Robert Siodmak (1900-1973)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Cinetudes
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Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Cinetudes »

Salut,

Waha puisque tu apprécie les histoires de pirates, tu as déja du voir le fabuleux The Crimson Pirate (Le Corsaire Rouge je crois en vf!). :wink:
Si tu ne le connais je te le recommande absolument d'autant que le dvd zone 1 est d'une qualité remarquable.

The Crimson Pirate (1952) est la dernière oeuvre américaine de Siodmak et correspond à une sorte de récréation pour lui tant il diffère en tout du reste de son travail. Il s'avère pourtant une totale réussite et fait regretter qu'il ne se soit pas plus laissé attirer vers son penchant comique et débridé tant le résultat est frais et divertissant.

On y suit le Capitaine Vallo (Burt Lancaster) et son équipage de pirates détrousser le bateau du Comte Gruda (Leslie Bradley) dans les eaux des Caraïbes. Il leurs volent les armes destinées à écraser une rebellion dans une île proche. Le Capitaine épargne le Comte et son équipage afin de passer un marché avec eux concernant l'arrestation des rebelles. Il est convenu que Vallo et son fidèle bras droit muet Ojo (Nick Cravat) iront vendre les armes dérobées aux rebelles et une fois le marché conclu, livreront ces mêmes rebelles au Comte Gruda de façon à doubler leur mise. Evidemment rien ne va se passer comme prévu et le début de cette histoire mènera nos héros vers des aventures farfelues et pleines de rebondissements.

Dès l'impressionnante séquence d'introduction, il est évident que le film joue la carte du spectaculaire mais surtout de la farce et de la dérision. Un humour au second degré fort bienvenu dans ce genre de films (qui en manque souvent) nous rassure quant aux intentions du cinéaste et de ses interprêtes. Ainsi, le film s'adresse aux enfants même tous jeunes et aux adultes qui ont su rester de grands enfants tant le spectacle s'apparente à un numéro de cirque géant voire même un numéro de music-hall. Toutes les conventions du film de pirate sont présentes mais subtilement détournées. Pour exemple, une dispute entre Vallo et son second concernant justement des coutumes de pirates non respectées, vire à un pugilat verbal digne d'hommes politiques avec des dialogues à doubles sens et des civilités très peu flibustières.

Le réalisme, la véracité historique ou même la crédibilité dans le sérieux de l'histoire est le dernier soucis de Siodmak, celui-ci profitant du départ de son scénariste Waldo Salt (poursuivi par les sbires de McCarthy) pour diriger encore plus son film vers une farce complète, mais respectant suffisamment les règles du jeu pour garder de la cohésion. L'intrigue est donc un festival de rebondissements, de double jeu, de trahisons, le tout dans un esprit bon enfant mais pas stupide qui rend cette oeuvre non seulement plaisante à suivre mais surtout totalement attachante. Il ne faut pas chercher une quelconque morale, leçon ou justification d'un seul des actes présentés dans ce film, bien au contraire. Il est destiné à ravir les petits et les grands par ses cascades, ses poursuites, ses explosions, son histoire d'amour, son humour, ses anachronismes abracadabrants (nous vous laissons la surprise), le tout sans leur laisser le temps de réfléchir (ni leur en donner l'envie d'ailleurs).

En ce sens, le principe du film fait furieusement penser à celui qu'utilisera et perfectionnera Spielberg plus tard pour réaliser le chef-d'oeuvre du film d'aventure divertissant : Raiders of the Lost Ark (1981). Ainsi les prouesses physiques des héros sont tout à fait hors normes (l'équipage pirate nageant au moins 150 ou 200 m sous l'eau), les évènements hautement improbables et certains personnages utiles à la poursuite de l'action sont littéralement jetés dans le film sans plus d'explications (le scientifique). De même, pour se détacher encore plus de la réalité, aucun pays n'est jamais mentionné, il est question d'un roi mais on ne sait jamais lequel et la figure révolutionnaire El Libre est très vague. Il est également à noter que la violence est totalement déréalisée par l'absence de sang et l'énormité des scènes de batailles où les assaillants tombent comme des mouches.

Burt Lancaster et Nick Cravat forment un couple d'athlètes hors normes, et sans leur crédibilité physique (ils ne sont jamais doublés et leurs cascades sont sans filets) et leur complicité évidente, le film n'aurait pas eu le même impact. De plus, contrairement à d'autres cascadeurs, il savent jouer la comédie à la perfection. Si Burt Lancaster était un grand acteur doublé d'une star confirmée, son ami d'enfance et ancien acolyte (du temps où ils étaient voltigeurs) Nick Cravat, fait preuve d'un sens inné du jeu comique. Sa prestation en pirate muet à cigare est digne des grands acteurs comiques du burlesque.

On se prend souvent à penser aux dessins animés de Chuck Jones ou aux grosses farces du slapstick lorsque l'on voit nos deux hommes dans divers déguisements ou dans des prouesses physiques incroyables.

Nous vous conseillons donc ce film rafraîchissant si vous voulez retrouver votre âme d'enfant tout en gardant votre esprit d'adulte le temps d'un spectacle explosif, châtoyant et au final bougrement plus divertissant que la plupart des films d'aventure récents, comme si le moule avait été cassé.

Voici la critique que j'ai faite du dvd qui je l'espère vous donnera envie de vous régaler devant cet excellent film. :D

Stef
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Beule
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Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Beule »

Envie de connaître vos avis sur ce cinéaste (frère du romancier et scénariste Curt Siodmak spécialisé dans la littérature d'horreur) peu célébré et que je connais d'ailleurs encore fort mal, mais qui me laisse rarement indifférent. Envie de lui rendre hommage aussi.

On pourrait dire de lui qu'il est au Film noir ce que son (presque) compatriote et ami Sirk est au mélodrame: le dépositaire absolu d'une certaine marque de fabrique.

La touche Siodmak, qui confère à ses films noirs leur caractère oppressif si particulier , se caractérise par une recherche baroque, moins dans le découpage privilégiant volontiers les plans longs que dans les mouvements de caméras -complexes, tortueux, recourant avec génie aux panoramiques à la grue très obliques- ) et les distorsions optiques: immenses ombres portéees et déformées par une source de lumière fluctuante issue du plafonnier; cadrages insolites (ah ces plans "monstrueux" des mains qui tuent de Franchot Tone, de la "masseuse" de Conte dans La proie, ou de l'oeil dilaté de l'assassin dans Deux mains la nuit).

Ces recherches visuelles directement issues de l'expressionnisme allemand (et de sa collaboration passée avec le maître Schüfftan à la technique duquel il initia son futur chef op Elwood Bredel)sont bien évidemment la marque distinctive du film noir des années 40, mais chez Siodmak elles constituent une véritable signature et nourissent le plus souvent une ambiance pesante et presque rococo absolument inimitable: atmosphère trouble de bouge enfumé, filles alanguies à l'avant plan apparemment indifférentes tandis que se prépare un casse (The killers; Criss cross).

Reste que comme Sirk avec les mélos, il est probable que ces classiques du films noirs cachent pas mal d'autres perles, y compris dans sa carrière européenne.

Il suffit de songer à cet authentique sommet du cinéma français d'avant-guerre qu'est Mollenard, capitaine corsaire, tout à la fois un sommet d'extravagances baroques directement issues du Kammerspiel dans sa partie aventures exotique, et une charge sociale d'une causticité implacable à l'encontre des valeurs conservatrices et confinées des classes dirigeantes d'alors (les 12 familles) dans sa seconde partie (celle de la haine matrimoniale). Tout simplement l'un des plus brillants manifestes du cinéma du Front Populaire; ou bien encore cet étrange et très attachant film noir à la française, Pièges, hésitant entre structure en tableaux à sketches et l'enquête policière pure, surprenant par ses variations de ton et son ambiguïté sexuelle (les rapports de domination-soumission très prégnants entre Marie Déa et Jacques Varennes) qu'édulcorera largement le remake américain par ailleurs presque décalqué de Sirk, Lured.

De ses films d'après guerre je ne connais que son remake du Grand Jeu, atrocement désuet et visuellement très plat :shock: et Les Rats, adaptation virtuose d'une pièce naturaliste célèbre transposée dans le Berlin très glauque et ravagé d'après guerre. Son Custer of the west ne m'a laissé aucun souvenir précis autre que celui d'un désastre absolu.

Un petit top pour finir:

Mollenard un affrontement Harry Baur/Gabrielle Dorziat d'une puissance peu commune
The killers Le mètre-étalon pur et simple du film noir vénéneux
Phantom lady Une série B obsédante et mystérieuse. Un autre sommet du genre
Cry of the city Superbe film noir hésitant entre la veine naturaliste chère à Dassin et documentaire à la Rochemont
Criss cross Superbe variation, plus linéaire, sur le thème des tueurs transcendée par un score mémorable de Rozsa
Pièges brillantissime exercice de style
The spiral staircase Un sommet du cinéma de pure terreur, aux effets d'une prodigieuse invention
Mister Flow Une trahison de Gaston Leroux mais pleine d'ironie et superbement interprétée (Jouvet-Feuillère-Gravey). Le plus théâtral de tous les Siodmak qu j'ai vus
The suspect Impressionnant drame noir gothique avec un superbe Laughton
The crimson pirate Bondissant et exubérant pastiche du film de pirates devant plus à la personnalité de Lancaster qu'à celle de Siodmak mais néanmoins irrésistible.

nb: Quelqu'un connitrait-il l'ouvrage de référence de Hervé Dumon paru il y a une vingtaine d'années? Voilà bien longtemps que je le cherche en vain.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Alors que j'adore son premier film Les hommes le dimanche, le peu que j'ai vu ensuite m'a laissé sur ma faim, alors que j'ai vu ses films les plus réputés comme Les tueurs, Le corsaire rouge, L'affaire Nina B ou Katia.

Mais vu la filmo assez conséquente, je ne désespère pas.
O'Malley
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Message par O'Malley »

pas trop fan non plus: Les tueurs, La proie et Katia m'ont laissé indiférent.
Par contre Le corsaire rouge est agréablement coloré et amusant...
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

O'Malley a écrit : Par contre Le corsaire rouge est agréablement coloré et amusant...
oui voilà mais ça ne va pas plus loin pour moi malheureusement
O'Malley
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Message par O'Malley »

Jeremy Fox a écrit :
O'Malley a écrit : Par contre Le corsaire rouge est agréablement coloré et amusant...
oui voilà mais ça ne va pas plus loin pour moi malheureusement
Je dirais inventif aussi: mélange de piraterie et d'inventions à la Jules Verne...ce qui est déjà bcp pour un film de ce genre, je trouve :wink:
Sergius Karamzin
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Message par Sergius Karamzin »

"Les hommes le dimanche" un film incroyable avec 30 ans d'avance sur la Nouvelle Vague. Un bijou !
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Sergius Karamzin a écrit :"Les hommes le dimanche" un film incroyable avec 30 ans d'avance sur la Nouvelle Vague. Un bijou !
D'une étonnante modernité en effet. et un premier film aussi
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Tiens un réalisateur qui va nous mettre d'accord ! :lol:

J'apprécie beaucoup les films de Sidmak et, comme tu le rappelles justement, les influences de l'expressionnisme allemand s'y font beaucoup sentir. Je crois même que de tous les "spécialistes" du film noir, c'est chez lui que ces influences sont les plus évidentes et elles concernent tous les compartiments de la mise en scène.
Et les personnages sont aussi délirants que les éclairages ou les mouvements de caméra. Sans oublier l'érotisme suggéré (ah Ava dans Les Tueurs ou Yvonne de Carlo dans Pourquoi j'ai tué...).
J'adore The Spiral Staircase avec la photographie de Nicolas Musuraca, le chef-opérateur des prods Val Lewton (La féline, etc...)
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Beule
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Message par Beule »

Ah oui, Katia, je l'avais oublié celui-là :D , bon je ne pense pas qu'il soit très représentatif dans sa filmo. Quel besoin avaient-il de tourner un remake à la désastreuse bluette de Tourneur?

Par contre, vos réactions me renforcent dans ma conviction que vous deux, vous êtes décidément imperméables à l'atmosphère du film noir... :?

Par contre Jeremy, je n'ai jamais vu ni Tumultes ni Menschen am Sonntag, que tu vantes. Tu peux m'en dire plus? C'est clairement l'un des films que je rêve de découvrir.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Ce n'est pas faux Beule : dans l'ensemble, je me rends compte être trop imperméable au film noir à une vingtaine d'exceptions. :oops:

Je laisse Sergius te parler du film mais un film nouvelle vague et en même temps très formaliste que je n'ai pas revu depuis pas mal de temps.
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Beule
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Message par Beule »

Roy Neary a écrit :Tiens un réalisateur qui va nous mettre d'accord ! :lol:

J'apprécie beaucoup les films de Sidmak et, comme tu le rappelles justement, les influences de l'expressionnisme allemand s'y font beaucoup sentir. Je crois même que de tous les "spécialistes" du film noir, c'est chez lui que ces influences sont les plus évidentes et elles concernent tous les compartiments de la mise en scène.
Et les personnages sont aussi délirants que les éclairages ou les mouvements de caméra. Sans oublier l'érotisme suggéré (ah Ava dans Les Tueurs ou Yvonne de Carlo dans Pourquoi j'ai tué...).
J'adore The Spiral Staircase avec la photographie de Nicolas Musuraca, le chef-opérateur des prods Val Lewton (La féline, etc...)
Ouf :D
Jésus peur de me retrouver aussi seul dans la défense de Siodmak que dans la charge face à Ben Hur :wink:
Oui peu de cinéastes ont cette faculté à créer selon moi des plan marquées par une ambiance aussi trouble, à la fois sordide et sensuellement très suggestifs comme tu le dis. Le regard cinématographique de Siodmak dans ses films noirs est effectivement très délirant et il renvoie paradoxalement l'image d'une sorte de référence dans la conception du milieu. :wink:
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christian
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Message par christian »

"Les tueurs" est un film pourtant connu mais que j'ai jamais encore trouvé le temps de visionner, cela dit avec une musique si géniale (une des meilleures de Miklos Rozsa - très Bartokienne), ça peut pas être mauvais ;-)
O'Malley
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Message par O'Malley »

C'est vrai que le film noir n'est pas mon genre de prédilection, sauf lorsqu'il est au service d'une forte personnalité comme Welles ou Kubrick...ou donne des oeuvres étranges tels Et Tournent les chevaux de bois de R.Montgomery.
par contre, je suis très désireux de découvir Les mains qui tuent ou Pour toi, j'ai tué de Siodmak...
Sergius Karamzin
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Message par Sergius Karamzin »

"Les hommes le dimanche", j'en parle plus donc, puisque Jeremy me l'intime.

Film remarquable, tourné par Siodmak, mais en groupe, Wilder est là, Zinnemann prête la caméra je crois.

Ce qui est le plus frappant, c'est que le film date de 1930 je crois, et que c'est de toute évidence la première fois qu'on filme comme ça. Le film suit des personnages, mais dès les dix premières minutes passées, on est en pleine rue, dans des parcs, à la mer, etc. Tout semble documentaire, la caméra bouge, à l'épaule, les plans sont incroyables, on est tout simplement en pleine Nouvelle Vague avant l'heure.

J'ai une VHS que je chéris amoureusement, enregistrée il y a environ 3 ans sur Arte, avec une bande son originale commandée par Arte, qui est très belle (car le film est muet, est-il besoin de le préciser ? même si c'est le début du parlant ici le film est fait sans moyens).

La copie était très honnête, et le film est stupéfiant, c'est un choc pour moi.

Je ne sais pas pourquoi Siodmak n'a jamais réédité ce type de film, à mon avis parce que les studios n'attendaient pas du tout cela, c'était trop moderne, trop fou, trop avant-gardiste.
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