Faut-il Tuer Sister George ? (Robert Aldrich - 1968)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Lord Henry
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Faut-il Tuer Sister George ? (Robert Aldrich - 1968)

Message par Lord Henry »

The Killing of Sister George (1968)

Faut-il le rappeler, oui sans doute, Robert Aldrich était un immense metteur en scène, sans que le succès des Douze Salopards ne change quoi que ce soit à l'affaire.
Les plumes étriquées qui avait porté aux nues sa production des années cinquante, furent les mêmes à sanctionner ce qu'elles s'imaginaient être un déclin dans la décennie suivante.
Pourtant Aldrich, lui, n'avait pas changé.
Si l'on met de côté Les Quatre du Texas - pochade languissante au service du Rat Pack de Sinatra - son cinéma gagne en intransigeance, en férocité, en audace et en liberté.

Après Attack!(1956), Aldrich donnait le sentiment d'épuiser son cinéma dans des réalisations dénuées de réelle conviction. Et on ne le retrouve en pleine possession de ses moyens qu'avec l'hallucinant Whatever Happened to Baby Jane?(1962)

Le succès des Douze Salopards - extraordinaire pamphlet qui subit les foudres d'une certaine critique bien pensante - permet à Aldrich de fonder sa propre compagnie de production,et de se tourner vers des projets qui lui tiennent particulièrement à coeur.

Au premier rang desquels, l'adaptation d'un succès théâtral de Frank Marcus, Faut-il tuer Sister George?

La "Sister George" du titre est l'héroïne toute d'écoeurante bonté et de pommettes rubicondes d'un feuilleton familiale produit par la BBC. Le meurtre , c'est la décision d'éliminer le personnage en question du programme, en raison des frasques et de la personnalité incontrôlable de son interprète June Buckridge (Beryl Reid) Son franc-parler, son tempérament volatile et son goût prononcé pour l'alcool , en font une antithèse par trop voyante de la consensuelle Sister George.
June partage un appartement confiné avec son amante "Childie" (Susannah York); une jeune femme naïve qui se voudrait poétesse et vit entourée de poupées. Childie est l'objet de la jalousie hystérique et de la cruauté occasionnelle de June, qui peut aller jusqu'à un rituel d'humiliation.

Pour compléter le tableau, il y a la voisine, ancienne prostituée et confidente du vague à l'âme. Mais surtout, Mercy Croft (Corale Browne), représentante de la BBC, Némésis à la distinction affectée, dont chaque intervention vient saper un peu plus l'univers de June, et qui convoite secrètement "Childie".

"George" - ainsi qu'elle est appelée durant tout le film - appartient à cette galerie de monstres chère à Robert Aldrich. Elle n'est ni aimable , ni convenable, et ne fait rien pour y remédier. Mais le réalisateur lui réserve toute sa sympathie.
Son lesbianisme assumé, son humour cru, détonent dans un environnement régi par l'hypocrisie. Elle se fraye un chemin à coups d'épaules (littéralement) dans un monde qui tolère à peine les êtres hors- normes.
"George" s'avère être la seule personne authentique dans un univers de faux-semblants, que symbolise la télévision et qu'illustrent à merveille les coulisses d'un tournage. Une fois de plus, Aldrich s'attache à faire tomber les masques et nous montrer l'envers du décors (de tous les décors).
Formellement, il tient son film de bout en bout, sans jamais faillir, enfermant les protagonistes dans une atmosphère oppressante, traduite à la perfection par la photographie de Joseph Biroc.

En grand cinéaste, Aldrich n'a pas peur de son sujet; qu'il filme dans le refus de tout pittoresque une soirée dans un bar gay, ou qu'il mène son récit jusqu'à une paroxystique séquence de masturbation lesbienne.

Il ne restera plus à une "George" esseulée, dans un ultime sursaut dérisoire et bouleversant, qu'à saccager nuitamment le décors des ses exploits télévisuels passés, avant de s'effondrer, résignée.

Les trois actrices principales sont dignes de tous les éloges.
Dernière modification par Jeremy Fox le 11 mars 08, 11:30, modifié 1 fois.
Tom Peeping
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Message par Tom Peeping »

Entièrement d'accord. Les actrices (surtout Reid et Browne) sont géniales. L'origine théâtrale du scénario se fait toutefois sentir même si Aldrich s'en sort bien en utilisant pas mal de décors clos où tout ce petit monde s'agite. La scène des bonnes soeurs au tout début du film vaut tous les "Hara-Kiri" du Monde... :wink:
Et l'un des personnages de figuration les plus inoubliables du cinéma : celui de la script-girl géante, coiffure blonde au bol si je me rappelle et à la dégaine impossible... Rien que d'y penser ! :P
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Un film que j'ai hâte de découvrir.

Connaissez vous l'extraordinaire Pas d'orchidées pour Miss Blandish ?
Bob Harris

Message par Bob Harris »

Comme je suis parfois un peu con, j'ai loupé la diffusion de ce film... :?
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cinephage
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Re: Faut-il Tuer Sister George? Un grand Aldrich!

Message par cinephage »

Je remonte cet ancien topic suite à un visionnage du film d'Aldrich.
Et si mon bilan est plus que positif (l'interprétation est sans faille, et souffle par moment le spectateur), j'ai quelques reserves néanmoins, au moins à deux niveaux :
Quelques longueurs ralentissent le film par moments, d'où un rythme parfois inégal et un récit qui ne justifie pas forcément ses deux heures vingt de durée.
L'aspect lesbien du film est, à mon sens, parfois un peu complaisant. Il y avait sans doute un coté très transgressif à l'époque, mais aujourd'hui, cet aspect "descriptif" de la vie lesbienne tombe un peu dans le caricatural, ou le complaisant (une scène de sexe m'est apparue plus voyeuriste qu'intéressante dans l'économie du récit).
Cela dit, la complaisance est un aspect essentiel du cinéma d'Aldrich, qui insiste toujours là où ça fait mal, joue des codes de la cruauté entre ses personnages, et aime s'attarder sur les aspects violents ou érotiques de ses récits. Même si ce n'est pas ce que je préfère chez lui, c'est inhérent à sa façon de filer un récit, et indissociable du succès de ses portraits de "monstres", pour reprendre la formule avisée de Lord Henry.

Au final, donc, le film nous offre un récit globalement bien mené, des portraits de personnages très bien construits, une analyse des codes de la télévision assez bien fichue, et un final qui prend à la gorge. C'est de toute façon un film qui ne laisse pas indifférent, et se démarque radicalement du tout-venant hollywoodien.

8/10
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angel with dirty face
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Re:

Message par angel with dirty face »

Jeremy Fox a écrit :Connaissez vous l'extraordinaire Pas d'orchidées pour Miss Blandish ?
Oh que oui! The Grissom Gang (1971) est une véritable tuerie dans tous les sens du mot. Du très Grand Aldrich... Un film que je recommande vivement à tous ! Le DVD en zone 1 contient des sous titres en français.

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bruce randylan
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Re: Faut-il Tuer Sister George ? (Robert Aldrich)

Message par bruce randylan »

Celui-là, ça fait un moment que je dois me le prendre sur pacific.

Quand à faut-il tuer sister george, j'ai du recevoir celui de Cd-wow 8)
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Kimm
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Re: Faut-il Tuer Sister George ? (Robert Aldrich, 1968)

Message par Kimm »

Inscrit dans la fameuse tétralogie sur le monde du spectacle (cinéma (2 films), théâtre, télèvision), je me suis bien sur délècté de "SISTER GEORGE" et de ce portrait haut en couleur, rôle en or pour une actrice entre deux âges, dont la physionomie nous évoque plus volontiers une femme au foyer anglaise préparant des scones à la crème et confiture de fraise mais dont le mode de vie pourrait en réalité en surprendre plus d'un..

LA RUMEUR (William Wyler, 1961) avait approché le théme de l'homosexualité féminine, mais de manière très culpabilisante; chez Aldrich, on est dans le vif du sujet de manière décompléxée et omniprésente, mais le film ne traite pas de cela. Le film réussit cette gageure de banaliser et d'atteindre ce droit à l'indiffèrence en quelque sorte..alors que l'on est seulement en 1966* (*selon IMDB).

Parti de ce postulat, ces personnages ont leurs forces et leurs faiblesses, comme tout à chacun; Aldrich n'hésite pas à forcer le trait, et fidéle à ses obssessions, il nous présente un personnage grand-guinolesque , dont les démonstrations hystériques sont autant d'angoisses non résolues.
Ainsi, lorque Sister George imite Sidney Greenstreet en changeant le son de sa voix, elle rappelle Elsa Brinkmann (Kim Novak dans LE DEMON DES FEMMES, 1968) dans une séquence de changement de personnalité...
Ces "monstres"au féminin, omniprésents dans la tétralogie (je n'ai pas encore vu LE GRAND COUTEAU, 1955) restent célèbres pour des scènes de rivalités, prétexte à des séquences d'anthologies dont la première est peut-être la lutte psychologique et quasi-physique qu'engagent Bette Davis et Joan Crawford dans BABY JANE (1961).

On retrouve cette acharnement au féminin dans CHUT CHUT CHERE CHARLOTTE (1964), film dans lequel il fait intervenir quatre actrices célèbres pour une mise au point musclée. DEUX FILLES AU TAPIS (1981) clos la filmographie aldrichienne par le traitement de combat de catch au féminin; qu'il ait traité de l'homosexualité féminine parait au final assez logique, aspect que l'on retrouve dans LE DEMON DES FEMMES.

La folie semble aussi chère au réalisateur: l'incapacité de Sister George à se fondre dans la société la rapproche incidement de la psychopathie; Bette Davis se fige à jamais en Baby jane en adoptant le look terrifiant d'une poupée de porcelaine, Kim Novak revisite la thématique du double, et se perd dans les méandres de la schizophrénie.
Toujours Bette Davis en CHARLOTTE (mais ce prénom semble maudit depuis l'entrée dans la folie de l'impératrice Charlotte du Mexique), est déstabilisée et Clift Robertson dans FEUILLES D'AUTOMNE (1956) n'aide pas Joan Crawford à retrouver une vie sereine..
Beaucoup d'exemples de ce genre pourraient être tirés de la filmographie de Robert Aldrich.

Merci à Profondo Rosso pour le prêt de ce film détonnant! :D
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Père Jules
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Re: Faut-il Tuer Sister George ? (Robert Aldrich - 1968)

Message par Père Jules »

Une très belle découverte -et ça devient une habitude à mesure que j'avance dans la filmographie d'Aldrich- avec un nouveau portrait de femme(s) totalement inoubliable bien que, à bien des égards, moins admirable que les films les plus célèbres du réalisateur en la matière: Baby Jane, Chut, chut, chère Charlotte, Deux filles au tapis (il me reste à découvrir Le démon des femmes). Moins admirable mais pas moins réussi. Ce qui me fait le ranger du côté des "très bons films" et non des "chefs-d'œuvre" d'Aldrich c'est que l'outrance, la grandiloquence, que j'adore retrouver chez lui est ici majoritairement circonscrite à l'interprétation de son actrice principale (la géniale Beryl Reid) et laisse place à une réalisation plus sobre que d'ordinaire. Là où Hush...Hush, Sweet Charlotte excelle c'est que tout était excès, de Bette Davis bien sûr à son scénario, en passant par des trouvailles de mise en scène et des "scènes-choc". The Killing of Sister George (titre génial qui tranche avec le caractère symbolique de l'assassinat) n'en est pas moins inoubliable et ce, en grande partie grâce à son traitement sans concession de l'homosexualité féminine (sans pathos ni caricature) mais aussi et surtout dans sa charge contre l'industrie télévisuelle et plus largement, on s'en doute, contre Hollywood. Le finale fini d'achever un spectateur crispé ou complètement lessivé. Une réussite majeure.
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