On achève bien les chevaux (Sydney Pollack - 1969)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Re: On achève bien les chevaux (Sydney Pollack - 1969)

Message par Watkinssien »

Demi-Lune a écrit : J'ai encore beaucoup de lacunes dans la filmo de Pollack mais je ne crois pas prendre beaucoup de risques en affirmant qu'On achève bien les chevaux est un chef-d’œuvre.
Pur chef-d'oeuvre également pour ma part, un film terrible et terrifiant, qui laisse groggy, pantelant et comblé par tant de maîtrise...
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Alexandre Angel
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Re: On achève bien les chevaux (Sydney Pollack - 1969)

Message par Alexandre Angel »

SPOILERS…...à toutes fins utiles


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Je viens de faire une expérience instructive : lire enfin le roman court d'Horace McCoy (1935) dont le chef d'œuvre de Sydney Pollack (1969) est l'adaptation.
Premier constat, c'est un livre fondateur, percutant, fort. Indéniablement.
Mais une chose ne laisse pas de me titiller : je trouve que le film en fait quelque chose de meilleur. Voilà, c'est dit. Qu'on me jette la première pierre.
D'après les informations auxquelles nous avons accès, il semblerait que la dite adaptation ne fut pas générée de la façon la plus sereine, James Poe ayant été remplacé au pied levé par Robert E. Thompson.

Malgré cela, et même si je n'ai pas revu le film depuis un bail, je suis frappé par la qualité et la pertinence de ce boulot d'aménagement pour le cinéma de la fiction originelle, travail qui recentre l'argument et les enjeux émotionnels en procédant à l'évacuation d'un certain nombre de péripéties, ainsi qu'une propension à l'excès de caractérisation (Gloria passe l'essentiel du roman à rabâcher qu'elle veut mourir) qui me semblent encombrer l'œuvre de McCoy.

De deux choses l'une, soit on replace le roman dans le contexte de l'inspiration littéraire qui l'a vu naître et on prend acte d'un style ne lésinant pas sur une forme de stylisation presque théâtrale (Horace McCoy connaissait la dramaturgie et arpentait les planches de Dallas comme comédien alors même qu'il se lançait dans la littérature), auquel cas on pense à la distanciation chère au théâtre de Bertold Brecht, soit, d'humeur plus bougonne, on repère dans le roman d'Horace McCoy quelques entorses au réalisme.
Par exemple, le personnage de Robert (interprété par Michael Sarrazin dans le film) aspire, comme bon nombres d'autres personnages, à entrer à Hollywood pour faire du cinéma, mais ici directement comme grand metteur en scène qui serait l'égal des plus grands, dont il nous apprend qu'ils se nomment Eisenstein, King Vidor ou Frank Borzage. Pour un petit paysan, débarquant tout droit de son Arkansas natal, il paraît quand même sacrément bien informé.

Dans un autre registre, trop de péripéties semblent toutes converger vers le même tréteau: ce gangster rital que l’on vient arrêter, ce marathonien latino qui serine le maître de cérémonie à coup de couteau, ce mariage que l’on célèbre en grande pompe juste avant que quelqu’un soit tué par balle dans la buvette adjacente et que Madame Leyden y passe aussi, victime d’une balle perdue. N’en jetez plus.

Et puis surtout il y a la mort de Gloria, pour le coup respectée au mot près par les adaptateurs au cinéma qui ne pouvaient se permettre de faire défaut à l’exceptionnel potentiel en émotion de ce moment. Dans le livre, je comprends mal le geste de Robert, qui appuie sur la détente. Rien ne nous prépare sur le plan psychologique, à ce qu’il passe à l’acte. En tout cas, du point de vue de la logique dramaturgique de cette fin de livre où rien ne nous indique qu’il soit, lui, désespéré au point d’euthanasier Gloria.

Or, dans le film, Robert est un personnage certes naïf, débarquant de sa cambrousse mais qui, contrairement à son équivalent littéraire, est dominé par la personnalité de Gloria ( c’est Michael Sarrazin en face de Jane Fonda!), et d’apparence fragile. Dans le roman, narré à la première personne, rien ne nous le décrit spécialement comme tel. Le film nous prépare beaucoup plus à son passage à l’acte (au delà du fait que ce soit quasi-annoncé dès le début) en ce sens que nous voyons sur les traits de son visage les marques de lassitude terrible que lui laisse son expérience du sordide, que l'inscription de cette fatigue morale à même la durée du film (qui semble "plus long" que le livre) le prédispose à l'indicible geste de miséricorde qu'il finit par concéder à Gloria.

Le roman, dans son style hard boiled caractéristique, télescope les faits avec un punch extraordinaire, décrit le «derby» avec un sens confondant des contingences physiques (on se croirait dans Rollerball) et s’autorise d’inoubliables saillies anticonformistes comme lorsque Gloria insulte d’une manière extrêmement cinglante, les traitant de salopes et de lesbiennes, deux bonnes femmes de la Ligue des Bonnes Mœurs venant chercher des noises à l’organisateur du marathon. Moment typique du roman qu’on ne trouvera jamais dans le film, lequel, de manière fort habile, évite les digressions, élimine des personnages, en ajoute d’autres (le personnage de Susannah York, bouleversant), au profit d’un sentiment accru de réalisme, d’aération des données narratives et somme toute, d’efficacité émotionnelle qui nous fait nous dire que ce qui est conclu ne pouvait être conclu autrement.

Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Barry Egan
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Re: On achève bien les chevaux (Sydney Pollack - 1969)

Message par Barry Egan »

Enfin vu, à force de lire que "Le Maitre Nageur" de Trintignant s'inspire de celui-ci. Je dirais que le propos n'est pas du tout le même. Dans le Pollack, c'est le système qui est critiqué par le haut, alors que dans le Trintignant, on part du bas, de la façon dont les gens choisissent leurs riches. La noirceur chez Trintignant me semble plus légère, forcément. Ici, la fin m'a fait penser à celle du Bresson "Le Diable probablement", sorti plus tard et aussi ténébreux, mais plus sévère et plus honnête. Bon, dans le Pollack, la réalisation est au cordeau, les acteurs sont tous formidables, et il y a quelque part un certain suspense : qui survivra ? qui mourra ? qui abandonnera ? Et bien entendu, on se délecte du spectacle qui est dénoncé à l'écran. Une fois que c'est terminé, on n'a pas réellement pris de leçon...
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