Naked Kiss (Samuel Fuller - 1964)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Kurwenal
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Message par Kurwenal »

Eh bien malgré vos avis éminemment respectables, je persiste à considérer que Fuller ne peut en aucun cas se contenter d'une approche émotionnelle " digne de la série z"...et je me garderai bien de généraliser en disant que chez Fuller il y a toujours, où il n'y a jamais ceci ou cela. Serait ce là une tendance bien française à cantonner un réalisateur à une seule vision du monde comme s'il faisait et refaisait éternellement le même film et le même discours?

En outre il m'a toujours semblé que le cynisme dont parle Roy a pour corollaire l'ironie; sans êtres synonymes , ces concepts sont nourris de la même pâture et sont les fruits du même arbre. Je n'ai sans doute pas réussi à regarder ce film au premier degré et je ne peux m'empêcher de penser que Fuller est allé au delà de ce que vous évoquez. La gare routière (si mes souvenirs sont bons) où débarque l'héroïne au début du film arbore le nom "Schock Corridor", ça dépasse tout de même l'esthétique du roman photo et n'est pas un simple clin d'oeil auto-congratulant. Les rapports du policier avec la prostituée en cours de rédemption, son acrimonie quasi permanente,la scène finale comme celle de la découverte de ce qu'est l'homme élu apportent cette distance dont je parle qui consiste à pousser au maximum une situation frisant l'excès ( sans doute ce dont vous parlez en rappelant la dimension roman photo) pour mieux dénoncer les conventions d'un certain cinéma et au delà dénoncer la société....comment faire tout cela sans ironie?
N'oubliez pas l'échec monumental que fut ce film rejeté aussi bien massivement par le public que par la critique..et je ne pense pas que ce soit l'approche émotionnelle qui en soit la cause, ou alors on aurait eu un public très éduqué à cette époque :roll:

Et pour finir si Fuller est vraiment le précuseur de De Palma et Argento qui m'ennuient au plus haut point et dont le cinéma puise son succès dans la facilité ( surtout pour le premier) j'ai dû instinctivement exorciser cette alliance contre nature.
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Margo

Message par Margo »

Kurwenal a écrit :Margo, puisque tu as posté et édité le topic, ce serait bien d'avoir ton avis en fait :idea: :wink:
Je dois avouer que Naked Kiss fait partie de ces rares oeuvres qui me laissent perplexe au point que je ne sais pas trop quoi en penser. De très belles scènes m'ont absolument scotché sur place (la chanson, la découverte du vice du mari, la tentative de retrouver la petite fille victime du pervers...) et d'autres choses un peu moins... Le style très sec de Fuller, allié ici à quelques tentatives à la limite de l'expressionisme (les éclairages sont vraiment outranciers, tout comme l'interprétation - mais au bon sens du terme) me laisse parfois perplexe en fait, comme pour Shock Corridor, même si je préfère amplement Naked...

En fait, je n'y retrouve pas le style ample et généreux de son chef d'oeuvre (à mes yeux) : 40 Tueurs...

Du coup, je suis entre deux eaux, et le film aura droit à une re-vision un de ces 4 :?
Solal
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Message par Solal »

Kurwenal a écrit : La gare routière (si mes souvenirs sont bons) où débarque l'héroïne au début du film arbore le nom "Schock Corridor".
Plus exactement, l'héroïne au sortir de la gare passe devant un cinéma où l'on projette le film.
Kurwenal a écrit : cette distance dont je parle qui consiste à pousser au maximum une situation frisant l'excès ( sans doute ce dont vous parlez en rappelant la dimension roman photo) pour mieux dénoncer les conventions d'un certain cinéma et au delà dénoncer la société....comment faire tout cela sans ironie?
A force d'intensité : il ne dénonce pas ce cinéma, il le sature, ce qui n'est pas exactement la même chose mais si l'effet semble aussi destructeur, notamment dans son prolongement politique. Ce n'est pas de l'entrisme à la Verhoeven (qui fonctionne sur le cynisme) mais plutôt une entreprise de déformation, d'exagération qui, tout en restant dans les lois du genre (et finalement en leur manifestant un grand respect), les amène à la lumière et en dévoile les sous-bassements honteux. Il gratte sous le vernis du mythe sans pour autant le balayer d'un revers de main ou en nier la puissance symbolique. Un peu à l'image de son rapport à la démocratie américaine et au mode de vie qu'elle a engendré : s'il en perçoit les dérives et les mensonges, il n'en demeure pas moins attaché à ses valeurs premières. Dans The Naked Kiss, le sublime existe même s'il se mêle au sordide et au trivial au point de ne plus pouvoir l'en distinguer. C'est là l'effet de l'exacerbation d'un système esthétique et des connotations morales qui le caractérisent : les pôles opposés finissent par se rejoindre. Un cynique considèrerait quant à lui qu'il n'y a tout simplement pas de sublime et ferait table rase de toutes ces illusions.
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Kurwenal :

Où est-ce que j'ai parlé de série Z à propos de Fuller ???
Quant aux semblants de généralisations que j'ai faites, elles me semblent bien prudentes. Si on considère que Fuller est un véritable auteur, on peut se permettre de dégager une personnalité et un style à partir de plusieurs films. C'est ce qu'on fait tous.
Pour ce qu est de l'ironie/cynisme, tu auras quand même lu que je n'ai pas été trop catégorique. J'ai quand même nuancé sur les termes ironie et cynisme.
Seulement, je pense vraiment que Fuller est un "maverick" au sang chaud. Un marginal rebelle, un artiste sensuel et exalté qui prend ses sujets par les tripes et avec une foi dans son matériau. Sans oublier une dimension politique et sociale qui ne s'embarrase pas trop de demi mesure.
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Vic Vega
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Message par Vic Vega »

Roy Neary a écrit : Où est-ce que j'ai parlé de série Z à propos de Fuller ???
Nope, c'est Solal, et il a parlé d'esthétique, pas d'approche émotionnelle (je ne vois d'ailleurs pas ce que serait une approche émotionnelle série Z). Oui, le coté cheap, modeste budgétairement est assumé chez Fuller mais je classerai cette dimension-là dans la lettre (série) B du cinéma plutot que Z.
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Solal
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Message par Solal »

Vic Vega a écrit :
Roy Neary a écrit : Où est-ce que j'ai parlé de série Z à propos de Fuller ???
Nope, c'est Solal, et il a parlé d'esthétique, pas d'approche émotionnelle (je ne vois d'ailleurs pas ce que serait une approche émotionnelle série Z). Oui, le coté cheap, modeste budgétairement est assumé chez Fuller mais je classerai cette dimension-là dans la lettre (série) B du cinéma plutot que Z.
Oui c'est variable :lol: . Disons B pour les vélléités expressionistes qui tracassent Margo et Z pour l'interprétation masculine (le fiancé au lourd secret, tout droit sorti d'un ring de catch).
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Kurwenal
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Message par Kurwenal »

De toute évidence nous n'avons pas vu le même film :roll:
Je tiens quand même à préciser que je n'ai jamais dit que Fuller dénonçait le cinéma mais les "conventions d'un certain cinéma"...je n'ai pas coutume d'être l'artisan de grossiers raccourcis.

Ce la dit j'ai eu le temps de chercher rapidement en bibliothèque ce matin et de trouver un article que je n'ai pas encore lu et qui s'intitule "Parodie et ironie dans le cinéma de Fuller"...je me sens tout même mieux de savoir que je ne suis pas tout seul :wink:
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Kurwenal a écrit :Ce la dit j'ai eu le temps de chercher rapidement en bibliothèque ce matin et de trouver un article que je n'ai pas encore lu et qui s'intitule "Parodie et ironie dans le cinéma de Fuller"...je me sens tout même mieux de savoir que je ne suis pas tout seul :wink:
"Parodie" j'ai vraiment du mal à le croire ou alors pour un nombre très limité de films. Quant à l'ironie, évidemment, et je me suis (mal :lol: ) exprimé sur ce sujet dans mon avant-dernier message.
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Solal
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Message par Solal »

Kurwenal a écrit :Je tiens quand même à préciser que je n'ai jamais dit que Fuller dénonçait le cinéma mais les "conventions d'un certain cinéma"...je n'ai pas coutume d'être l'artisan de grossiers raccourcis.
Personne n'a pensé ça. En tout cas, j'avais bien compris que tu parlais des "conventions d'un certain cinéma" - pas de malentendu, c'est bien le sujet de la discussion - d'où ma réponse où j'évoque "ce cinéma" et les "lois du genre".
Kurwenal a écrit :Cela dit j'ai eu le temps de chercher rapidement en bibliothèque ce matin et de trouver un article que je n'ai pas encore lu et qui s'intitule "Parodie et ironie dans le cinéma de Fuller"...je me sens tout même mieux de savoir que je ne suis pas tout seul :wink:
Peu importe. La question qui nous oppose est la suivante : Fuller, dans le film qui nous occupe, montre-t-il les choses de telle manière que l'on comprenne qu'au fond il ne croit pas à la façon dont il les montre (principe de l'ironie) ? Je ne vois rien dans sa mise en scène qui puisse justifier l'idée d'une duplicité du regard, mais je n'exclus pas par principe cette lecture. Quoique tu en dises, nous avons vu le même film et il y a forcément des éléments objectifs qui permettent de se prononcer sur la question.

Au fond, The Naked Kiss rompt-il avec les lois du genre dans lequel le film s'inscrit ? Je le vois davantage comme l'expression d'un maniérisme (encore discret). Manifestement l'approche ne t'es pas familière (d'où ton ennui devant les films d'Argento ou de Palma) mais elle a pourtant ses vertus : la reprise d'une scène, étirée, exagérée, déformée jusqu'à en devenir à la fois monstrueuse et superbe, d'une virtuosité rarement atteinte, voilà qui n'est quand même pas anodin. C'est un peu ce que fait Fuller dans The Naked Kiss. A l'image de la chanson des gosses : il respecte la convention selon laquelle l'enfant apporte une touche de pureté et formule la réalité des choses, mais au lieu de conduire à la rédemtion espérée, cette petite ritournelle - étirée, entêtante, saugrenue - devient une prophétie atroce et funèbre. Pour moi ce n'est pas de l'ironie - ce que je trouverais vain - mais un processus de saturation, à la façon du grotesque, qui produit une vision du monde complexe et contradictoire.
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Kurwenal
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Message par Kurwenal »

Fuller, dans le film qui nous occupe, montre-t-il les choses de telle manière que l'on comprenne qu'au fond il ne croit pas à la façon dont il les montre (principe de l'ironie) ?



C'est enfin là que je perçois ce qui pose probléme: "l'ironie" est une notion complexe et ne nous ne l'entendons absolument pas de la même manière! Je ne récuse pas ta définition mais tu en fais un mode de fonctionnement univoque et moderne dans on acception, ce qui est loin d'être le cas pour moi. En effet, l'ironie c'est aussi un procédé stratégique, un outil en somme, qui consiste à donner un sens implicitement communiqué au spectateur en surexposant le discours (sans pour autant le dévaloriser ), en le poussant seulement à son extrême...et du coup je pense à la remarque de Margo - que je cite de mémoire- lorqu'il évoquait des " éclairages outranciers". Le but peut bien en être d'exprimer une révolte en utilisant une forme d'inversion des valeurs ( tel que tu l'exposes clairement à propos de la scène des enfants)....et cette inversion est une des composantes de l'ironie.

On peut sans doute concevoir regarder ce film comme un exercice de style à la narration monstrueuse au sens où tu l'expliques , on peut aussi y déceler par le biais le l'inversion des significations un décryptage des contradictions d'une société ( une démarche que n'aurait pas renié Socrate :) ) L'énoncé et les clichés proposés par Naked Kiss , bien loin de la duplicité en effet, donnent à entendre par le biais des techniques d'énonciation choisis par Fuller un hyper texte à résonnance "nihiliste" (bien que je ne sois pas trop enclin à utiliser ce terme galvaudé): la dénonciation. Le véhicule, le passage de l'un à l'autre est " l'ironie" au sens ou je la conçois....qu'on peut appeler aussi cynisme, pourquoi pas?


Je reste persuadé que nos lectures se complètent sans vraiment s'opposer mais je n'ai ni les moyens ( comme tu le dis si délicatement) ni le goût de le revisiter à la lumière de ses successeurs putatifs

Et le peu que je sache de Fuller c'est que justement il ne s'inscrit pas dans un courant ni n' est réductible à un quelconque exercice de classification et qu'encore une fois je me garderai, faute de capacités personnelles sans doute, à lui trouver des héritiers qui m'éclaireraient sur son anarchisme viscéral.
Et puis, objet chéri d'étude des cinéphiles, il prouve de ce fait , si besoin en était, qu'il se prête à de nombreuses lectures: ce que nous venons de faire :wink:
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Kurwenal
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Message par Kurwenal »

Et au passage , je trouve que Margo s'est bien défilé avec un art consommé que je lui envie rageusement :lol: :lol: :lol:
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fée clochette
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Message par fée clochette »

hello

naked kiss et shock corridor, je les ai vus tous deux dans une retrospective au cinoche : j'ai été sciée par sam fuller ! c'était il y a plus de 5 ans et donc il faudrait vraiment que je les revoies pour pouvoir en parler.

quelle claque ! je m'attendais à un genre beaucoup plus "daté", mais j'ai été scotchée sur place. naked kiss et le malaise qu'on y ressent m'ont surprise par leur modernité (c'est l'impression que j'en ai gardé), sans parler de la violence du sujet.

pour ce qui est de shock corridor, là par contre quelle baffe ! l'histoire de ce journaliste qui court apres un pullitzer et y laissera sa sanité : j'ai été totalement absorbée par le parcours de ce gars et ses rencontres dans l'asile (le black qui chante et veut tuer les "negres" comme il les appelle lui meme, cette scene m'avait glacée au plus haut point). sans oublier la scene avec les nymphomanes : un sentiment de sauvagerie s'en dégage.

j'attends avec impatience des les revoir ! que vaut le coffret wildside (que je zieute depuis sa sortie....) ?
bogart
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Message par bogart »

The Naked Kiss (1964) DVD collection pocket Wild Side : Dès la séquence d'ouverture, Samuel Fuller captive le spectateur sur cette prostituée (Constance Towers, admirable dans ce rôle noir) qui fuit son souteneur. Deux ans ont passé et, on retrouve la prostituée arrivant dans une petite ville de province passant devant un cinéma qui programme Shock Corridor :wink: Que vient-elle faire dans cette ville ? Est-ce qu'elle va s'en sortir ? Samuel Fuller habilement répondra à ces questions par un final coup de poing.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

bogart a écrit :The Naked Kiss (1964) DVD collection pocket Wild Side : Dès la séquence d'ouverture, Samuel Fuller captive le spectateur sur cette prostituée (Constance Towers, admirable dans ce rôle noir) qui fuit son souteneur. Deux ans ont passé et, on retrouve la prostituée arrivant dans une petite ville de province passant devant un cinéma qui programme Shock Corridor :wink: Que vient-elle faire dans cette ville ? Est-ce qu'elle va s'en sortir ? Samuel Fuller habilement répondra à ces questions par un final coup de poing.
Il faudrait vraiment que je pense à le découvrir celui-ci.
Fatalitas
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Message par Fatalitas »

Jeremy Fox a écrit :
bogart a écrit :The Naked Kiss (1964) DVD collection pocket Wild Side : Dès la séquence d'ouverture, Samuel Fuller captive le spectateur sur cette prostituée (Constance Towers, admirable dans ce rôle noir) qui fuit son souteneur. Deux ans ont passé et, on retrouve la prostituée arrivant dans une petite ville de province passant devant un cinéma qui programme Shock Corridor :wink: Que vient-elle faire dans cette ville ? Est-ce qu'elle va s'en sortir ? Samuel Fuller habilement répondra à ces questions par un final coup de poing.
Il faudrait vraiment que je pense à le découvrir celui-ci.
il est bien meilleur que Shock Corridor, à mon gout :wink:
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