C'était je crois une radio rwandaise qui incitait au génocide des Hutus contre les Tutsis ou l'inverse, je ne me souviens plus. C'est d'ailleurs dramatique de ne plus s'en souvenir à peine 10 ans plus tard, après presque 700 000 ou un million de morts abandonnés au massacre par une O.N.U. toujours pleine de bonne volonté mais parfois aussi incapable de la réaliser que la défunte S.D.N.
I) MUSIQUE ET CINEMA
Cela dit je viens de lire l'ensemble du forum et ma position mentionnée plus haut doit être modifiée a posteriori : la position de Xavier est profondément cinéphile et son accompagnement de CALIGARI doit être intéressant si plus adapté que l'accompagnement d'époque. Mais la position de Stéphane reste néanmoins correcte : si Wiene avait donné son accord, il faut conserver l'autre musique quelque part sur une piste du DVD pour pouvoir comparer ! Et je précise que les fiches techniques de Caligari ne mentionnent en général aucun compositeur particulier ni aucune musique.
C'est Louis Delluc qui pouvait montrer la voix lorsqu'il écrivait dans "Cinéa" (cité par L.H. Eisner, op. cit. infra, p.23) :
"Parlons de CALIGARI. Son rythme impose le film. D'abord lent, volontairement laborieux, il tâche d'énerver l'attention. Puis quand se mettent à tourner les vagues dentées de la Kermesse, l'allure bondit, s'active, file et ne nous lâche qu'au mot "fin", aigu comme une gifle."
Belle description "musicale" du film, n'est-ce pas cher Xavier ?
Mais la question est justement de savoir si cette musicalité en acte dans les images devait être dans l'esprit de ses créateurs redoublée par un commentaire le soulignant ou si ce commentaires était imposé par les usages des exploitants ? Bon cela dit, vous semblez si respectueux de - et sensible à - l'oeuvre de Wiene que je vous fait crédit bien volontier au sujet du vôtre mais convenez que la systématisation actuelle du commentaire musical original contemporain appliqué à un film muet fabriqué bientôt (à 15 ans prés approximativemen) 100 ans plus tôt pose un problème de respect de l'oeuvre. Wiene n'avait peut-être nullement envie de voir son film sonorisé ou commenté musicalement ? C'est cela qu'il faudrait savoir avant d'oser.
On est bien d'accord sur le fait que James Bernard s'accorde merveilleusement à Fisher et à la Hammer d'une manière générale, B.H. à A.H., etc... et nous adorons tous Jerry Goldsmith, Jerry Fielding, et les autres. Mais Wiene voulait-il avoir son James Bernard ? Rien n'est dit à ce sujet. Il y a bien des chefs-d'oeuvre cinématographiques sans musique, bien des chefs-d'oeuvre sans parole entendue même, voire même des films sans parole du tout où personne ne parle. Dans certains cas, c'est voulu et revendiqué. Dans d'autres non. Mais il faudrait alors se livrer à un fantastique travail historique sur le sujet afin de savoir si tel cinéastes du muet eût souhaité être commenté ou non si on lui eût laissé le choix ? Ce serait assurément un travail passionnant. Mais prenons le problème à l'envers. Si dans 100 ans quelqu'un décidait que LES OISEAUX d'A.H. manquent de musique et qu'il faut l'assortir d'une musique ? Ce sera bel et bien une trahison dans ce cas précis. B.H. est crédité au générique pour les reproductions électroniques (je crois) des cris d'oiseaux mais A.H. n'a pas voulu qu'il mette de musique. Rohmer n'a pas voulu de musique composées commentant les volumes cinématographiques de ses COMEDIES ET PROVERBES sauf spécifiquement sur l'un d'entre eux. Si dans 100 ans... idem.
L'idée même d'imposer aujourd'hui à une rétrospective de Tod Browning un commentaire musical contemporain - qu'il soit dans le style de l'époque ou pas - sur un DVD est loisible. Mais on doit laisser au spectateur la possibilité de les voir tels quels pour ceux où Browning n'en avait pas mis - l'eût-il souhaité ou non, toujours est-il qu'il n'y en a pas et c'est ainsi.
Dans une salle de projection, le procédé me semble en revanche injustifiable car c'est cela ou rien qui est imposé au spectateur. Si on tombe sur quelqu'un comme vous et que le résultat est adéquat, disons qu'on aura eu de la chance de vous apprécier et que la vision du film sera une vision augmentée d'un contrepoint intéressant et enrichissant. Mais dans le cas inverse ? Par ailleurs je suis étonné de voir à quel point l'appréhension des films muets paraît ardue à certains (Jeremy et quelques autres
) s'ils ne sont pas commentés. À la limite, pour tenir la logique du choix, il aurait dû y avoir DEUX rétrospectives de l'oeuvre intégrale de Tod Browning : une avec le commentaire pour ceux qui voulaient tenter l'expérience, et une sans pour préserver une vision pure de tout affect non voulu expressément par Browning. Ou bien, en effet, ainsi que l'a dit Stéphane à sa rude manière, UNE seule rétrospective mais sans rien d'autre que les films de Browning tels que le temps nous les a conservés. Je vous renvoie d'ailleurs à mon article sur "LONDON AFTER MIDNIGHT restauré par TCM" paru sur
http://www.dvdrama.com qui est un cas-limite très étonnant de restauration d'une oeuvre dont le négatif a en effet brûlé.
Dans le cas des VHS ou des DVD colorisés de films noirs-et-blancs, pas de problème, on peut revenir au N.&B. originel. Mais en salle ?! Et Lang aurait-il apprécié la tentative de Moroder vers 1985 ? Qui peut le dire puisqu'il est mort ?
Là-dessus mes félicitations pour ce bel amour du cinéma muet - et de ses conditions "musicalisées" d'époque dont j'ai lu les descriptions informées avec grand intérêt - qui comme son nom l'indique est dénué de son mais qui semble avoir été musicalisé dans l'anarchie la plus complète par les exploitants, les distributeurs, les producteurs, et hélas fort peu par les cinéastes (Lang et METROPOLIS constituant au moins une des exceptions assurées). En tout cas, oui, il y aurait un nouveau précis d'histoire du cinéma muet à écrire, recensant tous les cinéastes qui auraient souhaité disposer du parlant, d'une musique particulière et tous ceux qui l'auraient à l'époque refusé pour raison esthétique. Et seuls alors les premiers pourraient être commentés aujourd'hui librement.
Je me souviens avoir vu OCTOBRE (U.R.S.S., 1927) d'Eisenstein au Ciné-Club de mon lycée parisien : la musique symphonique de Chostakovitch était formidablement adaptée à l'action mais me pose un problème analogue à la symphonie de Brukner utilisée par Visconti dans SENSO. Chostakovitch avait-il écrit ses partitions symphoniques en pensant qu'elles illustreraient un film ? Brukner idem ? Celui-ci certainement pas. Celui-là, à vérifier historiquement. Eisenstein parle de son travail avec Prokofiev en détails à propos d'IVAN LE TERRIBLE (U.R.S.S., 1945-1946) dans le fragment publié par Léon Moussinac dans son petit livre très riche de la collection "Cinéma d'aujourd'hui", vol. n°23, éd. Pierre Seghers, Paris 1964. Comme d'habitude c'est passionnant. Mais OCTOBRE n'est pas crédité comme disposant de musique dans la fiche technique mentionnée par Moussinac ni dans celle de Sadoul. Peut-être cette idée eût-elle plu à Eisenstein mais comment le savoir ? Et par ailleurs, la symphonie de Brukner me semble rabaissée justement au rang d'illustration dans SENSO : elle est ainsi dévoyée de sa finalité propre qui est d'être écoutée comme musique symphonique pure. Aucune représentation imagée ne peut la figurer dans son essence, encore moins peut-elle être rabaissée au rang d'illustration d'une scène dramatique.
Problème esthétique de la communication des arts, du système des beaux-arts... problème hautement philosophique.
II) DISCUSSION Kurz/Xavier sur l'EXPRESSIONNISME :
Quant à la comparaison entre CALIGARI et LE DERNIER DES HOMMES, je pense qu'il prendre pour juge de paix entre Kurz et Wavier celle qui initia Henri Langlois à la connaissance du cinéma expressionniste allemand, j'ai nommé Lotte H. Eisner, "L'écran démoniaque", éd. définitive Éric Losfeld, Paris 1965, §XII "Murnau et le "Kammerspielfilm", qui s'ouvre p. 141 justement par une analyse de LE DERNIER DES HOMMES (All. 1924) qui commence par :
"De nouveau, l'absence de sous-titres donne lieu à une succession de plans où l'action progresse par des moyens uniquement visuels. De nouveau et davantage encore ce film s'oppose aux préceptes expressionnistes. (...)"
et poursuit p. 142 :
La puissance de Murnau déborde les limites du "Kammerspielfilm", et ce n'est pas seulement parce que ce film comporte un plus grand nombre de personnages que le films de ce genre en comportent généralement. (...) est-ce le dernier vestige de la conception expressionniste selon laquelle tous les personnages avec qui le héros est en conflit sont privés de vie personnelle, ne sont (...) "que des radiations de son essence intime" ? (...)
Murnau accentue délibérément cet effet dans ses prises de vues : le portier se dirigeant vers l'hôtel, revêtu de sa splendeur galonnée est filmé de manière à paraître beaucoup plus grand que les passants qui le croisent (...) Néanmoins les procédés expressionnistes ne tiennent que peu de place dans ce film. Si Murnau les utilise pour les passages du rêve ce n'est que parce que la portée fantastique de ce style lui permet d'en tirer les effets qu'il estime nécessaires, à cet endroit. (...) "
puis p. 148 :
"Dans certains passages du film en dehors du rêve, l'on découvre les traces d'un expressionnisme évolué. (...) [à propos du corps de Jannings désespéré tenant sa livrée dans les bras, subitement figé, penché de côté en travers de l'écran] (...) Les expressionnistes ont déjà exploitécette attitude oblique du corps dans le but de mettre l'accent sur le dynamisme exalté qu'accompagne la frénésie des gestes ; c'est ainsi que Wiene montra son diabolique docteur plein d'émoi devant le livre qui lui révèle le secret de l'hypnose, par un jeu de plan, Caligari devenu gigantesque se dresse de biais, figé dans cette sorte de paroxysme (...) Et c'est encore ainsi que nous est montré Nosferatu rendant son dernier soupir. Rappelons-nous aussi la déclaration de Kurtz affirmant que la diagonale déclenche par sa violence expressive une réaction insolite dans l'âme du spectateur ; Hans Richter précise qu'une diagonale peut en soi exprimer le degré extrême d'une émotion.
"De l'expressionisme vient encore cet effet de rire gargantuesque, énormes bouches ouvertes, immenses trous noirs, tordus dans un éclat de rire infernal qui semble inonder l'arrière-cour où habite "le dernier des hommes (...)".
Bien... ces très longues citations que je suis navré d'avoir dû amputer et qu'il faut replacer dans le contexte d'une analyse admirable de 10 pages, d'une précision extrême, donnent globalement raison à Xavier - le film est globalement un "kammerspielfim" à "caméra mobile" (tenue par Karl Freund, soit dit en passant !) - mais il contient, comme l'a bien vu Kurz, des traces encore vives d'expressionnisme typiquement caligariens même si leur finalité est autre, même si elles sont des moyens au service d'une esthétique profondément différente dans son ensemble du film de Wiene de 1919.
III) Je signale à l'admirateur de THE SCARLET LETTER que le classique de V.S. est une adaptation du livre de Nathaniel Hawthorne, un des écrivains majeurs de la littérature fantastique américaine du XIXe siècle.