Hiroshi Inagaki (1905-1980)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Hiroshi Inagaki (1905-1980)

Message par bruce randylan »

Souvent connu pour ses films des années 50 avec Toshiro Mifune, et parfois très académique, Hiroshi Inagaki a pourtant une carrière bien plus riche qui a commencé dès la fin des années 20.

Ma mère dans les paupières (1931)

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Un jeune ronin se rend à Edo dans l'espoir de retrouver sa mère qui l'a abandonné quand il avait 5 ans.

Je connaissais deja l'histoire pour avoir vu une autre version plus tardive signé Tai Kato, formidablement réalisé mais dont la dimension mélo était très rapidement fatigante. Cette première adaptation d'un roman contemporain s'avère largement plus satisfaisante dans son sentimentalisme. Au delà de l'avantage d'être un film muet (évacuant la difficulté des dialogues dégoulinant), l'approche est de toute façon moins dans le chantage émotionnelle avec plus d'accents mis sur l'humanisme de l'histoire et les errements des personnages. A l'image d'une ouverture de 10 minutes sur des personnages qui disparaitrons une fois le héros bien établi aux yeux du spectateur (alors qu'ils seront plus présent dans le remake), Inagaki privilégie les rencontres éphémères, fait preuve d'un joli sens de la concision et saisit avec aisance l'émotion naissante sans s'y attarder. Il ne faut pas beaucoup de minutes pour s'émouvoir de la rencontre avec la vieille prostituée par exemple grâce à une belle gestion des décors et du découpage où la tristesse soudaine de cette femme est évoquée visuellement par un changement d'axe brutal, la montrant de dos devant une façade écrasante.
Loin du classicisme, et de l'académisme, de ses films plus tardifs, son style est ici plus découpé, plus dynamique et parvient à rendre vivante la séquence du face à face entre le héros et la propriétaire d'un restaurant. Le montage devient l'écho des sentiments des personnages et s’accélère progressivement jusqu'à l'explosion quand la fille de cette dernière entre en jeux. Il faut dire que les acteurs sont tous justes et touchants, sans tomber dans le pathos démonstratifs, Chiezo Kataoka en tête. Et ça marche puisque la fin ferait presque verser sa petite larme en étant au contraire tout en retenu. Sans doute car le cinéaste privilégie la délicatesse à la mièvrerie.

Une très belle découverte, délicieusement accompagnée au piano, où Inagaki trouve le ton juste sur une histoire pourtant improbable.
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bruce randylan
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Re: Hiroshi Inagaki (1905 - 1980)

Message par bruce randylan »

Le col du grand Bouddha - Partie 1 (1935)

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Ce grand classique de la littérature japonaise, mainte fois adapté au cinéma (par Misumi, Okamoto ou encore Uchida entre autres), est ici porté à l'écran par Inagaki dans un dyptique avec Denjirô Ôkôchi dans le rôle Ryûnosuke Tsukue, un samurai maléfique dont la route croisera les proches de ses victimes : la petite-fille d'un pélerin assassiné sans raison et le frère d'un adversaire tué lors d'un duel officiel pourtant non-violent.

Malheureusement le second film est aujourd'hui perdu et le premier film se conclut sur un excellent mais frustrant cliffhanger alors que l'histoire commence à se mettre en place. Car il faut bien admettre que la structure du film n'est pas toujours aisée à suivre, comme la version Uchida d'ailleurs : trop de personnages, trop de sous-intrigues, beaucoup de ramifications. On devine un certain casse-tête pour adapter la densité d'une longue saga publiée en épisodes (et inachevée par la mort de l'auteur).
On est parfois un peu perdu dans cette construction chorale où toutes les intrigues n'évoluent pas sur le même fil et manquent donc de lien. De plus la mise en scène manque un peu de fluidité comme si certains comédiens s'arrêtaient au milieu de la prise en s’extériorisant du récit et devenait témoin de leur propre destin en se plaçant du côté des spectateurs. Ca semble volontaire puisque le début nous présente un narrateur, un prêtre aveugle, qui nous conduit vers le sommet du col du Grand Bouddha avant de nous confier à un autre guide qui regarde directement la caméra. Plusieurs moments proposent ainsi des pauses assez troublantes comme si on attendait une réaction de la part du public. Ça concerne avant tout des seconds rôles plus légers et humoristiques qui tranchent avec le ton dramatique du récit. Peut-être que le deuxième film aurait approfondi cette idée mais dans l'état, c'est surtout déstabilisant et on cherche la finalité.
Le rythme en pâtit un peu avec ce sentiment flottant dans plusieurs séquences de respiration. Et c'est plutôt dommage avec des personnages intéressants et complexes (même si cette adaptation omet toute connotation sexuelle, Ryûnosuke Tsukue étant également un violeur à la base) et surtout une belle réalisation élégante avec un sens du cadre affirmé, tant dans les extérieurs que les décors citadins ou les intérieurs. Le combat final sous la neige est remarquable même si les chorégraphies ont un peu vieilli, plus théâtral qu'épique, sans amoindrir la tension ou la beauté de la séquence.

Cela dit, la séquence la plus impressionnante n'est peut-être pas due à Inagaki. Deux cinéastes l'ont en effet assisté : Ryohei Arai et surtout Sadao Yamanaka qui aurait réalisé des scènes de combat. J'imagine qu'il est l'auteur du duel au début, lors de la compétition dont le style visuel beaucoup plus moderne tranche avec le reste du film. Les compositions sont plus harmonieuses, la photographie plus lumineuse et les mouvements de caméra très audacieux avec par exemple une répétition de deux travellings avant se rapprochant alternativement des adversaires avant l'assaut qui anticipe les futurs zooms des westerns italiens. Et puis l'idée des voix-off des observateurs chuchotant leur impressions est une idée géniale qui témoigne immédiatement de la crispation autour des techniques anticonformistes du menaçant Ryûnosuke.
Etant donné le statut culte de Yamanaka et le peu de film de ses œuvres ayant survécu (3 films et 2 fragments de quelques secondes), il est curieux que cette participation ne soit pas plus commentée ou évoquée.
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Re: Hiroshi Inagaki (1905 - 1980)

Message par bruce randylan »

Quelques mots sur le diptyque Ninjutsu 1 et 2 aka Secret Scrolls (Yagyû bugeichô et Yagyû bugeichô: Sôryû hiken en 1957/1958)
ImageImage

Le clan Yagyu a caché 3 parchemins contenant de précieux secrets qui, réunis, pourraient déstabiliser leur pouvoir. Découvrant ça, leur rivaux Kasumi tentent de s'en emparer et envoie plusieurs ninja tandis qu'un des parchemins en question tombent par hasard dans les mains d'une princesse d'un clan déchu.

Avec sa construction chorale jonglant entre ses multiples personnages, on devine un roman dense ayant servi au scénario. L'adaptation en deux films de 1h40 n'est pas vraiment suffisante pour que la narration soit toujours claire et limpide, avec de gros déséquilibre (Toshiro Mifune disparait pendant presque une heure dans le second film). La dimension purement McGuffienne des 3 parchemins n'aide pas non plus pour des enjeux trop abstraits. Quant aux personnages, le manque régulier d'interaction entre eux amenuisent le récit comme la relation entre Mifune et son frère, ninja lui aussi qui a pour mission de l'assassiner. C'est plutôt dommage car certaines scènes sont assez jolies, bénéficiant d'un beau classicisme d'Inagaki (qu'on lui a souvent reproché, un peu injustement parfois à mon goût). Quand il s'en donne la peine, la mise en scène est vraiment élégante avec une belle utilisation des extérieurs, où un vrai travail de repérage a eu lieu, et de l'architecture massive de châteaux forts. De plus la photographie en couleur est soignée, sans être trop tape à l'oeil, malgré de rares transparences grossières et laides (l'incendie en arrière fond)
Par contre, il faut reconnaître qu'il est loin d'être toujours à l'aise, à commencer par les séquences mélodramatiques où il se montre d'une inspiration irrégulière tel le climax du premier épisode qui est un peu ridicule. On devine aussi que les scènes purement explicatives ou didactiques ne le motivent pas plus que ça et tombent dans un découpage basique.

Bilan mitigé au final, surtout très inégal, capable du très bon et plan-plan dans la foulée. Ca se suit cela sans déplaisir non plus, sans passion non plus, les histoires de ninja des années 50 étant assez rares (les pratiques et techniques sont donc très rudimentaires). A l'époque, en tout cas, les spectateurs lui accorda un joli succès.

C'est sorti chez nous dans le coffret Asian Star dédié à Toshiro Mifune. La copie restaurée est d'excellente qualité avec une excellente définition.
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