Deux films américains de Léonce Perret sur la Grande Guerre vus respectivement à la Cinémathèque et à la Fondation Pathé.
Lest We Forget (
N'oublions jamais, 1918) avec Rita Jolivet, Hamilton Revelle et L. Rogers Lytton
A l'entrée en guerre, la cantatrice Rita Heriot (R. Jolivet) se retrouve prise dans l'avancée des troupes allemandes dans son village de la Meuse. Elle fait office de télégraphiste avant de se retrouver prisonnière des Allemands...
Cette production américaine de Léonce Perret est un objet cinématographique à la structure narrative étrange. Réalisé durant l'été 1917 après l'entrée en guerre des Etats-Unis, le film se veut une propagande pour resserrer les liens historiques unissant la France à l'Amérique. Malheureusement, il semble que le metteur en scène n'ait guère eu de contrôle sur le montage de son film qui était financé par le Comte Giuseppe de Cippico, l'époux de l'actrice Rita Jolivet qui tient le rôle principal. Au final, les critiques des journaux professionnels américains tirèrent à boulet rouge sur cette superproduction mal ficelée qui semble avoir été montée par un incompétent.
Variety se montre particulièrement virulent en démolissant systématiquement un film qui a coûté une fortune pour l'époque: entre 175.000 et 200.000 dollars. Il faut dire que les producteurs n'ont pas lésiné sur les moyens: une énorme figuration, une reconstitution du torpillage du Lusitania et de plus, le décorateur Henri Ménessier a reconstitué en studio un village français entier pour ensuite le bombarder. Malheureusement, cette débauche de moyens ne produit qu'un film épisodique qui semble accumuler les évenements spectaculaires au détriment du développement des personnages. Par instants, on retrouve le talent de directeur d'acteurs de Perret, comme lorsque Rita se prépare à être fusillée, mais on retombe rapidement dans une abondance de clichés. L'ajout de nombreux extraits de bandes d'actualités n'arrangent rien car ils détournent l'attention de l'intrigue et sont de qualité bien médiocres cinématographiquement parlant. On peut imaginer la déception de Perret de voir son projet dénaturer de la sorte par un producteur. Cette déconvenue l'a certainement poussé a devenir son propre producteur pour pouvoir contrôler ses propres films de A à Z comme l'ont fait à la même époque ses compatriotes expatriés comme Albert Capellani et Maurice Tourneur. Cette citation de la critique de
Variety donne bien le ton: "
En tant que 'grand film', c'est l'un des plus mauvais jamais tournés ici, sous tous les angles. Les gens du cinéma riront bien de ses défaut." La cinémathèque nous a présenté une copie française reconstituée dont la qualité visuelle était très moyenne, ce qui n'arrange rien. Un Perret décevant.
The Unknown Love (
Les Etoiles de la gloire, 1919) Dolores Cassinelli, E.K. Lincoln, Warren Cook et Robert Elliott
Doris Parker (D. Cassinelli) accepte de devenir la marraine de guerre d'Harry Townsend (E. K. Lincoln) un soldat sans famille parti au front en France. De fil en aiguille, elle tombe amoureuse de cet homme qu'elle n'a jamais vu...
Après la grosse déception de
Lest We Forget (1918), c'est un plaisir de retrouver un Perret américain qui montre à plein les immenses qualités de ce metteur en scène. Tout d'abord, il y a la sublime cinématographie qui est ici le travail d'Arthur Ortlieb, où l'on retrouve les contre-jours et la poésie des extérieurs de Perret. Le film a été mis en production sous le titre,
The Stars of Glory, avant finalement d'être intitulé du plus neutre
The Unknown Love. Il faut dire que ce film à message patriotique a été commencé avant la signature de l'armistice et terminé après celle-ci. Tout en conservant son message de propagande pour remercier les 'Sammies' de s'être mobilisés pour la France, le récit englobe aussi la fin du conflit et le retour à la paix. La film a survécu dans une superbe copie française teintée et virée, qui est cependant légèrement incomplète. Perret a concocté une histoire simple et légèrement naïve à son habitude, mais il réussit à la traiter avec un tel talent de conteur et de pictorialiste que l'on oublie bien vite les limitations de cette histoire sentimentale sur fond de guerre. Le personnage de la marraine de guerre a inspiré plus d'un film à Perret. Mais, pour celui-ci, il bénéficie de la splendeur des paysages de la Nouvelle-Angleterre qu'il magnifie avec bonheur. Son héroine nous apparaît encadrée d'immenses hortensias, toujours éclairée de côté par une fenêtre qui suggère les rayons du soleil. Une séquence reste particulièrement en mémoire alors qu'elle se rend au bord de mer pour y jeter un bouquet en hommage à un ami officier mort en service avec un contre-jour magique sur fond de soleil couchant teinté orangé. Si l'histoire est simple, Perret sait y ajouter les petits ingrédients qui lui donneront un élément de vérité. Ainsi, le soldat Harry Townsend se trouve trop laid pour envoyer sa photo à sa correspondante. Il choisit, tel Cyrano, d'en adjoindre une d'un de ses amis. Cette substitution n'aura finalement pas d'effet sur l'amour que lui portait Doris.
The Unknown Love fait certainement partie des meilleurs films américains de Perret par sa beauté plastique et sa poésie.