La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Stromboli
Machino
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par Stromboli »

Alexandre Angel a écrit :
Stromboli a écrit :Chacun se fera son avis mais il y a dans ce film un racisme et une vision totalement manichéenne de la guerre de sécession envers les confédérés qui m'a écœuré au visionnage.
Cela ne peut pas être pire dans le genre que Naissance d'une nation.
Non c'est pas pire mais c'est pas une référence :wink:
Le film est libre de droit et visible sur youtube pour ceux que ça intéresse.

La manière dont les noirs sont décrits comme des demeurés incapables de comprendre les mauvaises manières des abolitionnistes en 1940 (soit quand même une génération après Naissance d'une Nation et son scandale) est tellement choquante aujourd'hui que ça m’empêche absolument d’apprécier un seul mouvement de caméra de Curtiz, tant l'élégance de la mise en scène est à contre-courant de l'outrance du propos politique.

C'est toutes ces scènes avec des acteurs noirs totalement aberrantes qui m'ont fait sortir du film.
Pour le reste historiquement le film raconte que des conneries et est radicalement biaisé en faveur des préjugés sudistes mais j'aurai pu le supporter, j'aime infiniment "They died with their boots on" malgré les bêtises que ça raconte historiquement.
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Jeremy Fox
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par Jeremy Fox »

L'outrance je la distingue bien plus dans ton jugement que dans le propos politique ou dans le racisme supposé que tu attribues au film. Après je peux comprendre que l'on en arrive à être aussi virulent lorsque que quelque chose nous choque dans un film ; je ne suis pas le dernier à l'avoir fait.
O'Malley
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par O'Malley »

Alexandre Angel a écrit :
Stromboli a écrit :Chacun se fera son avis mais il y a dans ce film un racisme et une vision totalement manichéenne de la guerre de sécession envers les confédérés qui m'a écœuré au visionnage.
Cela ne peut pas être pire dans le genre que Naissance d'une nation.
Et bien, là voilà, la réponse! Naissance d'une nation, film pro-sudiste, a donné naissance à Hollywood! C'est tout simplement son péché originel! :mrgreen:


Après, dire que la fascination que peut exercer le vieux Sud et les (anciens) sudistes ressemble à la fascination que peut exercer le régime nazi, là, je ne vois vraiment pas.Mais pas du tout! Car le cadre n'est pas le même, la nature de la société non plus...
L'Allemagne nazie est avant tout pour la très grande majorité des individus, une image de mort, de destruction, de terreur, de souffrance et représente l'Horreur absolu....

Le Vieux Sud a certes l'esclavage à son passif (et ce n'est pas une moindre tare) mais possède un imaginaire, une atmosphère qui, dans son image d'Epinal, peut être agréable ou en tout cas très cinégénique, surtout quand le cinéma se déployait en Technicolor. Les naufrageurs des mers du Sud, Autant en emporte le vent, L'arbre de vie, L'esclave libre et tant d'autres sont de somptueux écrins issus de ce cadre chatoyant.

Si nous devons plutôt le comparer à une autre période historique, je dirais, pour la France, l'Ancien Régime, qui n'était pas une période d'un grand humanisme aussi, et pourtant qui peut représenter aussi une sorte de civilisation somptueuse balayée par le vent de l'Histoire, en l'occurrence La Révolution Française. C'est la position d'un Eric Rohmer, que d'aucun taxerait de nazi hein, dans l'Anglaise et le duc.

Par ailleurs, le personnage tragique d'une Marie Antoinette, l'action des Chouans ont souvent inspiré le cinéma. Il doit aussi y avoir aussi des personnages d'anciens royalistes, autre perdants magnifiques, qui ont du servir de héros cinématographiques en France... En tout cas, la plupart des films d'aventures populaires français des années 50 à 60 se situent dans le cadre chatoyant de l'Ancien Régime, que ce soit les Angélique, les films de cape et d'épée avec Jean Marais avec roi, reine, aristocrates déchus, les Caroline Chérie...

Nous pouvons peut-être dire que le Vieux Sud représente un peu l'Ancien Régime des Etats-Unis d'Amérique.
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Alexandre Angel
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par Alexandre Angel »

O'Malley a écrit :C'est clairement la position d'un Eric Rohmer, que d'aucun taxerait de nazi hein, dans l'Anglaise et le duc.
C'est d'ailleurs avec ce film que beaucoup ont cru déceler le naturel "de droite" revenant au galop d'Eric Rohmer.
O'Malley a écrit :Le Vieux Sud a certes l'esclavage à son passif (et ce n'est pas une moindre tare) mais possède un imaginaire, une atmosphère qui, dans son image d'Epinal, peut être agréable ou en tout cas très cinégénique, surtout quand le cinéma se déployait en Technicolor. Les naufrageurs des mers du Sud, Autant en emporte le vent, L'arbre de vie, L'esclave libre et tant d'autres sont de somptueux écrins issus de ce cadre chatoyant.
J'en ai découvert un, il y a 4 ou 5 ans, qui est tout à fait plaisant et intéressant dans l'esprit, c'est Le Sang de la terre, de George Marshall.
Dans le registre de l'anti-romanesque gorgé de venin, Django Unchained se posait là!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Michel2
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par Michel2 »

O'Malley a écrit :Nous pouvons peut-être dire que le Vieux Sud représente un peu l'Ancien Régime des Etats-Unis d'Amérique.
A un détail près, dirais-je : l'Ancien Régime français n'est pas porteur de la charge idéologique que véhiculent les fictions américaines qui évoquent la guerre civile et l'esclavage. En France, même les plus à gauche considèrent la question du modèle aristocratique comme définitivement réglée et personne ou presque ne viendra hurler à la réhabilitation d'un système inégalitaire face à un film qui se déroule au 18ème siècle. Aux USA, à l'heure de Black Lives Matter et des débats sur la présence continue du drapeau confédéré sur le fronton des édifices publics, c'est une autre histoire...

Quant à savoir si Hollywood fait preuve ou non de sympathie pour les confédérés, la réponse est forcément complexe, ne serait-ce que parce que les représentations du vieux Sud par Hollywood prenant leurs racines dans plusieurs traditions extérieures au cinéma.

Dans les années 20 et 30 (soit pour faire simple la période post-Naissance d'une nation), Hollywood reprend largement à son compte la vulgate de la Cause perdue qui domine la production littéraire de l'époque (The Klansman de Thomas Dixon, qui donnera Naissance d'une nation, So Red The Rose de Stark Young qui sera adapté en 1935 par King Vidor sous le titre Roses de sang, Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, bien sûr, mais aussi William Faulkner qui s'en fait l'écho dans Sartoris de manière plus complexe et nuancée). La défaite du Sud est présentée comme la résultante tragique et inéluctable de son infériorité numérique et économique face au Nord, mais en aucun cas comme la conséquence d'une infériorité morale ou éthique. Le rôle de l'esclavage est minoré, voire nié, et certains auteurs sudistes essayent même de rebaptiser le conflit "guerre entre les états", voire "guerre d'aggression nordiste". La période de la Reconstruction qui suit la guerre (et qui voit les anciens esclaves obtenir au moins sur le papier le statut de citoyen et les droits civiques qui vont avec) est présentée comme une calamité et une période d'oppression du Sud par le Nord. Corollaire de ce qui précède, le Sud doit être dépeint comme une région romantique et romanesque par excellence afin de sauver la face devant le constat historique de la défaite et rendre cette dernière acceptable.

Hollywood n'est pas à l'origine de ce discours qui a ses racines dans la littérature de l'époque et les travaux d'historiens sudistes de plus ou moins bonne foi qui ont pour projet de réhabiliter le vieux Sud aux yeux de l'histoire. Mais comme cette vision tend à dominer dans la société américaine des années 20 et 30, Hollywood lui fait largement écho à quelques exceptions près (le Lincoln de Griffith, par exemple). Après la seconde guerre mondiale, les choses deviennent plus complexes en raison de la montée en puissance du mouvement pour les droits civiques dans les années 40 et 50 : le récit de la Cause perdue reste solidement installé dans l'inconscient collectif, mais il y a malgré tout prise de conscience du fait que cette interprétation est de en moins en moins compatible avec le contexte racial de l'époque. On voit bien par exemple comment L'Esclave libre de Walsh s'efforce de jouer sur les deux tableaux en continuant à vendre la veine romantique tout en y intégrant des références évidentes au climat des années 50, principalement avec le personnage de Sidney Poitier. Passé le début des années 60, la Cause perdue est largement remisée au rayon des accessoires, hormis chez une minorité de nostalgiques de la Confédération (une minorité active et bruyante quand même comme le démontre le psychodrame qui a récemment entouré le déboulonnage des statues de certains généraux confédérés dans plusieurs états du sud).

A côté du révisionnisme de l'école de la Cause perdue, les représentations cinématographiques du Sud sont également redevables à la tradition du gothique sudiste, qui vient lui aussi de la littérature. Tel que le développent Faulkner, Flannery O'Connor, Erskine Caldwell, Eudora Welty (et à sa manière Tennessee Williams), le southern gothic élude la guerre elle-même pour s'intéresser à ses conséquences ultérieures, notamment la pauvreté, les inégalités sociales, la violence, l'omniprésence du discours religieux et le recours au passé comme refuge face à la réalité. L'accent est généralement mis sur le grotesque (au sens non comique du terme) pour mieux souligner les dérives et la faillite morale du Sud, mais sans toutefois éviter complètement une certaine fascination un peu perverse pour le passé et son exceptionalisme culturel. Au cinéma, cela donne des films aussi variés que La nuit du chasseur, les adaptations des oeuvres de Tennessee Williams (Un tramway..., Baby Doll, La chatte sur un toit brûlant, Soudain l'été dernier, etc) ou Du silence et des ombres de Mulligan. Plus tardivement, cela nous vaudra également Le malin de Huston, Minuit dans le jardin du bien et du mal d'Eastwood ou encore Winter's Bone de Debra Granik. Evidemment, la guerre civile elle-même et l'Histoire sont absents des récits influencés par le gothique sudiste, qui se situent généralement dans un cadre contemporain ou quasi-contemporain, mais on peut y lire en filigrane les séquelles du passé si on regarde bien.

Enfin, dernier mouvement d'importance, la pastorale sudiste qui se désintéresse elle complètement de l'histoire et de ses conclusions pour mettre l'accent sur le lien tellurique entre l'homme et la nature. Elle est évidemment moins pertinente dans le cas qui nous concerne, mais elle peut parfois jouer.

Dernière remarque : de notre côté de l'Atlantique, nous avons un peu tendance à oublier le livre et la série TV qui en a été tirée mais je crois qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance historique de Racines, d'Alex Haley. Le bouquin a été un véritable phénomène culturel et sociologique dans l'Amérique des années 70. Après lui, il est devenu très difficile de continuer à vendre le mythe d'un sud esclavagiste noble et chevaleresque où il faisait bon être l'esclave loyal et heureux d'un maître bienveillant.
O'Malley
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par O'Malley »

Merci pour ces développements qui cernent assez bien toutes les facettes du sujet.

A noter que, quand même, dans les années 80, il y a a eu une sorte de revival du romanesque sudiste (mais qui n'éludait en rien les horreurs de l'esclavage) avec deux séries: l'une française, Louisiane, de Philippe de Broca et l'autre américaine, Nord et Sud de Richard T.Heffron et Kévin Connor. Et quand bien même cette dernière tentait de suivre l'histoire parallèle de deux familles, l'une nordiste, les Hazard, et l'autre, sudiste,les Main, la série prenait quand même plus de temps à développer toute la partie sudiste avec son imagerie issue de la Cause perdue, que tu décris si bien. Comme si les auteurs, et en particulier John Jakes, l'auteur des romans à l'origine de la série, avaient quand même plus de substance dramaturgique avec les éléments qu'apportent cet univers.
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Michel2
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Re: La sympathie de Hollywood pour les Confédérés

Message par Michel2 »

Une mythologie solidement ancrée dans l'inconscient collectif met toujours longtemps à disparaître, même lorsqu'elle commence à sentir fortement la naphtaline, voire le sapin. C'est vrai qu'il y a un côté mélodrame sudiste aseptisé dans Nord et Sud : les auteurs s'efforcent de préserver la partie romantique tout en édulcorant ce que le récit peut avoir de choquant dans le contexte des années 80 (Racines était vraiment passé par là...). Quant à Louisiane, c'est un peu différent car le roman de Maurice Denuzière est français, comme d'ailleurs le metteur en scène de son adaptation : le folklore sudiste pouvait plus facilement s'y développer dans la mesure où les enjeux idéologiques sont moins ressentis de ce côté-ci de l'Atlantique.

Après, au-delà de la sympathie réelle ou supposée pour la cause sudiste que l'on peut déceler dans certains films, il existe aussi une veine visant à mettre les deux camps sur un pied d'égalité en soulignant la noblesse et l'héroïsme des combattants de chaque faction. Cela nous a notamment valu les deux interminables pensums de Ronald Maxwell (Gettysburg, qui est balourd et pompier mais encore regardable, et cette punition qu'est l'effroyable Gods and Generals). Pour mieux créer un récit fédérateur dont la morale est que tout le monde était grand et noble quel que soit l'uniforme qu'il portait, il faut évidemment occulter tout le contexte politique et les enjeux réels de la guerre afin de n'être pas polarisant - quelqu'un qui ne connaît rien à l'histoire de la guerre civile pourrait d'ailleurs finir par se demander pourquoi elle a éclaté tant tout le monde s'estime et se respecte. Mais si l'on retourne plus loin en arrière, on trouvera aussi de multiples récits de réconciliation dans le western des années 50 et 60 : de La charge héroïque à Major Dundee, il n'y a pas pénurie de récits consolatoires où en dépit de leur animosité initiale, les anciens ennemis font front commun pour affronter un nouvel adversaire (généralement l'Indien). L'Ouest et sa conquête deviennent l'instrument symbolique de la réconciliation nationale - là encore au prix d'une amnésie délibérée puisque ces films se gardent bien d'évoquer les conflits politiques qui ont conduit à la guerre de Sécession. Il y a des exceptions, ceci dit : dans Rios Conchos, de Gordon Douglas, le méchant est un colonel sudiste mégalomane qui refuse d'accepter la défaite et veut continuer la guerre depuis la Mexique (mais il y a quand même alliance entre un nordiste et un aincien confédéré pour contrecarrer ses plans).

Depuis une trentaine d'années, le regard porté sur le Sud a tendance à se faire plus critique, quand il n'est pas carrément négatif (cf The Free State of Jones sorti il y a deux ans, par exemple); Mais cela n'empêche pas d'avoir toujours des oeuvres qui montrent la guerre du point de vue confédéré sans nécessairement faire montre de sympathie envers sa cause : je pense à Cold Mountain d'Anthony Minghella (où les noirs sont fort discrets, voire inexistants, mais on pourrait rétorquer que le racisme et l'esclavage ne sont pas le sujet du récit) ou Chevauchée avec le diable, d'Ang Lee. Dans ce dernier cas, le folklore romantique sudiste est facilement contourné puisque le récit porte sur la guerrilla aux confins du Kansas et du Missouri, ce qui fait qu'il ne se déroule pas dans le sud à proprement parler. Le point de vue est définitivement sudiste, mais lucide, et ne fait pas l'impasse sur la brutalité des méthodes employées par Quantrill et ses semblables (la milice sudiste de Cold Mountain est de même présentée comme une bande de brutes et de psychopathes).

A la télévision, je trouve que la série Hell On Wheels porte un regard particulièrement intéressant et nuancé sur cette période, notamment en n'éludant absolument pas la question du racisme et du clivage noirs/blancs.
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