La Roue (Abel Gance - 1923)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Stefan Andersson
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La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Stefan Andersson »

Premieres infos, en Allemande, sur la nouvelle restauration de La Roue - Berlin Festspiele, September:
https://issuu.com/berlinerfestspiele/do ... -04-12_sin

Durée du film, environ 7 heures (voir p. 89)


Liste des 117 selections musicales (56 compositeurs), voir pp.92-93.

En Anglais:
https://www.berlinerfestspiele.de/en/be ... 80756.html

Restauration musicale par Bernd Thewes. Film restauré par L´Immagine Ritrovata.

"Une co-production de Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, ZDF / ARTE, Deutschlandfunk Kultur et Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin".
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Jack Griffin
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Jack Griffin »

Alléchant. J'avais assisté à une projection à la cinémathèque qui devait faire dans les 5 heures (et sans musique)
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Watkinssien
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Watkinssien »

Je ne sais plus quelle version j'ai pu voir, mais j'ai été fasciné par cette oeuvre colossale, brillamment mise en scène, toute en audaces narratives et visuelles, avec une époustouflante performance de Séverin-Mars, dans un personnage tout en complexité, humain, pervers, touchant, ambigu.

Un protagoniste tragique qui semble porter tous les stigmates.

QUELQUES SPOILERS!

Abel Gance était déjà un réalisateur reconnu pour son talent visuel et outrancier, sa mégalomanie et sa hardiesse, ses procédés d’écriture et de narration. Dans La roue, il va démontrer sa partition majeure de cinéaste. L’histoire raconte le calvaire psychologique d’un mécanicien de chemin de fer, qui après avoir été témoin du déraillement d’un train, recueille une petite fille, seule survivante de sa famille, et décide de l’adopter. Cet homme-là a déjà un fils. Mais une fois adolescente, la demoiselle fait déchaîner un amour fou de son propre « frère »… et un amour coupable de son « père ». C’est un sujet à la fois très mélodramatique et très psychologique, qui peut faire peur, qui rebute, déroute et est surtout bien surchargé. Mais la matière d’un film muet, ce sont les images et donc la mise en scène et le jeu des acteurs. Ces deux principes majeurs doivent faire comprendre à eux seuls toutes les complexités du récit, toutes les épaisseurs des personnages. C’est ce qui se passe magistralement dans ce film.

Au début, le spectateur est témoin d’un spectaculaire et réellement impressionnant accident de locomotive, qui a quitté la voie ferrée. Un cheminot, incarné par un époustouflant Séverin-Mars (décédé après le tournage d’une crise cardiaque) est témoin de ce drame et décide de porter secours aux victimes. Le personnage est filmé de façon à ce qu’on le saisisse bien distinctement, par rapport au décor donné. Devant ces décombres métalliques et ces fumées envahissantes, le protagoniste est là, bien éclairé, seul, écrasé par celles-ci. Abel Gance se sert pleinement du courant expressionniste, totalement utilisé à cette époque chez F.W. Murnau, Robert Wiene ou encore Fritz Lang. Le destin du personnage est tracé, dès ces premières séquences.
Ensuite, Gance va en profiter pour nous mener à un constat de l’état de vie des cheminots, misérable ici. L’expressionnisme disparaît au profit d’un réalisme quasi documentaire. On s’aperçoit alors que le réalisateur va habilement transiter les genres et les courants cinématographiques pour pouvoir constamment surprendre le spectateur, pour qu’il ne sache pas où l’on emmène. Puis, on se dit qu’en recueillant cette petite orpheline, le cheminot est un homme débordant d’humanité, généreux, ne méritant pas une telle vie lugubre, avec son petit garçon. Erreur ! On va s’apercevoir que dans sa tête se passent des idées qui dénotent une certaine tendance pour la folie et la psychose. Gance nous manipule avec beaucoup d’intelligence, car le seul personnage avec qui l’on s’identifie en premier se révèle être une personne entièrement pathétique. Notre protagoniste se prénomme Sisif (sic), homonyme bien connu. Petit cours mythologie : Sisyphe fut un roi légendaire de Corinthe, au temps de la Grèce antique, qui était célèbre pour ses crimes. Il fut condamné dans les Enfers à faire rouler sur la pente d’une montagne un rocher qui retombait toujours avant d’avoir atteint le sommet. Ce destin mythique peut anticiper sur celui de l’antihéros du film d’Abel Gance. Vingt ans après, Albert Camus en a fait dans son Mythe de Sisyphe le symbole de l’absurde inhérent à la condition humaine, ce qui est toujours rapproché de la situation du protagoniste, de sa place dans le monde.

Le mélange des genres que j’ai cité précédemment est l’atout important de La Roue. En effet, le film de Gance tient à la fois de la tragédie sophocléenne (Œdipe Roi), pour la violence des sentiments incestueux, passionnels et du récit naturaliste propre à Emile Zola (La Bête humaine), pour la reconstitution de l’univers du rail. L’ensemble est rythmé, en outre, par des moments paroxystiques. Sisif se rend irritable envers lui-même pour l’amour interdit qu’il éprouve pour sa « fille ». La séquence où l’on découvre sa passion est d’une surprenante modernité. La fille, devenue adolescente, est heureuse et décide d’aller faire de la balançoire dans le jardin, habillée d’une courte rôle estivale, sous les yeux de son demi-frère attentionné. Le père la contemple également avec, semble-t-il au premier abord un amour totalement paternel. Et c’est ici que les deux principes du muet vont entrer en jeu. Premièrement, le jeu de l’acteur : le visage de Sisif est filmé en gros plan, on voit sa réaction de père attendrissant ; puis, soudainement, ses traits changent violemment, son faciès se métamorphose, ses yeux s’agrandissent ayant l’impression qu’ils vont chacun sortir de leur orbite. Pourquoi ceci se passe, quelle en est la cause ?… C’est maintenant que le second principe fait son apparition, la mise en scène : Gance nous montre de plein fouet, en plan rapproché, les cuisses de la jeune fille. On revient sur le visage éberlué de Sisif. On retourne sur les jambes de l’adolescente. La chair envahit l’écran, l’attendrissement du père se transforme brutalement en désir à la fois immédiat et inaccessible, à proximité et pourtant si lointain. C’est quand on voit des moments comme celui-ci, que l’on comprend ce que c’est qu’une séquence forte.
Mais Gance ne s’arrête pas encore à ce drame. Le demi-frère, devenu ouvrier luthier est lui aussi tombé éperdument amoureux de sa « sœur », mais à la différence de son père, il sent que son envie est peut-être plus facile à faire comprendre, grâce à de nombreuses similitudes ; l’âge, l’intérêt pour l’art (et surtout la musique), la complicité de divertissement, les confidences… Dès lors vont apparaître inéluctablement des affrontements redoutés et redoutables entre le père et le fils, entre le maître et l’élève, entre l’Ancien et le Nouveau. Et comme toute tragédie, les sorts sont comme des dés, ils sont jetés, d’une manière implacable ; les problèmes se résolvent grâce au destin, c’est-à-dire le plus souvent, grâce à la mort, aussi nécessaire que punitive.
La Roue est une œuvre plus que remarquable, elle est essentielle. C’est traité de façon non moralisatrice, avec beaucoup de subtilité et d’intelligence.
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Stefan Andersson
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Stefan Andersson »

Bonjour!

J´a appris que La Roue (1923) était environ 8h30 au sortie Février 1923, et puis réduit plusieurs fois. La nouvelle restoration Pathé/Arte/Fondation Jerôme Seydoux était 6h53 environ.

Est-ce qu´il y a une livre, ou autre source, décrivant les scenes qui manque encore aujourd´hui? Le scénario original, existait-il aujourd´hui?

Documentation, en Allemand, sur les differences entre la version Février 1923 (512 mns) et la restauration Pathé (420 mns):
https://www.rsb-online.de/wp-content/up ... .02.19.pdf

Les projections du Décembre 1922 était pas un sortie officielle, mais des projections seulement pour des invités, avec le film dans un version non finalisé par Gance, correct?

Merci en avance pour tous infos!

Bande-annonce pour la nouvelle restauration:
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tenia
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par tenia »

Le premier montage de décembre 1922, effectivement une sorte d'avant-première sur copie de travail, faisait environ 11 000 mètres soit près de 8h. Les retours de cette toute première séance furent très négatifs sur la longueur du film et Gance retourna au montage du film pour le modifier et donner lieu en février au montage de 1923 restauré ici (10 500 mètres, 7h). Entre les 2 ne manqueraient que 300 mètres. Il n'y a pas de version de 8h30.
Le livre inclut dans l'édition détaille fort bien tout cela. :wink:
Stefan Andersson
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Stefan Andersson »

Merci bien pour l´information Tenia!
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par The Eye Of Doom »

Bonjour
J’ai vu le coffret aujourd'hui et j’ai hésité....
Est ce que le film est dans le meme style que Napoleon?
J’ai trouvé ce dernier fulgurant par moment mais long et lourd (inge) ... Abel Gance insistant régulièrement jusqu’à plus soif.
La avec 8h je redoute le pire...
j’ai tord ?
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tenia
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par tenia »

C'est très long, mais ça passe étonamment bien (même si j'ai eu un gros coup de mou devant la 3e partie). Au fond, l'histoire tiendrait en 2h de temps et là, ça en dure 7, mais cela reste lyrique, poignant, puissant. Sentiment assez étange du coup, mais peu d'ennui pour moi.
The Eye Of Doom
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par The Eye Of Doom »

tenia a écrit :C'est très long, mais ça passe étonamment bien (même si j'ai eu un gros coup de mou devant la 3e partie). Au fond, l'histoire tiendrait en 2h de temps et là, ça en dure 7, mais cela reste lyrique, poignant, puissant. Sentiment assez étange du coup, mais peu d'ennui pour moi.
Merci Tenia.
Je crois que je vais passer mon tour pour l’instant et ecluser mon stock de muets qui prennent un peu la poussiere avant (les Raymond Bernard, Judex, le coffret Garbo,... par exemple).
Boba Fett 69
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Re: La Roue (Abel Gance - 1923)

Message par Boba Fett 69 »

tenia a écrit :Le premier montage de décembre 1922, effectivement une sorte d'avant-première sur copie de travail, faisait environ 11 000 mètres soit près de 8h. Les retours de cette toute première séance furent très négatifs sur la longueur du film et Gance retourna au montage du film pour le modifier et donner lieu en février au montage de 1923 restauré ici (10 500 mètres, 7h). Entre les 2 ne manqueraient que 300 mètres. Il n'y a pas de version de 8h30.
Le livre inclut dans l'édition détaille fort bien tout cela. :wink:
Les retours n'ont pas dû être assez négatifs, parce que passer de 8 heures à 7 heures, ça doit pas vraiment se sentir. :uhuh:
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