Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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ballantrae
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1961)

Message par ballantrae »

J'étais mercredi dernier au MK2 pour la soirée présentée par Agnès Varda et ses deux actrices principales Corinne Marchand et Dorothée Blank ( la modèle).Trois dames charmantes, pleines d'esprit et de verve pour la reprise d'un joyau qui n'a pas pris lui non plus une ride.
Ce film est sûrement l'un des plus beaux d'Agnès Varda et l'un des plus beaux films français des 60' par la richesse de ses registres, sa fluidité narrative et sa inventivité plastique.
Cet automne en revoyant pour notre cinéclub Les glaneurs et la glaneuse, je me disais qu'Agnès Varda avait une liberté créative étonnante qui empêchait de la "classer", de lui mettre une étiquette rapide.j'en ai eu la confirmation en revoyant ce chef d'oeuvre qui me donne envie de redécouvrir Sans toit ni loi, Jacquot de Nantes, Le bonheur et bien sûr tous ses courts et moyens métrages formidables.
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G.T.O
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par G.T.O »

Découvert hier soir.
Pas fan, je trouve le film assez inégal.
Certains ont pu reprocher au film son manque d'empathie. J'ignore si c'est cela qui produit cette distance, derrière laquelle le film se loge un peu trop facilement par excès de pudeur, mais j'ai plus ressenti ça comme une lacune, tant il confère au film un aspect léger, trop léger, presque dérisoire. Cléo sait qu'elle est malade. C'est un choc qui la dévisse de sa trajectoire, et lui permet de redécouvrir le monde. Cléo pleure. Un peu, au début. Après, la chose est limite oubliée. Pas trop angoissée, juste un peu déboussolée la petite. Le film donne l'impression de se lasser très vite de son point de départ et de ses enjeux. Rapidement, il devient une espèce de méditation presque inconséquente, limite burlesque, sur l'existence et la solitude. J'ai eu un peu de mal à éprouver quoique ce soit à ce qui arrive à Cléo, à ce personnage pas très bien joué, Dorian gray moderne, aussi convenue que la critique des illusions que fait le film dans sa première partie. L'idée qu'elle se réveille, commence à vivre, dés lors qu'elle se sait malade voire condamnée ( ?), est, pourtant, une belle idée. Mais, elle est bousillée par un vouloir-dire qui, enferme chaque rencontre dans un discours, confisque au film toute sa force d'évocation. Une puissance s'exprimant admirablement dans la matière documentaire muette, hélas, atténuée par une volonté de créer un conte moderne, avec ces équivalents, et de jouer avec les codes, où ce qui est découvert compte moins que le jeu de la découverte. Faux-étonnement tenant lieu d'étonnement. Forcément décevant.
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Demi-Lune
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Demi-Lune »

Je viens de le découvrir. C'est très bizarre: je connais peu de films pour lesquels mes sentiments ont brusquement viré de bord au détour d'une simple scène. Le film est vraiment parti de loin. D'une façon générale, je trouve moi aussi que le film est en-deçà du potentiel de son pitch (très fort, il faut bien le dire). Il y a une ligne de mire dramatique forte qui est l'attente des résultats médicaux, et pourtant, elle ne suffit pas pour moi à incarner réellement les vagues à l'âme et les déambulations de Cléo durant ces deux heures. Les enjeux sont effectivement lâches, Cléo apparaissant inconstante, schématique, et sa préoccupation par rapport à sa maladie et sa possible condamnation, sortie du chapeau par-ci par-là sans qu'on comprenne vraiment la psychologie du personnage. La beauté et la grâce de Corinne Marchand irradient l'écran d'une manière insensée, mais bon, en un mot comme en cent, je me faisais chier, quoi. Jeu très affecté des comédiens, séquences creuses à rallonge... tout cela m'était inintéressant à suivre, à un ou deux soubresauts près (la chanson Sans toi avec Legrand, le muet parodique avec Godard et Karina).
Bref, j'avais pris le parti de faire mon deuil du film et puis, ô miracle, il y a, dans les dernières vingt minutes, cette fameuse rencontre avec Antoine Bourseiller, qui joue le militaire en perm'. Pas que le comédien joue mieux que ses camarades, mais je sais pas, il y a une magie qui commence à opérer à ce moment-là. Ces instants passés entre Cléo et Antoine, avant le verdict fatidique, sont immortalisés par Varda comme un état de grâce retrouvé. C'est ce qui m'a franchement bouleversé dans l'ultime plan, dans la cour de la Salpêtrière: cette plénitude toute en regards, la mise sur la même longueur d'onde de deux âmes en peine que l'on est triste de quitter. Même si la séparation est en creux, ce plan soulève des promesses sur la vie. Par effet d'à-coup, cette rencontre et cette fin donnent presque une autre saveur sur tout ce qui précédait... à redécouvrir.
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G.T.O
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par G.T.O »

Demi-Lune a écrit : Bref, j'avais pris le parti de faire mon deuil du film et puis, ô miracle, il y a, dans les dernières vingt minutes, cette fameuse rencontre avec Antoine Bourseiller, qui joue le militaire en perm'. Pas que le comédien joue mieux que ses camarades, mais je sais pas, il y a une magie qui commence à opérer à ce moment-là. Ces instants passés entre Cléo et Antoine, avant le verdict fatidique, sont immortalisés par Varda comme un état de grâce retrouvé. C'est ce qui m'a franchement bouleversé dans l'ultime plan, dans la cour de la Salpêtrière: cette plénitude toute en regards, la mise sur la même longueur d'onde de deux âmes en peine que l'on est triste de quitter. Même si la séparation est en creux, ce plan soulève des promesses sur la vie. Par effet d'à-coup, cette rencontre et cette fin donnent presque une autre saveur sur tout ce qui précédait... à redécouvrir.
Je suis totalement d'accord avec ce que tu dis. Cette rencontre arrive trop tard dans le film, au terme d'un voyage qui, sans être désagréable, est variablement intéressant. On a vraiment l'impression que le film fonctionne par parties, lesquelles possèdent une identité propre. Et, chacune d'entres-elles, ressemblent à une petite pièce de théâtre qui décline un thème : le narcissisme dans la boutique, les affres de la création artistique, l'admiration...etc Tout cela est très sympa mais aussi très appliqué. Très théorique, parfois...jusqu'à cette rencontre qui est une partie n'ayant rien à démontrer, où les personnages, à commencer par Cléo, comment à vivre. Je pense que l'émotion, à ce moment-là, découle, précisément, de ce "lâcher-prise".
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Karras
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Karras »

Demi-Lune a écrit : Bref, j'avais pris le parti de faire mon deuil du film et puis, ô miracle, il y a, dans les dernières vingt minutes, cette fameuse rencontre avec Antoine Bourseiller, qui joue le militaire en perm'. Pas que le comédien joue mieux que ses camarades, mais je sais pas, il y a une magie qui commence à opérer à ce moment-là.
Même sentiment, je ne sais pas si Linklater s'en ai inspiré, mais j'ai retrouvé dans cette partie tout ce que j'adore dans la trilogie Sunset/midnight.
Découvert le film dans l'édition dvd anglaise de chez Artificial Eye qui, malheureusement, impose les sous-titres anglais.
Bonus intéressants, également, on l'on apprend que Madonna avait souhaité en faire un remake dans les années 80 ; et sur la genèse "des Fiancés du pont Mac Donald", le petit épisode burlesque on l'on reconnait notamment J.L. Godard.
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Demi-Lune
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Demi-Lune »

Karras a écrit :
Demi-Lune a écrit : Bref, j'avais pris le parti de faire mon deuil du film et puis, ô miracle, il y a, dans les dernières vingt minutes, cette fameuse rencontre avec Antoine Bourseiller, qui joue le militaire en perm'. Pas que le comédien joue mieux que ses camarades, mais je sais pas, il y a une magie qui commence à opérer à ce moment-là.
Même sentiment, je ne sais pas si Linklater s'en ai inspiré, mais j'ai retrouvé dans cette partie tout ce que j'adore dans la trilogie Sunset/midnight.
Ce n'est pas impossible, compte tenu du rayonnement de Varda aux États-Unis depuis longtemps. Le rapprochement me plaît bien, en tout cas.

La dernière image avec cet échange de regards et cette suspension dans le temps reste une des plus grandes fins que je connaisse, de ces actes de foi obsédants qui font passer le 7e art dans une autre dimension.
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Karras
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Karras »

Demi-Lune a écrit : Ce n'est pas impossible, compte tenu du rayonnement de Varda aux États-Unis depuis longtemps. Le rapprochement me plaît bien, en tout cas.
Il semble que cette biographie de Linklater fasse aussi le rapprochement ( en particulier sur la scène du bus de Before Sunrise ). :idea:
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Supfiction »

Je rejoins les enthousiastes. Ayant vu Visages, Villages avant (en salle l’année dernière), j’y retrouve en fait le même message essentiel: la recherche de la lumière. La maladie dans Cléo n’est qu’un prétexte, qu’une allégorie du pessimisme et de la peur. Tout le film n’est qu’un parcours vers le bonheur et le positif. Happiness therapy!
Bien vu pour le rapprochement avec Before Sunset en particulier. C’est valable pour la forme (film en faux temps réel) et le fond aussi (un homme et une femme qui parlent avec une presque totale franchise des relations amoureuses.

Le film se bonifie avec le temps et constitue aujourd’hui une oeuvre magistral témoin de son époque. On découvre le Paris de 1960 et par de menus détails (des inscriptions sur les murs, la radio dans la voiture...) le contexte historique, la mode, le comportement des gens (le serveur du café qui s’inquiète de la santé de Cléo, la joie et les farces de Michel Legrand, etc), les moeurs. Varda avait-elle conscience de raconter son époque pour les générations futures ? On peut le penser. Au moins inconsciemment.
Nestor Almendros
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Re: Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda - 1962)

Message par Nestor Almendros »

"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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