John Cassavetes (1929-1989)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Gounou
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Re: John Cassavetes

Message par Gounou »

Bon, je remonte ce topic parce qu'il m'est arrivé un truc rare et assez bizarre ce soir et j'ai besoin d'en témoigner tout de suite... :
je viens de découvrir John Cassavetes en visionnant A Woman Under Influence. Et je peux le dire... c'est un choc. Mais pas un choc commun... un choc vraiment agressif. Pour le dire de façon plus explicite : j'avais vraiment, vraiment hâte que ça se termine dans la dernière demi-heure parce que ce que je voyais me devenait difficilement supportable.J'avais grand besoin d'air, j'en étais irrité ! Je n'ai jamais vu pareilles scènes d'hystérie, de tension puis de violence psychologique étirées à l'extrême. C'est très déstabilisant parce que si je ne peux qu'être admiratif de la façon dont Cassavetes capte ce glissement dans la folie qui vampirise le cocon familial, de la direction de ses acteurs poussés dans leurs derniers retranchements, etc. ...c'était aussi parfois pénible car les prises rassurantes auxquelles se raccrocher se raréfient à mesure que le film avance.... à tel point que les images finales, si soudainement apaisées, m'ont semblé complètement irréelles. Bref, j'aimerais bien recueillir deux trois témoignages, en fait... j'ai à la fois très envie d'en voir plus (pour en savoir plus, également) et en même temps un peu peur d'en chier à nouveau trop rapidement.

Ce qui est certain, c'est que ça va turbiner dans les jours à venir...

EDIT : Gena Rowlands devient immédiatement l'actrice la plus sidérante que j'ai jamais vue.
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Watkinssien
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Re: John Cassavetes

Message par Watkinssien »

Je te conseille Husbands (à mes yeux le plus beau Cassavetes), pour te donner une idée précise de son cinéma, celui qui le définit le plus (et tu as commencé par une oeuvre magnifique d'énergie, harassante et totalement hors du commun, qui caractérise son art de la manière la plus brutale).
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Truffaut Chocolat
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Re: John Cassavetes

Message par Truffaut Chocolat »

Quand tu regardes Faces par exemple, tu sens que c'est filmé dans l'urgence, dans un couloir dont il se fout bien qu'il soit mal éclairé, tant pis si c'est approximatif. Dans un autre film, c'est Peter Falk qui arrive bourré devant la caméra, mais c'est pas grave... Il cherchait une certaine forme de vérité, d'authenticité, qui te fait penser que ça n'est pas du chiqué, et en un sens, "pas du cinéma". C'est ça qui est déstabilisant. Pour ce qui est de la violence, oui, elle te bouleverse, parce qu'elle fait vraie. Il filme sa femme aussi: la frontière entre fiction et réalité qui était déjà mince vole en éclats...

Bergman aussi arrivait à un tel niveau de crudité, et lui aussi filmait autant des actrices que ses femmes ou ses maîtresses.
Joe Wilson
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Re: John Cassavetes

Message par Joe Wilson »

Oui, il y a une nudité dans le cinéma de Cassavetes, une capacité à cerner les visages, les souffrances qui rend son oeuvre bouleversante et unique.
Au niveau de la violence affective, A Women Under Influence est particulièrement rude et étouffant, jusqu'à placer le spectateur au bord du malaise. J'en ai un souvenir lointain mais c'est vraiment son film le plus risqué, le plus difficile.
Et le couple Cassavetes/Rowlands est en effet extraordinaire, ils se permettent tout, par une mise en danger permanente, avec une confiance inébranlable. Et leurs duos sont tellement "joués" que par moment on pense à du théâtre...et l'instant d'après est tellement douloureux qu'on est complètement saisi par tant de "vérité"...ils expriment une conviction incroyable. Même dans Minnie et Moskowitz, où le rôle de Cassavetes est mineur, leurs scènes communes sont foudroyantes.

Husbands est un film d'une amertume magnifique; Opening night, vu récemment, est lumineux et libérateur, et je suis, moi aussi, en pleine exploration de son cinéma. Je devrai, si j'ai le temps, continuer ces prochains jours avec Cassavetes par Faces, Meurtre d'un bookmaker chinois et Love Streams.
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Re: John Cassavetes

Message par Ouf Je Respire »

Gounou a écrit :je viens de découvrir John Cassavetes en visionnant A Woman Under Influence. Et je peux le dire... c'est un choc. Mais pas un choc commun... un choc vraiment agressif. Pour le dire de façon plus explicite : j'avais vraiment, vraiment hâte que ça se termine dans la dernière demi-heure parce que ce que je voyais me devenait difficilement supportable.J'avais grand besoin d'air, j'en étais irrité ! Je n'ai jamais vu pareilles scènes d'hystérie, de tension puis de violence psychologique étirées à l'extrême. C'est très déstabilisant parce que si je ne peux qu'être admiratif de la façon dont Cassavetes capte ce glissement dans la folie qui vampirise le cocon familial, de la direction de ses acteurs poussés dans leurs derniers retranchements, etc. ...c'était aussi parfois pénible car les prises rassurantes auxquelles se raccrocher se raréfient à mesure que le film avance.... à tel point que les images finales, si soudainement apaisées, m'ont semblé complètement irréelles. Bref, j'aimerais bien recueillir deux trois témoignages, en fait... j'ai à la fois très envie d'en voir plus (pour en savoir plus, également) et en même temps un peu peur d'en chier à nouveau trop rapidement.
T'inquiète pas, c'est normal: tu viens juste de t'apercevoir à quel point le cinéma de Cassavetes t'avais manqué jusque là, et qu'il t'es devenu vital.
quote a écrit :EDIT : Gena Rowlands devient immédiatement l'actrice la plus sidérante que j'ai jamais vue.
Ah oui mais après avoir vu ce film, c'est normal également.

:mrgreen:
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Boubakar
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Re: John Cassavetes

Message par Boubakar »

Interview de Cassavetes par Michel Ciment à propos de Meurtre d'un bookmaker chinois

http://www.dailymotion.com/relevance/se ... shortfilms
Joe Wilson
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Re: John Cassavetes

Message par Joe Wilson »

Meurtre d'un bookmaker chinois

Un film étrange, qui m'a d'abord laissé perplexe bien qu'en partie conquis. Cassavetes ne peint que des sensations de flottement et la trame, fluide, inéluctable, n'est presque jamais mise en avant.
Au contraire, il est question de plénitude, de beauté, sans doute d'idéalisme, dans la relation qui lie Cosmo Vitelli à "sa" boîte. Ben Gazzara, tendre et délicat à travers un visage d'une générosité inouie, fait corps avec son personnage. Sa complicité avec Cassavetes n'est plus à prouver et il parvient à offrir une prestation sublime, parfois en roue libre mais toujours empreinte d'une tristesse et d'une gravité assez fascinantes.
Une fois que l'engrenage s'est mis en marche, expédié par Cassavetes bien que du point de vue de la mise en scène, il offre une poignée de scènes remarquables; le film se concentre sur l'attention que Vitelli porte à ceux qu'il aime. C'est d'une simplicité évidente, sur la retenue, sans emphase mais avec une discrétion et une finesse inouies : Gazzara soigne encore davantage sa présence. Il oublie la souffrance, fuit les regrets, pour s'attacher à une continuité vibrante, indispensable.
La puissance de Meurtre d'un bookmaker chinois tient donc bien à l'apparente minceur de son propos : Cassavetes sait où il veut aller et distille un sentiment méditatif et serein.
Une respiration calme, presque vidée des excès affectifs qui caractérisent tant l'intensité de son cinéma, mais non moins profonde et sensible.
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Nestor Almendros
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Nestor Almendros »

posté par Fanning le 22 janvier 2005

Minnie and Moskowitz

Cassavetes signe une histoire d'amour intense, houleuse, pleine de bruit et de fureur, mais finalement terriblement romantique. C'est incroyable de voir à quel point ce film, qui enchaîne les scènes énormes et bouleversantes comme des perles, bouillonne de vie, parfois même jusqu'à un trop-plein (on est à la limite de l'hystérie). Torrents d'amour, c'est tout à fait ça... Gena Rowlands et Seymour Cassel portent le film avec force, et tous les seconds rôles, même quand ils n'ont qu'une seule scène (voir l'apparition au début du génial Timothy Carey, qui avait promené sa tronche dans les premiers Kubrick), sont fabuleux. Très grand film.


posté par Jack Sullivan le 2 août 2005

Shadows - John Cassavetes (1959)

Une famille (deux frères, une sœur) afro-américaine dans le New-York de la "beat generation" jazzy, entre jeunesse dorée et marginalité, ennui élégant et fiévreuse recherche d'identité.

Cassavetes vole comme personne le souffle de ses interprètes, les cadrant serré, les suivant jusque dans leurs sursauts, on a tout simplement l'impression de surprendre des moments de leurs vies! Personnellement, j'adore. Il n'y a pas besoin d'être plus démonstratif que ce film pour souligner la fragilité de l'intégration des Noirs dans la société américaine: il suffit à une jeune fille à la peau claire de présenter ses frères noirs à son petit ami blanc, et tout est dit. 9,5/10
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Nomorereasons »

Nestor Almendros a écrit :posté par Jack Sullivan le 2 août 2005
Il n'y a pas besoin d'être plus démonstratif que ce film pour souligner la fragilité de l'intégration des Noirs dans la société américaine
Et aussi des américains dans une mini-société de Noirs. C'est pas grand chose en comparaison, juste pour dire que ce film parle sérieusement (c'est à dire sans marionnettes, avec de vraies personnes dedans) du racisme ordinaire et le fait très bien. Pour ça et tout le reste, c'est mon film de Cassavetes préféré.
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Borislehachoir »

yaplusdsaisons a écrit :
Nestor Almendros a écrit :posté par Jack Sullivan le 2 août 2005
Il n'y a pas besoin d'être plus démonstratif que ce film pour souligner la fragilité de l'intégration des Noirs dans la société américaine
Et aussi des américains dans une mini-société de Noirs. C'est pas grand chose en comparaison, juste pour dire que ce film parle sérieusement (c'est à dire sans marionnettes, avec de vraies personnes dedans) du racisme ordinaire et le fait très bien. Pour ça et tout le reste, c'est mon film de Cassavetes préféré.
Si Shadows n'est pas mon Cassavetes préferé, je trouve également cette scène formidable, notamment par son montage qui révèle l'ambiguité et la complexité de la situation : si il est manifeste que je jeune blanc est mal à l'aise et montre malgré lui sa peur des noirs, on remarque aussi que ceux-ci ( enfin, principalement le frère chanteur de jazz ) ne font rien pour apaiser la situation et au contraire, probablement habitués à ce genre de confrontations, réagissent par l'hostilité frontale envers le garçon alors que celui-ci cherche à l'excuser. Cette intransigeance du grand frère semble autant condamnée par Cassavetes, étant donné que ce défaut est montré comme un frein à la carrière du personnage, que l'attitude du jeune blanc. On ressent plus d'empathie pour Benny, le marginal cherchant à se remettre en question, dont le regard sur l'art ( la scène des statues ) est plus éloquent que les longs discours démonstratifs dont nous abreuve le cinéma US aujourd'hui.
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Nomorereasons »

C'est ça, à ce moment on est rempli de compassion pour le freluquet alors que tout nous y opposait au départ, tandis que la réaction de l'autre type semble aussi arbitraire que le lien qui le relie à ses soi-disants frères et soeurs. Hugh a raison d'être violent puisque c'est ce qui permet à sa communauté de durer, ou plutôt son clan de non-blancs opposé au Blanc; s'aventurer au-dehors est un effort de toute façon voué à l'échec, de même pour le bord adverse.
Comme tu le dis, il n'y a pas de discours démonstratif, y compris lorsque Cassavetes condamne un comportement, c'est plus souvent par le biais d'une femme qui en porte les stigmates (ou alors, quelques élans de tempérance intime et bienveillante, comme l'explication entre les deux frères à la fin du film) que par une obscure fatalité qui viendrait faire entendre raison à toute force comme dans n'importe quel "plaidoyer" d'aujourd'hui.
Borislehachoir a écrit :Si Shadows n'est pas mon Cassavetes préferé
En fait c'est ce film, par sa façon de dominer des questions encore épineuses, qui m'a renseigné le plus clairement sur la force de son réalisateur en plus de l'audace des parti-pris de tournage. Les suivants pètent souvent plus fort comme Meurtre d'un bookmaker chinois mais ils sont aussi mieux défendus et demandent une disponibilité entière (il est très possible aussi que la sensibilité de Cassavetes ne me corresponde pas et que je lui préfère à cette heure des réalisateurs plus cyniques ou narquois)
Je l'ai donc défini par défaut comme étant mon préféré :mrgreen: :oops:
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Borislehachoir »

Je pense que c'est plus complexe que ça. Benny, par exemple, en dehors de sa famille, semble ne fréquenter que des blancs. Les noirs du films ne sont pas isolés par le biais de la fatalité, seul Hugh l'est vraiment et on comprend facilement pourquoi en voyant son attitude, pas seulement à l'égard des blancs mais face à la vie en général. C'est un type totalement intransigeant, ce qui lui joue des tours. Mais ça ne l'empêche pas d'être humain et attachant.

A l'heure actuelle, je n'ai vu de Cassavetes que les 4 premiers films du coffret TF1, Opening Night restant sur mon étagère. Si j'ai apprécié aussi la liberté de Shadows et son originalité, je l'ai trouvé moins puissant émotionellement que Une femme sous influence, moins abouti narrativement que Faces et moins profond que Meurtre d'un bookmaker chinois que contrairement à toi j'adore et qui est mon préferé du cinéaste. Je trouve ce film d'un grand courage, déja dans le fait qu'en se créant un personnage-double, Cassavetes n'hésite pas à faire de Cosmo Vitelli un type assez prétentieux, patron d'un spectacle plutôt affligeant, plus proche de Ed Wood que de Kubrick. Les rapports entre Cosmo et ses danseuses ( reflet de Cassavetes et sa " famille " d'acteurs ? ), la nonchalance du personnage, son implication absolue même pour un résultat médiocre m'ont beaucoup touché.
Joe Wilson
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Joe Wilson »

Love streams

Un adieu marquant au cinéma...la dernière séquence, où l'on voit Cassavetes derrière une fenêtre quasiment masquée par les gouttes de pluie, est particulièrement intense. Et le film dans son ensemble convoque un épuisement, un essoufflement, la sensation de quelque chose qui s'achève. Dans ses excès, Cassavetes impose plus que jamais la fragilité de son personnage...même chose pour Gena Rowlands, à la limite d'un abandon ou d'une crise. Leur duo se soutient mutuellement dans une quête impossible, une recherche sensible qui glisse vers un abîme.
Love streams vit par ce sentiment d'urgence, cette lutte permanente. Cassavetes ne se fait pas de cadeau (notamment dans la relation à son fils, à la fois troublante et bouleversante) et bouscule, par une mise en danger perpétuelle. C'est peut-être ce qui m'a parfois laissé distant...un malaise parfois poussé très loin, un rythme qui s'étire et laisse sur la touche, des séquences admirables qui semblent manquer de lien. Mais le film assume aussi ses prises de risque, une certaine frénésie. Il provoque le spectateur en conservant jusqu'au bout une instabilité vertigineuse.
Si en l'état, Love streams me semble manquer de densité, de respirations, pour se placer à la hauteur de ses plus grands films, Cassavetes parvient à donner quelque chose de rare. Malgré une frustration, je retiens cette énergie consacrée à se dépouiller. Avec une insistance à la fois tragique et aérienne.
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Kevin95
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Re: Notez les films : mai 2010

Message par Kevin95 »

Love Streams (John Cassavetes) Image

Il arrive parfois même au plus sage des cinéphiles d'avoir peur devant des films réputés, peur de... comment dire, de passer à coté. C'est bête parce qu'on a rien vu du film, mais personnellement j'ai beau respecter Cassavetes (sans lui vouer un culte), son Love Streams, de son titre à son pitch me foutait les jetons et trainait depuis des lustres dans ma dvdthèque. Un jour de courage de me suis décider à le regarder...
Au final, j'ai eu un mal fou à le noter (bon 3 c'est bien... enfin je crois) tant l'atmosphère du film y est particulier, pas vraiment proche des autres films du cinéastes (sauf sur sa forme), plus proche en vérité d'une déambulation nocturne et légèrement alcoolisée. On sent un Cassavetes fatigué par la vie, par le cinéma et qui se laisse aller à une vague de tristesse (plus que d'amour) et met en scène deux paumés (comme d'hab') qui ne savent pas quoi faire de leurs existences, de leurs entourages, de leurs rôles sociaux. C'est drôle je n'ai cessé de penser à Charlotte For Ever de Gainsbourg, autre film dépressif et flottant. J'avoue que si certaines scènes sont riches en émotions (Cassavetes et son fils, Rowlands devant le juge), d'autres sont d'une mollesse rendant des passages ennuyeux au possible. Certaines scènes sont elles pertinentes sur le papier mais heu... ridicules à l'écran (s'en est presque embarrassant) telle la scène de la comédie musicale ou l'apparition de Jésus.
Pas inintéressant mais la prochaine vision, je me prépare du café !

PS : Production Cannon, dingue non ?!?!
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: John Cassavetes (1929-1989)

Message par Alligator »

The killing of a chinese bookie (Meurtre d'un bookmaker chinois) (John Cassavetes, 1976) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... ookie.html

_______________

Mon deuxième Cassavetes après le déjà lointain "Opening night", un criterion qui m'avait bien évidemment interpellé dans un premier temps, puis charmé par la mise en scène du cinéaste.

Cette caméra très libre, qui semble s'émanciper des contingences esthétiques habituelles, de la lumière, des distances etc, plus libre encore que celle de la Nouvelle Vague, une caméra qui colle aux personnages, qui reste parfois statique, attentive aux moindres gestes, à un regard, un sourire, des effleurements de sentiment.

La manière dont les comédiens ont de jouer, comme s'ils oubliaient la caméra, "si une part de gâteau vous intéresse, servez-vous en", semble dire la direction, "faites vous même le trajet vers le gâteau, prenez l'initiative, comme ça vous chante", une mise en scène pour le plaisir de jouer, d'inventer. Ce qui ne cesse de m'étonner, c'est le fait que malgré cette grande liberté, jamais on a la sensation que la caméra ne perd le fil, ne rate un geste, une intention. La prise de risque devrait amener les acteurs et la caméra à faire des erreurs. Que nenni, des nenni partout!

Je suppose que le travail au montage a permis de créer ce bel objet. La lecture, en dépit des apparences d'improvisation, de funambule permanent est finalement d'une fluidité remarquable. Et jamais on ne termine le film avec le sentiment d'avoir vu un film d'amateur un peu foutraque et pas fignolé. Tout au contraire, le diamant finement et patiemment poli domine. L'étonnement laisse ensuite progressivement place à la satisfaction, au plaisir serein, une certaine forme de grâce.

Il n'y a dans ce film qu'une seule séquence où j'ai cru voir les acteurs "jouer" leur rôle, celle où Cosmo Vitelli (Ben Gazzara) vient négocier et finalement "rompre" avec la mère de Rachel. Le jeu de Gazzara, avec son sourire énigmatique derrière lequel il ne cesse de se cacher et qui prend une part d'importance dans son expression, m'a paru forcé, alors que tout le long du film avec les mêmes attitudes, il reste aérien, naturel et par conséquent subjuguant. Étrange que cette scène ne "passe" pas.

Timothy Carey sur une ou deux scènes ne peut s'empêcher de faire le mariolle. C'est une maladie chez ce mec, "ça va, cette fois le personnage peut nous le faire admettre, mais n'y revenez pas!"

Je parlais d'étonnement, mais ce n'est pas vraiment une surprise tant Cassavetes dirige ses acteurs comme une troupe de théâtre en répétition, avec une grande part d'improvisation suscitée afin de libérer les mots et les gestes, pour qu'un certain réalisme accompagne le film et impose les enjeux dramatiques avec plus de force. Cosmo Vitelli au milieu des filles, de sa troupe, discute, sourit, encourage, anime et insuffle la vitalité nécessaire pour son spectacle. Sans doute est-il John Cassavetes lui même, son double.

J'avais lu ici ou là des critiques signalant les nombreux liens entre ce film et "Tournée" de Mathieu Amalric. Je suppose que le parcours chaotique et passionné, encrotté d'emmerdes des deux directeurs de troupe, ainsi que les figures princières des deux hommes sont effectivement assez similaires, la différence venant plutôt de la moindre place des femmes dans le film de Cassavetes. M'enfin, personnellement, il n'y a pas photo : au finish, le Cassavetes, visuellement plus beau, psychologiquement plus intense, tient trois encolures d'avance.
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