2001 : l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Je n'ai pas non plus perçu d'humour dans cette association du Beau Danube Bleu et de la station spatiale. Je n'ai rien lu sur 2001 (ce doit être le seul Kubrick que j'adore inconditionnellement, alors je laisse le charme agir), mais je serais curieux de savoir quels sont les arguments (analyse, extrapolation des intentions de Kubrick, ou déclaration de Kubrick) en général avancés pour justifier l'idée que la scène est humoristique.
L'utilisation du Beau Danube Bleu dans cette scène traduit pour moi dans le domaine de la musique le triomphe de l'homme dans l'espace. L'espace, c'est l'infini silencieux ou le silence infini par excellence. En remplissant ce silence de musique, la plus belle expression trouvée par l'homme pour vaincre le silence, Kubrick me parait dire l'euphorie (le Beau Danube Bleu est la plus euphorisante des valses, connue de tous) que l'homme peut ressentir à maitriser l'espace, à s'immiscer dans l'espace, à l'asservir à ses buts. La station spatiale et la navette en elle-mêmes ne dansent pas et dans le silence elles sembleraient tourner sans but, c'est la valse qui nous donne ce sentiment de danse, qui leur imprime ce mouvement, qui confère du sens à l'espace, en fait un lieu familier, un lieu humain. En cherchant à domestiquer l'espace, c'est comme si l'homme cherchait à en effacer l'étrangeté. Il veut s'y retrouver lui-même, lui et ses créations (artistiques ou autres), et Kubrick nous montre cette volonté ou ce souhait en associant aux images deux éléments caractéristiques et familiers de l'activité humaine : la musique et la danse. Le spectateur, lui-même euphorique, glisse alors sur le flot de la musique, dansant avec ces grands blocs de métal, et il continuera d'y glisser pour des milliers d'années encore en voyant cette scène du film car l'espace restera toujours notre ultime et indépassable frontière.
La suite du film démontrera que la valse de Strauss ne peut pas percer le mystère de l'espace, et qu'il demeurera à jamais silencieux, étranger et insoluble pour nous. Alors rétrospectivement, on peut à la rigueur dire que le triomphe proclamé par le Beau Danube Bleu sur l'espace n'était que momentané, n'était qu'un accès de vanité humaine. Pour autant, je ne vois pas d'humour là-dedans.
A noter aussi qu'avec la célèbre ellipse de l'os lancé devenant vaisseau spatial, reprise de l'ellipse du faucon devenant spitfire des Canterbury Tales de Powell & Pressburger, Kubrick nous dit l'inverse (ou le complément) du duo Powell-Pressburger. Kubrick, tourné exclusivement vers le futur, illustre là les débuts de ce besoin humain d'aller de l'avant sans regarder le passé, de chercher à domestiquer l'infini où l'homme se cherchera en réalité lui-même, quand Powell &Pressburger, tournés vers le passé anglais, rattachent Canterbury aux pélerinages du moyen-âge, traduisant le besoin humain de se tourner aussi vers son passé pour se comprendre et comprendre le présent.
L'utilisation du Beau Danube Bleu dans cette scène traduit pour moi dans le domaine de la musique le triomphe de l'homme dans l'espace. L'espace, c'est l'infini silencieux ou le silence infini par excellence. En remplissant ce silence de musique, la plus belle expression trouvée par l'homme pour vaincre le silence, Kubrick me parait dire l'euphorie (le Beau Danube Bleu est la plus euphorisante des valses, connue de tous) que l'homme peut ressentir à maitriser l'espace, à s'immiscer dans l'espace, à l'asservir à ses buts. La station spatiale et la navette en elle-mêmes ne dansent pas et dans le silence elles sembleraient tourner sans but, c'est la valse qui nous donne ce sentiment de danse, qui leur imprime ce mouvement, qui confère du sens à l'espace, en fait un lieu familier, un lieu humain. En cherchant à domestiquer l'espace, c'est comme si l'homme cherchait à en effacer l'étrangeté. Il veut s'y retrouver lui-même, lui et ses créations (artistiques ou autres), et Kubrick nous montre cette volonté ou ce souhait en associant aux images deux éléments caractéristiques et familiers de l'activité humaine : la musique et la danse. Le spectateur, lui-même euphorique, glisse alors sur le flot de la musique, dansant avec ces grands blocs de métal, et il continuera d'y glisser pour des milliers d'années encore en voyant cette scène du film car l'espace restera toujours notre ultime et indépassable frontière.
La suite du film démontrera que la valse de Strauss ne peut pas percer le mystère de l'espace, et qu'il demeurera à jamais silencieux, étranger et insoluble pour nous. Alors rétrospectivement, on peut à la rigueur dire que le triomphe proclamé par le Beau Danube Bleu sur l'espace n'était que momentané, n'était qu'un accès de vanité humaine. Pour autant, je ne vois pas d'humour là-dedans.
A noter aussi qu'avec la célèbre ellipse de l'os lancé devenant vaisseau spatial, reprise de l'ellipse du faucon devenant spitfire des Canterbury Tales de Powell & Pressburger, Kubrick nous dit l'inverse (ou le complément) du duo Powell-Pressburger. Kubrick, tourné exclusivement vers le futur, illustre là les débuts de ce besoin humain d'aller de l'avant sans regarder le passé, de chercher à domestiquer l'infini où l'homme se cherchera en réalité lui-même, quand Powell &Pressburger, tournés vers le passé anglais, rattachent Canterbury aux pélerinages du moyen-âge, traduisant le besoin humain de se tourner aussi vers son passé pour se comprendre et comprendre le présent.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Je suis d'accord avec toi sur l'excellente idée d'avoir choisi cette musique à ce moment du film. Pour moi, cette valse est d'une fabuleuse légèreté et c'est l'impression qu'elle permet d'ajouter à l'image. Au lieu de gros vaisseaux impressionnants, on a l'impression qu'ils flottent naturellement dans l'espace, comme si l'homme y avait, grâce à la technique, parfaitement trouvé sa place.Strum a écrit :L'utilisation du Beau Danube Bleu dans cette scène traduit pour moi dans le domaine de la musique le triomphe de l'homme dans l'espace. L'espace, c'est l'infini silencieux ou le silence infini par excellence. En remplissant ce silence de musique, la plus belle expression trouvée par l'homme pour vaincre le silence, Kubrick me parait dire l'euphorie (le Beau Danube Bleu est la plus euphorisante des valses, connue de tous) que l'homme peut ressentir à maitriser l'espace, à s'immiscer dans l'espace, à l'asservir à ses buts.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
J'ai un très vague souvenir d'un cours de philo où le prof avait cité ces scènes du 2001 de Kubrick. Si ma mémoire est bonne, on parlait alors des mathématiques et de la perfection de leur ordre dans l'univers. Les scènes de 2001 traduisaient (selon ce prof) cet équilibre mathématique des astres où l'utilisation de la musique classique ajoutait à la thématique: la musique a aussi des rapports avec les mathématiques, toujours dans cette optique de l'ordre et de l'harmonie.
Je ne peux expliquer davantage, j'étais loin d'être un bon élève en philo. Néanmoins, je me suis toujours rappelé de cette anecdote (même vaguement).
Je ne peux expliquer davantage, j'étais loin d'être un bon élève en philo. Néanmoins, je me suis toujours rappelé de cette anecdote (même vaguement).
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Je rebondis sur cette dernière remarque de Nestor. Dans le définition de la musique, on peut lire ordonnancement de sons et de silences suivant des temps qui produisent le rythme. Effectivement, s'agissant du temps, on est en présence de notions mathématiques. La musique, c'est du temps.
Ce qui peut paraître d'abord insolite prend alors tout son sens, des images de l'espace accompagnées de musique. L'infini de l'espace accompagné d'un ordonnancement de temps pour un résultat mathématique parfait.
Concernant le choix de Strauss et de sa valse, je considère aussi que c'est un très bon choix pour les raisons que Strum et Pnhom&Phen ont décrites. Ne pas oublier non plus que si la valse se danse à deux, c'est une musique à trois temps qui sous ses aspects de légèreté et de fluidité instaure du mysticisme par sa périodicité impaire. Ce rythme, Ploum Pim Pim... Ploum Pim Pim est aussi une forme d'auto dérision, je suis en pleine valse hésitation !
J'ajoute tout de même qu'une certaine dose d'humour est présente si l'on continue à penser que le vaisseau spatial n'est qu'un vulgaire fémur, il y a un grand écart entre le matérialisme désuet de l'homme et la grandeur de sa musique.
Enfin, Wagner me semble-t il a adulé Johann Strauss de son vivant mais si l'on a eu la malchance de découvrir Le Beau Danube Bleu lors d'un show télévisée d'André Rieu ou dans une publicité de nourriture pour chien, il est bien normal que l'œuvre soit un peu dévoyée, donc réécoute obligatoire au calme et les yeux fermés pour remettre tout cela d'aplomb pour notre Wagner du forum
Ce qui peut paraître d'abord insolite prend alors tout son sens, des images de l'espace accompagnées de musique. L'infini de l'espace accompagné d'un ordonnancement de temps pour un résultat mathématique parfait.
Concernant le choix de Strauss et de sa valse, je considère aussi que c'est un très bon choix pour les raisons que Strum et Pnhom&Phen ont décrites. Ne pas oublier non plus que si la valse se danse à deux, c'est une musique à trois temps qui sous ses aspects de légèreté et de fluidité instaure du mysticisme par sa périodicité impaire. Ce rythme, Ploum Pim Pim... Ploum Pim Pim est aussi une forme d'auto dérision, je suis en pleine valse hésitation !
J'ajoute tout de même qu'une certaine dose d'humour est présente si l'on continue à penser que le vaisseau spatial n'est qu'un vulgaire fémur, il y a un grand écart entre le matérialisme désuet de l'homme et la grandeur de sa musique.
Enfin, Wagner me semble-t il a adulé Johann Strauss de son vivant mais si l'on a eu la malchance de découvrir Le Beau Danube Bleu lors d'un show télévisée d'André Rieu ou dans une publicité de nourriture pour chien, il est bien normal que l'œuvre soit un peu dévoyée, donc réécoute obligatoire au calme et les yeux fermés pour remettre tout cela d'aplomb pour notre Wagner du forum
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Non, ce n'est pas le souci, je pense même que Kubrick a pris le meilleur enregistrement qui soit avec Karajan et Berlin.homerwell a écrit :Enfin, Wagner me semble-t il a adulé Johann Strauss de son vivant mais si l'on a eu la malchance de découvrir Le Beau Danube Bleu lors d'un show télévisée d'André Rieu ou dans une publicité de nourriture pour chien, il est bien normal que l'œuvre soit un peu dévoyée, donc réécoute obligatoire au calme et les yeux fermés pour remettre tout cela d'aplomb pour notre Wagner du forum
Et la nourriture pour chien, c'est Royal Canin avec la musique du Professionnel
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Re:
Plus années après ce message, j'ai pu revoir le film, cette fois au cinéma (et avec une copie HD incroyable, plus belle encore que celle du BR, n'en déplaise à Geoffrey Firmin ), et je l'adore de plus en plus, jusqu'à être dans mon top 20.J'ai beau ne pas avoir tout compris, notamment la fin, j'ai adoré l'ambiance qui se dégage de ce film, avec cette musique grandiloquente et fabuleuse, et qui donne une force inouïe aux images.
Et que dire des effets spéciaux ; on était bien en 1968 ? Leur qualité est sidérante...et si actuels, sans compter les petits "trucs" dont je n'arrive pas à comprendre comment ils ont été faits (le jogging du cosmonaute autour de sa pièce, défiant les lois de la gravité).
Est-ce le meilleur film de Kubrick ? Possible
Est-ce le meilleur film du mois ? Je ne sais pas
Marque-t-il les esprits ? Tel ce monolithe noir et la voix de HAL, les sensations éprouvées durant ce film en font un véritable OVNI cinématographique, loin de tout jugement, où l'action se substitue à la beauté et à la réflexion !!
Tout m'y impressionne autant que la première fois, et les moments que j'aurais pu "redouter" de par la longueur (je pense au trip psychédélique) passent de façon sublime, je trouve que ce film est parfait du début à la fin (et la début me faisait penser à There will be blood, dans ce côté silencieux, avec le même genre d'ouverture).
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
De loin l'orchestration la plus spectaculaire de Strauss que j'aie jamais entendu... toute la puissance de Zarathoustra par un concert de barrissements d'éléphants, fallait quand même y penser. Magistral.
Même Kubrick se serait fendu la poire, je crois. Longue vie au Portsmouth Sinfonia !
Comment tu es tombé sur ce... truc, julien ?
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
C'est le compositeur anglais Gavin Bryars, qui avait fondé dans les années 70 cet ensemble assez iconoclaste : The Portsmouth Sinfonia, qui prenait un malin plaisir à massacrer des œuvres de musiques classiques. On y trouve également des participations de Brian Eno ou de Michael Nyman, le futur compositeur des musiques de films de Peter Greenaway.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Comme de bien entendu, quelqu'un en a fait de même avec la version de Deodato:
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Ça le fait bien aussi. C'est ce même morceau que l'on entend dans une scène de Bienvenue Mr Chance, il me semble. Je ne savais pas qui en était l'auteur.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Sympas, ces deux versions de Zarathustra. Mais Deodato a quand même bien écouté le Miles Davis période electro/funk.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Comme le beau Danube Bleu de Johan Strauss, un morceau (du moins son introduction) souvent repris . Il a même servi comme thème d'entrée en scène (pour Elvis Presley, en autres, je crois -mais ça demande confirmation). L'utilisation par Kubrick a certainement contribué à cette notoriété.julien a écrit :Ça le fait bien aussi. C'est ce même morceau que l'on entend dans une scène de Bienvenue Mr Chance, il me semble. Je ne savais pas qui en était l'auteur.
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Re: 2001: l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick - 1968)
Dans l'entretien qu'il a récemment donné dans L'atelier du son de France Culture, Jean-Claude Risset, pionnier de l'informatique musicale évoque les visites de Kubrick et Arthur C. Clarke aux Bell Laboratories de New York, qui - entre autres - expérimentaient la musique par ordinateur et la synthèse vocale. Ce que l'on retrouvera dans la voix de HAL 9000.
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