Le kid de Cincinnati
Dans le sillage de L’Arnaqueur (en moins cérébral, moins austère), le film joue la carte de la photogénie du jeu professionnel et de l’atmosphère prenante des salles de poker, pleines d’ombre, de silence et de fumée. Monde pittoresque de La Nouvelle Orléans pendant les roaring twenties, avec ses tripots et ses flambeurs, où le Kid cultive l’ambition de détrôner le roi incontesté du stud à cinq cartes. Steve McQueen contre Edward G. Robinson : un régal d’affrontement que le réalisateur orchestre en asservissant sa mise en scène à la hantise de la déperdition, au refus des temps morts, à la crainte de l’imprécision psychologique. D’où ce suspense dramatique parfaitement conduit, culminant dans une haletante partie finale où s’exposent en toute lumière les incertitudes de la réussite et les bizarreries de la fatalité. 5/6
Dans la chaleur de la nuit
Film à Oscars, film bien pensant suscitant l’adhésion d’une critique d’outre-Atlantique qui au même moment boudait le très moderne Bonnie et Clyde. Il est aujourd’hui difficile de le condamner sur ces préjugés-là. Héritier d’un cinéma américain dont le privilège consiste à individualiser les conflits sans les schématiser, Jewison sait doser les scènes d’action et les explications brèves et révélatrices, concilier maturité du traitement (jeu des acteurs, dialogues incisifs, portants) et de la mise en scène, au détriment de crescendos mesurés ou d’envolées lyriques douteuses. En résulte une œuvre honnête, forte et vigoureuse sur le racisme persistant de la société américaine, un polar sudiste dont la qualité d’atmosphère le dispute à la lucidité du discours, et celle de l’émotion à une rigueur de pensée maintenue. 4/6
L’affaire Thomas Crown
Il y a deux façons d’apprécier ce suspense glamour au script chantourné, peut-être influencé par l'Arabesque de Donen, qui s’ébroue à l’image de son héros millionnaire dans un univers d’élégante mondanité. La première, sarcastique, assez peine-à-jouir, est d’y voir une machine à faire de l’argent, tournant et ronronnant bien rond, sans à-coup, reprenant une esthétique de publicité et cultivant au zoom et au split-screen une sophistication de magazine de luxe. La seconde consiste au contraire à se laisser séduire par la grisante légèreté du divertissement, la souplesse d’une exécution sans accroc qui préempte la supériorité de la surface sur celle du fond et le charme redoutable d’un duo d’acteurs alors au sommet de leur éclat : Steve McQueen en cambrioleur romantique, Faye Dunaway en Sherlock Holmes en jupon. 4/6
Éclair de lune
La communauté italienne de Brooklyn a nourri beaucoup de films américains. Si cette comédie romantique active a priori des clichés éprouvés et des situations convenues (la mamma qui se meurt en Sicile, la veuve au sang chaud, les petits commerçants volubiles, le mari angoissé à l’idée de "porter les cornes"…), son mérite repose sur la fraîcheur et la drôlerie d’une intrigue dans laquelle les sentiments sonnent juste, sur la simplicité d’un langage utilisé pour créer une famille imaginaire à laquelle chacun peut appartenir – même un professeur d’université dragueur, qui déambule dans une ou deux scènes. Quant à l’homogénéité de l’interprétation, elle confère une sorte de saveur du terroir ayant tout pour plaire aux spectateurs que nous sommes, éternels nostalgiques des splendeurs du cinéma d’avant-hier. 4/6
Mon top :
1. Le kid de Cincinnati (1965)
2. Dans la chaleur de la nuit (1967)
3. L’affaire Thomas Crown (1968)
4. Éclair de lune (1987)
Plus que de talent, il faudrait peut-être parler de savoir-faire pour qualifier les réussites de ce réalisateur de prestige. Plaisant, habile et accrocheur, son cinéma semble en effet s’inscrire dans la longue tradition d’un "hollywoodianisme" à l’efficacité éprouvée, capable de humer l’air du temps sans tourner le dos aux approches et aux schémas les plus classiques.