Fritz Lang : les muets

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Fritz Lang : les muets

Message par The Eye Of Doom »

Sauf erreur, j'ai pas trouvé de topic sur la période muette de Lang, en-dehors des topics Mabuse et Metropolis.
J'en crée un et à l'occasion rapatrierai les commentaires deci delà.

Frau Im mond (1929)
Ce dernier muet de Lang n'a pas une super réputation et on comprend pourquoi.
Long ( presque 3h quand même) c'est un mélodrame déguisé en film de science fiction. On suit cela avec un ennui poli la plupart du temps. Le génie de Lang est bien sûr visible à plusieurs reprises: composition des plans (très géométriques, composés, dès lors que l'on est dans le volet SF), mise en scène de confrontations et/ou de dynamique spéciales,...
On sent tout de même plutôt Lang peu intéressé par le sujet lui meme. La première partie semble une resucée des Espions, la seconde est plus intéressante dans son évocation de la préparation et du voyage sur la lune: on sent une volonté de réalisme qui fait bien rire aujourd'hui (le voyage) mais était pertinente à l'époque. Tout cela à tour de meme un côté bricolé et, il suffit de penser à la cave de Wallace et Gromit pour que l'affaire soit perdue.
C'est néanmoins sur la toute fin que tout d'un coup Lang sort de la forme d'engourdissement qui semble l'habiter :

Dans les scènes de la grotte, la belle mécanique plastique, propre sur elle et incarnant la science et le progrès est mise à mal par les sortes de sources chaudes, marigot bouillant ou les personnages pataugent,
L'avidité des personnages devant les blocs d'or massifs provoque la fin des apparence de civilisation, entraînant folie et mort ( superbe plan furtif du corps du professeur au fond du précipice)
Le tirage à courte paille pour savoir qui restées sur la lune révèle la veulerie ( peut être la scène la plus réussie du film)
Enfin la révélation finale donne corps à l'allégorie mélodramatique au cœur du film (Et de son titre)
En parcourant le petit livret propose par Eurêka, un critique évoque une piste intéressante: le film dans sa seconde partie serait comme une rêverie un peu comateuse : il est évident que le rythme et l'hypnotisme de certaines scènes (le coucher de terre), la scénographie de la lune elle meme, le déroulé du scénario après l'atterrissage (comment croire que l'on respire sur la lune !!),.... soutiennent le propos.

Quoiqu'il en soit, pour ne pas rester sur ma fin, j'ai enchaîné dans la foulée avec 20min des Espions : c'est tout de même autre chose.
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Rick Blaine
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par Rick Blaine »

The Eye Of Doom a écrit :
Quoiqu'il en soit, pour ne pas rester sur ma fin, j'ai enchaîné dans la foulée avec 20min des Espions : c'est tout de même autre chose.
Les espions, c'est passionnant pendant presque trois heures, Lang y démontre un formidable sens du rythme.
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Watkinssien
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par Watkinssien »

Hormis les deux titres exclus du topic, les muets de Fritz Lang qui me fascinent le plus demeurent les deux films de la saga Die Nibelungen, tout simplement le premier très grand film d'heroic fantasy de l'histoire du cinéma. Puissant de bout en bout, ce diptyque est un modèle de design, de mise en scène et de construction scénaristique.
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Spione (1928)
Après un Frau im Mond qui m'a laissé songeur, j'ai voulu me prendre un vrai dose d'adrénaline, un secousse comme seuls (?) les grands muets peuvent en apporter.
Le cinema muet c'est la drogue dure des cinéphiles.
Bref, plongée dans Spione, dont je gardais le souvenir de nombreux passages marquants.
Film soit disant secondaire (mineur serait tout de même exagéré) arrivant après deux monuments : les Nibelungen et Metropolis. On imagine que cela place la barre assez haut. Et le film décevra les critiques de l'époque, y voyant a juste titre un retour de Lang à son registre premier : le serial, après Spiders et Mabuse.
Ce film est bien sûr tout aussi remarquable que ses illustres prédécesseurs mais dans un registre différent. Pour le spectateur c'est un pur plaisir de mise en scène ( qui m'a rappelé le vision récente du Mission Impossible de De Palma). Il n'y a pas ou peu de psychologie des personnages, pas de vision ou propos social, tout est abstrait et construction. L'esthétique néo expressionniste et l'ambition monumentale fait place à une vision sèche, austère, dans la ligne Bauhaus. On reste à immédiate proximité des personnages et leur action, via l'omniprésence de gros plans.
C'est donc vers une épure que l'on tend.
Comme le souligne les critiques ( de l'époque pour le blâmer, d'après guerre pour le valoriser), le film semble "gratuit, tout à son geste esthetique.
Les invraisemblances sont multiples.
Sorte de Mabuse 2.0, Hagui est en fait l'autoportrait de Lang, omnipuissant, manipulateur, poussé par une vision et une quête de pouvoir que lui seul connaît.
Son royaume se résume à la fameuse cage d'escalier oú vont et viennent des personnels affairés ( on se demande franchement ce qu'ils font "en vrai", à part figurer la fourmilière). On retrouvera ce concept dans le repère de l'homme sans visage de Franju.
Le film abonde en moments forts: l'introduction avec l'exécution en voiture, les affrontements Sonia/Hagui, la jeune fille sous le porche, les 3 fantômes, l'épisode du train, la poursuite en moto, l'assaut final,... et le dernier show.
Le film via ces episodes est la matrice de ce qui sera les codes du film d'espionnage ou du thriller pendant les 40 ans qui suivront. On pense bien sûr à l'influence sur Hitchcock pour la dernière scène ( bien que je n'arrive pas à situer le film ou le criminel est cerné sur scène).

À noter bien sûr, la tension erotique particulièrement présente dans cet opus (la droguée alanguie, les tenues de Sonia, le kimono entrouvert,...).

Que du très bon!

La copie proposée par Eureka est très belle, bien que quelques défauts n'aient pas été corrigés ( lignes verticales).
Il faut regarder le documentaire joint pour apprendre que le film a été reconstruit à partir des 3 versions existantes comprenant chacune des prises différentes. C'est donc une toute nouvelle version.
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Comme convenu, je rapatrie quelques critiques :
M le maudit a écrit :Les Espions

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Scénario: Fritz Lang et Thea von Harbou
Année de sortie: 1928
Durée: 143 minutes


Plusieurs ouvrages et diverses sources de référence passent par-dessus Spione comme s'il n'avait à peu près jamais existé. On se contente bien souvent de dire qu'il s'agit d'un film d'espionnage dans la veine de Dr. Mabuse le joueur et qu'il fut créé pour essuyer l'échec commercial de Metropolis. Situé donc entre ce dernier et La Femme sur la lune, dernière oeuvre muette de Lang, Spione se trouve dans une zone d'ombre que peu de gens se donnaient la peine d'éclairer, du moins jusqu'à tout récemment. De nouvelles éditions américaines et européennes de ce "petit film" ont finalement permis de le visionner dans toute sa gloire, plutôt que dans la version américaine massacrée de 90 minutes.

Il est vrai que Spione peut en quelque sorte être vu comme le petit frère de Dr. Mabuse le joueur. On y retrouve une fois de plus Rudolf Klein-Rogge dans le rôle d'un puissant vilain aux multiples visages qui trône sur une organisation d'espions complexe et hyper-puissante. Cependant, étant deux fois moins long que son prédécesseur, le rythme du film est beaucoup plus rapide et les coins sont tournés un peu plus rondement. Il n'en demeure pas moins que Spione est l'ancêtre de tout film d'agent secret dans la règle du genre: un courageux agent qui porte un numéro, un vilain handicapé aux desseins les plus noirs, son acolyte femme fatale qui tombe amoureuse du héros, des poursuites en voiture, une scène de train, bref, tout y est!

C'est peut-être d'ailleurs la légère faiblesse du film: un peu trop de "twists and turns" pour sa durée et une intrigue qui s'égare quelque peu. Mais ce détail est largement rattrapé par une multitude de scènes mémorables, de celle d'ouverture qui jette en une minute les bases de l'action, en passant par le match de boxe au dance hall et le rituel seppuku, jusqu'à la finale un peu burlesque mais très efficace. Une chose est certaine, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Lang fait encore la démonstration de son flair naturel de conteur en alternant scènes d'amourettes et d'actions, scènes d'orchestration machiavélique et scènes d'enquêtes avec un timing presque impeccable.

Sur le plan artistique, Lang se montre ici en parfait contrôle de son navire. Grâce à la collaboration de l'illustre directeur photo Fritz Arno Wagner, responsable de la photographie du Nosferatu de Murnau, et avec qui Lang travailla entre autres sur Der Müde Tod, le film atteint une perfection plastique qui inspirera grandement le film noir américain, encore davantage peut-être que Mabuse le joueur. La réalisation est toujours aussi audacieuse, et l'insouciance de Lang envers les conventions du récit traditionnel confère au film un petit quelque chose de plus, sans doute cette épice langienne qui fait de Spione plus qu'un simple film d'espionnage, mais bien un monument du genre.
M le maudit a écrit :La Femme sur la lune

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Scénario: Fritz Lang, Thea von Harbou et Hermann Oberth
Année de sortie: 1929
Durée: 169 minutes


Deux ans après Metropolis, Fritz Lang convainc la UFA d'investir dans un autre film de science-fiction, encore plus audacieux que son prédécesseur. Dans le rôle du héros et de l'héroïne, le réalisateur fait de nouveau appel au duo de Spione, Willy Fritsch et Gerda Maurus. Basé sur un roman de son épouse Thea von Harbou, Frau im Mond raconte l'épopée d'un équipage qui voyage sur la lune dans le but d'y trouver de l'or, alimenté dans cette croyance par les théories du professeur Manfeldt, un scientifique controversé et ridiculisé par ses pairs. Seulement les choses tournent au vinaigre quand une organisation de richissimes hommes d'affaires force le chef de l'équipage Helius à intégrer au voyage l'un de leurs représentants, l'abject Turner, probablement l'un des vilains les plus détestables et nauséeux de l'histoire du cinéma, interprété avec brio par Fritz Rasp. Ajoutez à la sauce un triangle amoureux impliquant Helius, son meilleur ami Windegger et la fiancée de ce dernier, et vous avez les ingrédients de base de ce film aux proportions épiques, dans le plus pur style de la période muette de Lang.

Peut-être encore davantage que Metropolis, ce film jette les bases d'une foule d'archétypes de la science-fiction, et traverse même le monde de la fiction pour résonner dans la réalité. En effet, Frau im Mond présente en primeur une foule d'éléments aujourd'hui intégrés dans l'imaginaire collectif: premier compte à rebours, concept inventé pour ce film dans le but d'alimenter le suspense, première fusée en deux parties et première représentation de l'absence de gravité dans l'espace. Pour s'assurer que son film soit scientifiquement crédible, Lang a fait appel à Hermann Oberth, astronome réputé, comme conseiller technique. Vingt-sept ans donc après le Voyage sur la lune naît un autre film sur le sujet, qui le traite cette fois avec plus de sérieux et qui étonne encore par sa dimension prophétique. Toute la scène du voyage vers la lune et de l'atterrissage est un sommet de suspense et de réalisation. Le film vaut la peine d'être vu ne serait-ce que pour elle. Les effets spéciaux sont également d'une grande ingéniosité. Le gros budget de la production transparaît aussi dans les décors qui sont de toute beauté.

Il est par contre surprenant de constater que malgré tout le souci de Lang pour rendre son film scientifiquement crédible, il ait laissé passer tant d'éléments risibles au niveau du scénario. Il est peu probable que la première fusée à voyager dans l'espace compte à son bord un vieil homme sénile qui risque de compromettre le bon déroulement des choses par son entêtement et ses sautes d'humeur. On peut d'ailleurs penser qu'une expédition de cette ampleur ne peut s'organiser si rapidement, et que ceux qui la financent voudraient au moins s'assurer qu'elle est menée par un équipage compétent. Mais puisqu'il s'agit au fond de science-fiction et non de documentaire, laissons passer ces détails qui ne sont au fond que des éléments cinématographiques destinés à satisfaire les goûts du public. Mais même l'intrigue entre les deux hommes qui se battent pour la femme est menée de façon un peu bâclée. À aucun moment ne donnent-ils l'impression d'être de meilleurs amis. Le jeu des acteurs est d'ailleurs très inégal, les exagérations expressionnistes de Willy Fritsch détonnant avec l'incarnation subtile et plus moderne de Gerda Maurus.

Mais tenons-nous le pour dit, ce film est un bijou en soi, et malgré ses nombreux défauts on ne peut que se demander pourquoi il n'a pas davantage retenu l'attention. Frau im Mond obtiendra un succès moyen au box-office, le public se détournant déjà du film muet qui lui paraît vétuste. Ce sera d'ailleurs le dernier film muet de Lang et le dernier film muet à être réalisé en Allemagne. Suite aux pressions de la UFA pour sonoriser le film, Lang se brouille avec ses producteurs et rompt son contrat avec la compagnie. Vers la fin des années 30, la Gestapo s'empare des copies et les détruit parce que la fusée ressemblait trop à leur goût à celles qui ont été expérimentées pendant la seconde guerre mondiale. Triste destin pour un grand film qui n'a pas fini de surprendre et de cimenter sa place dans le panthéon des grandes oeuvres visionnaires.
Demi-Lune a écrit :Image Image Image

Les Espions (1928)

J'ai l'impression qu'on évoque assez rarement ce film muet qui succède au gigantesque Metropolis. Eh bien, je dois dire que je comprends plutôt pourquoi : cela ne me paraît pas être un Lang très satisfaisant. Pourtant lorsque l'on se renseigne sur le film, on entrevoit les possibilités du sujet, inspiré de faits historiques récents, enrobé d'une grosse dose de romanesque par la plume de Thea Van Harbou. Sur le papier, le scénario est prometteur : vols de documents confidentiels, organisation criminelle tentaculaire dirigée par un personnage inquiétant et mégalo, un agent secret au matricule chiffré à sa recherche, une espionne russe chargée de le piéger mais qui finalement tombe amoureuse de lui, tout le monde surveille tout le monde, des écritures qui s'effacent, des traités secrets, des suicides, un livre qui arrête une balle... ces rebondissements précèdent une imagerie bondienne voire hitchcockienne (Les Enchaînés pour les dilemmes moraux de deux espions amoureux, Quatre de l'espionnage pour l'accident ferroviaire...) et suggèrent une cadence infernale. C'est d'ailleurs ce que confirme momentanément l'ouverture du film, leçon de cinéma où en seulement deux minutes effrénées et inventives, Lang raconte visuellement le contexte explosif et jette les enjeux à venir.

Pourtant, on se rendra rapidement compte que passée l'entame, le film stagnera dans un rythme emmerdant. D'un point de vue narratif il progresse toujours, il n'y a pas de véritable temps mort, et le scénario romanesque et exotique de Van Harbou dénote une ambition chorale similaire à celle de Metropolis (l'intrigue développe différents fils coordonnés par une demi-douzaine de protagonistes, qui vont tous se rejoindre peu à peu) ; par ailleurs, le film baigne dans un certain érotisme discret. Cependant tout ceci m'a été bien ennuyeux à suivre. Statique, la réalisation de Lang m'a déçu. Certes Les Espions n'est pas mu par la même monumentalité que Metropolis, son budget est bien inférieur, et les ambitions de Lang ne semblent pas être les mêmes : lui-même appréhendait cette œuvre sinon comme une récréation, du moins comme un contrepoint modeste au visionnaire Metropolis. Pourtant l'ouverture du film laissait augurer quelque chose de frénétique et génial visuellement. Or s'il y a bien des idées éparses, c'est quand même globalement plat pour quelqu'un d'aussi visuel que lui, surtout à cette époque. Tout est enfermé dans des décors en carton-pâte qui se révèlent vite oppressants (marrant parce que j'ai découvert quelques muets soviétiques ce mois-ci, et je suis beaucoup plus sensible à leur expression aérée, en extérieurs, bien en prise avec le réel et le quotidien). Énormément de gros plans, peu de plans larges, on étouffe.

C'est dans la dernière demi-heure que le film redécolle, avec ce complot ferroviaire auquel s'ensuivra une course-poursuite en side-car, des explosions, des scènes très dramatiques (Sonja ligotée, le gaz). Lang paraît alors s'amuser, dans le même temps qu'il retrouve le dynamisme et l'ampleur de la dernière heure non-stop de Metropolis. Au final, Les Espions m'apparaît comme un Lang mineur - frustrant surtout, parce que son scénario riche en péripéties n'est pas tellement sublimé par la mise en scène de Lang, relativement pépère. C'est d'autant plus regrettable que l'interprétation n'est pas outrancière (jolie Gerta Maurus par ailleurs, sur laquelle Lang flasha). C'est un film surtout intéressant pour ce qu'il dévoile d'héritages distincts ou lancinants sur le cinéma d'action populaire, et pour ce qu'il illustre possiblement de paranoïa dans une Allemagne de la République de Weimar, gangrénée par des ennemis de l'intérieur, des puissances de l'ombre malveillantes.
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Un peu déçu à la revoyure de Der Mude Tod (1921)", "la mort lasse, connue sous nos contrées sous le titre les trois lumières.
N'ayant vu aucun des Lang précédent, je ne sais pas s'il y a une evolution. Par contre un an plus tard ce sera Mabuse...
Film de transition peut être entre une esthétique tres classique du film historique et mélodramatique ( costumes, vues de la bourgade, intérieurs du café,...) ou du film exotique (décors et ambiances orientales), on est dans la carte postale, et d'autre part poussées de visions et style plus exacerbés, plus expressionniste,...
Le film se compose en quatre parties : la présentation du couple d'amoureux et de la figure de la mort, dans le contexte d'un petite ville allemande, puis trois segments (les trois lumières) situés en des lieux et temps différents. Un court épilogue clos l'ensemble.
Tout le début est très bien: Lang installe une ambiance originale ou l'enthousiasme du couple est opposée à la figure de la mort, sobre, lasse et triste. Deux grandes idees qui marquent : la figure elle meme hieratique, qui contraste avec la vulgarité des notables bourgeois et le mur bien sûr entourant le royaume des morts. Le plan de la mort devant son mur immense et nu justifie à lui seul de découvrir le film. Malgré le côté romantique de l'affaire, en droite ligne de la culture allemande, une sécheresse de mise en scène domine qui préfigure les œuvres à venir.
Ce segment à t'il marqué Murnau pour Faust ? Probablement.
Les problèmes viennent ensuite. Le premier segment situé dans l'Arabie "classique" surprend encore par les scenes de foule et la violence de certaines images
Spoiler (cliquez pour afficher)
la tête du supplicié qui sort du sol
Le second, situé à Venise et le plus sobre plastiquement et donc celui qui permet à Lang de proposer des plans tres construits géométriquement, dans un style qui aboutira dans les Nibelungen.
La prestation de Rudolf Klein-rogge préfigure elle directement Mabuse
Le troisième segment se déroulant en Chine est par contre une catastrophe complète: décors d'épinal en carton patte, empereur grotesque, effet spéciaux foireux, ... Peut être y avait'il la volonté de faire un sketch plus tragi comique que les précédents. En tout ce segment pese sur l'ensemble et de plus situé a la fin laisse le spectateur sur un sentiment moyen vis à vis de l'ensemble.
Quand à l'épilogue, il n'apporte rien au spectateur de plus que la première partie.
A noter toutefois des scenes autour d'un incendie assez réussies.

C'est bien sur un film à voir pour quiconque s'intéresse au cinéma de l'époque (tout début des années vingt) ou pour les complétistes de Lang curieux de remonter aux origines. Il ne saurait être prioritaire par rapport aux films de l'auteur qui ont suivi sur cette décennie fabuleuse.
Avec ses fulgurances éparses, c'est une sorte de brouillon du génie à venir.

J'aurais bien voulu revoir le Cabinet des figures de cire"de Leni, pour comparer.
Il est sorti en 24 toutefois soit une éternité plus tard à l'échelle de l'avancée du cinéma de l'époque...

A noter que la copie du bluray Eurêka est de bonne tenue mais n'a pas été nettoyée... Les rayures abondent. Quand on voit le travail fait sur Fiancée en folie de Keaton, on ne comprend pas que c'est grand muets ne soient pas systématiquement nettoyés numériquement. D'autant plus quand comme ici le matériel semble tout à fait correct. Le qualificatif "Superb 2k restauration" me paraît abusif...

Postface:
Je viens de vérifier quelques dates par acquis de conscience. Sauf erreur, Nosferatu est sorti en 22. Seul Golem et Cagliari précédent les trois lumières ( pour parler bien sûr uniquement des films "expressionnistes" emblématiques et encore visibles aujourd'hui)
The Eye Of Doom
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Je rapatrie quelques avis:
M le maudit a écrit :
Der Müde Tod (Les Trois lumières)

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Fritz Lang réalise en 1921 Der Müde Tod, film qui le rendra célèbre auprès de ses contemporains et qui marquera le cinéma dans son ensemble, faisant sentir ses échos à travers les années et ce jusqu'à nos jours. Aussi important que d'autres films muets de la même époque tels que Le Cabinet du Dr. Caligari et Nosferatu, mais ne bénéficiant pas de la même notoriété publique, ce classique de l'expressionnisme allemand jette les bases de plusieurs techniques visuelles et narratives qui seront récupérées par une foule de grands noms.

Film favori d'Alfred Hitchcock, encensé par Bunuel comme l'oeuvre qui lui a donné la piqûre du cinéma, inspiration du personnage de la mort dans le Septième Sceau de Bergman, les éloges ne se comptent plus et la portée de l'oeuvre ne saurait être décrite à sa juste valeur. Pionnier du film à sketch, du Décaméron aux Contes de la crypte, Der Müde Tod est également un film d'aventure, une méditation philosophique et une réalisation visuelle époustouflante.

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Le spectateur moderne sera surpris de voir comme ce film a somme toute bien vieilli. Il faut évidemment laisser de côté ses habitudes de cinéphile gavé au CGI, mais le souci artistique et la débrouillardise dont fait preuve Fritz Lang ne manqueront pas de surprendre. Les moments d'ennui sont étonnamment rares et le tout demeure fort divertissant, surtout pour un film qui a plus de 80 ans. Dommage qu'aucune restauration sérieuse n'ait été effectuée. Croisons les doigts.
Citizen V a écrit :Les Trois Lumières (1921)

La Mort débarque dans un petit village. Parmi sa moisson, se trouve l'amant d'une jeune femme. Celle-ci poursuit la Mort, lui demandant de lui rendre son bien-aimé. La Mort lui montre trois bougies quasiment consumées, représentant trois hommes condamnés... Si la jeune femme parvient à en sauver un, son amant lui sera rendu...


Je viens de découvrir ce film de Lang à l'occasion d'un ciné-concert*, film qui semble assez rare et à mon sens très sous-estimé (ceci expliquant cela peut-être...). On comprend aisément que Bunuel, Hitchcock et Eisenstein aient pu être subjugués à la vision du film à l'époque...
On trouve déjà ici la plupart des aspects de la filmographie ultérieure de Lang : pointes d'expressionnisme, goût pour le serial et le récit d'aventure exotique, poids du destin, fatalisme... mais aussi romantisme exacerbé (car c'est avant tout une histoire d'amour fou) !
L'expressionnisme se manifeste bien sûr dans les séquences fantastiques avec la Mort (la salle des bougies ou la magnifique scène des morts "transparents" qui traversent le mur érigé par la Grande Faucheuse pour séparer son royaume de celui des mortels) mais surtout dans l'utilisation de décors extrêmement signifiants, notamment de nombreux effets de symétrie qui enferment les personnages (si l'on n'a pas peur d'enfoncer des portes ouvertes, disons qu'il s'agit là de la fatalité à l'oeuvre, le signe d'un destin inexorable...).
On sent tout l'amour que Lang porte au serial au travers des trois défis que la Mort propose à la jeune femme, 3 hommes à sauver symbolisés par des bougies prêtes à s'éteindre... La jeune femme se retrouve ainsi en Perse, à Venise et en Chine. On assiste alors à un florilège plaisant mais relativement tarte de poursuites, de combats à l'épée, de passages secrets, de mascarades, de méchants chinois fourbes et barbus avec des griffes à la place des doigts, de musulmans chassant les infidèles, etc... (ATTENTION SPOILERS :arrow: ). Mais tout l'exotisme mis en oeuvre ne change rien : la Mort "lasse" (traduction du titre original, Der Müde Tod) triomphe à chaque fois (sans enthousiasme), en effet la jeune femme ne parvient jamais à sauver l'homme en question... pis, dans le second segment à Venise, c'est elle-même qui tue malencontreusement celui qu'elle est supposée sauver! Contrairement à ce qu'elle pouvait croire au début, l'amour n'est pas plus fort que la mort. C'est le constat implacable de ce film magique et magnifique (éclairages, cadrages, décors sont remarquables), à la construction d'une très grande fluidité, mais terriblement pessimiste... On n'en attendait pas moins d'un joyeux luron comme Lang!

* Le cadre (une belle église) et l'excellente musique à base d'accordéon très sombre et de discrètes nappes de synthé rendaient totalement justice au film!
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par halford66 »

Je ne connaissais pas ce topic. Potemkine a confirmé une sortie bluray du Docteur Mabuse et également des Niebelungen.Pour ce dernier j'ai hâte de redécouvrir la très belle copie teintée diffusée une seule fois sur Arte très précisément le lundi 3 octobre 2011(!)suivie d'un excellent documentaire (et conservée sur mon TNTscope"Akira").Une sortie bluray UK avait suivi en 2012 mais rien chez nous,je pensais que ça ne sortirait jamais chez nous !

Par contre les araignées totalement inédit chez nous et les trois lumières qui n'existe qu'en DVD"officieux" FSF ne sont pas prévus,dommage.

De sa filmo muette,les 2ers sont considérés comme perdus Cœur en lutte/4 pour une femme à été diffusé dans le cadre du cinéma de minuit mais je ne l'ai pas vu et il n'existe pas en vidéo chez nous.

1919 : La Métisse (Halbblut)
1919 : Le Maître de l'amour (Der Herr der Liebe)
1919 : Les Araignées - 1 : Le Lac d'or (Die Spinnen - 1. Teil: Der Goldene See)
1919 : Harakiri
1920 : La statue qui marche, Das wandernde Bild
1920 : Les Araignées - 2 : Le Cargo de diamants (Die Spinnen - 2. Teil: Das Brillantenschiff)
1921 : Cœurs en lutte (Kämpfende Herzen)
1921 : Les Trois Lumières (Der Müde Tod)
1922 : Docteur Mabuse le joueur (Dr Mabuse der Spieler)
1924 : Les Nibelungen : La Mort de Siegfried (Die Nibelungen: Siegfried)
1924 : Les Nibelungen : La vengeance de Kriemhild (Die Nibelungen : Kriemhilds Rache)
1927 : Metropolis
1928 : Les Espions (Spione)
1929 : La Femme sur la Lune (Frau im Mond)
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par Jack Carter »

halford66 a écrit : 5 févr. 23, 09:42
1919 : Harakiri
1920 : La statue qui marche, Das wandernde Bild
diffusés egalement au CDM, avril 2010 pour le 1er, janvier 2009 pour le second...
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par damdouss »

Jack Carter a écrit : 5 févr. 23, 10:09
halford66 a écrit : 5 févr. 23, 09:42
1919 : Harakiri
1920 : La statue qui marche, Das wandernde Bild
diffusés egalement au CDM, avril 2010 pour le 1er, janvier 2009 pour le second...
Oui enregistrés à l'époque sur VHS. Je les garde bien au chaud ces deux là car pas prêt de sortir chez nous...
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par Jack Carter »

Faudrait peut-etre que je pense à les regarder ces trois là, je les ai aussi enregistré à l'epoque (sur dvd-r)
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Ils sont pas dans le coffret kino ?
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par Jack Carter »

The Eye Of Doom a écrit : 5 févr. 23, 11:43 Ils sont pas dans le coffret kino ?
en effet (dvd only)

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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par The Eye Of Doom »

Jack Carter a écrit : 5 févr. 23, 11:46
The Eye Of Doom a écrit : 5 févr. 23, 11:43 Ils sont pas dans le coffret kino ?
en effet (dvd only)

Image
C’est a ceci que je pensais

https://kinolorber.com/product/fritz-la ... et-blu-ray

En fait les trois films sont bien dedans.
Mais le set dvd peut permettre de compléter sans se ruiner dans le coffret bluray (enfin, s’il est trouvable a juste prix).
Sur le fonds, j’ai pas le souvenir d’avoir lu qu’ils étaient indispensables…
Mais tout avis contraire sera bien venu.
halford66
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Re: Fritz Lang : les muets hors Mabuse et Metropolis

Message par halford66 »

Je viens de revoir la femme sur la Lune,quel film!Il y a des longueurs certes(2H50)mais il est vraiment impressionnant presque un siècle après sa sortie,à l'époque les spectateurs ont dû halluciné !

Niveau cinéma muet tous pays confondus Lang écrase la concurrence,seul le Faust de Murnau est du même tonneau.La carrière de Fritz Lang pour moi s'arrête là,en passant au parlant il n'a plus rien fait d'intéressant,,il faut dire aussi que pour ses 1ers films il a parfois disposé de moyens colossaux qu'il n'a plus jamais eus par la suite.
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