André de Toth (1913-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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kiemavel
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par kiemavel »

Je me joins aux louanges lu dernièrement au sujet de NONE SHALL ESCAPE

Je viens de lire des critiques remarquables mais j'ose ajouter ce que j'avais pondu voici quelques temps.


Wilhelm Grimm, le commissaire du IIIème Reich d'une région de Pologne vient d'être arrêté et son procès débute. 3 témoins sont cités à comparaitre : Le prêtre d'une petite commune de Pologne. Karl, le propre frère de Grimm et Marja, son ex-fiancée. Commence alors 3 longs flashback qui montreront le parcours du nazi. Le père Warecki tout d'abord commence par raconter le retour de Grimm au village en 1919. C'était un instituteur allemand installé en Pologne et semble t'il parfaitement intégré à la petite communauté mais à l'issu de la guerre, c'est un autre homme qu'avait retrouvé sa fiancée d'alors Marja. Un homme diminué, atteint physiquement, un boiteux qui avait perdu une jambe au combat. Un homme humilié, qui était rentré très aigri par la défaite de l'Allemagne et qui déjà tenait des propos revanchards et haineux. Marja s'était alors éloignée de Grimm puis avait rapidement rompu avec lui. Quelque temps plus tard, il commettait un viol sur une de ses élèves. La jeune fille s'était suicidée bien avant le procès et Grimm n'avait pas été condamné pour manque de preuves mais la population indignée avait voulu le lyncher. Dans la confusion un jeune homme avait projeté violemment une pierre au visage de Grimm et il y avait perdu un oeil. C'est l'intervention in-extremis du prêtre et du rabbin qui lui avait sauvé la vie et leur aide lui avait permis de fuir le pays et de rentrer en Allemagne.

Je ne rentre pas dans le détail des 2 autres témoignages. Karl, son frère, journaliste dans un quotidien socialiste, racontera ensuite le parcours de Grimm à partir du début des années 20 à Munich, la ville ou Hitler a commencé sa "carrière" politique. On assistera donc à son ascension au sein du parti nazi dans le contexte politique trouble et complexe de l'Allemagne de ces années là.

Puis Marja, l'ancienne petite amie, racontera le retour de Grimm dans le village polonais quitté des années plus tôt, en 1939 lorsque l'Allemagne envahira la Pologne. C'est Grimm lui même, devenu un dignitaire du régime nazi et pouvait à ce titre prétendre à un poste plus prestigieux, qui avait demandé a être en poste dans ce village dans lequel il avait des comptes à régler.

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Pour moi c'est le meilleur film de De Toth assez nettement devant les excellents PITFALL, CHASSE AU GANG et LA CHEVAUCHÉE DES BANNIS et pourtant ce n'était que son 2ème film américain et le budget ne devait pas être extraordinaire, loin s'en faut.

1ère chose, c'était un film en avance sur son temps. Tourné en 1943, il anticipe Nuremberg et les procès des dignitaires nazi. La voix off du début nous prévient d'ailleurs que l'action se situe dans le futur. De Toth et son scénariste jugent par avance inéluctable le moment ou ces criminels de guerre devront rendre compte de leurs actes. Ensuite, ce qu'il montre de l'ascension de Grimm est tout à fait sérieux sauf pour ce qui concerne les règlements de compte familiaux dont je ne veux rien dire ici. Tout ce qui tourne notamment autour de Willie, le jeune fils de Karl Grimm est un peu en trop mais c'est un infime détail.
Très justement, il situe les prémisses du désastre à venir dès la fin de la 1ère guerre mondiale et le ressentiment des soldats vaincus. Il montre comment l'idéologie nazi est parvenu à entrainer ces hommes frustrés, abattus par la défaite et troublés par le climat politique instable des années 20. De Toth va plus loin, il va chercher chez Grimm, ce qui au coeur de l'homme pouvait attiser sa haine et en faire ainsi un parfait serviteur du Reich. C'est l'étude d'un seul personnage qui lui permet de créer aussi -au delà du contexte historique évoqué plus haut- une sorte de portrait psychologique du futur nazi. L'accumulation est peu vraisemblable mais c'était pour servir le propos :

Grimm était ambitieux. Une ambition déçue pour celui qui (s') estimait valoir mieux que son modeste emploi d'instituteur dans un petit village polonais. Le régime nazi lui offrira une possibilité de "promotion sociale" inattendue. Il a aimé profondément une jeune femme qui l'a quitté. Frustré, il commet un viol, c'est donc un pervers sexuel. C'est aussi un opportuniste sans états d'âmes. Quand plus tard, les sympathies socialistes de sa famille pourront gêner sa carrière, il sera impitoyable. D'autre part, sa violence rentrée trouvera à s'exprimer dans les multuples exactions nazis et il tuera de sa propre main. Enfin, De Toth insiste sur la médiocrité d'autres motivations. Il montre tout simplement ces hommes tirer parti d'une situation privilégiée pour vivre mieux que le reste d'une population martyrisée. Ils prennent des places...Par opportunisme, par gout du luxe…par appât du gain. D'une certaine manière, on peut donc aussi voir dans ce film (partiellement) une sorte d'ancêtre au "Lacombe Lucien" de Louis Malle.

Un film remarquable, bouleversant, sublime, d'autant plus impressionnant qu'il est évident qu'il a été tourné avec des moyens dérisoires. Vu en VOST. DVD obligatoire

Avec Alexander Knox (Wilhelm Grimm), Marsha Hunt (Marja), Henry Travers (Le père Warecki), Erik Rolf (Karl Grimm), Richard Crane (Willie Grimm)
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Profondo Rosso
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Profondo Rosso »

Femme de feu (1947)

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1870 dans une petite ville de l'Utah. Dave Nash (Joel McCrea) travaille pour Walt Shipley (Ian MacDonald), un éleveur de moutons en guerre contre Ben Dickason (Charles Ruggles) et Frank Ivey (Preston Foster), deux ranchers puissants et autoritaires qui ne souhaitent pas partager leurs pâturages avec un vulgaire "Sheepman". La rivalité entre les deux clans n’est pas si simple à gérer puisque la fille de Ben, Connie (Veronica Lake), s’est amourachée de Walt, l’ennemi de son père, alors que ce dernier lui destinait son partenaire Frank Ivey pour époux. Un soir, humilié par le camp adverse, Walt préfère quitter la partie, abandonnant ses terres et sa "fiancée". Mais Connie, blessée dans son amour-propre, décide de poursuivre le combat ; pour tenir tête à son père et à son promis, elle engage Dave. Il va néanmoins se retrouver au centre d’un combat sans merci et sans scrupules au cours duquel les deux clans vont s’entredéchirer causant morts sur morts.

Ramrod est un western atypique dans le fond et la forme employés par André De Toth pour illustrer un scénario complexe. A l'origine destiné à John Ford qui trop pris sur My Darling Clementine recommanda André De Toth, le film sur un argument de western classique (conflit terrien entre riches propriétaires) part dans des directions surprenantes notamment une tonalité évoquant grandement le film noir. Le récit débute dans une tension extrême et mettra à jour un conflit plus complexe qu'il n'y parait. Un éleveur de mouton (Ian MacDonald) est littéralement humilié et chassé de la ville pour avoir voulu partager l'usage des pâturages avec les ranchers tyranniques que sont Ivey (Preston Foster) et Dickason (Charles Ruggles). La propre fille de Dickason Connie (Veronica Lake) s'était opposée à lui en se fiançant à l'ennemi alors que ce dernier lui destinait justement Ivey pour asseoir leur partenariat. La fille rebelle va pourtant reprendre les terres de son fiancé défait et compter sur l'aide de Dave Nash (Joel McCrea) son ancien contremaître.

L'argument terrien est finalement vite éclipsé pour révéler une lutte de pouvoir impitoyable dont les enjeux sont tout autre. Par son action, Connie souhaite prendre son destin en main et s'émanciper de l'autorité de son père ainsi que du destin qu'il lui a choisi auprès d’Ivey. On pense bien plus au film de gangsters dans les escarmouches et manœuvres d'intimidation des deux camps et la manière de jongler avec la loi sans commettre l'irréparable. Cette caution est tenue par le personnage droit de Joel McCrea partagé entre la vénéneuse Connie et la plus paisible Rose (Arleen Whelan). L'aspect film noir sera accentué par le caractère ambigu de Veronica Lake. Alors que les femmes à poignes les plus fameuses du western comme Joan Crawford dans Johnny Guitar (1953) ou Barbara Stanwyck dans Quarante Tueurs (1957) se plairont à affirmer une certaine androgynie voir masculinité (s'imposant en se montrant l'égal des hommes) Veronica Lake conserve la détermination et la dureté en plus toute la candeur et les minauderies féminines qu'on lui connaît dans d'autres films. C'est une femme fatale de film noir projeté dans l'Ouest et sa volonté de réussite passera par la séduction en poussant ses hommes à des actions aux conséquences dramatiques. Ce mélange détonant est en grande partie dû au scénario adapté du romancier Luke Short adepte de ce croisement des genres et dont Robert Wise tirera l'année suivante un Ciel Rouge qui se fera remarquer pour sa photographie sombre et oppressante éclairant des paysages de western comme des ruelles urbaines de polar.

De Toth joue également de cela dans nombres de situations notamment un haletant gunfight nocturne où est pourchassé l'attachant personnage de Bill (Don DeFore). Le réalisateur fait également un étonnant usage de son environnement. Le film est presque entièrement tourné en extérieur dans l'Utah, ce que De Toth cherche clairement à nous signifier avec ses longs mouvements de caméras accompagnant les personnages dans les recoins les plus sinueux et inhospitalier, et fuyant constamment le côté contemplatif et grandiose qu'on peut associer à un paysage de western. Le climat de menace sourde est ainsi constant lors des scènes en terre sauvage et désolée tandis que pour les scènes de ville cette menace se traduira par une dimension poreuse constante entre intérieur et extérieur. Le danger s'annonce ainsi souvent d'abord en fond de champ à travers une vitre, des personnages surgisse dans le cadre avant qu'un mouvement de caméra ne révèle qu'on les apercevait entre des rideaux, derrière une porte. Là aussi on a plutôt le sentiment de codes de thriller réajusté pour le western, les grands espaces étant réduit au strict minimum pour renforcé une claustrophobie plus urbaine. C'est particulièrement vrai pour le gunfight nocturne mais même l'affrontement final fait preuve d'une brièveté et d'une sécheresse peu coutumière dans le western de l'époque.

Tortueux, surprenant et superbement exécuté, un beau western qui annonce sur pas mal de point la future grande réussite que sera La Chevauchée des Bannis (1959). 5/6
Bcar
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Bcar »

La rivière de nos amours - André De Toth

Film étonnant que cette Rivière de nos amours, à la fois âpre et populaire. Il y a tout, absolument tout ce qui fait le charme que certains qualifierait de désuet d’un western classique, des scènes de danse, de chant, de baston, une formidable attaque de fort, des seconds rôles haut en couleurs, une mère de famille courageuse, un chef indien très sage…
Le tout est contre balancé par une vision réaliste et non-manichéenne de l’Ouest américain, avec notamment une représentation passionnante du conflit avec les indiens. De Toth ne fait aucune concession, des hommes brules, d’autre sont scalpés.
Un film parfaitement dans son époque, on sent toute l’influence de film comme La flèche brisée ou encore La captive aux yeux clairs. En bref La rivière de nos amours est un bonheur de film qui mériterait un peu plus de reconnaissance.
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Jeremy Fox
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Jeremy Fox »

Bcar a écrit :
La rivière de nos amours - André De Toth

Film étonnant que cette Rivière de nos amours, à la fois âpre et populaire. Il y a tout, absolument tout ce qui fait le charme que certains qualifierait de désuet d’un western classique, des scènes de danse, de chant, de baston, une formidable attaque de fort, des seconds rôles haut en couleurs, une mère de famille courageuse, un chef indien très sage…
Le tout est contre balancé par une vision réaliste et non-manichéenne de l’Ouest américain, avec notamment une représentation passionnante du conflit avec les indiens. De Toth ne fait aucune concession, des hommes brules, d’autre sont scalpés.
Un film parfaitement dans son époque, on sent toute l’influence de film comme La flèche brisée ou encore La captive aux yeux clairs. En bref La rivière de nos amours est un bonheur de film qui mériterait un peu plus de reconnaissance.
Je pense qu'il a désormais toute la reconnaissance qu'il mérite :wink:

A commencer par ici même
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Bcar »

Tant mieux, même si c'est un peu le minimum que l'ont peu exigé d'un site ou traine une horde de fanatique du western. :fiou:
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Jeremy Fox
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Jeremy Fox »

Bcar a écrit :Tant mieux, même si c'est un peu le minimum que l'ont peu exigé d'un site ou traine une horde de fanatique du western. :fiou:
Non mais ça fait longtemps que ce western est considéré par certains comme l'un des grands classiques du genre.

« Je donnerais tous les Ford et tous les Walsh de la période 1940-1955 pour la seule Rivière de nos amours, l'un des plus beaux poèmes panthéistes que le western nous ait donnés où la nature fond(e) en un seul élément Indiens, cow-boys, arbres et rivières » déclarait Patrick Bureau au sein d’un ouvrage collectif consacré au western.
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Federico »

Jeremy Fox a écrit : Non mais ça fait longtemps que ce western est considéré par certains comme l'un des grands classiques du genre.

« Je donnerais tous les Ford et tous les Walsh de la période 1940-1955 pour la seule Rivière de nos amours, l'un des plus beaux poèmes panthéistes que le western nous ait donnés où la nature fond(e) en un seul élément Indiens, cow-boys, arbres et rivières » déclarait Patrick Bureau au sein d’un ouvrage collectif consacré au western.
J'aime énormément ce classique qui est une des plus belles réussites de de Toth mais pas au point de tomber dans la démesure de Bureau.
Par contre, sans problème, je donne toutes les scènes de décrassage en bassine de Wayne, Cooper, Mitchum, Fonda & Co contre la séquence ci-dessous :
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Gloups !! :oops: :oops: :oops:
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Demi-Lune »

None shall escape (1944)

Découvert sous la recommandation expresse de Jack Carter, je ne dirai pas comme lui que c'est un chef-d’œuvre mais c'est clairement un film qui mérite d'être découvert. J'ai des réserves qui tiennent au traitement particulier du film, qui opte souvent pour un registre mélodramatique (avec musique emphatique) qui n'est pas forcément toujours probant à mes yeux, qu'il s'agisse de définir un semblant de background psychologique pour le futur nazi Wilhemm Grimm (les premières années en Pologne) ou qu'il s'agisse de créer cette romance de gare entre son neveu endoctriné et la fille de son ancien amour. On est là dans des développements très "hollywoodiens" qui jurent à mon sens avec la nature même du sujet. En outre, le scénario se veut très elliptique concernant le destin de Grimm. Si les "étapes" de son parcours, telles que dévoilées en procès, font souvent mouche (l'humiliation de la défaite et du traité de Versailles, la rancœur xénophobe, l'attraction que représentait le discours de Hitler dès le début des années 1920, la dénonciation de son frère...), le portrait psychologique de Grimm en tant que personnage reste sommaire et De Toth en fait une émanation presque abstraite du Mal, ce qui du coup est un peu court par rapport à l'ambition de comprendre les racines et la propagation du nazisme au travers d'un cas individuel (qui ne saurait certes résumer à lui tout seul tous les mécanismes et dynamiques qui conduiront à la montée du nazisme, mais dont l'histoire est ici présentée comme archétypale puisqu'on en fait littéralement le procès). Plus de densité psychologique aurait permis au personnage de ne pas apparaître seulement comme une matière molle et rudimentaire produite par une succession de "tournants" (1919, 1923, 1933, etc) qui constituent la ligne de fuite du scénario. Bref, quelque réserves sur le traitement mais le film reste un document fascinant, courageux et visionnaire que j'encourage à découvrir, d'une part pour s'en faire son opinion, et d'autre part pour apprécier l'efficacité générale du style De Toth.
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par daniel gregg »

Des réserves un poil tatillonnes tu l'admettras eu égard aux qualités innombrables du propos tenu par ce film et surtout par l'audace quasiment unique de ce film dans l'histoire du cinéma américain concernant ce sujet si délicat et encore si brûlant.
Alors certes, De Toth est un réalisateur américain dont le prosaïsme hollywoodien (sic) peut paraître un peu décalé au regard du contexte terrible qu'il filme.
Pour ma part, je trouve que ces 4 destins qui se mêlent dans le temps à travers ces histoires d'amour hantées par le spectre de la mort, sont comme une nécessaire respiration, un contrepoint humain et sensible dans cette époque inhumaine.
Surtout De Toth a l'honnêteté de ne jamais s'en servir comme d'un prétexte dramatique inutile.
On est en 1944 et le film anticipe déjà le procès de Nuremberg.
Même après l'occupation, on n'a guère vu de film aussi sensible et explicite à ce sujet en Europe !
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Rick Blaine
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Rick Blaine »

Entièrement d'accord avec Daniel, un film à la fois puissant et touchant, dans lequel De Toth défend avec force des convictions inébranlable.
Demi-lune, je te trouve un peu tatillon moi aussi (:mrgreen:). D'autant qu'il ne me semble pas que l'ambition première de De Toth soit de "comprendre les racines et la propagation du Nazisme", mais surtout de le montrer pour ce qu'il est et pour ses conséquences, afin de convaincre qu'il faut le juger et le condamner, et c'est quelque chose qui reste à faire, nous sommes en 44. La déshumanisation de Grimm, et le registre mélodramatique aussi d'une certaine manière, ont d'abord vocation à étayer cette thèse, a convaincre au mieux chaque spectateur, mais je trouve que ce n'est jamais utilisé comme un bête raccourci "hollywoodien".
Ce que veut d'abord De Toth, avant d'expliquer, c'est montrer (il le dit d'ailleurs dans l'entretien avec Laprune et Tatav' que tu as du voir) et il le fait bien, communiquant avec force sa foi inébranlable en des valeurs humaniste. On peut juger la manière maladroite, je trouve pour ma part que c'est traité avec une grande force.
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par daniel gregg »

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MAN ON A STRING (Contre espionnage) - Andre De Toth (1960)
Finalement découvert ce film de De Toth, diffusé sur TCM ces jours ci.
Même si, au premier abord, la démonstration technique des procédés de contre espionnage américain empêche une immersion spontanée dans le film, il faut bien admettre qu'au fil du récit, on se surprend à suivre le sort de cet espion malgré lui, avec un intérêt grandissant.
Aussi certainement, grâce au jeu d'Ernest Borgnine très convaincant dans la peau de cet exilé russe repenti, qui tentera par tous les moyens, y compris celui de sacrifier sa vie, de sauver sa famille, menacée par les russes.
On peut regretter une mise en scène expéditive de De Toth, probablement handicapé par un budget indigent.
Les extérieurs à Moscou et Berlin auraient mérité davantage de consistance et de crédibilité qu'une suite de clichés pour touristes. (le contexte politique de l'époque ne devait certainement pas aidé)
A noter que le producteur Louis De Rochemont a visiblement été sensible tout au long de sa vie à la guerre et ses séquelles, lui qui fut l'un des premiers à dénoncer l'imminence d'un conflit mondial dès 1938 avec son documentaire Inside Nazi Germany.
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Federico »

Chasse au gang (Crime wave - 1954)

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When I went to Jack [Warner]‘s office to talk about Crime Wave, he screamed, “What the hell are you thinking of? I offered you Bogart and Ava Gardner, the biggest names. You don’t want them?” I said, “No, thank you.” “All right, then,” he was through with me now: “Go ahead, Tex, and make the Goddamned picture with nobodies. Cut your own throat. But in that case, you’ll have to shoot it in 15 days. Go on, get out.” I was happy. I won. And I made the picture in 14 days.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Quand je suis allé dans le bureau de Jack Warner pour lui parler de Chasse au gang, il a hurlé : "Mais qu'est-ce qui vous prend, nom de Dieu ? Je vous ai proposé Bogart et Ava Gardner, les plus grands noms. Et vous n'en voulez pas ?" Je lui ai dit : "Non, merci." "Alors entendu," il en avait fini avec moi : "Allez-y, Tex, faites votre putain de film avec des moins que rien. Tirez-vous une balle dans le pied. Mais je vous préviens que vous n'aurez que deux semaines pour le tourner. Maintenant barrez-vous." J'étais content. J'avais gagné. Et j'ai bouclé le film en 14 jours.
André de Toth (interviewé en 2001 par Alain Silver pour Film Noir Reader)


Ça faisait longtemps que je voulais découvrir ce film, précédé d'une aura flatteuse. Pas été déçu. A vrai dire, sur le papier, il y avait déjà de quoi se pourlécher les babines : Sterling Hayden, Ted de Corsia, Charles - pas encore - Bronson... ces sympathiques figures d'envoyés du Père Noël (ou Rois Mages du Noir) dirigés de plus par de Toth. Glop glop !
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Ce que ça donne ? Un régal de petit Film Noir plus serré qu'un ristretto, filmé à l'économie, brut de décoffrage, presque néo-réaliste voire Nouvelle Vague avant l'heure (éclairages naturels, caméra légère et mobile, extérieurs et décors sans apprêts). Par moments, on n'est pas loin de ce que proposeront quelques années plus tard Shirley Clarke et Cassavetes.
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Et c'est en prime formidablement interprété avec un Hayden en grande forme (bien plus que dans Naked alibi pour prendre un autre petit Noir débrouillard de l'époque) campant avec sa stature et sa voix impressionnantes un flic pas commode. Un de ceux qui (à l'image du Kirk Douglas de Detective story ou du chef de la police du Cercle rouge) sont convaincus qu'un voyou ne pourra jamais se ranger. Il passe son temps à mâchouiller un cure-dents parce que son médecin lui a interdit le tabac et bien entendu, sortira une clope à la toute fin du film. Ce dur de chez velu à qui on ne la fait pas aura finalement un beau geste mais on sent que ça lui fait un peu mal aux gencives.
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Admettez que Gene Nelson et Phyllis Kirk font un bien joli couple et qu'ils pourraient apparaître tels quels aujourd'hui sur un écran sans sembler revenir d'un trou spatio-temporel...

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...Yap ! Such sweet kids... N'empêche, qui va encore se farcir de la paperasse dans ce fuck*** precinct... :mrgreen:
L'ex-voyou en question (Gene Nelson, belle gueule sympathique à la Alan Ladd) est un ex-taulard qui mène la petite vie honnête d'un mécanicien d'aviation marié à la charmante Phyllis Kirk. Rattrapé par son passé, il voit successivement débarquer un de ses "potes" de cellule qui vient clamser chez lui après un minable braquage de station service, puis un toubib marron alcoolo et surtout les deux autres membres du gang (de Corsia et Buchinsky) qui vont le mouiller à fond en se servant de son épouse comme garantie.

Piégé des deux côtés (par Hayden et ses "potes"), le brave mécano va devoir faire le chauffeur pour un ultime hold-up, celui d'une banque qui évidemment tournera très mal.

Un scénario ultra-basique et avec quelques "trous"* dont de Toth tire le maximum possible par le réalisme des séquences (cf le début dans le minable commissariat où on s'y croirait, notamment par la prise de son réverbérée par la nudité des décors) et ces indispensables bonus associés au genre : les character actors. De Corsia est égal à lui-même (j'adore cette "gueule" mais je l'ai vu meilleur), compact, cinglant, vicieux. Buchinsky/Bronson est encore à l'état d'ébauche en bras droit brutal. Il y a le personnage sympa du responsable de conditionnelle, le seul à croire en la bonne foi du mécano. Et puis surtout le toubib marron (Jay Novello), lui aussi ex-taulard (pour les raisons habituelles : une patiente décédée lors d'une "intervention spéciale"), recyclé en vétérinaire et noyé dans la bibine. Un personnage de prime abord méprisable (il dépouille sans vergogne le cadavre du truand puis se casse pour le laisser sur les bras de Nelson) puis se révélant un pauvre type touchant, détaché du monde des humains et qui reporte tout ce qui lui reste d'empathie sur les malheureux toutous qu'on lui amène à euthanasier. Son meurtre par Buchinsky (très beau cadrage isolant à gauche et de dos la future victime dans un décor une nouvelle fois très dénudé) fait vraiment mal.
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Mais le pompon, une fois de plus, c'est Timothy Carey. On le voit quoi ? Deux minutes à peine et dans 2-3 séquences mais c'est plus fort que lui : il n'est même pas crédité au générique et en un rictus de cinglé il éclipse tout ce beau linge !
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Il y a même un moment où il est planqué tout au fond de la pièce, assis comme un ado contre la cloison et bien moins mis en valeur que ceux qui discutent au premier plan. Eh ben on ne voit que lui !!
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Ça devient furieux lorsque de Corsia a l'idée sadique de confier l'épouse du mécano à cet échappé de l'asile de près de deux mètres! Séquence que Philippe Garnier** résume comme revenant à "confier Titi à Gros Minet" !!! :uhuh: :uhuh: :uhuh:
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Et je veux bien passer un week-end dans une villa de Malibu hantée par le fantôme de Lawrence Tierney (seul character actor aussi frapadingue que Carey à la ville comme à l'écran) si Tarantino n'a pas "hommagé" ce moment dans Boulevard de la mort quand les nanas laissent la trop chouquette Mary Elizabeth Winstead en gage chez l'inquiétant redneck en salopette.

Petit bonus gouleyant : James Ellroy et Eddie Muller évoquant ce "plain nuts" de Tim Carey (désolé pour la mauvaise qualité du son).
(*) Il est surprenant qu'Hayden, surtout avec son a priori sur Nelson n'ait pas fait surveiller son appart' dans lequel viennent sans problème se planquer de Corsia et Buchinsky. Mais bon, le film se serait arrêté là (sauf à imaginer un Fort Chabrol avec fuite) et nous aurait privé du reste, ce qui aurait été fort regrettable. :roll:

(**) Dans Caractères : Moindres lumières à Hollywood, page 440.
L'avant-dernier chapitre, intitulé "L'ultime caractère" (en hommage à ses prestations chez Kubrick) est entièrement consacré à Timothy Carey. Et il le valait bien.
Garnier cite ensuite de Toth qui 40 ans plus tard déclarait à propos de Carey : "Il était bon mais il fallait le surveiller". Tu m'étonnes... Même engoncé dans la straight jacket d'Hannibal Lecter, il collerait plus les chocottes qu'Anthony Hopkins !! Quoi qu'il fasse, cet acteur hallucinant et surtout halluciné avait DANGER ! inscrit en grosses lettres rouges sur le front.
Il existe un fansite bourré de documents sur ce personnage hors-normes (dont les photos ci-dessus).
Dernière modification par Federico le 26 déc. 13, 00:20, modifié 1 fois.
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Jean-François Houben »

Abdul Alhazred a écrit :J'en profite pour faire la pub de ce blog récent, écrit par Gilles Cèbe (essentiellement connu de nos jours pour son ouvrage de référence sur Sergio Leone). Il démarre, je trouve, sur de bonnes bases, et je pense qu'il pourra intéresser plus d'un classikien :
http://leclubdescinephilesincorrigibles.blogspot.com/
Je recommande également ce blog cinéphile à la fois passionné et sérieux (en témoignent les nombreuses références bibliographiques), proposant des critiques de films récents et classiques, mais également des articles plus généraux sur le 7e Art et la critique de cinéma (voyez par exemple son coup de sang à propos d'une certaine critique française dogmatique: http://leclubdescinephilesincorrigibles ... s.html?m=1)!

Très cordialement à chacun,

Jean-François Houben
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Lino »

Gilles Cebé, l'auteur du meilleur livre d'études sur Sergio Leone en langue française... :wink: un modèle de rigueur et une très belle découverte quand je l'avais lu en 1984... sortait alors Il était une fois en Amérique sur les écrans.

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(1984).



Sur André De Toth, cet excellent site d'archives propose des photos de tournage jamais vues d' Enfants de Salauds, 1968.

http://www.kit-west-almeria.com/

(Je l'ai déjà signalé sur le fil Sidonis).
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Jeremy Fox
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Re: André de Toth (1912-2002)

Message par Jeremy Fox »

Malgré Howard Duff, Ruth Roman et Van Heflin en haut de l'affiche, Tanganyika est un film excessivement mauvais à tous points de vue (excepté à la rigueur l'interprétation). A fuir pour les fans du cinéaste et des comédiens d'autant que le film est complètement fauché, qu'on y voit les sempiternels identiques arrières-plans et même parfois des voitures circulant tranquillement en fond de plan. Sans aucun intérêt et souvent risible : dommage.
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