Samuel Fuller (1912-1997)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Federico
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Federico »

Profondo Rosso a écrit :Après l'effort le réconfort :mrgreen:
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C'est HS mais c'est un joli HS... :oops:
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par kiemavel »

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China Gate
1957
Produit, écrit et réalisé par Samuel Fuller
Image : Joseph Biroc
Musique : Max Steiner et Victor Young
Twentieth Century Fox

Durée : 97 min

Avec :

Gene Barry (Johnny Brock)
Angie Dickinson (Lia 'Lucky Legs')
Nat 'King' Cole (Goldie)
Lee Van Cleef (Le major Cham)
Paul Dubov (Le capt. Caumont)
George Givot (Pigalle)
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A la fin de la guerre d'Indochine, le sergent Brock, un soldat américain, est chargé de mener un commando en territoire ennemi jusqu'à la China Gate, c'est à dire la région frontalière par où passent les armes provenant de Chine, d'identifier le dépôt de munitions des troupes communistes et de le détruire. Le colonel De Sars qui dirige les quelques troupes de la légion étrangère restant encore à sa disposition lui fournit quelques baroudeurs de diverses nationalités et lui donne comme guide Lia, une eurasienne surnommée Lucky Legs qui n'est autre que l'ex femme de Brock. Il l'avait abandonné quelques années plus tôt en découvrant que leur enfant avait des traits asiatiques beaucoup trop marqués. Malgré son ressentiment, profitant de sa connaissance du terrain, Lia guide le groupe à travers la jungle jusqu'aux portes de la Chine par ou arrive les armes alimentant les troupes indochinoises…
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La petite ville non identifiée du nord de l'Indochine que l'on découvre est totalement en ruine et en proie à la famine. Le film s'ouvre sur les images d'un enfant courant au milieu des ruines et sur celles d'un vieil homme regardant avec convoitise et commençant à sortir son couteau à la vue du petit chien que le fils de Lia fait sortir de la veste dans laquelle il le dissimulait ! Bref, la situation n'est pas brillante. Cet enfant est le personnage central du film car c'est pour lui que les 2 principaux protagonistes se déchirent et c'est aussi pour son enfant que Lia accepte cette mission qui l'oblige à trahir la communauté dont elle semble se sentir le plus proche, culturellement plus que par l'apparence car elle a des traits européens (Angie Dickinson n'a pratiquement pas été "maquillée" en asiatique pour tenir ce rôle). Lia, surnommée Lucky Legs, est une métisse vivant depuis toujours en Indochine. On apprend d'elle qu'elle a tenu différents bars et des établissements de nuit mais que le dernier ayant été détruit, elle écume depuis toute la région avec Leung, son guide, pour fournir en alcool les troupes Viet-Minh et Chinoises. C'est pour cette connaissance du terrain et ses bonnes relations avec les troupes ennemis qu'elle est choisit par le colonel De Sars qui n'a plus guère le choix que d'infiltrer les forces communistes pour tenter de stopper leur offensive car l'armée française est en pleine déconfiture, le 3 ème régiment de la légion étrangère qu'il commande ne comptant plus qu'une poignée d'hommes.

Lia 'Lucky Legs' est un personnage dont l'obsession va tourner peu à peu à la folie. Fuller n'explique pas ses tourments intérieurs, il ne justifie pas ses actes, n'explique rien, il montre. Lia n'est pas plus pro française qu'elle n'est sympathisante communiste, non, sa seule obsession est la survie de son fils, une survie qui pour elle passe par un départ pour les États-Unis ou il sera en sécurité. C'est la promesse faite par le colonel De Sars que son fils sera envoyé en Amérique qui a incité Lia a accepter la mission…Ce qui est un peu ironique quand on sait le sort que réservera l'armée américaine aux vietnamiens…et pour le coup , oui, le gosse était plus à l'abri aux États-Unis (mais évidemment je fais de l'anachronisme car ceci Fuller ne pouvait pas le savoir ni l'anticiper). Il est évident que pour assurer leurs suivies à tout deux, elle n'a pas fait que faire du commerce d'alcool. Un prêtre (interprété par Marcel Dalio) dira d'ailleurs à Brock qu'elle s'est livrée à la prostitution et au trafic de drogues pour survivre quand il les avaient abandonné. Au fur et à mesure du périple, elle même abandonnera bien plus encore en s'engageant de plus en plus définitivement auprès des "blancs" pour que la mission réussisse. Fuller l'implique graduellement dans les actes du commando. Il commence par la montrer favorisant le passage des hommes en distrayant les troupes chinoises, puis distraire l'attention d'un soldat qui montait la garde et provoquera involontairement sa mort lorsqu'il sautera sur une mine pour empêcher le groupe de passer. Encore plus tard, c'est elle qui directement provoquera la mort d'un soldat chinois qu'elle connaissait encore plus personnellement en le distrayant pendant que Brock le surprendra par derrière.
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Enfin, elle finit même par tuer son fiancé, le commandant du camp Viet-Minh ou sont entreposé les munitions à détruire, lorsque celui ci comprendra les véritables raisons de l'arrivée imprévue de Lia sur le camp. Arrivée au bout de son engagement qui est aussi une forme de trahison, elle ira jusqu'au bout de sa folie "maitrisée" en se sacrifiant pour que la mission réussisse…ou plutôt pour que son enfant puisse entrer aux États-Unis.
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Le rejet de Brock provoque d'ailleurs des réactions hostiles chez ses camarades. Fuller l'exprime de manière assez fine dans le personnage de Goldie, le soldat noir interprété par Nat 'King' Cole, puisque s'il exprime son incompréhension et même sa colère à Brock, ce n'est pas en raison du racisme de son camarade qui rejète un enfant sous prétexte qu'il a un type asiatique trop marqué à ses yeux (sans jeu de mot) mais parce que lui et sa femme n'ont pas pu avoir d'enfants et qu'il trouve aberrant de rejeter un enfant quand on a le bonheur d'en avoir un…sans qu'il ai besoin de préciser…quel qu'il soit. Le reste des personnages et les discours qu'ils tiennent sont sans grand intérêt, y compris celui de Goldie lui-même qui se présente comme un vétéran de la seconde guerre mondiale, puis de la guerre de Corée et qui déclare que s'il s'est engagé dans le légion étrangère, c'est pour poursuivre la guerre contre le communisme. Globalement, toutes les scènes impliquant les mercenaires de toutes origines, dans lesquels ils se racontent ou expliquent leur motivation sont presque sans intérêt.

En revanche, d'autres scènes rappellent le grand Fuller. Lorsque De Sars annonce à Lia que c'est Le Sgt. Brock qu'il a choisit pour diriger la mission, la scène se termine par la gifle qu'elle inflige contre tout attente à son ex-mari. Beaucoup plus tard, au milieu de la jungle, au cours d'un moment d'intimité dans une cabane perchée dans les arbres, alors que Lia vient de sacrifier un de ses amis chinois pour que la mission s'accomplisse, Brock tente de la séduire à nouveau mais chez lui ce n'est que l'expression d'un violent désir alors que Lia interprète cet élan comme l'expression de l'acceptation de tout ce qu'elle est et par conséquent de son enfant, de leur enfant. En réalité, il n'en est rien. Brock lui avoue d'ailleurs la vérité sur ses intentions ce qui provoque son rejet immédiat. Elle repousse alors violemment son ex-mari. Cette scène rappelle sans atteindre leur intensité des scènes d'attirance incontrôlable qui suivent ou précédent de violents rejets, des émotions fortes et contradictoires que l'on a déjà vu chez Fuller : entre Skip (Richard Widmark) et Candy (Jean Peters) dans le port de la drogue et entre Tolly (Cliff Robertson) et Cuddles (Dolores Dorn) dans Les bas-fond New-Yorkais par exemple. Plus tard, c'est entre Lia et…son nouveau fiancé qui se trouve être le Commandant du camp des Viet-Minh que l'on retrouvera une de ces scènes fortes et inattendus qui sont la marque indélébile des films du grand Sam. Le personnage atteint là les rives de la folie…Le propos n'est toutefois pas totalement désespéré. "L'américain" Brock finit par ouvrir les yeux et accepter les différences qu'il jugeaient inacceptables…mais trop tard.
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Interprétation sans éclat de toute la distribution, en dehors de celles de Lee Van Cleef qui est plutôt meilleur que d'habitude dans un rôle réduit -lui aussi d'eurasien - puisqu'il n'intervient que durant les 20 dernières minutes mais il se montre plus fin que d'habitude par rapport à ce qu'on l'a vu faire durant sa première carrière, l'américaine. D'autre part, on peut voir soit de l'ironie soit…l'expression d'un lucidité sur la profondeur des convictions politiques quelles qu'elles soient dans le discours qu'il tient à sa fiancée lui disant que s'il s'est engagé dans les troupes communistes c'est parce qu'il ne gagnait pas assez bien sa vie dans son ancien métier d'instituteur !!! Mais Fuller, en quelques touches, en dresse un portrait plutôt sympathique, puisqu'il est -lui- attentif au sort d'un enfant qui n'est pas de lui...Cela dit, c'est celle d'Angie Dickinson qui domine le film même si elle ne justifie son surnom de Lucky Legs qu'au tout début du film parce qu'après ces scènes d'introduction, dès que le commando se mettra en route on ne verra plus les plus célèbres guiboles d'Hollywood (après celles de Cyd Charisse). Au lieu de çà : vêtements paramilitaires et casquettes ! Or, Angie Dickinson habillée comme Bob Denard, même si c'est justifié par le sujet, c'est pas juste ! Une bizarrerie à signaler, deux apartés musicaux surprennent de la part de Fuller car par 2 fois Nat 'King' Cole chante la chanson thème du film "China Gate". Certes, la seconde fois, la chanson débute juste avant le générique final et est bien amené, en revanche la première irruption de la chanson surprend un peu d'autant plus que la chanson que NKC interprète pour l'enfant chinois au milieu des ruines n'est pas chantée à capella mais accompagnée par un orchestre invisible…Certes, on a vu pire ailleurs mais c'est tout de même étrange chez Fuller. Le chanteur (et occasionnellement acteur) avait accepté de faire le film pour un cachet minime alors peut -être que Sam a voulu en profiter.

A propos de budget, à l'évidence celui dont il disposait pour ce film était réduit…et parfois çà se voit. Je ne reviens pas sur les aléas de la production mais je juge du résultat. La progression du commando se fait dans un décor de jungle trop visiblement reconstitué en studio. Les transparences sont vilaines, notamment une infâmie représentant un ensemble de temples, avec au premier plan une statue en carton patte. Des 6 films de Samuel Fuller se déroulant en Asie ou montrant une communauté asiatique (The Crimson Kimono), China Gate est celui que j'aime le moins. C'est même pour moi le moins bon Fuller avec Le démon des eaux troubles mais je précise que ce jugement n'inclut pas les films de la dernière partie de sa carrière tournés après The Naked Kiss. China Gate était resté inédit en France. Il n'aurait pas été distribué chez nous en raison du prologue pourtant plutôt pro-français mais dans lequel le commentaire en voix off montrait toute l'ambiguité et l'ambivalence de la colonisation française…comme toutes les autres. D'un coté, l'apport du "génie" français : ses ingénieurs, ses médecins, ses instits, etc…mais une occupation non désintéressée qui a bien profité au conquérant. Pas de quoi sauter au plafond mais Romain Gary -le consul de France à Los Angeles- qui avait voulu voir le film avait du remettre un rapport suffisamment sévère pour que le film ne trouve pas de distributeurs.
Je ne sais pas d'ou sort le titre que l'on voit parfois "Porte de Chine", le titre d'une diffusion TV ? Le titre Belge " Commando chez les Viets ", s'il est plus inventif que le français est aussi plus débile. Vu en VOST
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Profondo Rosso
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Profondo Rosso »

Le Port de la drogue (1953)

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Dans le métro, Candy se fait voler son portefeuille par Skip Mc Coy, un pickpocket aguerri. Des policiers qui suivaient la jeune femme soupçonnée d'être un agent de liaison communiste, assistent à la scène sans pouvoir intervenir. De retour chez lui, Mc Coy découvre que le portefeuille contient un microfilm. Policiers et communistes vont essayer de le récupérer.

Fuller réalise un des fleurons du film noir avec ce mémorable Pickup on South Street brutal et sensuel. Ancien reporter criminel à ses débuts, Fuller connaît comme sa poche les us et coutume de ce petit monde de la pègre ordinaire et n'aura de cesse dans ses meilleurs polars d'extraire une certaine humanité de cette fange et de montrer ces truands comme des êtres plus complexes à résumer que leurs seuls mauvais penchants. On en aura plus tard un bel exemple avec son mémorable Underworld U.S.A. (1961 où son impitoyable héros vengeur se montrera finalement plus fragile et faillible que la tentaculaire et glaciale organisation mafieuse. On en a une première idée ici où nos héros tout hors-la-loi qu'ils sont s'avèrent pourtant bien plus attachant dans le défaut que l'impitoyable ennemi communiste. Depuis le 24 novembre 1947 et la réunion du Waldorf-Astoria, les studios américains dont la Fox s'engagèrent à ne plus employer de communistes et à sortir des productions stigmatisant la menace rouge. Samuel Fuller s'y frottera avec des films de guerre comme J'ai vécu l'enfer de Corée (1951), Baïonnette au canon (1951), Le Démon des eaux troubles (1954) où malgré le sous-texte il réussira toujours à mettre en avant l'humain et ses peurs face au combat. C'est également le cas dans Pickup on South Street où face à un ennemi indéfinissable et menaçant tout comme les soldats anonymes de ses films de guerre Fuller fait de ses laissés pour compte des bas-fonds les vrais héros.

Le scénario montre d'abord les personnages sous leur jour le plus douteux et brutal. Skip Mc Coy (Richard Widmark) pickpocket multi récidiviste commet son dernier méfait en plein métro en dérobant du sac à main de la belle Candy (Jean Peters) un portefeuille contenant le microfilm d'une arme nucléaire. Candy est sans le savoir la passeuse d'un réseau communiste et les attitudes provocantes et l'assurance de Jean Peters nous laisse facilement comprendre qu'un parcours cabossé l'a menée à cette situation. Elle est finalement le pendant féminin parfait de Richard Widmark, les deux étant présentés sous leurs plus mauvais jour en pures créatures de la nuit : sensuelle et au passé probablement peu chaste pour Candy et avide et arrogant pour Skip. Leurs rencontres sont ainsi violentes et torride en exploitant cette facette d'eux, Candy lascive et séductrice pour soutirer le microfilm à Skip et ce dernier agressif et brutal quand il sent venir la manipulation alors qu'il souhaite titrer un maximum de son butin. L'humanité des personnages avec tous leur défauts et passions nous apparaît avec le contrepoint des communistes, anonymes si ce n'est l'inquiétant et angoissé Joey (Richard Kiley) et n'existant que par leurs objectifs et leurs actions sanglantes.

Widmark dans une performance nerveuse et outrée dont il a le secret est absolument parfait en petite frappe se découvrant progressivement une conscience et Jean Peters est aussi poignante que troublante en Candy magnifiquement passionnée en femme fatale sacrificielle et amoureuse. Fuller joue ainsi habilement des deux tableaux avec un anticommunisme jouant à plein dans l'intrigue mais qui n'est prétexte servant de révélateur aux héros. La preuve en est la fameuse VF faisant disparaître la trame anti-communiste (la France étant un pays votant alors massivement pour le Parti) pour remplacer le contenu du microfilm par la formule d'une nouvelle drogue et si ce n'est les réactions un peu trop outrées pour un tel enjeu, l'ensemble fonctionne malgré ce changement car c'est avant tout le cheminement de ses petites frappes qui importe à Fuller. On pourra ainsi voler, se vendre ou dénoncer l'autre en suivant les codes du milieu connus et admis mais ne jamais les abandonner aux mains des vrais monstres que sont ici les communistes. Le superbe personnage de Thelma Ritter et sa fin cruelle l'illustre de la plus belle façon et amorce ainsi la rédemption de Skip et Candy. Un voyage au bout de la nuit où les coups pleuvent, les morts s'amoncèlent et les courses poursuites s'enchaînent dans une urbanité saisissante (alors qu'on devine plus d'une fois les nombreux passages tournés en studio) et le tout sur un rythme trépidant, le film étant d'une densité narrative rare sur 80 minutes. Un grand polar. 5/6
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Federico »

Les heureux hasards du surf... Je cherchais tout autre chose (des infos sur le maître du comic strip absurde Rube Goldberg) et suis tombé sur cette photo de groupe des années 40 où un jeune Sam est auprès de son frère aîné Ving qui donnait dans les "Petits Miquets".
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J'ignorai tout de ce frangin cartoonist qui dessina entre autres des strips de Betty Boop et se fera un nom comme auteur du strip Doc Syke entre 1944 et 1960. Sam (qui avait lui aussi un joli coup de crayon) et Ving échangèrent une correspondance accompagnée de dessins pendant la guerre. Ving Fuller est crédité comme "Illustrator" sur Park Row.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Rick Blaine »

Federico a écrit : J'ignorai tout de ce frangin cartoonist qui dessina entre autres des strips de Betty Boop et se fera un nom comme auteur du strip Doc Syke entre 1944 et 1960. Sam (qui avait lui aussi un joli coup de crayon) et Ving échangèrent une correspondance accompagnée de dessins pendant la guerre. Ving Fuller est crédité comme "Illustrator" sur Park Row.
On retrouve notamment un certain nombre des dessins de Samuel Fuller dans son indispensable autobiographie, Un Troisième Visage.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Profondo Rosso »

The Naked Kiss (1964)

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Après une séquence pré-générique où elle tabasse son souteneur abusif, Kelly, une prostituée très « classe » et sûre d'elle, arrive dans une nouvelle ville pour changer de vie. Elle y rencontre d'abord le flic Griff qui surveille son territoire, évite la boîte de « Candy » la mère maquerelle qui recrute volontiers de la chair fraîche, enfin se fait recruter comme infirmière dans l'hôpital spécialisé dans les soins à des enfants handicapés. L'hôpital a été créé par le notable de la ville, Grant. La réussite de Kelly comme soignante d'enfants est reconnue et on lui fait rencontrer le riche et esthète Grant.

Samuel Fuller poursuit avec The Naked Kiss sa réflexion sur les bas-fonds entamée dans les classiques que sont Le Port de la drogue (1953) ou Les Bas-fonds new-yorkais (1961). Alors que ces deux films se déroulait dans un pur environnement urbain, The Naked Kiss se passe lui dans une petite ville américaine dont Fuller exploite l'imagerie bienveillante pour la confronter à une noirceur saisissante dans un croisement déroutant de mélodrame, étude de mœurs et pur thriller. L'envers de ces bourgade américaines faussement apaisées est un thème classique du mélodrame des 50's que Fuller revisite avec un mélange de crudité et de stylisation qui lui est propre.

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Le film s'ouvre dans une pure atmosphère de cauchemar où la prostituée Kelly (Constance Towers) tabasse son souteneur ivre avant de lui prendre l'argent qu'il lui doit. Outre le chaos et la violence dégagée par cette incroyable entrée en matière, l'étrangeté et l'onirisme qui traversera tout le film s'illustre avec cet instant incroyable où Kelly se révèle être chauve. Nous la retrouvons deux ans plus tard où elle exerce toujours sa profession en province et c'est lors de son arrivée dans une petite ville qu'elle décidera de changer de vie après la rencontre avec son ultime client, le flic local Griff (Anthony Eisley). Kelly se reconstruira ainsi progressivement une identité et existence, s'installant dans une chaleureuse maison d'hôte, embrassant avec passion le métier d'infirmière dans un hôpital pour enfants handicapés et attire l'attention du richissime bienfaiteur local Grant (Michael Dante reprenant un rôle initialement écrit pour Robert Ryan).

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Fuller instaure une atmosphère de rêve éveillé souligné par la photo immaculée de Stanley Cortez qui donne un tour apaisant au renouveau de Kelly. La mise en scène de Fuller s'attarde moins sur les courbes provocantes de Constance Towers que sur son visage compatissant pour ses jeunes patients, tous les personnages rencontrés sont bienveillants (la première rencontre chaleureuse avec la logeuse) et les séquences surréalistes et à la virtuosité cotonneuse sont nombreuse pour appuyer ce sentiment de bien-être : Kelly racontant une histoire entourée d'une nuée d'enfants captivés ou encore la scène d'amour où elle s'imagine voguant dans une gondole à Venise. Loin de la vulgarité crue de la scène d'ouverture ou de l'étreinte avec Griff, ces scènes d'amours font preuve d'une sensualité et d'une recherche esthétique tout en sobriété et poésie.

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Loin des couleurs pétaradantes des mélodrames des 50's, cette pâle et fonctionnant comme un songe au ralenti annonce en fait grandement le Blue Velvet (1986) de David Lynch. Comme le fera Lynch, Samuel Fuller laisse donc poindre progressivement l'envers de cette perfection de façade avec filles-mères, avortement et maison close avoisinant la ville. Le personnage de Griff, jamais convaincu par la rédemption de Kelly rôde comme une ombre inquisitrice venant constamment rappeler ce passé coupable mais désormais notre héroïne assume sa nouvelle vie et est même prête à empêcher d'autres jeunes femmes à commettre les mêmes erreurs qu'elle (saisissant et jubilatoire moment où elle règle son compte à une odieuse mère maquerelle jouée par Virginia Grey). Pourtant lorsque le mal absolu se révèlera avec le terrible secret de Grant, même elle ne pourra rien, voyant sa vie dissolue passée la marquer de façon indélébile et exprimant un jugement moral dont il est impossible de se défaire. Fuller s'avère aussi audacieux que subtil pour amorcer un rebondissement glauque et inattendu au terme duquel la réaction violente de Kelly ne fait qu'appuyer sa bonté profonde.

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Même dans ces lieux d'un possible renouveau, les monstres sont tapis et Fuller l'exprime en entremêlant la scène la plus belle et la plus insoutenable. On a ainsi un moment de pure grâce lorsqu'on Kelly entonne une chanson accompagnée des enfants de l'hôpital, une innocence bafouée lorsque l'horrible penchant de Grant est révélé alors que l'enregistrement de cette précédente séquence inonde la bande-son. Constance Towers (déjà chez Fuller dans Shock Corridor l'année précédente) offre une prestation magnifique d'où s'estompe peu à peu tout l'aura lascive et de stupre pour finalement une figure martyre et angélique (son visage plongé dans la pénombre derrière les barreaux de sa prison). La magnifique conclusion exprimera fonde liberté d'esprit de son héroïne dont silhouette disparait d'un pas déterminé dans le décor, prête à renaître ailleurs une fois de plus. 6/6

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Jeremy Fox
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Jeremy Fox »

Park Row

Un budget minuscule mais une vitalité confondante pour un film porté par un idéalisme et une ferveur que l'on avait rarement encore vu chez Fuller ; ça restera d'ailleurs l'un de ses films les plus 'positifs'. Il faut dire qu'il nous parle du journalisme et qu'il lui rend un vibrant hommage, comme il se doit. Ca reste un de mes Fuller préférés malgré le minimalisme de l'ensemble dû aux faibles moyens. Comme quoi, quand on croit à son histoire on n'a pas besoin de grand chose pour nous faire oublier les aléas de production. Gene Evans est formidable.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par bruce randylan »

Jeremy Fox a écrit :Park Row

Un budget minuscule mais une vitalité confondante pour un film porté par un idéalisme et une ferveur que l'on avait rarement encore vu chez Fuller ; ça restera d'ailleurs l'un de ses films les plus 'positifs'. Il faut dire qu'il nous parle du journalisme et qu'il lui rend un vibrant hommage, comme il se doit. Ca reste un de mes Fuller préférés malgré le minimalisme de l'ensemble dû aux faibles moyens. Comme quoi, quand on croit à son histoire on n'a pas besoin de grand chose pour nous faire oublier les aléas de production. Gene Evans est formidable.
Même chose, j'adore sa vitalité, son élan, sa passion contagieuse. Dans mon top 3 fullerien :D

J'en avais d'ailleus fait une critique pour 1kult
http://www.1kult.com/2014/01/10/violenc ... el-fuller/
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Jeremy Fox »

bruce randylan a écrit :J'en avais d'ailleus fait une critique pour 1kult
http://www.1kult.com/2014/01/10/violenc ... el-fuller/
Excellente critique ; je n'aurais pas su mieux dire.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Geoffrey Carter »

Également un de mes opus favoris du cinéaste. Réflexion intéressante sur le métier de journaliste, son rythme est exemplaire et impose le respect.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par ballantrae »

Film passionnant pas revu depuis des lustres.Je viens d'acquérir le DVD et vais le redécouvrir cette semaine avec un immense plaisir.Mais j'adore de nbx Fuller dont Shock corridor, 40 guns, Naked kiss, the big red one, Pick up...,Fixed bayonets .
Celui que j'aimerais revoir c'est White dog histoire d'en vérifier l'impact fort mais datant de qqs 25 ans!
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par mannhunter »

ballantrae a écrit :Celui que j'aimerais revoir c'est White dog histoire d'en vérifier l'impact fort mais datant de qqs 25 ans!
ô joie le film ressort en salles le 28 Mai! :D

http://www.legrandaction.com/index.php? ... le&id=2570

Le Blu Ray anglais d'Eureka sorti tout récemment est également de bonne facture.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Federico »

ballantrae a écrit :Celui que j'aimerais revoir c'est White dog histoire d'en vérifier l'impact fort mais datant de qqs 25 ans!
Je ne le placerai pas dans les plus grands Fuller et sa facture (assez télévisuelle) a du très mal vieillir... puisqu'il y a 30 ans, elle m'avait déjà désappointé (à l'époque, je ne connaissais que ses grands classiques des années 50-60). Mais le sujet reste très fort et certaines séquences doivent avoir conservé leur dérangeante efficacité.
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par Profondo Rosso »

La Maison de bambou (195)

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Au Japon, au pied du Mont Fuji, un homme est tué lors de l'attaque d'un train de munitions dans la banlieue de Tokyo. Eddie Spanier, un américain fraîchement débarqué, décide de mener sa propre enquête en essayant de survivre, tant bien que mal, dans les bas-fonds de la ville...

La Maison de Bambou est le premier film Hollywoodien intégralement tourné au Japon et inaugure d'ailleurs cette sorte de sous-genre du polar américain voyant un héros isolé découvrant les mœurs du japonaise comme dans Yakuza (Sydney Pollack, 1975) ou Black Rain (Ridley Scott, 1989). C'est précisément ce dépaysement qui a intéressé Fuller dans ce polar qui transpose au pays du soleil levant le scénario de Harry Kleiner déjà adapté dans La Dernière Rafale de William Keighley (1948). Suite au meurtre à Tokyo d'un américain possiblement lié à un hold-up son ami et ancien compagnon d'armes Eddie Spanier débarque au Japon pour le venger. Après avoir fait la connaissance de sa veuve japonaise Mariko (Shirley Yamaguchi) il va infiltrer la bande du redoutable Sandy (Robert Ryan) afin de remonter la piste de meurtrier.

La découverte de la culture nippone reste assez sommaire que ce soit par la nature soumise du personnage de Mariko associé à la femme japonaise, le folklore local reste en arrière-plan carte postale et finalement on ne quitte pas le point de vue des protagonistes américain qui reste entre eux. Néanmoins Fuller offre des vues superbes de ce Tokyo des 50's, capturant l'urgence des rues encombrées de kermesse agitées ou le port maritime, le choix de Robert Stack justifiant même cette approche documentaire. Gary Cooper était initialement prévu pour le rôle principal mais la notoriété de l'acteur aurait rendue impossible un tournage en pleine rue sans qu'il soit reconnu par les passants. Le technicolor, les cadrages et la recherche visuelle offrent réellement des moments captivant esthétiquement (magnifique photo de Joseph MacDonald) notamment les scènes intimistes entre Robert Stack et Shirley Yamaguchi. L'aspect le plus curieux et original du film reste cependant les sous-entendus homosexuels entre Robert Ryan et Robert Stack. Ryan offre un jeu tout à la fois menaçant et tendre à travers sa bienveillance envers Stack, Sandy dérogeant à sa règle de tuer ses acolyte blessés pour lui et provoquant la jalousie tendancieuse de son second joué par Cameron Mitchell. Les situations sont parfois sans équivoque (Ryan malmenant Mariko, se montrant presque tendre envers Griff agonisant juste après l'avoir criblé de balles) et par moments plus subtiles grâce au jeu trouble de Robert Ryan. Il faut voir son désarroi d'amant trahi lorsqu'il découvrira la couverture de Robert Stack et le procédé d'humiliation alambiqué qu'il lui réserve et causera sa perdre au final car il ne peut l'abattre froidement. Pas le meilleur polar de Fuller loin de là mais dépaysant et efficace. 4,5/6
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Laspalès
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Re: Samuel Fuller (1912-1997)

Message par mannhunter »

Un Fuller rare, téléfilm de 1990:

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