent à un travail enthousiasme qui se conclura par la mort de l'un d'eux, abattu par un allemand qui observaient la scène de loin.
J'aurais préféré ce genre d'approche plus modéré et lyrique de la résistance et de l'occupation (les p'tits vieux chargeant leur brouette vers Berlin où ils sont envoyés pour être travailleurs forcés) que la lourdeur de la seconde moitié belliqueuse où tous les nazis (petits ou gros) sont des sosies d'Hitler.
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Re: Le cinéma russe

Message par aelita »

Ce caractère du grand-père (qui peut en effet nous gonfler facilement, c'est moins net dans le reste de la famille) vient en partie du fait que le scenario fait référence à Tarass Boulba (Gogol) , dont le gamin lit des passages. les prénoms du père et d'un de ses fils (Tarass et Andreï) sont les mêmes. Le personnage de Gogol est encore plus intransigeant (ici on a parfois l'impression que le grand-père exagère ses réactions ), et son texte encore plus versé dans le patriotisme russe .
Le film est très démonstratif, à la limite de la propagande patriotique par moments, mais je m'y attendais un peu, donc ça ne m'a pas gênée plus que ça.
Le scenario (en partie à cause du côté démonstratif) présente des failles et des incohérences , mais le film est (pour moi) sauvé par son interprétation, de très beaux plans, et quelques scènes vraiment bien vues (notamment celles qui concernent le groupe de petits vieux). Les Allemands caricatures d'Hitler (mais pas tous), c'est un peu gênant, mais au moins, à part ça, ils sont nettement moins caricaturaux que dans certains films "occidentaux" du genre...
Et ça m'a semblé moins irréaliste que L'Etoile du Nord de Milestone, film contemporain sur un sujet assez proche : la résistance dans un village ukrainien. En effet, le film (qui vient des studios de Kiev) semble se passer en Ukraine plutôt qu'en Russie (l'instrument traditionnel qu'on voit dans la scène du marché, et les blouses brodées portées à un moment par quelques personnages , c'est ukrainien).
Et surtout il y a la séquence de la rafle et du massacre des Juifs, qui pourrait être une allusion aux massacres de Babi Yar (qui se trouve d'ailleurs en Ukraine), même si ça ne s'est pas passé tout à fait comme le film le présente https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Babi_Yar
C'est d'autant plus étonnant que, dans les années suivantes, et jusqu'à une période récente (années 60), ce ne fut pas évoqué (officiellement) en URSS . Ca serait d'ailleurs intéressant de savoir si, dans les années d'après guerre, le film a circulé tel quel, s'il est devenu invisible, ou a été diffusé avec suppression de cette scène.
Dernière modification par aelita le 20 juin 18, 15:42, modifié 3 fois.
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

Le grand consolateur (Lev Koulechov - 1933)

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Condamné à trois ans de prison, l'écrivain William Sidney Portner qui essaye de transfigurer la vie de ses co-détenus par ses nouvelles sous le nom de plume O'Henry.

Loin d'être parfaite, cette œuvre parlante de Koulechov fait preuve de suffisamment d'originalité pour qu'on fasse quelque effort. Il faut pour cela dépasser l'extrême raideur de la réalisation et surtout de l’interprétation où l'on devine qu'effrayés par le le sonore les comédiens appuient et isolent bien distinctement chacun de leur syllabe pour une diction hachée pénible.
En revanche, le scénario ne manque ni d'audace ni d'originalité avec une mélange de la fiction et de la réalité très poreux. Il y a 2 lignes narratives qui viennent se greffer au quotidien de Portner. La première, centrée sur un spécialiste du coffre-fort, est imaginaire mais s'inspire en espérant l'anticiper un événement de la prison tandis que la seconde est plus flou et pourrait autant être une histoire parallèle qu'une pure création... ou les deux. Sans que le changement de narration soit souligné et évoqué, on se demande régulièrement ce qui est de l'ordre du fantasme, de la projection, de la réalité ou de l'inspiration littéraire. Sur cet aspect, le film est très libre et plutôt moderne.
C'est aussi j'ai l'impression une manière pour Koulechov de braver la censure du gouvernement et continué de reproduire en Russie une sensibilité occidentale qui a déjà motivé son style (Mr West au pays des bolcheviks). Ainsi sous couvert de critiquer les USA avec un système pénitentiaire violent, raciste et déshumanisé ou gangrené par le capitalisme corrupteur et immoral (plusieurs banquiers se font la malle avec l'argent des déposants, un patron pousse son employé à se prostituer), le cinéaste peut mine de rien adapter un auteur américain et même re-créer un western fantaisiste le temps d'une histoire dans l'histoire.
Mine de rien, ca devait être assez rare et provocateur pour l'époque.

Dommage que la réalisation et les comédiens ne soient pas toujours à la hauteur même si on trouve tout de même de beaux effets d'éclairages et une bonne utilisation du son qui dramatise fortement plusieurs séquences comme le strident bruit du chariot à la fin.


L'erreur de l'ingénieur Kotchine (Alexandre Matcheret – 1939)

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Un ingénieur travaillant sur la conception d'un avion militaire top secret est espionné par sa fiancée, manipulée par une puissance étrangère.

Les soviétiques se lancent dans le film d'espionnage nationaliste à la façon hollywoodienne. La première moitié m'a assez assommé d'autant que je n'étais pas en grande forme mais ces intrigues romantico-trahisons ne ne m'ont pas passionnés des masses. Les personnages, plus nuancé qu'on aurait pu le croire vu la conception du flm, ne sont absolument pas attachant et les méchants n'ont guère plus de consistances. Sans parler d'une réalisation assez fonctionnelle.
Du coup, j'en étais à me demander pour quelle raisons Chris Marker adorait ce film... Et bien tout simplement car la seconde moitié est autrement plus réjouissante :D

Du film d'espionnage, on bascule dans le buddy movie policier décontracté, entre ironie, flegme et respirations champêtres que n'aurait pas renié un John Ford.
En effet, une fois que la fiancée est éliminée par les vilains, deux policiers mènent leur enquête, reléguant dans l'arrière plan l'ingénieur Kotchine qui disparait quasi totalement.
Le duo est formé d'un officier, fin limier qui cache son jeu à la façon d'un Colombo calme mais pugnace, et de son jeune collègue, plus candide tout en sachant faire preuve de perspicacité... Mais à leur rythme, sans se presser ni courir après la montre.
Le meurtre s'étant dérouler dans un bistrot à la campagne, ils partent sur les routes, flânent en chemin, s'arrête pour disséquer sur la chasse, trouve un indice, discutent avec un témoin de banalités, s'amusent des jeux du séductions de l'employé d'une brasserie envers sa patronne (personnages très attachant par ailleurs).
Ce ton et cette nonchalance sont d'une immense fraîcheur qui se répercutent aussi sur les séquences logiquement plus tendus : un étrange souvenir est prononcé comme un poème par un suspect tandis que la longue scène à suspens avec le criminel a arrêter chez un tailleur brille de malice et de second degré.
Quant à la fin, elle est totalement stupéfiante : une fois leur mission accomplie, le duo de policiers retournent profiter pleinement de la chasse mais le valeureux inspecteur pensant tirer sur un oiseau prestigieux abat en réalité un hibou. C'est drôle mais on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une forme de mise en garde allégorique sur un pouvoir imparfait qui pourrait se tromper de cible dans son désir de se protéger à tout prix.
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Message par bruce randylan »

La maison des morts (Vassili Fiodorov – 1932)

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Ca fait quelques temps que je cherchais à découvrir ce film russe qui décrit plusieurs passages de la vie de Dostoïevski.
Même si je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, le résultat est assez décevant tout en étant malgré tout plutôt intéressant, surtout pour la forme.
Il s'agit en effet d'un des premiers films sonores russes et on voit que Fiodorov essaie d'aborder le procédé avec pas mal d'idées, jouant beaucoup sur les chansons qui apportent une forte coloration psychologique et émotionnelle ou sur des contre-points audacieux comme justement le silence et l'absence de bruitages. La séquence où un petit vieux se fait fouetter par des soldats est assez marquante grâce à cette approche.
Par contre, et même si c'est tout à son honneur, le cinéaste a voulu tourné le dos à un formalisme typiquement russe et préfère jouer sur des décors épurés, des espaces vides ou les contrastes. Du coup, beaucoup de plans sont en contre-plongée où les personnages apparaissent ainsi sur un fond blanc et neutre. Ca devient rapidement artificiel et confère à l'ensemble une réalisation figée et plombante.
Mais les problèmes majeures restent une théâtralité prononcée dans l’interprétation et surtout une narration maladroite qui semble avancer sur des œufs. Il semble qu'il y a eu de gros désaccords entre le scénariste et le Fiodorov et cela se ressent à l'image. Il n'y a aucune réelle progression dans le scénario et sa structure est très bancale. On se demande d'ailleurs quel est le vrai intérêt de la partie contemporaine qui vient encadré le gros flash-back central.


L'accordéon (Igor Savtchenko - 1934)

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Dans un kolkhoze, un joueur d'accordéon, grâce à son travail acharné au champ, est élu au bureau soviet. Il prend son nouveau poste un peu trop à cœur et délaisse son instrument.

Une courte comédie musicale qui joue à fond la carte de la propagande au point qu'on se demande si on est pas devant un pastiche tant certaines postures du héros semblent reproduire des affiches officielles. Dans l'ensemble tout est incroyablement appuyé pour une imagerie d’Épinal désarmante qui amuse autant qu'elle fatigue. Pas de demi-mesure : les paysans ont des sourires béats, tout le monde est ravi de travailler dans les champs et on trouve même de méchant musiciens (sans réelles raisons) qui joue des morceaux de l'ancien régime. :lol:

Par chance, le film est en bonne moitié chanté/dansé, ce qui a l'avantage de dépasser les stéréotypes pour aller dans le pur élan fantaisiste, une symphonie de mouvement très entraînant. La réalisation est un peu trop statique et n'insuffle pas la dynamique pour rendre grisante les scènes de foule en liesse. En revanche, le travail sur la manière de capter les visages est remarquable et surtout le montage est particulièrement moderne. Il est certes très rythmé dans son enchaînement de plan mais on trouve aussi des idées assez audacieuse pour l'époque comme du jump cut (pour les allers-retours du joueur d'accordéon chargeant le foin).
Scénario idiot (pas inintéressant dans sa volonté de prouver la nécessité du divertissement populaire), direction artistique inspirée, morceaux musicaux réussis et 1h au compteur. Ça fait un bilan positif on va dire. :)
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Message par aelita »

Oui, pour la Maison des Morts, la narration (le scenario) est le gros point faible du film. Il y a même des éléments dont on finit par se demander ce qu'ils viennent faire là (le soldat qui tue son supérieur par exemple, alors qu'à l'origine on est en plein dans le sujet ). L'ouvrage adapté est en effet le récit (romancé ?) par Dostoïevski de son séjour dans un bagne sibérien, et est composé en partie des récits des prisonniers qui expliquent ce qui les a menés là . Il y a donc le prisonnier politique, le soldat qui a tué son supérieur, celui qui a commis un crime passionnel, etc...
Le film a sans doute voulu être à la fois une adaptation de l'œuvre et un regard sur la vie de l'auteur et l'évolution de sa pensée. Pourquoi pas, mais il est trop court pour ça. Et l'essentiel (la description de la vie dans cette "maison des morts" ) passe un peu au second plan.
Formellement, c'est assez réussi , avec quelques scènes qui m'ont surprise, comme celle du sauna . En soi, elle n'a rien d'étonnant (un moment de détente dans la vie de ces hommes), mais on a vu rarement ça (les interprètes sont nus et rien n'est caché) dans un film occidental de la même époque .
La présence de chansons est très fréquente dans les films soviétiques, même dans ceux non musicaux. Celle (ou plutôt une de celles. Il me semble que c'est la première interprétée dans le film) présente dans Deux combattants est d'ailleurs devenue un "classique" en Russie.
NB Pour en revenir à la maison des morts, le film est quasi contemporain de l'opéra (tchèque, créé en 1930) adapté de la même œuvre , qui serait très proche du texte original, et que j'ai d'ailleurs vu -coïncidence- peu de temps avant ce film.
Dernière modification par aelita le 20 juin 18, 15:43, modifié 3 fois.
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Re: Le cinéma russe

Message par bruce randylan »

A force d'enchaîner les films russes, je commençais à mélanger les séquences. Je ne savais plus où se situait cette séquence (inhabituelle) des bains turcs. J'hésitais entre celui et Les paysans (où le film se conclut dans des bains publics).


Autre très belle découverte : Attends-moi (Boris Ivanov & Aleksandr Stolper - 1943)
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Au début de la seconde guerre mondiale, plusieurs amis viennent d'apprendre qu'ils doivent partir sur le front. Les au-revoirs sont durs surtout pour pour le pilote Nikolaï Ermolov qui doit quitter son épouse. Il lui fait promettre de l'attendre quelque soient les nouvelles.

On pourrait craindre un film de propagande lourdingue et démonstratif et c'est un mélodrame sublime et vibrant.
On pense fortement à Borzage en fait et l'histoire comme la sensibilité ne sont pas sans rappeler l'atmosphère et l'esprit de L'heure Suprême ou trois camarades. Quelques moments n'ont rien à envier au prestigieux cinéaste américain comme ses quelques secondes (perturbé par un réveil) que s'offre le couple sur le point de se séparer alors qu'ils auraient tant de chose à se dire et qui préfère profiter d'un moment suspendu pour s'imprégner du visage aimé. C'est sobre, pudique, délicat et beau à en avoir des frissons.
D'autres moments parviennent à se hisser à ce niveau avec un lyrisme tout en retenu pour des personnages vivants que le cinéaste ne juge pas ni ne condamne même quand ils peuvent aller à l'encontre de leurs promesses comme cet autre figure féminine qui a fréquenté d'autres hommes mais qui s'effondre apprenant qu'elle ne pourra pas voir la dépouille de son ancien amant. Quelques secondes consacrées à sa réaction enrichissent ainsi profondément sa psychologie. Dans l'ensemble il y a un vraiment un soin et une attention accordée aux seconds rôles
Il faut préciser que la direction d'acteurs est admirables. Si je trouve souvent que l’interprétation russe est assez maniérée et très typé "local", elle est ici très naturelle et lumineuse.

Ces différents éléments parviennent à totalement sublimer les ingrédients patriotiques habituels (sacrifice, camaraderie entre soldats, discours moralisateur) pour en faire une expérience personnelle quasi mystique, entre la folie et la transcendance. Pas étonnant que ce film soit rapidement devenu culte en Russie.
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Re: Le cinéma russe

Message par aelita »

Rien à rajouter sur le film lui-même (d'accord avec ton analyse), mais s'il est devenu culte, c'est aussi grâce au texte qui l'a inspiré : un poème de Simonov (même titre) qui connut un très grand succès en URSS dès sa publication. il sera même mis en musique plusieurs fois (dont une fois pour le film). il commence par "attends-moi et je reviendrai" (je me base sur une traduction en anglais).
Je ne sais pas ce qu'il en est du film aujourd'hui, mais le poème (en tant que tel ou sous forme de chanson) est toujours culte en Russie (comme un certain nombre de chanson plus ou en liées au thème de la Seconde Guerre Mondiale, certaines écrites plus de 20 ans après le conflit).
Ah si, je rajouterais que le film est effectivement très peu propagandiste, y compris dans ses séquences de guerre, même dans celles avec les partisans.
Compte tenu de la très vaste étendue du territoire, l'URSS doit être le seul pays à avoir tourné de telles scènes de guerre alors même que les Allemands étaient présents dans le pays (sur le générique de deux films, j'ai vu mention de studios de Tachkent ou Alma-Ata, donc loin des zones de combat). Il est probable que Tarass l'indompté, donné comme venant des studios de Kiev , ait été tourné aussi dans ces régions plus éloignées (ou en Russie même, mais à des centaines de km de Moscou...).
Dernière modification par aelita le 20 juin 18, 15:45, modifié 1 fois.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (pensée shadok)
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