O'Malley a écrit :Nous pouvons peut-être dire que le Vieux Sud représente un peu l'Ancien Régime des Etats-Unis d'Amérique.
A un détail près, dirais-je : l'Ancien Régime français n'est pas porteur de la charge idéologique que véhiculent les fictions américaines qui évoquent la guerre civile et l'esclavage. En France, même les plus à gauche considèrent la question du modèle aristocratique comme définitivement réglée et personne ou presque ne viendra hurler à la réhabilitation d'un système inégalitaire face à un film qui se déroule au 18ème siècle. Aux USA, à l'heure de
Black Lives Matter et des débats sur la présence continue du drapeau confédéré sur le fronton des édifices publics, c'est une autre histoire...
Quant à savoir si Hollywood fait preuve ou non de sympathie pour les confédérés, la réponse est forcément complexe, ne serait-ce que parce que les représentations du vieux Sud par Hollywood prenant leurs racines dans plusieurs traditions extérieures au cinéma.
Dans les années 20 et 30 (soit pour faire simple la période post-
Naissance d'une nation), Hollywood reprend largement à son compte la vulgate de la Cause perdue qui domine la production littéraire de l'époque (
The Klansman de Thomas Dixon, qui donnera
Naissance d'une nation,
So Red The Rose de Stark Young qui sera adapté en 1935 par King Vidor sous le titre
Roses de sang,
Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, bien sûr, mais aussi William Faulkner qui s'en fait l'écho dans
Sartoris de manière plus complexe et nuancée). La défaite du Sud est présentée comme la résultante tragique et inéluctable de son infériorité numérique et économique face au Nord, mais en aucun cas comme la conséquence d'une infériorité morale ou éthique. Le rôle de l'esclavage est minoré, voire nié, et certains auteurs sudistes essayent même de rebaptiser le conflit "guerre entre les états", voire "guerre d'aggression nordiste". La période de la Reconstruction qui suit la guerre (et qui voit les anciens esclaves obtenir au moins sur le papier le statut de citoyen et les droits civiques qui vont avec) est présentée comme une calamité et une période d'oppression du Sud par le Nord. Corollaire de ce qui précède, le Sud doit être dépeint comme une région romantique et romanesque par excellence afin de sauver la face devant le constat historique de la défaite et rendre cette dernière acceptable.
Hollywood n'est pas à l'origine de ce discours qui a ses racines dans la littérature de l'époque et les travaux d'historiens sudistes de plus ou moins bonne foi qui ont pour projet de réhabiliter le vieux Sud aux yeux de l'histoire. Mais comme cette vision tend à dominer dans la société américaine des années 20 et 30, Hollywood lui fait largement écho à quelques exceptions près (le
Lincoln de Griffith, par exemple). Après la seconde guerre mondiale, les choses deviennent plus complexes en raison de la montée en puissance du mouvement pour les droits civiques dans les années 40 et 50 : le récit de la Cause perdue reste solidement installé dans l'inconscient collectif, mais il y a malgré tout prise de conscience du fait que cette interprétation est de en moins en moins compatible avec le contexte racial de l'époque. On voit bien par exemple comment
L'Esclave libre de Walsh s'efforce de jouer sur les deux tableaux en continuant à vendre la veine romantique tout en y intégrant des références évidentes au climat des années 50, principalement avec le personnage de Sidney Poitier. Passé le début des années 60, la Cause perdue est largement remisée au rayon des accessoires, hormis chez une minorité de nostalgiques de la Confédération (une minorité active et bruyante quand même comme le démontre le psychodrame qui a récemment entouré le déboulonnage des statues de certains généraux confédérés dans plusieurs états du sud).
A côté du révisionnisme de l'école de la Cause perdue, les représentations cinématographiques du Sud sont également redevables à la tradition du gothique sudiste, qui vient lui aussi de la littérature. Tel que le développent Faulkner, Flannery O'Connor, Erskine Caldwell, Eudora Welty (et à sa manière Tennessee Williams), le
southern gothic élude la guerre elle-même pour s'intéresser à ses conséquences ultérieures, notamment la pauvreté, les inégalités sociales, la violence, l'omniprésence du discours religieux et le recours au passé comme refuge face à la réalité. L'accent est généralement mis sur le grotesque (au sens non comique du terme) pour mieux souligner les dérives et la faillite morale du Sud, mais sans toutefois éviter complètement une certaine fascination un peu perverse pour le passé et son exceptionalisme culturel. Au cinéma, cela donne des films aussi variés que
La nuit du chasseur, les adaptations des oeuvres de Tennessee Williams (
Un tramway...,
Baby Doll,
La chatte sur un toit brûlant,
Soudain l'été dernier, etc) ou
Du silence et des ombres de Mulligan. Plus tardivement, cela nous vaudra également
Le malin de Huston,
Minuit dans le jardin du bien et du mal d'Eastwood ou encore
Winter's Bone de Debra Granik. Evidemment, la guerre civile elle-même et l'Histoire sont absents des récits influencés par le gothique sudiste, qui se situent généralement dans un cadre contemporain ou quasi-contemporain, mais on peut y lire en filigrane les séquelles du passé si on regarde bien.
Enfin, dernier mouvement d'importance, la pastorale sudiste qui se désintéresse elle complètement de l'histoire et de ses conclusions pour mettre l'accent sur le lien tellurique entre l'homme et la nature. Elle est évidemment moins pertinente dans le cas qui nous concerne, mais elle peut parfois jouer.
Dernière remarque : de notre côté de l'Atlantique, nous avons un peu tendance à oublier le livre et la série TV qui en a été tirée mais je crois qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance historique de
Racines, d'Alex Haley. Le bouquin a été un véritable phénomène culturel et sociologique dans l'Amérique des années 70. Après lui, il est devenu très difficile de continuer à vendre le mythe d'un sud esclavagiste noble et chevaleresque où il faisait bon être l'esclave loyal et heureux d'un maître bienveillant.