Edward Dmytryk (1908-1999)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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kiemavel
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Eight Iron Men

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Pendant la seconde guerre mondiale, 7 hommes isolés du gros de leur troupe et retranchés dans une habitation en ruine s'interrogent sur l'attitude à adopter quand un de leur camarade se retrouve coincé à l'extérieur, bloqué dans un trou d'obus dans une rue de la ville en raison de la présence d'un poste de mitrailleuses ennemis qui interdit sa fuite. Une décision urgente s'impose d'autant plus que des rumeurs circulent laissant penser que les troupes américaines s'apprêtent à quitter la ville incessamment. Des tensions apparaissent très vite au sein du groupe, certains hommes ne semblant pas prêts à risquer leur peau pour leur camarade. Le chef d'escouade, le sergent Mooney (Lee Marvin) est de ceux qui seraient prêts à prendre le risque de sortir le soldat Small de sa situation désespérée mais lorsqu'il parvient à le contacter, son supérieur lui interdit d'intervenir et lui donne l'ordre d'attendre le signal du départ…
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Ce film de guerre d'Edward Dmytryk souffre un peu de son origine théâtrale. C'est l'adaptation d'une pièce de Harry Brown, un vétéran de la campagne d'Italie, qui s'est sans doute inspiré d'une expérience personnelle. On ne voit presque rien de la petite ville détruite à la suite d'un bombardement intensif. On ne voit guère plus loin que les perspectives offertes à cette petite unité isolée constituée d'hommes fatigués, coincés dans un bâtiment en ruine où se déroule plus des 3/4 de l'action. Si l'on sort bien à plusieurs reprises, essentiellement la nuit pour ne pas risquer de s'exposer aux tireurs embusqués ennemis, les scènes purement guerrières sont rares. Le jour : on se terre ; on attend ; on panse ses blessures physiques et morales ; on lutte contre l'ennui ; on se repose (et on dort…et lorsque l'on dort, on rêve et malheureusement ces scènes sont totalement ratées)…et surtout on parle. Dmytryk et son auteur/scénariste tentent de montrer ce qui pouvait constituer ces moments "d'entre les batailles". La monotonie et l'ennui que l'on tente de combattre ; la solidarité et l'amitié qui s'entretiennent y compris dans les moments calmes (…une séquence de partage d'un gâteau) ou comment la présence de soldats sans angoisses -ou les dissimulant bien- permet d'apporter un peu de sérénité au sein d'une unité sous tension. Mais il est compliqué d'intéresser avec la banalité, en montrant le marasme des soldats (tout le monde n'est pas Fuller ou Wellman) et le film devient plus intéressant avec ce qui est au coeur du film, le dilemme moral qui se pose aux camarades du "private" Small coincé dans ce qui reste des lignes ennemis.
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Doit-on tout faire pour le sauver quitte à risquer la vie d'autres hommes ? (question posée plus tard dans un célèbre film de Spielberg). On s'y essaie (un peu), en vain, car le poste de mitrailleuses allemand semble imprenable. Et d'ailleurs, dans ce film de guerre on ne se bat presque pas même si le bruit de la guerre est lui omniprésent. En revanche, on parle beaucoup. Les tensions montent entre les 7 hommes qui ne s'entendent guère sur l'attitude à adopter même si la majorité "décidante" aurait envie de sauver Small bien qu'ayant reçu l'ordre de ne pas le faire. Au moins 4 ou 5 personnages sont traités à égalité. Lee Marvin, qui était dans un de ses premiers films, n'est pas mieux servi que les autres. Il interprète le sous-officier dur à cuire qui bien que soucieux de ses hommes ne veut pas aller contre les ordres reçus. Arthur Franz est le plus décidé à sauver son camarade ; Richard Kiley est à l'opposé le moins enclin à risquer sa peau pour un autre. Il est de ceux qui le croient mort… ou qui le voudraient puisque la sortie en deviendrait inutile. Entre ces deux positions : Nick Dennis, dans un de ses rôles à accent (il est grec) est de quelques scènes qui peuvent faire sourire ; James Griffith, sombre et individualiste et l'ex enfant-acteur Dickie Moore complètent le plateau de seconds couteaux. Quant à l'acteur américain Bonar Colleano (qui fit l'essentiel de sa carrière en Grande-Bretagne), c'est presque lui la véritable tête d'affiche. C'est la personnalité la plus marquante et c'est lui qui trouve la solution dans un épilogue anti-spectaculaire au possible mais réussi. Il est aussi malheureusement celui qui est le plus souvent utilisé pour montrer les rêveries des soldats mais alors les fantasmes du fantassin américain risquent de faire sourire ou d'affliger. Les scènes de rêve (il y en a 3 ou 4) sont de mon point de vue complètement ratées voir ridicules alors que Raoul Walsh dans Les nus et les morts (1958) fera passer de manière beaucoup plus habile des scènes casse-croutes analogues.
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Dans son autobiographie, Dmytryk a souligné le renfort non négligeable qu'avait apporté Lee Marvin -qui avait servi dans le pacifique durant la guerre- pour rendre plus authentique certains aspects. Il avait ré-habillé l'ensemble de l'escouade jusqu'à ce que les soldats ressemblent vraiment à un groupe de GI en opération. Dmytryk rapporte que Marvin pouvait imiter le son de n'importe quelles armes, type d'obus, etc…et qu'il a tenu à ce que l'on voit à l'écran ce à quoi ressemblait des cadavres laissés sur le champ de bataille. D'autre part, le plan sur Lee Marvin qui cloture le film est mémorable. On voit l'ensemble des soldats quitter leur abris précaire suivis de Marvin qui au moment de passer le trou béant qui servait de porter se retourne, contemple le chaos puis crache par terre. Bilan : pas mauvais mais les fameuses séquences montrant les rêves vaguement érotiques des soldats gâchent le spectacle. Sorti en DVD aux USA, en Espagne...


Réalisation : Edward Dmytryk / Production : Stanley Kramer (Columbia) / Scénario : Harry Brown / Photographie : J. Roy Hunt / Montage : Aaron Stell / Musique : Leith Stevens
Avec Bonar Colleano (le soldat Collucci), Arthur Franz (Carter), Lee Marvin (Le sergent Joe Mooney), Richard Kiley (Coke), Nick Dennis (Sapiros), James Griffith (Ferguson).
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Message par Supfiction »

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C'est dingue, on dirait Rita Hayworth.
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

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Supfiction a écrit :Image

C'est dingue, on dirait Rita Hayworth.
C'est Mary Castle (pas connue du tout à part un peu des amateurs de western). C'est d'elle que rève le personnage interprété par Colleano…
J'ai oublié (entre autres :wink: ) de signaler la très belle photo made in Columbia (souvent assez sombre)
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Supfiction
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Supfiction »

Il a l'air très sympa ce film (et je ne vois pas en quoi des rêvent érotiques des soldats gacheraient le spectacle)!
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

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Supfiction a écrit :Il a l'air très sympa ce film (et je ne vois pas en quoi des rêvent érotiques des soldats gacheraient le spectacle)!
Il y a plusieurs façons de montrer les rêves des soldats qui les ramènent au pays : leur vie avant la guerre ; leurs amours…Walsh -puisque je le citais- avait réussi à lier les éléments de vies privés que l'on découvrait par les rêveries des soldats et leurs comportements de guerrier ; les deux étant indissociables et participant d'une psychologie "globale". C'est même souvent la vie privé de certains personnages qui pouvait expliquer certains comportements à la guerre que l'on voyait dans la continuité des séquences "au pays", réelles ou imaginaires (on peut être d'accord ou pas, ce n'est pas le sujet). C'est le genre de truc ou mon vocabulaire fait défaut mais voilà en gros. Dans le film de Dmytryk, les séquences où Colleano se rêve couvert de femmes ou au bras d'une vamp blonde caricaturale ; grand séducteur irrésistible à qui sa copine passe tout …c'est au mieux amusant, au pire risible. par exemple...
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Jeremy Fox
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Jeremy Fox »

La Neige en deuil (The Mountain) - 1956

Film de montagne très agréable à suivre d'autant que les équipes techniques de la Paramount se sont surpassées ; non seulement la grande majorité du film est tourné en décors naturels mais toutes les séquences en studio sont d'une belle efficacité ; toiles peintes et transparences ont été supervisées avec soin si l'on excepte
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le retour de Spencer Tracy portant la rescapée
en toute fin de film. Final d'ailleurs pas bien fameux qui gâche un peu l'honnête spectacle que nous avons pu voir avant ça. Le personnage de Robert Wagner n'est pas non plus un modèle d'écriture. Sinon, une mise en scène et un scénario solide, une excellente musique tendance "rozsienne" de Daniele Amfiteatrof, une très belle photographie ainsi qu'un Spencer Tracy égal à lui-même. Les films de montagne sont rares ; autant profiter de ce bon divertissement qui nous est offert.
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Affiche-cine »

Tracy et Wagner y sont frères... ce qui est une idée, heu, étrange dirons-nous... Ils ont 30 ans d'écart !

Sympathique Cliffhanger en Vistavision et Technicolor tourné dans le massif du Mont-Blanc, sinon.
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par kiemavel »

Affiche-cine a écrit :Tracy et Wagner y sont frères... ce qui est une idée, heu, étrange dirons-nous... Ils ont 30 ans d'écart !

Sympathique Cliffhanger en Vistavision et Technicolor tourné dans le massif du Mont-Blanc, sinon.
C'est la réflexion que je m'étais fait quand j'avais découvert ce film. Récup.
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Un avion s'écrase au sommet d'une montagne du massif du Mont Blanc. Les autorités cherchent donc à monter une équipe pour porter secours aux éventuels survivants. Sollicité, celui qui fut le meilleur guide de la région, Isaïe Teller (Spencer Tracy) décline l'offre s'estimant trop âgé pour entreprendre l'escalade d'un versant qui n'a jamais été vaincu en période hivernale. Il est d'autre part persuadé que la montagne ne veut plus de lui car lors de ses dernières escalades à chaque fois un de ses compagnons ou un de ses clients n'en étaient pas revenu. Son jeune frère Chris (Robert Wagner) tient absolument à faire partie de l'expédition, mais devant le refus de son ainé sa candidature est rejetée. Une première expédition conduite par Servoz, un vieil ami d'Isaïe, échoue, alors sous la pression de son frère qui menace de vendre la ferme familiale en cas de refus et qui prétend vouloir monter seul sur l'épave de l'avion, Isaïe accepte à contrecoeur de tenter l'ascension avec son frère. Ce dernier n'a qu'un objectif, récupérer toutes les richesses qui se trouvaient à bord, quitte à détrousser les cadavres. Les deux frères entament l'ascension…

L'opposition classique entre 2 frères, Rabbin et Caël, que tout oppose mais on est plus ici dans le psychologisant hollywoodien que dans le tellurique et dans le grandiose biblique. Comme Dmytryk et son scénariste, je schématise.
L'ainé Isaïe, incarné par Spencer Tracy, est paré de toutes les vertus. C'est une force de la nature. Il est courageux, loyal, intègre, honnête (Qui a dit : c'est parce qu'il est vieux ?). Son frère chris (Robert Wagner) qui est bien plus jeune est une crapule sans aucun scrupule. Il est lâche, cupide, craintif, égoïste. Je mets en mode pause un instant. Je pose 2 et je retiens…Spencer Tracy : 56 ans + Robert Wagner : 26 ans. Ouais, pas grave, c'est un détail. Mais quand même, en dehors des cartes d'identité, il y a surtout le rendu visuel. On a plutôt l'impression que l'un est le grand père de l'autre mais passons sur ce détail (indice : c'est celui qui buvait)
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La même année, Robert Wagner -dont le physique de beau gosse à cette époque là ne prédisposait pas particulièrement à ce type de rôle- incarnera un autre personnage de méchant dans l'assez bon thriller en couleurs de Gerd Oswald "A Kiss Before Dying". Ici le scénariste lui a trouvé une excuse, il a tué maman quand celle ci l'avait mis au monde mais pour être honnête c'est très vite évacué par Dmytryk et on y revient plus. Les enjeux "moraux" sont tout de même assez minces et les personnages bien caricaturaux mais le scénariste avait tout même prévu quelques belles scènes pour les exposer "dans l'action". Les motivations des 2 frères à l'opposées l'une de l'autre seront mises en scène en mouvement, dans des scènes de montagne très bien réglées par Dmytryk, bien aidé ici par le Technicolor et le travail de son directeur de la photographie, le grand Franz Planer.

Sans cette beauté formelle, le film serait sans grand intérêt car l'opposition entre le vieux montagnard intègre, en quête de rachat et à la recherche d'un accomplissement personnel qu'il n'espérait plus et son jeune frère aux motivations d'une grande médiocrité, ne présente pas un intérêt évident. Seule interrogation véritable : est ce qu'au bout du combat avec et contre la montagne, avec sous ses yeux et en action la droiture et la bravoure de son frère ainé, le jeune homme égoïste, opportuniste et sans morale aura changé ? C'est le seul enjeu de ce récit dont la morale finale fait l'éloge, par delà les profondes oppositions, des incassables liens du sang. Ces scènes qui montrent que l'amour fraternel et la loyauté de l'un des 2 frères pour l'autre, subsistera par delà la mort peuvent toucher mais je pense qu'on doit pouvoir aussi les trouver exaspérantes.

Heureusement, le massif du Mont Blanc (Tournage à Chamonix) mis en valeur par le Technicolor est splendidement filmé par un un très bon metteur en scène qui se sert de tous les outils à sa disposition -y compris la malice- pour maintenir l'intérêt du récit. Un dernier mot pour signaler que le scénariste a pris soin de prévoir une surprise qui vient relancer l'intérêt du film dans sa dernière demi-heure.
NB : Henri Troyat, l'auteur du roman "La neige en deuil" s'était inspiré d'un crash véritable. En 1950, un Lockheed Constellation d'Air India s'était écrasé dans le massif du Mont Blanc….D'ou les : Madame l'Hindou prononcés par Tracy dans la VF :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Jeremy Fox »

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Vivre un grand amour (The End of the Affair) - 1955

A Londres durant la Seconde Guerre Mondiale, un écrivain (Van Johnson) rencontre lors d'une soirée chez un haut fonctionnaire (Peter Cushing) la femme de ce dernier (Deborah Kerr) dont il tombe amoureux. C'était déjà une femme volage et ils vont vivre tous les deux une histoire d'amour qui va tourner au drame...

Un beau et sensible mélodrame abordant avec intelligence dans son dernier tiers les thématiques chères à Graham Green (l'auteur du roman), celles de la croyance et de la foi, sans néanmoins trop de bondieuseries. Pas toujours captivante, une histoire d'amour cependant touchante grâce à l'interprétation remarquable des trois comédiens principaux : Deborah Kerr bien évidemment (qui aura rarement été aussi belle) mais aussi Van Johnson (que j'ai toujours trouvé excellent dans tous les registres) et enfin Peter Cushing qui m'a étonné dans le rôle d'un mari aimant et doux. On trouve aussi John Mills dans le rôle assez cocasse d'un détective toujours accompagné dans ses missions par son enfant de 12 ans. Enfin, il faut saluer la sublime photographie ; plastiquement le film est, même si bien plus sobre, presque aussi somptueux que Adieu ma jolie du même Dmytryk. Une jolie surprise néanmoins trop inégale dans sa seconde moitié pour lui mettre une note plus forte.

6.5/10
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Profondo Rosso
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Profondo Rosso »

Till the End of Time (1946)

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Cliff, William et Perry, trois marines, rentrent à la maison, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Blessés moralement ou physiquement, ils doivent réapprendre à vivre dans la vie civile. Jolie veuve d'un pilote, Pat Ruscomb, très perturbée par la disparition de son mari, s'intéresse à l'un d'eux, Cliff.

Les plus belles années de notre vie (1946) de William Wyler est le grand film multi oscarisé évoquant la difficile réinsertion des vétérans de la Deuxième Guerre Mondiale. Ce ne fut cependant pas le seul film hollywoodien à évoquer ce thème puisque de belles réussites comme Le Retour de Mervyn LeRoy (1948), Étranges Vacances de William Dieterle (1944) et donc ce Till the End of Time apportèrent chacun un regard sensible et complémentaire au classique de Wyler. Le film est l'adaptation du roman They Dream of Home de Niven Busch avec une trame voisine mais moins immédiatement démonstrative que Les plus belles années de notre vie dont le récit choral explorait tous les grands traumatismes possibles vécus par les vétérans.

Cliff Harper (Guy Madison) et William Tabeshaw (Robert Mitchum pas encore star mais qui crève l'écran de charisme), anciens marines et héros de guerre sont rendus à la vie civile en ouverture du film. Edward Dmytryk illustre avec une rigueur quasi documentaire tous le processus de cette "libération", accompagnée d'un entretien à la fois psychologique et professionnel, d'un calcul et d'une donation de la pension due à chacun des vétérans. Cette séquence permet d'apprendre les séquelles physiques de certains forcément visibles (la plaque de fer sous le crâne de Robert Mitchum), le passé et le futur possible vers lequel ils retournent (l'université d'ingénieur interrompue par la mobilisation pour Guy Madison) mais surtout de nous faire comprendre à quel point l'armée gère encore leur existence et le vide qu'il s'apprêtent à connaître en retrouvant un quotidien incertain. La camaraderie avant la séparation puis le bonheur des retrouvailles avec la famille nous montre donc une entrée en matière joyeuse et insouciante. Tout le déroulement du film se proposera donc de ramener les personnages et plus particulièrement Cliff Harper à la peur du vide que constitue ce retour à la vie civile. Physique avenant et sourire désinvolte, Cliff sous ce masque voit tout son environnement lui rappeler que la vie s'est poursuivie dans son environnement pendant ses trois ans au front. Souhaitant surprendre ses parents par son arrivée, il les trouve sorti. Tentant d'enfiler une ancienne veste, il constate qu'elle est désormais trop grande pour lui et remet son uniforme. Même le fonctionnement de la radio familiale lui est inconnu et il va l'éteindre après avoir déclenché un son assourdissant. Harassé par cette journée de retour, il git les yeux baignés de larmes dans sa chambre et feint de dormir paisiblement lorsque ses parents viendront le voir.

Le malaise va s'étendre par son refus de reprendre sa vie en main et penser au futur à travers ses journées oisives où il erre et dépense sa pension en sortie. Le scénario est très subtil pour exprimer le fossé régnant entre Cliff et ses parents. Dmytryk s'arrête sur le visage choqué de la mère de Cliff lorsqu'elle entend son fils parti adolescent parler femmes et alcool dans la plus grande familiarité machiste de régiment avec Tabeshaw venu lui rendre visite. De même les des parents remontrances sur son existence sans but ne passe plus sur ce fils désormais devenu un homme. Cliff est incité à reprendre le cours de sa vie par un entourage incapable d'entendre ce qu'il a vécu, chaque conversation où il essaie d'évoquer un souvenir du front douloureux étant interrompu par ses interlocuteurs. Cette approche s'avère d'autant plus intéressante par l'allure séduisante de Guy Madison et le fait que le personnage ne souffre d'aucune séquelle physiques ou traumatisme de guerre marqué. Même quand le film aborde frontalement cette facette, la faille sera toujours essentiellement psychologique. Le personnage de Mitchum dilapide sa pension en alcool et parties de carte sans concrétiser son projet d'acheter une ferme, et ce n'est que par la suite qu'on apprend les douleurs que lui causent sa plaquent dans le crâne. De même le vétéran Perry (Bill Willliams) promis à une brillante carrière de boxeur préfère se lamenter sur ses jambes amputées plutôt que de se reprendre en main. Tout cela semblait surmontable au sein du corps de l'armée mais sans l'esprit collectif qui les soudait face au danger et aux pertes, qui les mettait tous sur un pied d'égalité et les guidait, les vétérans sont démunis face au monde normal et ses exigences. Dorothy McGuire offre également une très belle interprétation où elle donne à voir aussi la douleur de "l'après" pour les héroïnes du home front (sources de beaux mélodrame romantiques comme Since you went away de John Cromwell (1944)) où après avoir été le doux souvenir du soldat avant la mobilisation, elle se retrouve veuve après son décès au front. Cherchant le visage du disparu dans tous les vétérans revenus aux pays, elle se donne à eux pour oublier sa solitude. La scène où elle avoue enfin sa détresse est un des plus beaux instants du film. Même les rencontres furtives proposent des pics d'émotions inattendus comme lorsque Cliff remarque dans un bar un vétéran pris de tremblements nerveux et qu'l va tenter de l'apaiser en lui parlant.

Toute la finesse d'observation de Dmytryk et sa remarquable direction d'acteur offre un intérêt constant au film où il laisse apparaître ses convictions politiques (qui lui couteront chers plus tard) dans une des dernières scènes où les héros sont sollicités par une association de vétéran raciste. Le contexte de l'armée sera ainsi abordé de manière bien moins solidaire dans son film suivant Feux croisés (1947) où il traitera de la question de l'antisémitisme. Une grande réussite qui ne mérite pas d'être autant restée dans l'ombre de Les Plus belles années de notre vie. 5/6
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Jeremy Fox »

Notre western du WE : Alvarez Kelly sorti cette semaine chez Sidonis en Blu-ray.
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par rodoliv »

Jeremy Fox a écrit :Notre western du WE : Alvarez Kelly sorti cette semaine chez Sidonis en Blu-ray.
Encore une chouette critique qui m'a bien donné envie de revoir le film et les captures d'écran m'ont convaincu, je vais acheter le blu-ray, il y a quand même un vrai gain d'après ce que j'en ai vu, merci ;o)
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Jeremy Fox
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Jeremy Fox »

Retour aux Philippines (Back to Bataan) 1945

Comme la plupart des films de guerre américains de propagande des années 40-45, ce n'est pas franchement captivant mais contrairement à des bandes aussi abjectes que Alerte aux marines de Edward Ludwig, déjà avec John Wayne, le film de Dmytryk n'est pas trop belliqueux et surtout il est formellement très réussi -voir la séquence de l'église puis du parc avec Anthony Quinn retrouvant sa femme- et bougrement efficace concernant les scènes de combat. Pas génial mais pas désagréable non plus.
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Re: Edward Dmytryk (1908-1999)

Message par Eugene Pallette »

Je viens de regarder mon premier film de ce réalisateur : Le rendez-vous de Hong-Kong (Soldier of Fortune), en DVD édité par ESC Image


Et bien j'ai passé un agréable moment de cinéma ! Certes le scénario est classique (notamment avec le triangle amoureux habituel) mais on se passionne pour cette histoire, on se met bien à la place de l'héroïne principale jouée par la sublime Susan Hayward. Dmytryk réalise ici un film d'aventure, un peu teinté de comédie (notamment les scènes du bar), avec des paysages magnifiques et exotiques de Hong-Kong, magnifiés par l'emploi du cinémascope en DeluxeColor. Bon quand je dis aventures ne vous attendez pas à moult péripéties, hein :mrgreen: ! Côté acteur, Clark Gable s'en sort plutôt bien, même si je le trouve un peu en retrait.
Côté technique le DVD s'en sort plutôt bien, aucune éraflure, ni point blancs, le piqué est plutôt correct, en tout cas pour les scènes tournées en studio. Je l'ai regardé sur Vidéoprojecteur sans m'abimer la rétine :) ! La colorimétrie penche un peu vers les tons marrons-rouges. La piste son en Mono ne souffre pas ni de souffle ni de saturation, permettant d'apprécier la musique un peu "extrême-orientale" du film.
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