"Entre Rencontres du troisième type et E.T, Spielberg réalise deux films : 1941 en 1979 et Les aventuriers de l'Arche perdue en 1981. Le second, hommage aux films d'aventures du samedi après-midi des années trente et quarante, sera suivi de deux autres volets au cours de la décennie, tous trois des succès financiers. Il en va autrement de 1941, échec retentissant à gros budget. Ce film de guerre ironique dans lequel les Japonais attaquent Hollywood est une superproduction burlesque pétaradante qui trahit un certain (mauvais) goût de Spielberg pour la démesure. On y croise Samuel Fuller, Robert Stack, Christopher Lee ou Toshiro Mifune. John Wayne et Charlton Heston ont refusé d'y participer, jugeant le scénario trop antiaméricain. Inconvenant, le film accumule les chutes en cascade, les bagarres, les rafales de mitraillettes, ta-ta-ta-ta-ta, les voitures emplafonnées et les bris de verre. Sans oublier les blagues potaches. On se croirait dans un centre commercial, dans un magasin de jouets ou... dans un studio de cinéma où des garnements (John Milius à la production, Robert Zemeckis au scénario (note d'anorya : + Bob Gale)
) se seraient laissés enfermer pour la nuit. Spielberg prend ses jouets à bout de bras et les envoie valdinguer dans le décor. A ce stade de sa carrière, c'est impertinent, un brin présomptueux, bref, sympathique. Spielberg a longtemps regretté ce raté, mais c'est justement ce côté poil à gratter qui constitue l'intérêt premier de 1941, tout sauf un film "agréable", faisant mentir ceux qui ont déjà rangé l'oeuvre de Spielberg dans cette catégorie."
(Clélia Cohen - Steven Spielberg coll. Le Monde/Cahiers du cinéma)
Avant d'évoquer le film, je voudrais dire deux mots à Universal :
CARTON ROUGE.
Vous aviez aimés l'édition super mal traitée de Sorcerer en zone 1 de William Friedkin (et indispo en zone 2 pour un long moment comme 1941 hélas) ? Rassurez-vous, dans le genre
"on sort le film parce que c'est Spielberg mais comme ça avait pas marché à l'époque, on s'en fout un peu", Universal récidive avec ce film.
Alors ça donne ça :
* Image granuleuse à certains moments, peu visible à d'autres, très nette parfois. Le mec de la remastérisation a dû s'endormir à un moment c'est pas possible bordel.
* Son en stéreo basique. Que de l'anglais. Pas d'autre piste audio (bon c'est du zone 1 donc je m'en doutais un peu celà dit). L'autre piste audio c'est pour écouter la musique à part. Euh mouais, la piste audio qui sert à rien quoi, pareil que le dvd zone 2 warner de Blow-Up d'antonioni quoi. Nan mais sinan les mecs, quitte à faire une édition qui ait vraiment les mots "collector", foutez la B.O avec, vous seriez gentils quoi.
* Sous-titres qui foirent. Bon, là ça devient carrément honteux. Sur Sorcerer, ça allait encore. Là, le traducteur, quasi-manchot s'est dit que traduire de l'anglais, c'était pareil en français. Mais non car on inverse les sujets et verbe en anglais, pas en français. Du coup une phrase comme : "Oh my god, they killed Kenny", ça passe encore ("oh mon dieu, ils ont tué Kenny"
), mais devoir se taper un truc comme "He left his kid in his own private Manchester House" qui donne dans le film un truc comme ça : "Il a laissé son gosse dans sa propre privée Manchester Maison", c'est horriblement indigeste et une torture pas possible croyez-moi. Heuresement ça le fait pas pour toutes les phrases mais bon... Pour couronner le tout, les sous-titres sont assez gros (je regarde les films sur retro-projecteur quand même mais on voit la différence même sur une petite télé)
et pour certaines phrases trop longues, le traducteur maudit s'est sans doute dit que ça servait à rien de tout mettre. Donc une phrase sur deux est coupée en son milieu. On a donc quasiment des phrases non finies en sous-titres en plus qu'elles soient parfois mal traduites.
A ce niveau, c'est du massacre.
(d'ailleurs je vais pousser une gueulante en partie DVD après.
)
Ma solution a été de voir le film en VO sous titrée anglais pour les malentendants avec les descriptions de son. Encore heureux qu'aucun des persos n'ait l'accent du Texas sinon j'en aurais aussi bavé (les sous-titres anglais étaient eux aussi coupés les 3/4 du temps quand les personnages avaient des phrases longues. Heuresement que c'était compréhensible en V.O parce que bon...
)
Sinon le film en lui-même c'est un bordel pas possible totalement réjouissant. Déjà effectivement le casting est énorme. Y'a même Warren Oates échappé de chez Peckinpah dans le rôle du cinglé colonel Maddox qui voit des Japs partout (ça lui va bien
). Dan Aykroyd a la classe même si son rôle s'avère limité. John Belushi est LE pilote barge à la fois attachant et gaffeur. Christopher Lee incarne à merveille un Nazi crispé du cul complètement maniaque. Toshiro Mifune qu'on voit généralement plus chez Kurosawa est le commandant du sous-marin japonais qui tente d'envahir Hollywood (et comme j'ai pu le lire plus haut dans le topic, c'est effectivement jouissif de l'avoir aux côtés de Lee).
Dans la description, Spielberg pousse le bouchon assez loin : le japonais est servile, crétin et obsédé (aussi bien par la travail bien fait qu'a la vue de la moindre paire de fesses
), l'Américain grossier, lourd, obstiné, parfois raciste mais bon enfant (le général qui déteste qu'on vienne le faire chier pendant qu'il regarde Dumbo, énorme.
) et... obsédé. Dans le fond, la rencontre des deux promet de grandes choses et offre à Spielberg l'occasion de scènes excellente comme la scène de bal qui annonce celle du bar en ouverture du second Indiana Jones. Eh ben cette scène de bal qui tourne au combat général est sans doute le meilleur moment du film pour moi. Le plus fluide aussi où l'on suit l'anti-héros essayer d'échapper constamment à son rival (qui essaye de lui en coller une depuis le début du film ou presque) tout en esquissant des pas de danse avec sa coupine. Le tout est presqu'une sorte de chorégraphie qui pourrait limite tenir en un seul plan-séquence tellement c'est quasi parfait (d'ailleurs je me demande pas si c'est composé que de plans-séquences... Roy, grand maître de cérémonie, un avis, please ?
).
Autres séquences fabuleuses (on sent que Spielby a fait péter le budget) avec la batterie d'artillerie qui cherche à dégommer le sous-marin et ne fait que démolir complètement la maison, les japonais qui s'amusent à dégommer la grande roue de la foire, la poursuite des deux avions, et puis la chute finale de la maison, gag attendu mais bien sympathique (on pense enivrés : "YEEEES, il l'a fait !").
Pour autant, le film n'est pas parfait et se place plus comme un Spielberg mineur pour plusieurs raisons. D'abord l'histoire : tout ce que je vous raconte n'est que dans la seconde partie du film. La première même si elle pose les bases de l'histoire et malgré de bons moments (le coup de la bombe en plein meeting, les japonais déguisés en sapin, à mourir de rire) apparaît alors avec le recul comme relativement un peu plus faible, le film ne décollant complètement que plus tard et ce, sans jamais atterrir par la suite. Secundo, l'humour effectivement potache qui ne fait pas toujours mouche dans mon cas.
Par exemple, à un moment, un soldat blanc raciste se dispute avec un soldat noir, les deux se prennent de la poudre sur le visage : le soldat blanc a alors de la poudre noire, le soldat noir a lui de la poudre blanche. Les deux se regardent, rient et pleurent. On pourrait penser que cette scène montre par la comédie que nous sommes tous égaux quels que soit la couleur mais c'est amené sans rien (le film passe quasiment d'un personnage à un autre et comme y'a un peu trop de personnages dans le film, ça devient patraque) et l'on ne sait même pas finalement pourquoi ils se bagarraient outre le fait que le soldat blanc est raciste. On passe un peu du coq à l'âne si vous voulez. D'autant plus que c'est très court (montage abrupte ?), que ça va vite, et que Spielby ne s'y attarde même pas (il y avait sûrement un potentiel à traiter plus largement comme Stiller le fera bien mieux dans Tonnerre sous les tropiques avec son acteur grimé en black pour le rôle, génial Downey Jr !), c'est finalement pas si drôle contrairement à des séquences qui font sourire (la merveilleuse Nancy Allen hyper calée et qui tombe amoureuse dès qu'on lui parle d'avions).
Le fait que tout explose continuellement finit aussi par lasser à certains moments. Il ne se passe pas 5 minute sans finalement qu'il y ait une explosion ou un gros bruit. Plus fort que Michael Bay ? plus fort que Michael Bay.
(si ça se trouve Bay est fan du film de Spielby
)
Mais malgré ses quelques défauts, le film se savoure largement comme le bon gros gâteau bariolé qu'il est.
Même !
Même, c'est surtout pour ça qu'on y va, tout content, et qu'on en ressort en souriant comme des gosses. Avec le recul, je me dis que ce flop est un peu injuste car le film mérite quand même d'être revu largement (on est tous d'accord). Et puis avec certaines scènes (le bal, l'avion qui atterrit dans un... "parc Jurassic"
), on a l'impression clairement d'être à la croisée des chemins, comme si Spielberg prévoyait les films qu'il allait faire plus tard.
Sans oublier d'être bienveillant envers le passé (la scène d'ouverture du film est une grosse parodie de l'ouverture des dents de la mer ! D'ailleurs c'est la même fille qui va nager si vous remarquez bien
) of course.
"Des débuts scandaleusement précoces (Duel), la série B si parfaite qu'elle invente le blockbuster (Les dents de la mer), deux films cultes (Rencontres du troisième type et E.T), un hommage au cinéma des pères (Les aventuriers de l'arche perdue), et même un ratage plein de panache (1941) : la première période de Steven Spielberg est quasiment exemplaire."
(Clélia Cohen - Steven Spielberg coll.Le Monde/Cahiers du cinéma)
Beau résumé.
Et chouette film.
4,5/6