Robert Siodmak (1900-1973)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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semmelweis
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par semmelweis »

The Killers

Après une semaine difficile au travail, je me suis lancé dans un film noir tant vanté dans le livre de Brion. Je remercie d'ailleurs Brion pour son superbe travail sur le genre. Au bout du compte, le film m'a soufflé dès son introduction. Celle-ci est d'une incroyable modernité, une espèce de synthèse du film noir. Siodmak instille une tension palpable nous rappelant les dialogues des affranchis de Scorsese. Le film m'a beaucoup marqué dans le sens que je me suis rendu compte à quel point il avait du influencé d'autres cinéastes. Le plan séquence lors du braquage nous rappelle l'ultime Razzia de Kubrick. Le début du film porte des dialogues qui peuvent rappeler Pulp Fiction. Les tueurs est l'archétype du film noir avec toutes les figures et les ingrédients qui font le genre. Eva Gardner joue une femme fatale se mentant à elle-même. Elle est une figure qui traverse le film à la fois fantomatique et la cause de tout. Lancaster impressionne par son charisme, son regard naif et enfantin dans un corps gigantesque. Il promène son regard désenchanté. La construction en flash back apporte un aspect tortueux au récit. D'ailleurs, on peut regretter l'aspect sans doute un peu froid du film où il est difficile d'être touché par l'histoire en particulier à travers le personnage de détective de l'assurance. En somme un film majeur dans le genre qui contient toutes les bases de ce genre prédominant dans les années 40 et qui montre avant tout le niveau exceptionnel du cinéma américain de cette époque.
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Federico »

Beule a écrit :cet étrange et très attachant film noir à la française, Pièges, hésitant entre structure en tableaux à sketches et l'enquête policière pure, surprenant par ses variations de ton et son ambiguïté sexuelle (les rapports de domination-soumission très prégnants entre Marie Déa et Jacques Varennes) qu'édulcorera largement le remake américain par ailleurs presque décalqué de Sirk, Lured.
Je rejoins en tous points cet avis. Pièges est vraiment un film qui détonne de la production française de l'époque par une franchise et une noirceur que seul pouvait amener un réalisateur allemand exilé et où se devine le futur maître du film noir. Un patchwork étrange qui comme dit Beule navigue entre plusieurs atmosphères puisqu'au centre d'une histoire criminelle bien crapoteuse (et même de deux) on a droit à des intermèdes de caf'conc' avec un Momo de ces dames en grande forme et à des séquences de micro-climat de valetaille qui rappellent par moment celles de la domesticité du château de La règle du jeu.
La distribution, la direction d'acteurs et les dialogues (d'un naturel et d'une audace rares) sont remarquables. André Brunot campe un commissaire bon enfant éminemment sympathique. Temerson (un des "excentriques" de l'époque que je préfère) est comme d'hab' extra. Mais les deux atouts majeurs du film sont Marie Déa et Maurice Chevalier.
En plus d'être une des plus ravissantes actrices de l'époque, Déa montre une classe et une élégance folles et comme l'a écrit Beule, ses échanges avec l'étrange Jacques Varennes dans la séquence où il va dans sa chambre sont anthologiques. Il faut le voir passant à la seconde de l'état de petit maître à celui d'inoffensif toutou, sursautant avec un piteux "Madame !"-réflexe face à celle qu'il était venu sauter et qui a soudain endossé le costume de dominatrice ! :shock: La sophistication en moins, on n'est pas loin des rapports ambigus entre Diello et la Comtesse dans L'affaire Cicéron.
Quant à Chevalier, il trouve là un de ses meilleurs rôles avec ses grandes heures chez Lubitsch. D'abord dans son emploi classique de noctambule Parisien à l'oeil qui frise, charmeur et beau parleur et à qui aucune ne résiste puis dévoilant une palette dramatique formidable dès lors qu'il est accusé de la disparition des jeunes femmes. Vraiment dommage qu'on ne lui ait pas assez souvent offert de telles occasions d'étaler son talent à plusieurs facettes.
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Petit bémol sur le personnage du grand couturier devenu cinglé qui fait des défilés pour personne interprété par un von Stroheim qui semble rejouer son Grand Gabbo (même si l'instant où il ouvre son placard sur des mannequins fait son petit effet)...
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...et sur la dernière partie du film où on cerne trop vite le véritable coupable.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je pense que les spectateurs de l'époque n'ont certainement pas hésité longtemps entre Chevalier et Pierre Renoir. Ceci dit, Siodmak créé une atmosphère à la M, le maudit lors de la scène où Renoir contemple avec un regard fou la superbe Marie Déa endormie alanguie sur son fauteuil, son visage de psychopathe éclairé par le feu de cheminée et avec pour seul son le tic-tac angoissant d'une pendule.
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Quelques scories finalement mineures (j'ajouterai aussi l'énervant et encombrant personnage du marlou toulonnais qui se fait passer pour un Grec) dans un film qui vaut plus que le détour.
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Supfiction »

beb a écrit :Vacances de Noël (Christmas Holiday) 1944

Un vrai ratage.
scénario ahurissant. le début du film n'a aucun intéret et en plus aucun rapport avec la suite, le rebondissement final est stupéfiant de betise.
Les second rôles sont plutôt bons (à noter Gladys George dans le role de la tenancière de bordel et Gale Sondergaard dans le rôle de la mère de Gene Kelly) mais les 1er rôles sont affligeants.
Gene Kelly est très fade, bon d'accord c'est un de ses 1er rôle.
Si vous ne connaissiez pas Deanna Durbin, et bien vous n'avez rien perdu, insupportable.
Quant à Dean Harens, c'était son 1er film et quasiment le dernier, on s'en réjouit tous.
On pourrait citer comme exemple supplémentaire, les scènes longues à mourir dans l'église et au concert.

Non vraiment, en dehors des 2nd rôles et à la rigueur de la photo, rien de rien, passer votre chemin !!
Avis un peu dur sur ce film certes bancal, noir dans le fond (mélancolie et aliénation des personnages) plus que dans la forme. C'est sûr qu'on est très (très loin) des meilleurs Siodmak mais le film se laisse voir pour le charme de Deanna Durbin et d'un jeune Gene Kelly très à l'aise dans les scènes romantiques dans lesquelles il fait son numéro de charme irrésistible.
Il n'en est pas exactement de même lorsqu'il s'agit dans le dernier tiers de jouer un peu les durs.
La dernière scène est effectivement ridicule, limite involontairement drôle, mais la mise en scène peu inspirée n'y est pas pour rien (avant Marion Cotillard par Christopher Nolan il y eu donc Gene Kelly par Siodmak..).

A propos de Deanna Durbin, il est étonnant que cette actrice ai été si populaire et aujourd'hui totalement inconnue. Pour ma part, la première fois que j'ai entendu son nom, c'était dans le célèbre sketch de Fernand Raynaud (Di na Dure bain).
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Flavia »

Mollenard (1938) - Robert Siodmak

Excellent film porté par Harry Baur magistral, qui apporte à Mollenard une force tragique, et il est difficile de ne pas être ému par le destin de cet homme. La seconde partie du film est d'une forte tension avec l'affrontement terrible entre Mollenard et sa femme interprétée par Gabrielle Dorziat (elle incarne à la perfection l'épouse aigrie, féroce, glaciale). Les seconds rôles ne sont pas à négliger, en particulier Albert Préjean excellent.
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Jeremy Fox »

Les Tueurs par Ronny Chester ; le film vient de sortir en Bluray chez Carlotta.
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Addis-Abeba »

Sacré metteur en scène quand même quand on voit Criss Cross, la scène où Burt Lancaster, cloué sur son lit d’hôpital et attend la visite d'un tueur est d'une redoutable efficacitée, découpée de façon merveilleuse, très Hitchcockienne.
Mais c'est surtout le casse filmé de manière hallucinante qui m'a encore plus impressionné, avec une utilisation tellement ingénieuse de la fumée provoquée par du gaz lacrymogène, du très grand art, avec juste avant, lors de l'arrivée du fourgon Brink, des plans pris de biais du haut de l'immeuble là encore à tomber.
Yvonne de Carlo parfaite, j'aime beaucoup cette actrice, et surtout le formidable Burt Lancaster jamais aussi bon que lorsque il interprète des personnages vulnérables. Belle découverte.
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Profondo Rosso »

La Proie (1948)

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Blessé dans un affrontement avec les forces de l'ordre, au cours duquel il a tué un policier, Martin Rome est hospitalisé. Le lieutenant Candella, originaire comme Rome du quartier italien de New York, Little Italy, et camarade d'enfance du malfrat, cherche à savoir où se trouve Tina Riconti, son amie et présumée complice

Après avoir montré ses exceptionnelles aptitudes dans le film noir tant dans sa veine atmosphérique (Les Mains qui tuent (1944)), tragique (Les Tueurs (1946)) que psychanalytique (Double énigme (1946)), Robert Siodmak arpentait l'asphalte new yorkaise pour tâter de du versant polar urbain du genre. Prêté par la Universal à la Fox, Robert Siodmak se plie donc aux standards réalistes du studio dirigé par Darryl Zanuck. On s'éloigne donc des ambiances tortueuses des essais précédent pour un très concret duel moral dans les ruelles du quartier de Little Italy. Martin Rome (Richard Conte) a surmonté son extraction modeste par le crime quand le lieutenant Candella (Victor Mature) issu du même milieu et qui le traque aura choisi le chemin de la loi. Le début du film semble lui donner raison alors que Martin est à l'agonie après une fusillade où il a abattu un policier. Surmontant tant bien que mal ses blessures, Martin va néanmoins survivre et tenter une évasion. Le scénario ingénieux joue à la fois d'un destin capricieux et des bas-instincts intacts du malfrat qui va retourner le piège tendu par un avocat véreux pour récupérer le butin d'un vol dont on cherchait à l'accuser quand il était à l'agonie. L'entourage de Martin dépité de Martin (sa famille et sa petite amie) semble au départ humaniser le criminel mais sert peu à peu à révéler son égoïsme. Les échanges entre le flic et le truand sont remarquable, Candella balayant l'excuse sociale qu'argue Martin quant à ses mauvais penchants. Il a voulu la grande vie et l'a menée par tous les moyens sans se soucier de ses proches.

Siodmak salue ainsi l'instinct de survie de Martin à travers le jeu malicieux et sournois de Richard Conte, mais c'est pour mieux détruire se relatif capital sympathie dans les actes de violence du personnage. Il sèmera ainsi le chaos tant par ses crimes que par les naïfs et/ou désespéré qu'il entraîne dans sa spirale criminelle. Le réalisateur place ses deux héros à égalité dans leur rapport à la rue et la mise en scène n'épouse l'approche réaliste de la Fox que dans l'intégration des protagonistes à cet environnement urbain. Chacun à leur tour dissimulé dans la pénombre des ruelles dans leur jeu de chat et de la souris, ils seront affaiblis et blessé de la même manière au fil du récit. Mais quand Victor Mature même vacillant conserve la dignité de la droiture et justice qu'il représente, Richard Conte voit son éclat initial se ternir par une pesante solitude et une faiblesse qui en fait la proie de la terrible matrone incarnée par une Hope Emerson adepte de la strangulation. Tout le film est imprégné de cet affrontement moral, où la réussite de l'enquête sera un sacerdoce pour Victor Mature quand elle ne sert qu’un larcin égoïste de plus pour Richard Conte. L'ultime confrontation n'en est que plus intense à travers ces enjeux, Robert Siodmak les ayant amené par une habile et touchante (très belle figure de mère) réflexion sociale. 5/6
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Supfiction »

En Mai (enfin):

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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Jack Carter »

deja dispo depuis au moins deux semaines sur la boutique tamasa, pas encore deblisterer mon exemplaire d'illeurs...
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Commissaire Juve
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Commissaire Juve »

UP ! Anecdote "passionnante" de la journée.

Hier soir, un truc à la télé m'a fait penser aux gens qui avaient creusé de tunnels à Berlin pour se sauver de RDA. Et à un film que j'avais vu quand j'étais gamin. Un film passé un après-midi, pendant les vacances de Noël probablement.

J'ai cherché et... arf ! C'était Tunnel 28, de Siodmak (1962). Dans l'après-midi du 12 février 1974, sur Antenne 2 (date correspondant aux vacances de février).

PS : et le 10 février (dimanche), TF1 avait passé Jules César de Mankiewicz.

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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Alexandre Angel »

Commissaire Juve a écrit :J'ai cherché et... arf ! C'était Tunnel 28, de Siodmak (1962). Dans l'après-midi du 12 février 1974, sur Antenne 2 (date correspondant aux vacances de février).

PS : et le 10 février (dimanche), TF1 avait passé Jules César de Mankiewicz.
Whah, la précision! Et toi, par hasard, tu n'avais pas vu Planète interdite pendant les vacances de Toussaint 1973?
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Commissaire Juve »

Alexandre Angel a écrit :
Commissaire Juve a écrit :J'ai cherché et... arf ! C'était Tunnel 28, de Siodmak (1962). Dans l'après-midi du 12 février 1974, sur Antenne 2 (date correspondant aux vacances de février).

PS : et le 10 février (dimanche), TF1 avait passé Jules César de Mankiewicz.
Whah, la précision! Et toi, par hasard, tu n'avais pas vu Planète interdite pendant les vacances de Toussaint 1973?
Absolument !
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Alexandre Angel »

:D
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par David Locke »

Federico a écrit : 25 juin 13, 00:20
Beule a écrit :cet étrange et très attachant film noir à la française, Pièges, hésitant entre structure en tableaux à sketches et l'enquête policière pure, surprenant par ses variations de ton et son ambiguïté sexuelle (les rapports de domination-soumission très prégnants entre Marie Déa et Jacques Varennes) qu'édulcorera largement le remake américain par ailleurs presque décalqué de Sirk, Lured.
Je rejoins en tous points cet avis. Pièges est vraiment un film qui détonne de la production française de l'époque par une franchise et une noirceur que seul pouvait amener un réalisateur allemand exilé et où se devine le futur maître du film noir. Un patchwork étrange qui comme dit Beule navigue entre plusieurs atmosphères puisqu'au centre d'une histoire criminelle bien crapoteuse (et même de deux) on a droit à des intermèdes de caf'conc' avec un Momo de ces dames en grande forme et à des séquences de micro-climat de valetaille qui rappellent par moment celles de la domesticité du château de La règle du jeu.
La distribution, la direction d'acteurs et les dialogues (d'un naturel et d'une audace rares) sont remarquables. André Brunot campe un commissaire bon enfant éminemment sympathique. Temerson (un des "excentriques" de l'époque que je préfère) est comme d'hab' extra. Mais les deux atouts majeurs du film sont Marie Déa et Maurice Chevalier.
En plus d'être une des plus ravissantes actrices de l'époque, Déa montre une classe et une élégance folles et comme l'a écrit Beule, ses échanges avec l'étrange Jacques Varennes dans la séquence où il va dans sa chambre sont anthologiques. Il faut le voir passant à la seconde de l'état de petit maître à celui d'inoffensif toutou, sursautant avec un piteux "Madame !"-réflexe face à celle qu'il était venu sauter et qui a soudain endossé le costume de dominatrice ! :shock: La sophistication en moins, on n'est pas loin des rapports ambigus entre Diello et la Comtesse dans L'affaire Cicéron.
Quant à Chevalier, il trouve là un de ses meilleurs rôles avec ses grandes heures chez Lubitsch. D'abord dans son emploi classique de noctambule Parisien à l'oeil qui frise, charmeur et beau parleur et à qui aucune ne résiste puis dévoilant une palette dramatique formidable dès lors qu'il est accusé de la disparition des jeunes femmes. Vraiment dommage qu'on ne lui ait pas assez souvent offert de telles occasions d'étaler son talent à plusieurs facettes.
Image
Petit bémol sur le personnage du grand couturier devenu cinglé qui fait des défilés pour personne interprété par un von Stroheim qui semble rejouer son Grand Gabbo (même si l'instant où il ouvre son placard sur des mannequins fait son petit effet)...
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...et sur la dernière partie du film où on cerne trop vite le véritable coupable.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je pense que les spectateurs de l'époque n'ont certainement pas hésité longtemps entre Chevalier et Pierre Renoir. Ceci dit, Siodmak créé une atmosphère à la M, le maudit lors de la scène où Renoir contemple avec un regard fou la superbe Marie Déa endormie alanguie sur son fauteuil, son visage de psychopathe éclairé par le feu de cheminée et avec pour seul son le tic-tac angoissant d'une pendule.
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Quelques scories finalement mineures (j'ajouterai aussi l'énervant et encombrant personnage du marlou toulonnais qui se fait passer pour un Grec) dans un film qui vaut plus que le détour.
Découvert Pièges (1939) hier soir (acquis dans l'offre 4 pour 2 de la FNAC), et quelle claque !

C'est le chaînon manquant entre un faisceau d'influences européennes : le réalisme poétique, ses figures populaires et son sens du tragique (Carné), le naturalisme d'un monde régi par les pulsions (Stroheim - présent dans le film ! - ou Bunuel), l'expressionnisme d'une société gangrenée (Lang) et la comédie sophistiquée (Lubitsch) - et le Film Noir américain.
En fait, on peut arguer qu'il s'agit là du premier film noir de l'histoire du cinéma !

Dans tous les rapports humains présentés dans le film, seule la pulsion (principalement sexuelle et masculine) est clairement affichée. A ce titre, le film est d'une modernité confondante, explicitant et dynamitant avec férocité un patriarcat qui commence seulement à vaciller dans le monde d'aujourd'hui. Tout le reste est tapi dans l'ombre, masqué par le règne du faux (les "pièges" du titre), à commencer par l'identité des gens : chacun endosse des rôles changeants, que ce soit pour commettre des actes criminels, cacher des secrets plus ou moins avouables, ou traquer les-dits criminels.

Ainsi, la performance versatile de Marie Déa, alors débutante, est le cœur du film : elle va endosser plusieurs identités et métiers pour approcher des personnages louches, et découvrir qui fait disparaître des jeunes femmes dans Paris. Et tout cela avec un sentiment d'euphorie, comme si le jeu des masques était confondu avec l'acte de vivre.

La dualité qui habite chaque personnage se répercute alors sur chaque scène qui se transforme en duel, en affrontement de deux volontés, et où, formellement, le ton bascule d'un pôle à l'autre : suspense, comédie, gothique, policier, comédie musicale...
Pourtant, Siodmak réalise un film qui, loin d'un patchwork informe, est, grâce justement à ces ruptures de ton, constamment en tension, et finit par faire perdre pied au spectateur, lui laissant une sensation d'étourdissement et d'inquiétude qui sourd.

Arrimé au(x) personnage(s) incarné(s) par Marie Déa, le spectateur se délecte de l'abattage de l'héroïne, de son audace : elle tient la dragée haute à la police (quel que soit le niveau hiérarchique), à un Chevalier en grande forme, à un Stroheim en génie paranoïaque, sans parler du pauvre Jacques Varennes qui en fait les frais dans une scène stupéfiante, etc. Les dialogues et les situations sont jubilatoires, et chaque scène séduit et ensorcelle.

Cependant, en baignant son film dans une atmosphère indistincte, et en l'encadrant par des scènes qui exacerbent la vulnérabilité de nos vies, c'est bien l'amertume d'un grand film noir pessimiste sur la nature humaine qui sourd de cette oeuvre magistrale.
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Robert Brisseau
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Re: Robert Siodmak (1900-1973)

Message par Robert Brisseau »

J’ai « re-revu » Les Tueurs: décidemment, le "citizen kane du film noir" ne passe toujours pas.
Lancaster est souvent transparent, et pas aidé par le montage. L’idée des nombreux flashbacks ne paie pas toujours, notamment lors de la tentative de suicide du Suédois : comme l’acte n’est motivé par aucune raison encore connue du spectateur (on est au début du film), on reste étranger au drame. Et décidemment, bien curieuse idée de ne plus montrer Lancaster à partir du moment où il s’est fait descendre : autant dans la chambre après les coups de feu, c’est acceptable car volontairement stylisé, mais à la morgue la scène est filmée de manière à induire une ambiguité (visage caché). Faux-suspense gratuit indigne de Siodmak, ou quelque chose m’échappe-t-il ? (ou Lancaster n'était plus dispo?)
C’est une autre raison subtile qui fait qu’on ne s’intéresse décidemment pas au tragique de la situation, car on n’exclut pas un coup de théâtre.
Pour résumer mon sentiment, je vois autant de confusion que de maestria dans tout ça. Le scénario est vraiment moyen: est-il confirmé que John Huston et Richard Brooks l'ont co-signé?

Reste Ava Gardner (sur le lit). Et William Conrad (au comptoir). Et le casse (à l'usine).
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