Mauritz Stiller (1883-1928)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par bruce randylan »

Mauritz Stiller demeure pour beaucoup le découvreur de Greta Garbo mais il fut l'un des grands noms du cinéma muet au travers de "l'école suédoise" dont il fut le meilleur représentant avec Victor Sjostrom, un mouvement qui place la nature au coeur de la psychologie et de la narration.

Madame de Thèbes (1915)
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Pour éviter qu'une malédiction ne frappe son fils, une bohémienne confie son bébé à une aristocrate qui vient de perdre son enfant. Des années plus tard, le fils est sur le point de faire carrière dans la politique tandis que sa mère biologique est devenue une voyante prisée par les hommes de pouvoir pour ses prédictions.

L'un des 2 plus vieux films conservés de Stiller fait encore partie d'un début de carrière encore impersonnel. Difficile de voir un style affirmé dans ce mélodrame aux ficelles bien artificielles et peu passionnantes. Le découpage y est encore très basique, sans grande inspiration et mécanique. Les cadres ont l'air réfléchi mais manquent de respiration et rapidement de variation, surtout pour les intérieurs. La photographie est par contre plus travaillée et la direction d'acteurs assez sobres pour l'époque.
Mais avec ce scénario, le film ne décolle jamais et le sentiment général est la passivité face à une intrigue qui se traîne.


Vers le bonheur / Erotikon (1920)
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Un entomologiste délaisse son épouse, courtisée par deux hommes.

Comédie de mœurs mondaine, Erotikon, s'il ne fait pas réellement partie de "l'école suédoise", demeure l'un des titres marquants de son auteur. On n'est pas très éloigné de l'esprit des "comédies de remariage" que pouvait faire Cecil B. De Mille à la même époque aux USA mais Stiller le fait avec une approche beaucoup plus sobre et mature, loin du barnum décoratif et l'étalage de luxe. Pour continuer le parallèle on retrouve même un interlude antique, bien plus habilement intégré au récit même si un brin trop long.
De ce fait, on pense plus souvent à Lubitsch et avec quelques années d'avance ! On y retrouve l'élégance, la légèreté de l'écriture, la brillante caractérisation des personnages, une relative immoralité, un ménage à trois (voire quatre) et une réalisation précise assez discrète qui joue des variations de cadrages et de la gestion de l'espace pour replacer (ou non) les acteurs dans la dynamique de la séquence. La direction d'acteurs est également un régal avec juste ce qu'il faut de décalage et de stéréotypes pour éviter la simple farce ou le vaudeville. Pour autant, ils sont parfaitement humains et humanisés et ne sont jamais des simples pantins uniquement crée pour amuser le public. Irene, l'épouse, est un personnage féminin particulièrement intéressant et complexe.
La mélancolie n'est jamais bien loin d'ailleurs pour la relation entre l'épouse et son premier prétendant, avec le risque de casser un peu la dynamique du récit et l'unité de l'écriture. On peut ainsi regretter que le second personnage féminin (la nièce) soit à ce point effacé. Il y a ainsi quelques longueurs durant la seconde moitié lorsque le ton se fait plus dramatique... pour mieux repartir par la suite, en renouant avec la légèreté, parfois légèrement farfelue, le marivaudage raffiné et la comédie de mœurs, ironique sans être mordante à l'image des cartons très amusants avec de petits dessins résumant/détournant les situations.
Les acteurs, tous excellents, incarnent à merveille les personnages à l'écriture originale et il est difficile de ne pas s'amuser du mari qui s’énerve qu'on ne respecte pas sa situation de mari hypothétiquement trompé n'aspirant qu'à manger un ragout ou de l'allure et de la démarche de son collègue comme on ne peut que s'attendrir de l'épouse qui précipite une "fin dramatique" pour en finir avec une situation hypocrite et tendue.


A travers les Rapides (Johan - 1921) est pour le coup un excellent représentant de cette école suédoise et on voit clairement l'influence qu'il a pu avoir sur Dreyer, notamment La Fiancée de Glomdal pour son cadre ou la Quatrième alliance de Dame Marguerite et le maître du logis pour les relations entre personnages.
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On s'attache un peu moins aux personnages que dans Erotikon à cause d'une approche plus froide et distante, avec aussi une psychologie plus authentique car moins aimable. Le naturalisme ne s'applique ainsi pas qu'à la dimension picturale. Celà dit, cette austérité concerne surtout la première moitié qui installe le contexte et met doucement en place la frustration de cette jeune épouse, prisonnière d'une demeure isolée, face à une belle-mère insensible et un mari aussi absent qu'indélicat. Elle cédera donc en avance d'un voyageur qui lui propose une meilleure vie.
Ce qui est remarquable, c'est la manière non seulement d'intégrer la nature et l'environnement dans le cadre et la narration mais surtout de ne jamais chercher à l'idéaliser avec lyrisme et insistance. Ainsi, la réalisation est d'autant plus fluide qu'elle ne s'attarde pas sur ce qu'elle montre ou que la composition des plans ne cherche pas à dérouler sa virtuosité plastique. Il n'y a pas de volonté de faire du morceau de bravoure à la Griffith alors que tout s'y prête (les deux héros pris dans les tumultes d'un torrent), ce qui témoigne d'une honnêteté et d'un intégrité louable à l'instar du refus du manichéisme pour la conception de ses protagonistes.
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par bruce randylan »

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Demi-Lune a écrit :Image :mrgreen:
Amour et journalisme / Kärlek och journalistik (Mauritz Stiller - 1916)
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Pour obtenir un scoop sur les expéditions d'un célèbre scientifique, une journaliste se fait embauché comme servante dans sa maison

Petite et gentille comédie romantique bien loin de l'ambition (visuelle et plastique) des futures réalisations de Stiller, ce moyen métrage (35 minutes) n'en demeurent pas moins tout à fait charmant, en particulier grâce à ses comédiens, plein de naturel et de fraîcheur. Cela dit, il semble qu'Amour et journalisme s'intègre dans le genre de comédie que le cinéaste composera plus tard (mais que je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir).
En tout cas, l'intrigue, si elle n'est pas follement originale ou surprenante, est suffisamment bien construite et racontée pour qu'on suive le déroulement avec un certain plaisir. C'est surtout le personnage féminin qui est intéressant, pas si éloigné des héroïnes modernes Hawksiennes. Ca permet d'obtenir des relations et un sujet qui n'ont finalement pas tant vieilli au bout de 100 ans.
La mise en scène est encore un peu prisonnière d'une hégémonie de plans larges pour un découpage assez basique, sans être trop gênant par la brièveté de son récit, la qualité de sa photo et l'alchimie entre ses acteurs.
Le vieux manoir / gunnar hedes saga (Maurits Stiller - 1923).

Le jeune Gunnar est fasciné par la figure de son grand-père, violiniste qui a construit sa fortune avec l'élevage de rennes. A la mort de son père, et contre l'avis de sa mère, il décide de se lancer aussi dans cette aventure pleine de risques.

Ouh ! Grosse révélation devant ce opus qui m'a ravi du début à la fin malgré une structure très curieuse découpée en 3 parties qui fonctionnent un peu sur en mode miroir. C'est assez audacieux même si la contrepartie est un dénouement très rapidement prévisible (le rôle et l'influence du violon sur le jeune Gunnar).
La partie la plus mémorable est sans conteste l'époustouflant segment sur l’élevage de Rennes qui doivent parcourir des terres glacées et dangereuses. Toute cette longue séquence est un sacrée tour de force pour des images spectaculaires qui demeurent toujours aussi impressionnantes ne serait-ce que par la quantité d'animaux dans les plans larges. On se croirait dans les westerns avec l'équivalent en vache sauf que les rennes plongent ici dans des torrents glacées !
Le plus stupéfiant reste cette course totalement ahurissante où le héros, attaché au chef du troupeau, est tiré comme un fétu de paille sur une très grande distance, filmé dans de longs travellings qui prouvent que le comédien n'a pas été souvent doublé par un cascadeur. Vraiment hallucinant et parfaitement mise en scène avec un découpage nerveux qui mélange aussi le sauvetage d'un homme tombé dans un lac gelé.

Le reste du film est plus sage et romantique (coucou Rashomon :uhuh: ) mais ne se départit pas de son soin visuel avec un très beau lyrisme plein de délicatesse à l'image de ce travelling arrière suivant une jeune femme femme embrassant pudiquement une lettre de son amoureux. D'ailleurs toute la longue séquence finale est un petit bijou en terme de cadrage et de montage. Il faut aussi reconnaître que le pianiste qui accompagnait la séance à livré une improvisation de qualité qui apportait une émotion supplémentaire.

Vraiment une très belle découverte malgré donc un dernier tiers plus convenu d'un point de vue narratif.
Dernier film vu dans ce petit focus "école suédoise" :

Le trésor d'Arne / Herr Arnes pengar (Mauritz Siller - 1919)

Trois brigands écossais s'évadent d'une prison et volent l'argent d'un seigneur en massacrant toute sa famille. Seule a survécut une jeune fille qui avait pu rester cachée durant la tuerie. Quelque temps plus tard, elle croise sans le reconnaître l'un des assassins.

Encore une belle réussite signée par Stiller :)
Le scénario est un peu mieux structuré que le vieux manoir mais continue de conserver une narration clairement découpé en chapitre. L'originalité ici est qu'ils correspondent chacun à un changement de focalisation.
L'effet est simple mais permet de modeler des personnages plus profonds que le tout venant avec en particulier une psychologie très riche et complexe. C'est surtout valable pour l'un des trois assassins rapidement pris d'une terrible crise de culpabilité au point de d'éprouver des sentiments envers la "soeur" de la fille qu'il a poignardée.
La survivante est un tout petit peu moins marquante dans le sens où son amour pour cet homme repose moins sur un élément déclencheur fort. Mais durant le dernier tiers, ses dilemmes donnent des beaux moments. Ca repose en partie sur la fragilité de son interprétation mais aussi, et surtout, sur la réalisation de Stiller qui possède une rare compréhension de son langage cinématographique. Ainsi quand l'héroïne est en plein trouble pour savoir si elle doit dénoncer ou non l'homme qu'elle aime, toute la séquence se déroule dans des ruelles et passages du bourg pour créer un sentiment d'enfermement alors que les extérieurs du film se déroulait jusque là dans des lieux ouverts. Il y a beaucoup de trouvaille de ce genre tant visuel (les trucages sont très bien pensés et conçus) que narratif (l'ellipse du massacre, la vision des assassins aiguisant leurs couteaux) ou pictural avec le choix de cette mer gelée où tout le monde est prisonnier.
La caméra participe donc à communiquer des émotion délicates. Un travelling précédent le criminel crée ainsi physiquement la présence d'un fantôme qui le hante et devient de la sorte un sentiment palpable tant pour le comédien que pour le spectateur.

La capacité du cinéaste à s'adapter à chaque séquences est remarquable et ce dès l'ouverture qui possède la fraîcheur et la fantaisie des meilleurs Sérial avec un formidable sens de l'espace (géniale idée d'introduire la cellule par un travelling circulaire suivant le gardien).
Le style du film passe ainsi de la légèreté à l'urgence en passant par le désarroi, le trouble, le romantisme et la solennité lors d'un cortège final qui a marqué beaucoup d'esprits.
En revanche, je trouve qu'il manque au film un véritable climax qui donnerait toute sa force à cette très belle fable morale d'une beauté plastique permanente.

Le film est sorti en zone 1 donc n'hésitez pas :D
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Dernière modification par bruce randylan le 29 juin 17, 11:24, modifié 1 fois.
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Hotel imperial (1927)

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Coincé derrière les lignes russes ennemies, un soldat autrichien blessé est recueilli dans un hôtel déserté par les clients jusqu'à ce qu'un général russe y installe son quartier général.

Unique film américain encore existant de Stiller, Hotel impérial est une commande pour mettre en valeur sa vedette Pola Negri et qui demeure bien éloigné du registre habituel du cinéaste suédois. Pour autant il s'acquitte de sa tâche avec professionnalisme qu'il prend comme un brillant exercice de style : si la caméra bougeait assez peu dans ces précédents films, elle est ici souvent en mouvement pour de nombreux et remarquables travelling en tout genre, toujours parfaitement utilisé pour amplifier la force graphique et l'émotion du moment. C'est une réalisation assez virtuose qui a peut-être tapé dans l'oeil d'Hitchcock puisqu'on y trouve notamment un ample mouvement de grue descendant lors d'une grande réception où la caméra plonge d'une rambarde situé au premier étage pour se rapprocher d'un personnage au rez de chaussé, au fond d'une pièce (façon les enchaînés qui partage quelques similitudes avec le scénario d'Hotel Imperial). Il y a aussi un travelling arrière qui se conclut par un geste physiquement impossible où Pola Negri "ouvre" une porte invisible qui devrait se trouver derrière (ou devant) la caméra.
Ce travail visuel très stimulant ne prend toutefois pas le pas sur les personnages qui demeurent vivants et touchants même si fondamentalement le canevas demeure stéréotypée, même pour l'époque et n'exploite qu'en parti tous ses protagonistes (le rival de James Hall qui n'a au final aucune incidence sur le récit). Tout le monde n'a que d'yeux pour Pola Negri (véhicule oblige) et ça alourdit par moment la narration, soit en la ralentissant, soit en l'étirant un peu trop comme l'épilogue qui aurait pu être réglé en quelques plans et qui dure une bonne dizaine de minutes à fond dans le chantage affectif.
Mais tout le monde fait son job avec talent et application et cet Hotel Imperial rappelle l'incroyable niveau de maturité qu'avait alors le cinéma muet américain.

Difficile de savoir à quoi ressemblaient ses ultimes réalisations mais Stiller ne sentit rapidement prisonnier des méthodes du grands studios et du star-systeme. Fatigué des désaccords avec les producteurs, il rentra en Suède au bout de trois années où il décéda précocement sans avoir pu tourner de nouveaux films.


Le meilleur film de Thomas Graal (Thomas Graals bästa film - 1917)
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Un scénariste amoureux de sa secrétaire se lance dans la rédaction d'un script inspiré par sa rencontre avec elle.

Une comédie dans la pure lignée d'Amour et journalisme tourné un an plus tôt où Stiller renoue avec un ton chaleureux et décontracté. Les comédiens (dont Victor Sjostrom) se délectent avec plaisir de leur rôles et on devine une grande complicité avec le réalisateur qui a fait de rapide progrès en quelques mois. Son découpage, comme sa photographie, commence réellement à avoir de l'allure. C'est surtout pour son scénario que ce premier épisode de Thomas Graal se savoure en mélangeant avec fluidité et malice les différents niveaux narratifs (réalité Vs ré-création décalée) et on s'y perd même à quelques reprises, en se demandant si on est toujours dans le scénario en gestation ou dans la vraie vie de la secrétaire.
Après, le film a un peu vieilli et, sortie de son concept, l'humour est finalement assez peu présent. Il possède malgré tout une indéniable modernité ludique et une fraîcheur lumineuse.
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Alexandre Angel
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par Alexandre Angel »

bruce randylan a écrit :A travers les Rapides (Johan - 1921) est pour le coup un excellent représentant de cette école suédoise et on voit clairement l'influence qu'il a pu avoir sur Dreyer, notamment La Fiancée de Glomdal pour son cadre ou la Quatrième alliance de Dame Marguerite et le maître du logis pour les relations entre personnages.On s'attache un peu moins aux personnages que dans Erotikon à cause d'une approche plus froide et distante, avec aussi une psychologie plus authentique car moins aimable. Le naturalisme ne s'applique ainsi pas qu'à la dimension picturale. Celà dit, cette austérité concerne surtout la première moitié qui installe le contexte et met doucement en place la frustration de cette jeune épouse, prisonnière d'une demeure isolée, face à une belle-mère insensible et un mari aussi absent qu'indélicat. Elle cédera donc en avance d'un voyageur qui lui propose une meilleure vie.Ce qui est remarquable, c'est la manière non seulement d'intégrer la nature et l'environnement dans le cadre et la narration mais surtout de ne jamais chercher à l'idéaliser avec lyrisme et insistance. Ainsi, la réalisation est d'autant plus fluide qu'elle ne s'attarde pas sur ce qu'elle montre ou que la composition des plans ne cherche pas à dérouler sa virtuosité plastique. Il n'y a pas de volonté de faire du morceau de bravoure à la Griffith alors que tout s'y prête (les deux héros pris dans les tumultes d'un torrent), ce qui témoigne d'une honnêteté et d'un intégrité louable à l'instar du refus du manichéisme pour la conception de ses protagonistes.
Très certainement la source d'inspiration du jouissif Juha, d'Aki Kaurismaki (1999).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par Ann Harding »

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Thomas Graals bästa film (Le Meilleur Film de Thomas Graal, 1917) de Mauritz Stiller avec Victor Sjöström et Karin Molander

Thomas Graal (S. Sjöström) est un scénariste en panne d'inspiration. Il est amoureux de sa secrétaire Bessie Douglas (K. Mollander). Il décide d'imaginer une histoire basée sur sa rencontre avec elle...

Dans les années 10, le cinéma suédois est l'un des premiers du monde. Avec les réalisateurs Mauritz Stiller et Victor Sjöström, Svenska Bio produit des films déjà incroyablement sophistiqués dans leur scénarios, l'utilisation des décors naturels et la fluidité narrative. Alors que Sjöström en tant que réalisateur se concentre sur le drame, Stiller lui développe la comédie. Pour ce film, il utilise Sjöström comme acteur comique. Son interprétation de Thomas Graal, cet adolescent attardé, est une petite merveille de timing, de subtilité et de charme. Ses jeux de physionomie sont toujours parfaitement en place, montrant un élan et un entrain communicatif. Il n'est pas à proprement parler dans le burlesque, mais plus dans la comédie sophistiquée telle qu'elle existera dans les années 30 aux USA, une sorte de Cary Grant avant l'heure. Le sujet du film est l'occasion d'une mise-en-abîme particulièrement riche et passionnante. Graal utilise des éléments de sa propre vie qu'il transforme à dessein pour écrire un mélo parfois proche du ridicule. A chaque étape, nous visualisons ses idées basées également, pour une part, sur les mensonges de Bessie. Elle lui a raconté être issue du peuple avec un père alcoolique, alors qu'elle est en fait issue de la meilleure société. Karin Molander est parfaite en jeune fille capricieuse qui veut sortir de son milieu. Elle était alors l'épouse de Gustaf Molander, le scénariste du film. On peut penser que leur propre vie conjugale a pu lui servir ! Une petite merveille.
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Thomas Graals bästa barn (Leur premier né, 1918) de Mauritz Stiller avec Victor Sjöström et Karin Molander

Thomas Graal (S. Sjöström) épouse enfin Bessie (K. Molander). Mais, immédiatement après la cérémonie, ils se disputent sur le sexe et le nom de leur futur enfant et font chambre à part...

Thomas Graals bästa film a été immédiatement suivi par ce Thomas Graals bästa barn qui montre l'évolution du couple Thomas-Bessie. Les jeunes époux se révèlent tous deux immatures face à leur nouvelle vie. Ils se disputent pour des fadaises. Puis, devenus jeunes parents, les conflits sont nombreux sur leur idée de l'éducation d'un bébé. Les personnages sont totalement modernes et pourraient figurer dans une comédie contemporaine. La mère insiste sur une hygiène maniaque et le père essaie vainement de s'approprier l'enfant, sans succès. Alors qu'il aime jouer avec lui comme le ferait un autre enfant, son épouse insiste pour lui jouer les sonates de Beethoven ce qui provoque les hurlements du bébé. Puis, insidieusement, le mari -toujours assez immature- se sent rejeté dans cette relation mère-enfant dont il se sent exclu. Les choses empirent lorsque Bessie décide de porter des vêtements dépourvus de la moindre élégance avec des chaussures style sandalettes. Elle semble pratiquer un style 'hippie' des années 10, inspiré (dit-elle) par Isadora Duncan.:mrgreen: La dernière étape montre leur réconciliation après qu'il lui ait fait comprendre, indirectement, qu'il regrettait la première Bessie, très élégante. Victor Sjöström est absolument formidable en Thomas Graal. Son enthousiasme, son charisme en font un des plus grands comédiens du cinéma muet. Un pur chef d'oeuvre de l'histoire du cinéma.[/quote]
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Gunnar Hedes Saga (Le Vieux Manoir, 1923) de Mauritz Stiller avec Einar Hanson et Mary Johnson

Gunnar Hedes rêve de devenir musicien au grand dam de sa mère qui voudrait qu'il s'occupe des affaires de la famille. Le fils quitte sa mère pour tenter sa fortune dans le grand nord. Il veut rassembler un troupeau de rennes et les ramener pour les vendre...

Ce film du grand Mauritz Stiller est malheureusement incomplet. Seuls 1300m sur les 2000 originaux ont survécus. Une fois de plus, il s'agit d'une adaptation de Selma Lagerlöf. Malheureusement, la copie teintée présentée est particulièrement peu contrastée (est-ce dû au procédé Desmet Color?) et c'est bien dommage car les scènes avec les troupeaux de rennes sont réellement incroyables et ont une ampleur similaire à celles de Grass (1927, Cooper & Schoedsack). Mary Johnson, qui est également l'héroïne du Trésor d'Arne de Stiller, est à nouveau superbe en jeune musicienne itinérante amoureuse de Gunnar. Celui-ci perd la raison à la suite de son voyage dans le nord où il est trainé par un renne dans la neige. Il revient insensible et elle réussit à lui faire recouvrer la raison en lui jouant au violon la valse de Faust, son morceau préféré. Encore une petite merveille de poésie issue du cinéma suédois!

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Sången om den eldröda blomman (Le chant de la fleur écarlate, 1918) de Mauritz Stiller avec Lars Hanson, Edith Erastoff, Lillebil Ibsen et Nils Lundell

Olof Koskela (L. Hanson), le fils d'un riche fermier flirte inconsidérément avec toutes les filles du village. Suite à une violente altercation avec son père, il quitte son village. Devenu simple bûcheron, il rencontre Kyllikki (E. Erastoff) et entreprend de la séduire...

Cette saga suèdoise du grand Mauritz Stiller est adaptée d'un roman du finlandais Johannes Linnankoski. Comme la plupart des oeuvres de Stiller, nous sommes face à un de ces 'bildungsromans', un roman d'apprentissage comme le nomme les allemands. Olof Koskela devra tout perdre, quitter sa famille, aller jusqu'au fond de lui-même avant de pouvoir refaire surface et affronter la réalité. Dans Gunnar Hedes Saga (Le vieux manoir, 1923) de Stiller où le héros doit affronter un troupeau de rennes dans le grand nord, Olof doit prouver sa bravoure en chevauchant un rondin emporté par les rapides. Comme toujours dans les films suèdois de cette époque, l'utilisation des décors naturels est un élément central de l'intrigue. Le héros est intégré à son environnement, généralement hostile. Et il doit surmonter ces éléments pour trouver enfin la paix de l'âme. Stiller travaille toujours avec le génial Henrik Jaenzon derrière la caméra et celui-ci donne aux vastes et majestueux paysages suèdois un lyrisme et une beauté à couper le souffle. Dans le rôle principal, Lars Hanson montre l'étendu de son talent. D'abord un jeune homme insouciant et égoïste, il va sombre peu à peu dans l'enfer de la ville. Dans un bouge, il se regarde dans un miroir et découvre son double: un homme au visage ravagé. Evitant l'emphase, il offre un personnage naturel et charismatique. La séquence la plus spectaculaire nous montre la descente des rapides d'Olof juché sur un tronc d'arbre instable avec une perche pour la faire avancer telle une pagaie. Cette séquence hallucinante a été réalisée sans trucage et tient en haleine le spectateur. Stiller est à l'époque à la fois un maître de la comédie avec les merveilleux Thomas Graals bästa film (1917) et Thomas Graals bästa barn (1918) et du drame avec son chef d'oeuvre absolu Herr Arnes pengar (Le trésor d'Arne, 1919) qui suivra immédiatement ce film. Il combine une direction d'acteur hors pair et un sens visuel hors du commun. Lors de la première du film, on avait commandé au compositeur finlandais Armas Järnefelt une partition symphonique originale. On peut en entendre un extrait dans le documentaire Cinema Europe (1996). On ne peut qu'espérer que cette petite merveille du cinéma suédois des années 10 trouvera le chemin d'une édition DVD avec cette partition originale.
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Johan (A travers les rapides, 1921) de Mauritz Stiller avec Jenny Hasselqvist, Mathias Taube et Urho Somersalmi

Marit (J. Hasselqvist) a épousé Johan (M. Taube) malgré l'opposition de la mère de celui-ci. Mais, une fois mariée, elle s'éloigne de son époux. Un étranger (U. Somersalmi) arrive et fait tout pour la séduire...

Ce magnifique film de Mauritz Stiller est une adaptation du roman Juha du finlandais Juhani Aho. Stiller était d'ailleurs lui-même d'origine finlandaise. L'intrigue est simplissime: la jeune Marit a été adoptée enfant par Johan et sa mère. Elle devient la servante de la famille, exploitée par la mère qui profite de sa reconnaissance. Et lorsque son fils décide d'épouser Marit, elle fait tout ce qu'elle peut pour l'éloigner, sans résultat. Pourtant, le mariage ne semble pas heureux. Il y a une grande différence d'âge entre les époux et Marit va soudain suivre un jeune étranger pour vivre une passion éphémère. Stiller utilise au mieux les décors sauvages qui symbolisent admirablement le voyage émotionnel de l'héroine. Elle descent les rapides dans une barque avec son amant, à la fois terrorisée et pourtant recherchant le risque. C'est finalement cette séparation et cette courte aventure avec cet étranger volage qui va souder son couple avec Johan. Jenny Hasselqvist est une magnifique Marit à la recherche d'une aventure des sens qui lui est inconnue. Contrairement à tant de films tournés avec des transparences en studio, Johan est tourné entièrement en décors naturels en prenant tous les risques. Il faut noter qu'en 1999, le cinéaste finlandais Aki Kaurismäki en a fait un remake. C'est un Stiller de tout premier ordre qui a été diffusé par Arte en 2001 avec une partition assez irritante que j'ai remplacé par la symphonie N°3 de Jean Sibelius. Sa musique reflète admirablement l'ambiance de Johan. Une pure merveille.
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Kärlek och journalistik (Amour et journalisme, 1916) de Mauritz Stiller avec Karin Molander, Richard Lund et Stina Berg

Eric Blomée (R. Lund) revient d'une expédition polaire et une meute de journalistes l'attend dans sa ville natale. Il réussit à les éviter à la gare. Cependant, sa mère embauche une jeune fille Hertha (K. Molander) pour aider leur domestique. Celle-ci est en fait journaliste...

Cette comédie de 40 min en trois bobines de Mauritz Stiller est une petite merveille de charme et de vivacité. En la voyant, on constate à quel point le cinéma suédois de ces années de guerre était en avance sur son époque. La trame et le traitement prédatent de plusieurs décennies les comédies sophistiquées américaines. Karin Molander y joue une journaliste maligne et intrépide qui se déguise en gamine de 16 ans pour se faire embaucher comme domestique et pouvoir ainsi écrire son article sur un explorateur. Une fois dans la place, elle explore ses papiers et ses photos en douce, tout en flirtant avec l'explorateur qui n'est pas insensible à son charme. L'histoire est simple et on devine rapidement la conclusion: Hertha va épouser Eric et renoncer au journalisme. Cependant, on est charmé par le jeu des acteurs qui interprètent leurs rôles avec un naturel et un sens du rythme tout à fait moderne. Les personnages secondaires sont croqués avec talent. Ainsi la journaliste au physique de déménageur qui fume le cigare et boit de l'alcool se retrouve au bas de l'escalier lorqu'elle tente d'envahir la maison de l'explorateur. Elle trouve face à elle une domestique de poids, au sens propre qui ne s'en laisse pas compter. Aucune trace de slapstick cependant dans cette comédie. Tout est suggéré avec subtilité et Karin Molander incarne à merveille cette jeune femme forte des années 1910. Une petite merveille de l'histoire du cinéma
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par bruce randylan »

Alexandre Angel a écrit :
bruce randylan a écrit :A travers les Rapides (Johan - 1921)
Très certainement la source d'inspiration du jouissif Juha, d'Aki Kaurismaki (1999).
Tout à fait :wink:
(mais je n'ai pas vu le Kaurismaki)

Balettprimadonna (1916)
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Un paysan violoniste et une gitane danseuse sont amoureux. Repérés pour leur talent, ils sont séparés pour perfectionner leur art de manière professionnelle.

Une honnête œuvre de jeunesse où le Style Stiller commence à se mettre en place doucement avec quelques extérieurs de toute beauté et une solide photographie entre clair obscur, rayons filtrants et source de lumière. Il n'est malheureusement pas toujours possible d'en profiter car le film est incomplet. Il manque notamment le début dont les quelques photos qui subsistent dévoilent de très jolis paysages de campagnes légèrement boisés.
L'histoire, sans être follement original, se suit sans déplaisir avec un bonne progression dramatique et des personnages attachant pour une narration forcement condensée d'une trentaine de minutes même si les différents parties manquantes n'aident pas toujours à s'immerger dans le film. Ce sont surtout les motivations des « méchants » qui paraissent très artificiel en l'état

Stiller peaufine son découpage, la conception de ses décors et surtout dirige à merveille ses comédiens qui sont tous d'une sobriété et d'une retenue exemplaire. Le film dégage un réel sentiment d'élégance et de sophistication bien plus abouti que Madame de Thèbes. Il ne lui reste désormais plus qu'à s'affranchir des formules mélodramatiques.

Petite précision, le film est visible sur youtube mais dans sa première reconstruction qui date des années 90 et qui ne fait que 20 minutes. En 2015 de nouveaux fragments ont été redécouverts pour une douzaine de minutes supplémentaire qui atteint désormais les 35 minutes, ce qui représente les 2/3 de sa durée initiale.
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

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Alexander den store (1917)

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Des notables se retrouvent régulièrement dans un hôtel pour y évoquer (ou traiter) des affaires de cœurs, jamais vraiment éloigné de problèmes financier

Sorti entre les deux opus de Thomas Graal, "Alexander le grand" est une autre comédie qui cherche à poser les bases de Erotikon : études de mœurs dans la société bourgeoise, personnages tournés en ridicule, une narration assez éclatés qui suit plusieurs personnages, humour farfelu...
Malgré un début très amusant avec la présentation réussie de sa demi-douzaine de personnage, le film patine sérieusement et peine à passer la seconde comme si on avait essayer d'étirer un efficace court-métrage pour le pousser à 1h10. De gros problèmes de rythme donc avec des séquences trop longues qui accouche d'un humour et de situations qui manquent cruellement de renouvellement et de variétés. Les ressorts comiques ne limitent pour ainsi dire à un seul gimmick qui essouffle rapidement (la laideur de la prétendante).
Le scénario et la narration sont assez mal fagotés et la petite dimension chorale du traitement des personnages fonctionne assez peu à cause de gros déséquilibre qui fait par exemple que Alexandre disparaisse à plusieurs reprises, réduisant le parti pris de la narration qui voudrait se dérouler dans le même cadre. Il aurait sans doute mieux valut réduire le mariage de raison pour plus s'attarder sur la communauté aristocratique.

En l'état, il faut bien admettre que cette farce qui commence avec délice tourne rapidement à vide malgré une dernière séquence qui parvient à faire vivre ce que Stiller avait essayer de mettre en place sur l'ensemble du film sans toujours y parvenir : un montage parallèle entre cette bourgeoisie hypocrite et le caractère vivant, léger (et un brin immoral et grivois) d'Alexandre. L'idée est très bonne sur le papier mais son exécution sur la pellicule tombe souvent à plat.
On peut reconnaître à Stiller une réelle ambition d'expérimenter dans la narration et le montage... et trouver le résultat très maladroit. Pour en être pleinement sûr il faudrait pouvoir mettre la main sur une copie intégrale car Alexander den store a survécu avec une bobine en moins (tout l'acte 2) et différents moments manquant, soit 37 minutes en tout. Je me demande si la censure de l'époque n'aurait pas quelques responsabilité dans certaine parties manquantes.
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bruce randylan
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par bruce randylan »

Leur premier né (Thomas Graals bästa barn - 1918)
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Thomas Graals et Bessie se sont finalement mariéz mais ils n'ont pas réussi à s'apprivoiser pour autant, et l'arrivée d'un bébé ne vas pas arranger les choses.

Suite directe du meilleur film de Thomas Graal, cette œuvre de Stiller parvient à dépasser le premier opus. L'approche est cette plus classique et conventionnelle, tournant le dos au mélange Fiction/réalité pour se limiter à une pure comédie brillamment mise en scène. On pense encore furieusement à une grosse source d'influence pour Lubitsch, surtout lors de la première moitié avec l’irrésistible mariage et la brouille entre les deux époux qui s'enferment chacun dans des pièces opposées, offrant tout un vaste jeu sur les portes et le hors-champ. Le timing, la mécanique, la direction d'acteur et le sens de l'espace sont un régal de précision comme le gag des alliances perdues (puis retrouvées) durant le mariage.
La seconde moitié décrit le désarroi de Thomas, délaissé par son épouse qui n'a de yeux que pour son enfant et qui néglige de la sorte son apparence. S'il elle demeure toujours efficace et drôle, cette partie est moins affutée et repose sur un humour qui accuse son âge en étant trop centré sur le personnage de Sjostrom dont la vision de la femme au foyer ferait hurler un certain nombre de féministe : ici une épouse se doit de rester élégante et toujours disponible pour son mari. Sans oublier qu'arborer une tenue plus décontractée la transforme en véritable repoussoir pour le héros, certes assez immature
On s'y amuse toujours grâce à certaines séquences réussies (le stratagème de Thomas pour faire ouvrir les yeux à son épouse sur son look vestimentaire, les faux trophées de chasse, le cache-cache de l'épouse re-métamorphosée...) mais cette vision un peu passéiste du couple (et qui déséquilibre l'écriture du duo) affecte un peu sa réception.
Si on oublie cet aspect, il faut reconnaître qu'on est face à une comédie brillante et donc la réalisation n'a pas perdu son originalité ni sa modernité, à l'image d'une interprétation savoureuse.


Une querelle de frontière (Gränsfolken - 1913)
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La tension entre deux frères amoureux de la même fille est exacerbée par le risque de guerre avec le pays d'où est originaire la belle.

Le plus vieux film conservée de Stiller en tant que cinéaste est une excellente surprise et d'une grande maturité visuelle. Le soin accordé au cadrage et à la photographie ne prend jamais le pas sur l'histoire et les personnages pour un sentiment d'authenticité qui passe par des détails, plus ou moins immédiatement visible comme l'aménagement de la maison de l'épouse, rendant chaque plan extrêmement vivant. Pour peu, je dirais qu'il y a presque une dimension documentariste qui ressort dans sa volonté de mettre en scène un certain folklore, faisant toujours oublier les décors studios lors les intérieurs. N'étant pas un expert sur les modes de vie suédois en 1913, je ne sais pas si cela est une "captation" ou une invention mais on croit volontiers à l’enracinent de cette histoire.
Derrière la caméra Stiller essaye de toujours créer une dynamique dans ses plans pour échapper au théâtre filmé et il s'en sort avec les honneurs même si les comédiens sont parfois raides et que quelques changements d'axes sont un peu curieux. Par contre, il y a déjà un œil certain pour les extérieurs, surtout les plans larges. Les quelques plans de batailles sont saisissant par leur réalisme (boue, fumée, corps jonchant le sol, débris...)
Que le film fut conçu quelques mois avant la première guerre mondiale ne le rend que plus touchant et digne.... sans que cela soit nécessaire pour s'émouvoir de la conclusion forcément tragique.



Hämnaren
(1915)
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La famille catholique d'un jeune homme refuse qu'il épouse une juive qu'il ignore être enceinte. Il apprendra la naissance de son fils en même temps que le décès de la mère par l'entremise du père adoptif bien décidé à se venger.

Un mélodrame tout ce qu'il y a de plus basique, avec son lot de stéréotypes plus ou moins facile à avaler (le juif usurier) et d'invraisemblances, racheté par la justesse de sa réalisation et une direction artistique solide sans être envahissante. Stiller rapproche considérablement sa caméra de ses comédiens pour créer une proximité avec ses personnages. l’interprétation est inégale, à l'image des personnages tour à tour complexes et manichéens. Ces 45 minutes sont en revanche parfaites pour éviter une intrigue qui s'éternise dans les rebondissements et les bons sentiments tout en permettant malgré tout d'avoir une réelle unité sans précipitation. Malgré donc un scénario édifiant, on ne s'ennuie pas grâce principalement à la mise en scène de Stiller qui ne parait jamais figé alors qu'elle demeure statique et assez peu découpée.
Dernière modification par bruce randylan le 15 sept. 17, 01:04, modifié 2 fois.
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par bruce randylan »

Histoire de clore la rétrospective à Bercy
Dans les remous / Le chant de la fleur écarlate (Sången om den eldröda blomman - 1918)
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Suite à une brouille avec sa famille, un jeune homme quitte son foyer pour devenir un simple bucheron dans un village en bordure d'un torrent tumultueux.

Sans conteste l'un des meilleurs films de son auteur, assez proche dans son atmosphère (et son cadre) de Johan / A travers les rapides dont il partage un merveilleux sens des extérieurs et de la nature qui s'intègrent parfaitement dans la dynamique d'un scénario à la structure étonnante. D'un début léger et insouciant, le film bascule dans une seconde partie plus romantique et spectaculaire avant de basculer dans un dernier acte plus amer et dramatique. Il y quelque chose du roman d'initiation dans le parcours du héros qui apprend malgré lui que ses actes ne sont pas sans conséquences sur les personnes qu'il a côtoyées (avec inconsistance). L'impressionnante descente des rapides sur un tronc à mi-film n'est ainsi pas un climax gratuit car il traduit l'immaturité du héros qui ne se soucie de rien, y compris de sa vie. C'est après cet événement qu'il commence à réfléchir sur sa vie et à être confronté aux fantômes de son passé.
Le changement de ton du dernier tiers est assez déstabilisant au début mais qui offre un supplément d'âme et donne une véritable force psychologique au film.
On voit que Stiller est alors en totale maîtrise de son langage cinématographique et déploie une assurance et une aisance époustouflantes.


En bonus de la rétrospective la cinémathèque a aussi programmé un film dans lequel Stiller a un second rôle : Le printemps de la vie / I lefvets var (Paul Garbagni - 1912).
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Il s'agit d'une co-production franco-suédoise avec quelques extérieurs parisiens et un réalisateur français qui travaillait pour Pathé. A la photo on trouve déjà le brillant Julius Jaenzon et au casting rien de moins que Mauritz Stiller et Victor Sjöström qui partagent 2-3 scènes (ainsi que Georg af Klercker, autre futur réalisateur suédois dont je n'ai malheureusement rien vu).
Jaenzon et Garbagni assure une belle réalisation et photographie pour une facture visuelle largement au dessus de la moyenne et il fort probable que Stiller a du prendre quelques notes pour certains effets de lumière et la prédominance de plans rapprochés plutôt que larges.
Dommage que le scénario soit aussi grotesque en revanche. On est dans du mélo édifiant bourré de facilités, d'invraisemblances, de heureuses coïncidences et même d'idées douteuses (limite incestueuses) : A l'agonie, une femme de modeste condition confie sa petite fille à un ancien amant, un homme d'affaire qui n'a pas le temps de s'occuper d'elle et la confie à une nourrice. Celle fait partie d'un gang de criminelle qui la kidnappe mais l'enfant est sauvé par un journaliste qui l'adopte et la ramène chez sa mère... et si ça vous parait déjà tout much, sachez que ça ne représente que le premier tiers du film et que le dernier est aussi assez gratiné..
Souvent consternant mais ça a l'avantage de ne durer que 50 minutes.
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Re: Mauritz Stiller (1883-1928)

Message par The Eye Of Doom »

bruce randylan a écrit :
Dernier film vu dans ce petit focus "école suédoise" :

Le trésor d'Arne / Herr Arnes pengar (Mauritz Siller - 1919)

Trois brigands écossais s'évadent d'une prison et volent l'argent d'un seigneur en massacrant toute sa famille. Seule a survécut une jeune fille qui avait pu rester cachée durant la tuerie. Quelque temps plus tard, elle croise sans le reconnaître l'un des assassins.

Encore une belle réussite signée par Stiller :)
Le scénario est un peu mieux structuré que le vieux manoir mais continue de conserver une narration clairement découpé en chapitre. L'originalité ici est qu'ils correspondent chacun à un changement de focalisation.
L'effet est simple mais permet de modeler des personnages plus profonds que le tout venant avec en particulier une psychologie très riche et complexe. C'est surtout valable pour l'un des trois assassins rapidement pris d'une terrible crise de culpabilité au point de d'éprouver des sentiments envers la "soeur" de la fille qu'il a poignardée.
La survivante est un tout petit peu moins marquante dans le sens où son amour pour cet homme repose moins sur un élément déclencheur fort. Mais durant le dernier tiers, ses dilemmes donnent des beaux moments. Ca repose en partie sur la fragilité de son interprétation mais aussi, et surtout, sur la réalisation de Stiller qui possède une rare compréhension de son langage cinématographique. Ainsi quand l'héroïne est en plein trouble pour savoir si elle doit dénoncer ou non l'homme qu'elle aime, toute la séquence se déroule dans des ruelles et passages du bourg pour créer un sentiment d'enfermement alors que les extérieurs du film se déroulait jusque là dans des lieux ouverts. Il y a beaucoup de trouvaille de ce genre tant visuel (les trucages sont très bien pensés et conçus) que narratif (l'ellipse du massacre, la vision des assassins aiguisant leurs couteaux) ou pictural avec le choix de cette mer gelée où tout le monde est prisonnier.
La caméra participe donc à communiquer des émotion délicates. Un travelling précédent le criminel crée ainsi physiquement la présence d'un fantôme qui le hante et devient de la sorte un sentiment palpable tant pour le comédien que pour le spectateur.

La capacité du cinéaste à s'adapter à chaque séquences est remarquable et ce dès l'ouverture qui possède la fraîcheur et la fantaisie des meilleurs Sérial avec un formidable sens de l'espace (géniale idée d'introduire la cellule par un travelling circulaire suivant le gardien).
Le style du film passe ainsi de la légèreté à l'urgence en passant par le désarroi, le trouble, le romantisme et la solennité lors d'un cortège final qui a marqué beaucoup d'esprits.
En revanche, je trouve qu'il manque au film un véritable climax qui donnerait toute sa force à cette très belle fable morale d'une beauté plastique permanente.

Le film est sorti en zone 1 donc n'hésitez pas :D
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Fini de voir hier Sir Arne ´s Treasure, ramené des US suite à l'éloge faite ci dessus.

Incontestablement, un sens plastique et dramatique!
Malgré l'âge (1919) et la copie quelquefois un peu souffrante, la tension s'installe rapidement et restera constante le long du film.
Tourné très largement en extérieur, le film possède de nombreuses scènes fortes (les brigands aiguisant leur couteau, la fuite sur la glace et le disparition du traîneau sous les eaux, le bateau bloqué dans les glaces, la confrontation dans l'auberge, la procession finale...)
Le froid, la neige, la glace, le vent sont omniprésents et donnent un côté réaliste au film au delà des conventions filmiques de l'époque (côté interprétation surtout).
On peut juste regretter des intertitres nombreux et longs, la où un Murnau aurait eu plus de foi dans sa mise en scène.
L'accompagnement musical proposé est de qualité.

Ce n'est pas LA découverte muette bouleversifiante mais ceci m'a donné envie de découvrir La saga de Gosta Berling

D'où cette question : y a t'il un projet de restauration / Blu-ray en cours ?
Si oui je vais attendre, sinon je vais essayer de mettre la main sur le DVD Kino
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