Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Avec la rétrospective Shintoho se déroulant à la Maison de la Culture du Japon et qui met en avant Nobuo Nakagawa, j'ai eu envie de créer un topic sur ce cinéaste principalement connu pour ses films fantastiques qui donne envie de dire (pour schématiser) qu'il est un peu le Terence Fisher japonais. Mais un Fisher profondément japonais qui traite du folklore locale avec ses démons, ses spectres et ses mauvais esprits.
En ayant commencé sa carrière en 1938 et en la concluant en 1982, Nobuo Nakagawa n'a bien-sûr pas tourné que dans l'épouvante mais a aussi mise en scène des films pour enfants, des comédies, des films d'aventures ou des mélodrames. Mais c'est vrai que ce sont avec ses oeuvres fantastiques que le cinéaste aura marqué le paysage cinématographique japonais avec des titres comme L'enfer (alias Jigoku, le seul film disponible en occident par ailleurs via criterion), Histoires de fantômes japonais (sa relecture géniale du Yotsuya Kwaidan), le fantôme du marais Kasane ou le manoir du chat fantôme.
Une carrière et des films inégaux mais une sens visuel virtuose et un incroyable talent pour créer une atmosphère angoissante et torturée à grand renfort de couleurs pétaradantes, de noir et blanc expressionniste et de mouvements de caméra parfois extrêmement virtuose.

Il y a avait double aujourd'hui un double programme avec

Le vampire qui aimait les femmes / le vampire des femmes (1959).
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Portée disparue depuis 20 ans, une femme réapparait subitement et sans avoir vieillie, créant la stupeur chez ses proches. Au mêmes moments plusieurs femmes sont retrouvées assassinés.


Produit pour profiter du succès des Dracula produit par la Hammer, Le vampire qui aimait les femmes opte plutôt pour un noir et blanc fortement contrasté au travers d'éclairages sous influence expressionnismes (façon Universal monsters des 30's).
Dans le cas de ce film, les inspirations ne sont pas celles uniquement des vampires mais aussi des loups-garous puisque le méchant du film se transforme lorsque la lune est de sortie, provoquant des envies meurtrières de sang frais (et uniquement féminin). Cette relecture japonaise permet une approche un peu originale qui offre quelques moments atypiques dont une série d'attaques dans Ginza, plutôt inhabituelle dans le genre.
En revanche, cela ne suffit pas à rendre le film très stimulant, souffrant comme régulièrement chez Nakagawa d'un sérieux manque de rythme alors que le film ne dépasse pas les 80 minutes. Il sait créer une ambiance ou une atmosphère mais peine à la rendre vivante. Il n'est pas aidé par un casting médiocre et par une scénario construit n'importe comment, sans cohérence ni logique.
Les deux premiers tiers se suivent avec un intérêt limité d'autant que la réalisation ne décolle pas non plus bien souvent. Mais tout s'accélère dans les 20-30 dernières minutes qui vire au gros sérial trépidant. On sort alors de décors citadins pour des montagnes, des grottes et des chateaux abandonnées autrement plus cinématographique (et un peu kitsch). C'est toujours aussi crétin et absurde mais la cadence infernale est bel et bien lancée et ne s'arrêta plus. La caméra semble plus à l'aise dans ces décors studios très artificiel et Nakagawa s'amuse à mélanger cape et d'épée, course poursuite à pied, éboulements, expressionisme gothique, un lutteur chauve, un nain, un pilleur de banque en cavale, des douves (acides ?), une sorcière etc...
Un grand n'importe quoi très sympathique qui donne envie d'être plus indulgent devant ce petit divertissement loin de rivaliser avec les réalisations les plus réussies du cinéaste.

Maman ! (1961)
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En 1949, un couple et leurs deux enfants ont bien du mal à joindre les deux bouts. Les dettes s'accumulent, les offres d'emploi se font rare et il devient bientôt très compliqué de s'acheter seulement de quoi se nourrir.

On avait grandement peur en rentrant dans la salle, redoutant le mélo familial larmoyant et le chantage à l'émotion. Les premières secondes nous ont immédiatement conquises grâce à une excellente musique entraînante et chaleureuse qui donne le ton : traiter de la misère avec une approche positive.
Le scénario et le style de Nakagawa sont exemplaires à ce niveau. Sans rien cacher des nombreuses difficultés économiques du pays durant l'après-guerre, le film contourne tous les poncifs du misérabilisme, du tire-larme facile, choisissant au contraire une légèreté et des scènes très courtes pour éviter de s'apitoyer sur le sort des personnages. Ils sont pourtant à plaindre : ils vivent dans un modeste taudis, le père (couvreur) se fait détourner son salaire par des syndics et des architectures véreux, ils doivent se contenter de vieux vêtements totalement usés. Leurs voisins ne sont pas mieux lotis entre une voisine à l'agonie, un réparateur de parapluies déambulant sans clients et un couple de fabriquant de serpillères ne parvenant pas à écouler leurs stocks. Certaines scènes pourraient être dans le pire pathos comme le sort que subit les voisins de droite mais en condensant leur situations par des simples parenthèses d'un seul plan assez bref, Nakagawa vise terriblement juste avec une fabuleuses économie de moyen tout en tact et retenue, mais sans perdre en impact et en force. Difficile de ne pas avoir le cœur déchiré devant un veuf et un fils devant abandonner leurs maison, espérant un jour pouvoir offrir un sépulture décente à sa femme et qu'on voit s'éloigner sur un immense pont dont on perçoit à peine l'extrémité.
Le sort de la famille au cœur du récit pourrait connaître une issue tout autant écrasante mais la mère de famille tente de garder le morale et de transmettre son optimiste à l'ensemble à son mari et ses enfants, surtout sa fille, âgée d'une dizaine d'année, sur qui elle doit beaucoup se reposer, l'envoyant par exemple demander un peu d'argent à des amis. Il faut à ce titre saluer un fabuleux casting qui sont tous formidable, évitant le manichéisme et la psychologie réduite. La petite fille est un personnage très complexe et fouillé et sa jeune interprète est admirable (c'est elle qui joue dans Barberousse).
Délaissant sa caméra mobile, Nakagawa s'adapte à son sujet pour ne garder que des plans fixes parfois très longs (certains sont des vrais plan-séquence) avec un travail sur la circulation des informations, la complicité entre les comédiens, l'évolution psychologique... qui rappelle le meilleur de Tai Kato d'autant que les scènes sont toujours naturelles et évidentes dans leur déroulement. En même temps la maîtrise de l'espace est sensationnel pour un scope jamais intimidant, n'oubliant jamais le facteur humain pour une caméra toujours à la bonne distance des individus qu'elle filme. La photographie est tout autant stylisée sans jamais sombrer dans la démonstration tape à l'œil. Pourtant elle est par moment audacieuse, n'éclairant que des visages et jouant sur une texture des contrastes de toute beauté.

J'ai vraiment été plus que conquis par l'acuité de la mise en scène, la tendresse envers ses personnages, la maîtrise de son tempo, son mélange tragi-comique jamais appuyé, l'immense justesse de petits moments qui viennent ponctuer certaines séquences pour en délivrer sa quintessence humaine : les deux déménagements nocturnes se croisant (avec ce court regard échangé par les 2 filles), le bailleur de l'appartement qui assiste bouleversé sans intervenir à la fuite de ses locataires, la présence de la petite fille dans l'avant-plan alors que ses parents se battent, les dialogues en anglais d'un fiancée qui exprime tout son mépris face à la pauvreté, les larmes gênés de la fillette devant mentir à des amis de ses parents pour obtenir un peu d'argent... sans oublier les nombreuses reprises de la marseillaise ! En effet l'institutrice chante (en français) l'hymne français pour se redonner du courage, habitude que reprendra la petite fille.

Fabuleux coup de cœur donc pour Nakagawa que je n'attendais pas si brillant dans ce registre.

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Re: Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Et je rapatrie quelques vieux avis
Koheiji est vivant (Nobuo Nakagawa - 1982)

Après 12 ans d'inactivité, et grâce à l'ATG, Nakagawa revient pour une ultime réalisation qui a tout du film testament. Et quel film testament ! :D
Reprenant les composants de ses films de fantômes (apparition, culpabilité, proximité des rivières, victimes attachés sur une porte flottante, monde de la scène), le cinéaste abandonne ses plan-séquences virevoltants pour une succession de plan fixes aux cadrages sophistiquées, ce qui ne veut pas dire que le rythme est contemplatif ; loin de là même. Il délaisse aussi les couleurs bariolées pour des tons plus doux et pastels.
Le résultat est un film magnifique visuellement et magnifique tout court avec un ton chaleureux, dédramatisé, toujours théâtrale mais dénué de toute exubérance. C'est une œuvre où l'on sent un cinéaste épanoui, apaisé et serein pour une belle déclaration d'amour au métier d'acteur et au monde de la scène.
Nakagawa n'a pourtant rien perdu de son efficacité avec notamment une ouverture troublante où l’ambiguïté des rapports entre un couple et leur meilleur ami prend une tournure perverse qui laisse deviner une violence sous-jacente prête à exploser.
Contrairement à ses films antérieurs, Koheiji est vivant n'est pas un film fantastique même s'il en a l'apparence et la forme. les différentes apparitions ne sont pas des manifestations surnaturelles mais une expression de la culpabilité du meurtrier. Ainsi, le trio de personnage compose une belle et touchante histoire d'amour servis par des acteurs magnétiques.

Avec 78 minutes au compteur, le film connaît cependant quelques légères baisses de régime avec une ou deux péripéties redondantes mais qui s'oublie vite devant la force et la poésie des derniers plans.
Si seulement tous les derniers films pouvait être de ce niveau. :D
Le manoir du chat fantôme (Nobuo Nakagawa – 1958)

Dans un hôpital désert, un homme se rappelle de son installation avec sa femme dans un manoir qui se révèlera hanté

C'est un peu un deux en un.
D'un côté il y une partie « contemporaine » gothique et de l'autre un long flash-back occupant toute la grosse partie centrale qui se déroule des décennies avant et qui explique d'où vient le spectre de cette femme-chat.
Grosse surprise : c'est le long segment en flash-back qui est en couleur ! :o
Ce n'est que le premier signe d'un film très libre formellement, virtuose et à la limite de l'expérimental.

Pour rester sur la partie central, même si celle-ci est la plus folle, elle souffre de gros problème de rythme et de personnages inconsistants auxquels il est impossible de se passionner. On est donc seulement spectateurs passifs dépendant de l'inspiration du cinéaste. Heureusement celle-ci est féconde et Nakagawa mélange fantastique, chambara et sérial : cadavre emmuré, chat-vampire, un peu d'art-martiaux, acteurs en roue libre, murs dégoulinant de sang...
L'ambiance ne se prend pas trop au sérieux et n'est même pas loin parfois de l'auto-parodie (les techniques de la femme chatte pour attirer ses proies à distance ; sans oublier les oreilles se dressant :lol: ). A des moments on pense aux futurs délires pop de Seijun Suzuki comme ce plan délirant d'un homme fou donnant des coups de sabres dans le vide tandis que des couleurs flashy s'emmêlent derrière lui et que les visages de ses victimes (en gros plan) viennent en surimpression sur les bords de l'image.


Les parties contemporaines qui ouvrent et clôturent le film sous beaucoup moins extravagantes mais tout aussi impressionnantes visuellement avec des plan-séquences spectaculaires qui posent immédiatement l'ambiance lourde et oppressante de l'histoire. On se rapproche plus de l'humeur d'Edgar Allan Poe en citant ouvertement le Corbeau.
Le 1er plan commence ainsi par un travelling le long de fenêtres où avance un chat, puis la caméra pivote pour dévoiler un long couloir qui débouche sur un escalier, elle monte à l'étage, se retourner à 180° pour rentrer dans une pièce plongée dans l'obscurité qu'elle traverse presque en entier.

Quelque minutes plus-tard un autre morceaux de bravoure (seulement coupé par deux rapides inserts) nous fait pénétrer dans la demeure hantée : on part d'une branche surplombant le portail, on descend au niveau des acteurs pour les suivre avancer doucement et lentement dans la cour intérieure du manoir où la végétation a repris ses droits avant de s'élever au premier étage de la maison (l'ensemble baignant un brouillard étouffant du meilleur effet avec apparition/disparation d'une vieille femme dans la maison).

Deux plans déments qui impressionnent car Nakagawa ne cherche pas la facilité avec un sens de l'espace, de la photographie, du timing et du mouvement qui forcent le respect sans rien avoir de gratuit.
On le sent tout de même plus à l'aise dans ce domaine que dans les délires colorés à la frontière du bis qu'il ne semble pas avoir souvent décliné durant la suite de sa carrière (à l'inverse de cette ambiance morbide et angoissante) mais je connais encore mal sa carrière.

A voir donc pour l'exercice de style, stimulant et réjouissant car l'histoire est décevante surtout avec un happy-end crétin rajouté par les producteurs que le cinéaste saborde totalement. Il en fait une sortie de caricature de soap télévisuel assez irresistible dont la platitude visuelle tranche avec le bouillonnement créatif du reste.
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Re: Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Et encore plus vieux
The Ghost of Kasane (1957)
Première découverte de Nakagawa Nobuo avec à la clé un constat mitigé.
Le début et la fin sont fabuleux et parviennent à installer un vrai sentiment de peur et d'effroi avec un mise en scène intelligente dans son organisation de l'espace avec une caméra fluide et un noir et blanc stylisé.
Seulement entre le début et la fin, il y a un milieu et celui-ci est particulièrement creux et fade avec des acteurs mollassons et leurs sentiments peu intéressant.
En tout cas, la capacité du réalisateur à créer cette ambiance flippante en un minimum de temps est vraiment épatante avec le genre de frissons ressenti devant le Bava des 3 visages de le peur
L'enfer - Jigoku ( Nobuo Nakagawa - 1960 ).
Comme le précédent film du réalisateur que j'avais pu voir (The Ghost of Kasane), entre un début et une fin brillant, il y une partie central tréééééééééééés lonnnnnnnnnnnnnnnnngue qui souffre d'énorme problème de rythme, de personnages inconsistant et de ficelles scénaristiques exagérés.
Rageant quand on voit la réussite du début de l'introduction avec un réalisation inventive et nerveuse. La fin, également fort maitrisé souffre un peu de la réputation du film. Certes, les tableaux trés graphiques de cette enfer sont saisissants et parfois tétanisant comme l'échelle de Jacob justement mais ne fonctionne pas toujours à cause d'un trop grand nombres de personnages qui par ailleurs faisait virer la partie central vers la comédie involontaire avec ses morts en domino cascade un peu ridicule même si on sent une misanthropie chez le cinéaste qui force le respect.
Histoires de fantômes japonais (Nobuo Nakagawa - 1959)

Iemon, samurai ambitieux et impulsif assassine le père de sa fiancée qui refusait leur mariage. Influencé par un ami sans scrupule, son arrivisme le pousse à envisager de tuer son épouse.

Une histoire ultra-classique du cinéma japonais qui a produit par dizaine des films sur ce scénario. Dans son cycle Japan-Horror, la MCJP n'en diffuse pas moins de 4 ! :o
Je n'ai pas encore vu les autres, mais celle-ci est vraiment excellente. Dès trois films de Nakagawa que j'ai vu, c'est même clairement le meilleur, loin devant l'enfer et les fantômes du Marais Kazane qui, en dehors de leurs ouvertures et de leurs conclusions, demeurent très plats et ennuyeux.

Avec ici 75 minutes, Nakagawa va directement à l'essentiel et ne s'égare pas trop en cours de route. Ca va peut-être même un peu trop vite car durant les 20 premières minutes, je n'ai pas trop compris qui était qui. Du coup, l'intérêt n'a pas le temps de redescendre et quand on pense que l'histoire va faire du sur-place, elle passe à la vitesse supérieur avec le fameux assassinat qui va venir hanté Ieomon.
La mise en scène durant cette première heure était des plus efficace avec une mise en scène à la fois élégante, très fluide et parfois même virtuose. Certains scènes sont des plan-séquences assez complexes (le double meurtre qui ouvre le film, le plan qui suit le masseur rentré dans une maison, traversé plusieurs pièces, monter un étage pour se poser dans une chambre où se trouve Iemon). Assez influencé par le théâtre, on ne peut pas dire que le rythme soit forcément nerveux mais cette mise en scène entretient une tension.
Une tension qui explosera dans les 15 dernières minutes qui sont extraordinaires. D'une invention permanente avec des idées graphiques impressionnantes et une photographie aux couleurs saturés à la Bava (mais avant Bava), c'est un quart d'heure anthologique qui pousse toujours plus loin l'imagination pour traduire la folie qui s'empare du héros (ce ralenti où une victime tombe dans la chambre qui s'est transformé en marais :shock: ).
Entre obscurité quasi-total, jeu de couleurs primaires, apparitions soudaines, mouvements de caméra rapides, maquillage, décors artificiels ou astuce de montage, c'est un grand moment de cinéma qui n'a pas vieilli et qui parvient à distiller ce petit sentiment de malaise et d'angoisse qui donnerait presque la chaire de poule à quelques reprises.
Vraiment la grande classe.
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Re: Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Nouveau titre découvert à la MCJP (on devrait logiquement avoir encore un peu de Nakagawa lors des futures sessions Shintoho dont la prochaine sera logiquement en avril)

L’évasion d’une condamnée à mort (1960)
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Une jeune femme est condamnée à mort pour avoir assassiné son père qui s'était opposé à son mariage. Mais personne ne croit à son innocence et elle planifie bientôt une évasion, tant pour tenter de confondre les vrais coupable que pour retrouver son fils qu'elle n'a jamais vu, ayant accouché en prison.

Après, le fantastique, le film pour enfant et la chronique sociale, Nakagawa se penche sur le policier/thriller matinée de Women in prison. C'est d'ailleurs cet aspect qui est le plus surprenant bien que ça n'occupe qu'une petite dizaine de minutes du récit. Mais il faut voir comment le scénario joue à fond la carte des prisonnières frustrée sexuellement au point de devenir à moitié folle de jalousie quand l'une d'elle a un visiteur au parloir. Du coup, elle se laisse facilement aller à l'homosexualité sans trop de retenue comme si l'acte sexuelle devenait dès lors évident et indispensable. Bon, en 1960, le film demeure très chaste et les quelques papouilles se feront hors-champ mais cette description assez crue et directe m'a plutôt surpris.

Le reste du film est plutôt correct et sympathique pour sa cadence candide qui ne s'embête pas avec la cohérence et la vraisemblance. La séquence de l'évasion est un grand moment de n'importe quoi scénaristique. Les filles semblent scier un barreau en quelques secondes, se procure une corde on ne sait pas comment, l'accroche à une cheminée par miracle (physiquement impossible) et sortent d'on ne sait où une longue planche en bois pour traverser la cour intérieure). Le dénouement est du même acabit avec des vrais coupables qui sont arrêtés sans réelle raison et qui ne passent même pas vraiment des aveux. Mais le plus improbable reste
Spoiler (cliquez pour afficher)
La mort de l'enfant dont l'héroïne se fiche royalement rapidement
Bah, l'avantage, c'est que ça propose donc un rythme assez soutenu avec 75 minutes au compteur qui défilent assez facilement mais sans non plus s'emballer. Il y a tout de même une séquence de suspens très faîte quand le duo de fugitifs se trouvent dans un train, traqué par des policiers. On a l'impression que Kim Jee-won l'a découvert avant de mettre en scène son dernier film Age of shadows car quelques péripéties sont très proches. Dommage que le budget ne lui permette pas de mieux concrétiser certains situations (le passage où les héros doivent s'accrocher sur la façade du train est vraiment bricolée avec les moyens du bord).
Les autres séquences sont dans l'ensemble efficaces, souvent bien découpées et éclairées mais manque de nervosité à l'image du casting qui n'a l'air que moyennement inquiété par les évènements qu'ils vivent. Les moments les mieux filmés sont presque les séquences à l'intérieur de la cellule où l'on retrouve un peu le travail de Nakagawa sur la durée des plans et la du gestion de l'espace.

Pas mal mais ça ne parvient pas à dépasser son cadre de Série B un peu fauchée.

A noter que le film est sorti en DVD au Japon chez Eclipse, rare éditeur à pourvoir ses éditions de sous-titres anglais. Ils avaient sortis pas mal de Nakagawa mais tous sont épuisés depuis belle lurette. Curieusement les films fantastiques ont été récupérés par un éditeur grec qui a aussi gardé les sous-titres anglais !
Etonnant, non ?
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Re: Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Et c'est reparti, toujours à la MCJP et toujours Shintoho :)

Le policier et le fantôme (1957)

Jaloux d'un collègue qui a épousé la femme qu'il convoitait, un officier militaire monte un traquenard pour faire accuser son rival d'espionnage. Avant de se faire exécuter, ce dernier jure de se venger.

Ce film forme une sorte de diptyque thématique avec Le gendarme et la beauté cadavérique de Kyotari Namiki. Nakagawa prouve sans problème sa supériorité sur son collègue avec une demi-douzaine de séquences assez inspirées visuellement. Rien de révolutionnaire ou d'inédit non plus : noir et blanc fortement contrasté, éclairage expressionniste, décadrages et autre axes de prises de vues torturés, apparitions spectrales, sons off, montage saccadé, travelling latéraux... Mais ça marche toujours et plusieurs moments sont bien habiles comme la première montée de paranoïa du bras droit du "méchant" ou un petit plan-séquences dans une pièce réduite assez bien gérée. Mais c'est surtout le final de 10 minutes où Nakagawa se lâche avec un certain dynamisme, multipliant les mouvements de grue, les décors gothiques avant de conclure dans un cimetière où il déploie son univers aussi macabre que ludique.

La narration est plus problématique et Nakagawa multiplie les registres : policier, fantastique, espionnage, un peu de mélodrame... Et comme souvent le rythme en pâtit et on en est réduit à attendre parfois la prochaine séquence "choc", en partie à cause d'acteurs qui manquent de caractère.
Pourtant l'introduction était très efficace avec une mise en bouche qui ne lambinait pas dans sa présentation des personnages et des tensions (les nombreux panorama filés lors du mariage) ou les ellipses qui mènent à l'accusation de la victime innocente.
Mais comme ça dure 1h15, on s'ennuie tout de même rarement et le festival de bonnes idées du dernier acte donne la pêche en sortant de la salle.
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Re: Nobuo Nakagawa (1905-1984)

Message par bruce randylan »

Et pendant ce temps à la MCJP

Le détective de l'ombre (1959)

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Face à un pouvoir corrompu, un samurai masqué s'attaque à un clan qui confisque l'argent de la population pour vivre dans la débauche. Comme il commence à devenir gênant, ses adversaires crée un sosie qui s'en prend à de simples marchants.

Plus qu'un détective, ce film met donc principalement en avant une sorte de Robin des Bois muni d'un sabre qui pourfend les cyniques et les spéculateurs du riz. C'est surtout un prétexte pour célébrer l'acteur iconique Kanjuro Arashi qui apparaissait pour le 300ème fois sur l'écran depuis ses débuts en 1927.
Ce n'était peut-être pas la meilleure des choses à fêter car le bonhomme accuse tout de même son âge. En plus d'un charisme pas si développé que ça, il est loin d'être un escrimeur de premier choix d'où des chorégraphie très approximatives, sans impacts pour des combats un peu mous.
Le scénario n'est pas des plus dingues non plus. On pourrait presque croire à plusieurs épisodes de série télé mis bout à bout pour atteindre les 90 minutes étant donné que toutes les 20 minutes, Kanjuro Arashi croise son double qu'il laisse échapper pour des raisons idiotes (on nous fait 2 à trois le coup de "oh un sifflet de la police, sauvons nous" et autres "Je ne te tue pas maintenant, mais la prochaine fois, tu n'y échapperas pas"), avec son lot mécanique de personnages qui surgissent au bon moment et au bon endroit. C'est donc très répétitif dans sa structure d'autant que le McGuffin est trop abstrait pour créer un suspens et que sa quête empiète sur les personnages qui ne sont jamais approfondis comme les rôles féminins ou l’acolyte d'Arashi. Les protagonistes sont limités donc à leur simple fonction : un samurai robin des bois, un double méchant, des orphelins voulant se venger, un détective sympathisant du redresseur de torts...
Les transitions un peu brutales laissent planer pas mal de coupes qu'on devine dommageable afin de ne pas dépasser les 90 minutes.

Pas folichon et Nakagawa ne semble pas faire beaucoup d'effort pour redresser la barre. Il n'a sans doute pas toute la liberté aussi pour celà avec sa vedette à commémorer. Il semble donc tirer volontairement le film vers le serial et tente de glisser un peu de ses films fantastiques (décors noyés dans la brume, une ouverture très graphique, pas mal d'utilisations d'ombres). Et surtout il parvient à donner un vrai sens du mouvement dès qu'il se met à bouger la caméra dans des travellings ascensionnels. C'est surtout le final qui est considérablement enrichi par sa réalisation avec un long combat dans une cave, capté dans une suite de travellings circulaires de plus en plus rapides. Il parvient aussi à bien exploiter son format scope avec des ennemis munis de lanternes. Le dernier plan est remarquable à ce titre.
De manière général, le scope couleur est quand même agréable.

Ses 10-15 dernières minutes parviennent à interrompre la succession de bâillements et même de sortir assez enthousiaste de la séance. A condition, de ne pas trop penser aux 70 premières minutes.
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