Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Thaddeus »

Best a écrit :Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks) :D :D :D

Je suis aux anges ! Un film comme je les adores. Humain, chaleureux, drôle, émouvant, passionné, cruel et d'une sincerité plus que touchante. Et les sentiments amoureux parfaitement exposés dont l'évolution est habillement traîtée contribuent également à faire de ce film une merveille.

Les acteurs sont remarquables, l'ambiance du film l'est également.

Un chef d'oeuvre !

Merci Mr Hawks (une fois de +) !

Mon Top 20 s'est trouvé un nouveau résident :D
AlexRow a écrit :Seuls les anges ont des ailes, Howard Hawks (1939).
Dès qu'il commence, on se dit qu'on est devant un grand film. La photographie est somptueuse, tout comme le cadrage qui tire pleinement parti du format 1.33 pour nous offrir de magnifiques compositions, comme dans la joyeuse scène de cabaret qui plante le décor. Jean Arthur est déjà splendide. Et puis très vite, on admire l'impeccable mise en place et l'habileté du réalisateur à dépasser les clichés du cinéma d'aventure pour imprégner son histoire - pleine d'hommes velus qui en ont - de romantisme et d'humanité. On est bien loin de l'apologie du risque ou de l'extase béâte devant les merveilles du vol motorisé. Ce qui est attachant, c'est la peinture de cette micro société de pilotes de l'aéropostale perdus au fin fond de l'Amérique latine et devant assurer le franchissement d'un col de montagne. Tout du long sur le fil du rasoir, le film ne verse jamais dans le mauvais mélo ni dans l'exaltation de l'heroïsme. Une très grande réussite et un très grand film.
Alligator a écrit :Only Angels Have Wings (Seuls les anges ont des ailes) (Howard Hawks, 1939) :

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Très belles rencontres que nous offre à voir Hawks sur ce film. D'une simplicité et d'une force peu commune à la fois. Très étonnant. Charmant mélange.

Le personnage jouée par Jean Arthur, caractère féminin fait de ce moule hawksien, de puissance et de vulnérabilité qui ravissent le coeur des hommes n'entre pas en boule dans un jeu de quilles. Bien au contraire, elle se fond dans le décor avec élégance et sourire. Il devient dès lors évident qu'elle ne pourra plus prendre son bateau.

Dans ce monde masculin, où les amitiés se scèllent sous le regard entendu des hommes d'honneur, où péril rime avec viril, la mort rode et maltraite les sentiments. Les fidélités sont indéfectibles, la bravoure une parure du matin jusqu'au soir et l'amour un danger bien plus blessant qu'un avion qui s'écrase.

Les thémes que ce film aborde sont nombreux. Ils apparaissent par surprise. Finement, Hawks enrichit sa mise en scène d'images parfois superbes.

Pourvu de comédiens à la réjouissante épaisseur il parvient à combiner tous ses éléments pour créer un spectacle rare.

L'émotion atteint son paroxysme dans une scène organico-lacrimale, où une pièce de monnaie en dit plus qu'un long discours.
Mama Grande! a écrit :Only angels have wings

Comme d'habitude chez Hawks, un film est d'abord une rencontre avec un groupe. Ici, c'est avec ces amoureux du ciel que nous faisons connaissance. Dans la chaleur moite d'une ville sud-américaine, le cinéaste nous fait découvrir ce milieu par l'intermédiaire de la naïve et charmante Jean Arthur, fascinée comme nous par ces hommes que la mort n'effraie pas, qui vivent chaque jour comme le dernier, et dont la passion guide la vie. D'une beauté visuelle lumineuse (comme en lisant Jeunesse de Conrad, j'ai eu l'impression que les éléments humides, comme la pluie, la mer, ou la sueur, me reflétaient une lumière aveuglante et poignante... ça ne voudra pas dire grand chose pour beaucoup de monde je sais :oops: ), ce chef-d'oeuvre est d'une densité narrative telle que l'on est conscient lors du visionnage que l'on devra y revenir plus tard pour en saisir les richesses. C'est à la fois frustrant, mais aussi plaisant, car cela donne le sentiment de découvrir une oeuvre qui va compter pour nous. Ajoutons aussi que Cary Grant, que je n'avais jamais vu avant dans un rôle dramatique, offre une prestation poignante et que les scènes de vol, malgré les maquettes voyantes, sont d'une grande intensité dramatique. Bravo M. Hawks.
Cathy a écrit :Only Angels have Wings - Seuls les anges ont des ailes (1939)

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Howard Hawks a le sens de la comédie mais aussi du drame et ici nous sommes dans le registre plus dramatique. L'évocation des ces pionniers de l'aviation qui risquaient leur vie pour délivrer le courrier dans une terre hostile. Le film est un pur chef d'oeuvre, les personnages sont bien caractérisés du chef au grand coeur (Cary Grant), un peu salaud sur les bords, mais qu'on aime détester puis aimer, aux pilotes comme Thomas Mitchell, confident, casse-cou, sans oublier le pilote "traitre" '(Richard Barthelmess). Mais dans cette comédie masculine, le regard féminin est important que ce soit celui de Jean Arthur, diantrement attachante ou celui de Rita Hayworth en épouse du traitre et "traitresse" elle-même. Le film est mené tambour battant, sans une seule séquence inutile ou dialogue superflu. Bref un chef d'oeuvre du film d'aventures !
Profondo Rosso a écrit :Seuls les anges ont des ailes de Howard Hawks (1939)

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La vie d'une équipe d'aviateurs qui traversent la Cordillère des Andes avec des avions délabrés est très perturbée par deux femmes et la météorologie capricieuse de ces contrées

Un des tout meilleurs Haawks que ce superbe film qui rend hommage aux aventuriers de l'aviation. L'histoire nous plonge dans le quotidien d'une compagnie de transport de courrier dirigée par Cary Grant qui a fort à faire pour respecter un contrat l'obligeant à respecter tout ces envois quoiqu'il arrive. Un rôle surprenant pour Cary Grant (sûrement son plus sérieux avec "Les Enchaînés" ou "Soupçons" de Hitchcock) avec cette homme complexe dissimulant sa sensibilité sous des airs bourrus. C'est également la particularité de cette communauté d'aviateur magnifiquement dépeinte par Hawks (lui même ancien pilote) rigolarde et attachante qui préfère oublier le danger bien présent entre les appareils vétustes et la météo capricieuse. Cary Grant se trouve happé dans une histoire d'amour non désirée avec Jean Arthur (absolument craquante :wub: ) qui le rappelle les questionnements auxquels il fut confronté avec son ex Rita Hayworth (pour un de ses premier rôle majeurs) à savoir choisir entre une vie de danger et son amour. Le scénario est une merveille d'écriture et de rythme aux intrigues et personnages secondaires se liant parfaitement à l'intrigue principale, comme la rédemption de l'ex mari de Rita Hayworth et surtout la relation d'amitié entre Kid (très attachant Thomas Mitchell) et Grant. Ce dernier offre une performance époustouflante, entre goujaterie absolue, timing coming atténué mais toujours là et surtout des manifestation de sensibilité qui n'en sont que plus marquante tel ce moment où
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il pleure la mort de Kid
. Les scènes de vol, entre prise de vue réelles en plein air, maquette de d'avion et de décor ainsi que rétroprojection sont époustouflantes, en particulier la dernière stressante à souhait. La conclusion est parfaite avec un Hawks qui (contrairement à ce qui se ferait aujourd'hui par facilité et changement de mentalité) ne force pas sont héros à changer son mode de vie tout en le faisant évoluer pour le meilleur, la dernière scène et la manière dont il amène Jean Arthur a rester étant tout simplement géniale et cohérente avec le personnage. 5,5/6
Flavia a écrit :
Seuls les anges ont des ailes (Only Angels have wings) - Howard Hawks - 1939
La vie, les luttes, les haines et les amours des membres d'une petite compagnie d'aviation privée, qui pour obtenir un contrat d'état, doit accomplir un certain nombre de vols dans des conditions difficiles.

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Passionné d’aviation et lui-même pilote, Howard Hawks s'est beaucoup investi dans ce film. Le scénario, en apparence simple, est extrêmement riche car il développe toute une palette de sentiments sur une base de deux thèmes forts : un groupe d’hommes soudés face au danger et la rivalité amoureuse. Le tour de force du réalisateur est d’exposer toute cette richesse dans un univers très restreint (un petit groupe de baraques autour d’un terrain d’aviation de fortune), et l'on ne ressent pas cette étroitesse, tant l’action qui se déroule devant nous est prenante.

Cary Grant est parfait dans le rôle d'un faux dur, face à lui Jean Arthur est charmante, spontanée, directe, sans oublier d’excellents seconds rôles de personnages très forts qui donnent une grande consistance à l’histoire.

Seuls les anges ont des ailes est un très beau film, sobre, émouvant, où l'amitié tient autant de place que l'amour.
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Thaddeus
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Thaddeus »

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L’étoffe des héros


Entre deux éblouissantes comédies (L’Impossible Monsieur Bébé et La Dame du Vendredi), Howard Hawks s’offre une escapade dans les cols et vallées escarpés de la Cordillère des Andes. Là se joue un petit théâtre des relations humaines comme il les affectionne : celui d’une poignée d’aviateurs assurant les relais postaux, liés par un goût indéfectible du devoir et de l’aventure et par une amitié qu’ont consolidée des années de camaraderie. Que ceux qui ne connaissent pas le sens du mot "éthique" et qui voudraient découvrir quelles hauteurs le septième art peut atteindre lorsqu’un auteur souscrit à la transparence d’une philosophie fondée sur la clarté et la fidélité, le respect des autres et de soi-même, s’instruisent en découvrant ce joyau. S'il est un ouvrage modèle du cinéaste, c'est bien celui-ci, et il n'y a rien d'étonnant à ce que tant de références directes ou indirectes y soient faites dans des films comme Le Port de l'Angoisse, Rio Bravo ou Hatari ! qui, à des degrés divers, dérivent de ce premier essai. Le réalisateur y devient enfin ce qu’il est. Extrêmement fécond pour le développement ultérieur de la démarche hawksienne, Seuls les Anges ont des Ailes est avant tout le film d'un homme mûr traitant de la conquête de la maturité. Derrière tous les arguments qui peuvent, avec plus ou moins d'acuité, illustrer ses qualités d'expression, une donnée apparaît irréductible : la profonde sympathie qui lie l’auteur à ses personnages et qui lui permet seule d'en exprimer avec un tel bonheur les certitudes aussi bien que les doutes. La référence au concret ("chaque protagoniste s'inspire de faits vécus") ne doit pas être prise au pied de la lettre comme le signe d'une volonté servile de réalisme. Elle est plutôt la marque attachante d'une profonde modestie, car Hawks puise sans doute autant dans sa propre expérience que dans celles dont il dit s'inspirer, mais préfère aux prestiges de l'autobiographie l'efficacité d'un discours objectif à la troisième personne. Une preuve supplémentaire que son classicisme ne procède pas d'a priori esthétiques mais s’affirme comme la seule expression possible de son univers. Le caractère cyclique des épisodes dans un champ d’action soigneusement délimité relève donc moins d'un principe de construction que d'une nécessité interne, d'autant plus impérative qu'elle semble s'imposer à lui de manière intuitive.


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Classique à l'extrême, le point de vue de Hawks sur ses personnages est cependant loin d'être simple. On voit fréquemment en lui le cinéaste de l'évidence tout en négligeant peut-être celui de l'ambiguïté. Parce que les conflits se résolvent le plus souvent de manière heureuse dans son œuvre et parce que la démarche de ses protagonistes est presque toujours orientée vers une plus grande maîtrise de soi, on oublie la part de gravité sous-jacente dans chacun de ses films. La comédie équilibre le plus souvent les éléments dramatiques avec une subtilité qui permet parfois (voir ici la dernière scène) des passages abrupts d'un registre à un autre. Et cependant dans Seuls les Anges ont des Ailes, chacun des trois personnages principaux (Geoff, Bonnie, McPherson) est marqué à l'origine par un échec sentimental ou professionnel qu'il devra s'efforcer de dominer tout en restant fidèle à lui-même : agressif et extérieurement sûr de lui, Geoff, en qui se retrouvent magnifiées toutes les caractéristiques du petit groupe qui l'entoure, est intérieurement en proie à une angoisse constante qui finira par éclater après la mort de son meilleur ami. Répétée à plusieurs reprises dans le film, la formule "he wasn’t good enough" est révélatrice de ce comportement. Chacun a besoin de se rassurer sur ses propres capacités et, plus encore, sur les raisons des défaillances professionnelles ou psychologiques dont sont victimes les autres membres de la communauté. Par une gradation subtile, Hawks passe de l'évocation des déficiences occasionnelles (Joe mourant pour avoir essayé d'impressionner Bonnie par un exploit dangereux) à celle d'autres crises, plus profondément vécues (McPherson abandonnant son coéquipier, par un réflexe de panique, dans un avion en flammes) et enfin à ces déchéances plus inéluctables encore qui menacent tout un chacun (le vieillissement qui condamne le Kid, après vingt ans de métier, à l'inaction). Mais face au danger et à la fatalité s’affirme toujours le refus de céder à la complaisance et à l’autoapitoiement. Cette manière, à la fois d’être pour les personnages, et de les regarder pour le réalisateur, est la clé d’une sagesse particulière. Elle affirme un art stoïcien dont le cinéma, même hollywoodien, aura assez peu pris le risque.

Alors que les derniers opus de Hawks tendent à estomper cette notion de vulnérabilité par un traitement comique (les plaisanteries sur Robert Mitchum dans El Dorado, par exemple), il est frappant de constater le relief qu'elle acquiert dans plusieurs de ses films antérieurs où le rôle du comparse déchu (Walter Brennan dans Le Port de l'Angoisse) prend parfois une importance décisive et se voit traité de manière dramatique (Dean Martin dans Rio Bravo en est l’occurrence la plus caractéristique). Ici en particulier, la dégradation physique du Kid est d'autant plus signifiante qu'elle prend l'allure d'un avertissement pour chacun de ceux qui le connaissent et qu'elle met un point final à son activité. Si, commençant à perdre la vue, il se résout à tromper Geoff pour conserver son emploi, c'est par un dernier réflexe de défense et parce que sans lui il n'est plus rien. Au passage, très caractéristique est la scène où, se sachant fatalement blessé, il demande à Geoff de sortir pour pouvoir mourir seul. Le hors-champ est justifié par la narration et les personnages : ce que Cary Grant ne verra pas, il est impossible que le spectateur en soit témoin. La disponibilité professionnelle, l'aptitude au travail quotidien, qu'il soit routinier ou dangereux, sont finalement ce qui définit, par-delà leurs différences, les protagonistes. Mais cette disponibilité, cette faculté à assumer le risque sont constamment mis en question. Guettés par la mort, la peur ou l'usure de leurs forces, ils vivent une épreuve constante.


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Jamais cependant Hawks ne donne à sentir directement la réalité physique de ces menaces : Seuls les Anges ont des Ailes est avant tout un film d'attitudes. L'action proprement dite n'y occupe guère plus de trois séquences et ce n'est pas le moindre paradoxe d'un récit consacré à l'aviation que de s’enfermer pendant près de deux heures entre les quatre murs d'un hôtel. Pourtant cet éclairage oblique s'avère le plus juste et le plus profondément révélateur. Parce que son art est fondé sur la litote et l'understatement, le metteur en scène atteint une aisance sans pareille dans la peinture objective de l'entreprise humaine. Le film est celui où il a la certitude d’avoir trouvé la bonne distance, celle qui sépare son regard de ses personnages, celle aussi qui sépare ceux-ci de leur propre destin. Les héros hawksiens savent qu’ils ne peuvent être autre chose que ce qu’ils font. En témoigne la séquence fabuleuse où McPherson, devant chercher un blessé pour le transporter en avion, contourne longuement avec son appareil le flanc de la montagne, se pose sur un étroit plateau et redécolle quelques instants plus tard en prenant son élan dans un vertigineux piqué. Tout ce qui pourrait détourner la scène de sa valeur d'objectivité en est rigoureusement éliminé. Alors qu'une exploitation dramatique paraît s'imposer d'elle-même en fonction du contenu particulier du moment (fait de suspense et de danger), Hawks axe sa description sur une seule dimension : l'accord entre les gestes du pilote et l'action qui est requise de celui-ci. Aucune mystique de la performance ne vient ici troubler le regard du cinéaste, et c’est précisément cette neutralité de traitement qui donne à l’exploit son héroïsme et sa valeur.

Une telle conquête sans effort ni crispation de l'espace et de la nature acquiert une résonance très particulière à l'intérieur du cinéma américain où elle est si fréquemment traitée à la manière d'une lutte farouche contre les éléments (chez King Vidor, par exemple), qu’elle permet d'exalter les valeurs de l'esprit pionnier. Aucune séquelle de l'idéologie de la "frontière" ne subsiste chez Hawks, insensible aux valeurs dans lesquelles un John Ford puisera pendant des années son inspiration. Alors que Frank Capra s'attachera à la même époque à décrire et exalter l'intimisme de petites collectivités unies par des besoins simples et une activité commune, Hawks, plus lucide peut-être, en tout cas plus pragmatique, voit avant tout en celles-ci des instruments de travail. Ainsi, lorsque Dutchie s'écrie après la mort de Joe que cela ne peut pas continuer ainsi, Geoff lui répond sur le ton du truisme qu’il y a un nouveau pilote qui arrive dans quelques jours. Formule un peu sèche mais rendant fort bien compte de la perspective du cinéaste. Le groupe fonctionne comme une cellule vivante en continuelle mutation, dans laquelle des personnages disparaissent et sont aussitôt remplacés par d'autres. Hawks illustre l'idée inverse que chaque situation est ouverte et que la décision à adopter est uniquement fonction du but qu'on s'assigne et du prix qu'on est prêt à payer. Quand Geoff demande à un de ses employés de convoyer une caisse de nitroglycérine, celui-ci refuse en invoquant les termes de son contrat. McPherson, qui n'a rien à perdre, accepte la mission et Geoff congédie le premier pilote. Plus tard, lorsque le paria mènera l'avion à bon port malgré le danger, il intégrera l’escadrille, effaçant d'un coup et de la seule manière possible son erreur passée. L'histoire de chaque protagoniste se présente ainsi à la manière d'une série d'embuches dont la résolution implique la participation des autres et renforce la solidarité. Un personnage n'est mis en valeur que dans la mesure où il éclaire de manière symptomatique le contenu de la scène où il figure. C’est pourquoi Bonnie, qui sert d'initiatrice, disparaît presque totalement de la partie centrale du récit pour ne reprendre complètement sa place que dans les scènes finales. Le sentiment d'unité première de l’équipe ne s'en trouve cependant pas compromis, l'accent se déplaçant, une fois le premier contact établi, vers des personnages nouveaux (Judy, McPherson) dont les rapports joueront ultérieurement sur le comportement du couple Geoff-Bonnie. D'abord perçu à travers le regard de cette dernière, le groupe apparaît dans toute son étrangeté, régi par des rites et des conventions dont on ne comprend que plus tard la signification.


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Par ces procédés très simples, l’auteur évoque un univers complet où sont confrontées toutes les conduites possibles face au drame et au danger : en l'espace d'une semaine c'est une vie entière qui se déroule, sans que pour autant le choix de l'unité de temps et de lieu apparaisse comme le résultat d'une option symbolique. Comme en témoigne l'évolution de Geoff, la sensation d'incomplétude, la crainte de la brûlure (à laquelle fait concrètement allusion une scène avec Bonnie) sont au contraire des agents essentiels des agissements des personnages. Une nouvelle fois, Hawks s’affirme ici comme un cinéaste de la vitesse — pas le tourbillon walshien ni la foudre fullerienne mais une vitesse sèche, quasi abstraite. La célérité fragile de l’amour éclaire la stabilité de l’amitié accumulée. Le film se conclut ironiquement en faisant dire à Jean Arthur "Things seem to happen fast around there", alors qu’elle est elle-même tombée amoureuse dans l’instant et que ce qui frappe dans la vie de la base aérienne est au moins autant la permanence des gestes que la rapidité de l’action. Loin d'ignorer ce qui peut compromettre le succès de l'aventure, Hawks cherche à équilibrer harmonieusement réussites et échecs. La motivation narrative souligne le jeu du combat et de la rivalité, cristallise l’émulation des protagonistes dans un désordre qui fragilise la règle qu’ils se sont fixés pour atteindre leur objectif, car tout l’enjeu se situe ici dans la reconnaissance des individus les uns par les autres. Pas la moindre démagogie, seulement l’expression la plus juste et euphorisante de la noblesse des sentiments : une ancienne querelle enterrée par un geste d’altruisme désintéressé, un adieu pudique lorsque la mort frappe au dépourvu, l’acceptation de la femme aimée comme maillon indispensable à l’équilibre social et masculin. Et si le laconisme insolent peut cacher la douleur morale, si le rythme infaillible de la narration fait sautiller péripéties et plages intimistes avec un égal bonheur, c’est avant tout un humanisme chaleureux qui transparaît à chaque instant de cette œuvre magnifique. Ni comédie, ni drame, ni film d'action, ni film psychologique, Seuls les Anges ont des Ailes est pourtant tout cela à la fois. Ce que les tenants du behaviorisme tentèrent d’évoquer, parfois laborieusement, en se laissant souvent trahir par une affectation bavarde qui contredisait la rudesse recherchée du propos, Hawks l'atteint sans effort ni volonté de sacrifier à une mode. D’où l'inaltérable jeunesse d’un film dont les années n'ont en rien entamé la vitalité. La leçon reste sans doute difficile à imiter, encore mérite-t-elle d'être rappelée.


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Dernière modification par Thaddeus le 2 avr. 23, 16:47, modifié 5 fois.
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Rashomon »

Je serais bien incapable de l'analyser avec une telle profondeur, mais c'est effectivement l'un de mes Hawks favoris (il n'y en a pas beaucoup) et selon moi le meilleur rôle de Grant et Arthur. Je crois que je vais me faire une projo cet après-midi, ça me fera oublier la pluie...
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Watkinssien »

Bel avis Thaddeus pour un remarquable film de Hawks, combinaison brillante de romance, d'aventures, de soucis réalistes, de drame et de truculence.

La mise en scène est d'une totale clarté et, comme très souvent chez le cinéaste, d'une évidence dramaturgique impeccable. Pas un poil de graisse dans le montage, le découpage, des comédiens excellents, des séquences d'aviation prenantes et brillamment reconstituées.
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Jeremy Fox »

Chef d'oeuvre : un de mes Hawks favoris moi aussi.
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Alexandre Angel
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Alexandre Angel »

Oui, oui, je me joins aux éloges. Ce n'est pas une surprise mais la copie récemment restaurée restitue le film tel que je ne l'avais jamais vu.
Il faut admirer la modernité du ton et se passionner pour les motifs obsessionnels de l'oeuvre d'Howard Hawks, tous présents ici : le milieu professionnel décrit comme une communauté humaine avec ses codes, la femme venue de nulle part qui s'y immisce , la présence sèche de la mort comme levier de gestion de la pulsion de vie.
C'est du grand cinéma américain par ses motifs, et du grand cinéma tout court en cela qu'il invente un langage adulte, ludique, excitant pour décrire l'action et l'aventure.
Ce qui est beau, comme souvent chez Hawks, c'est la corrélation subtile entre fiction et réalité d'un tournage, sans démonstration, sans posture théorique (comment cela pourrait-il advenir d'ailleurs, dans un film hollywoodien de 1939 ?) mais par la grâce d'une inspiration supérieure qui serait la définition du génie. Comme dans Hatari!, l'activité professionnelle décrite (une compagnie d'aéropostale) résonne universellement avec n'importe quelle autre, et tout particulièrement avec celle qui réunit par excellence un certain nombre d'individu(alité)s qui peuvent contribuer à la réussite de l' entreprise, à savoir l'équipe technique du tournage d'un film.
Chaque personnage, chaque visage à l'intérieur du cadre, chaque physionomie, paraît impliqué, au delà de la simple notion de direction d'acteurs. La qualité de la copie nous révèle des trésors d'attitudes, de directions de regard, d'"intentions" dans le jeu, qui constituent la richesse du film et lui confère une portée documentaire. Comme dans les meilleurs Sacha Guitry, c'est toute une époque (en l'occurrence la fin des années 30 ) qui nous semble proche, presque physiquement, à portée de mains. Comme palpable. Il n'y qu'à voir de quelle façon les cigarettes participent d'une vaste chorégraphie comportementale, allumées, déplacées d'une bouche à l'autre, fumantes dans les mains pendant l'action pour prendre la mesure d'un maillage rythmique d'une classe folle.

Et le film a un joli cri de guerre, qui s'inscrit pour la vie dans la mémoire auditive : Calling Barranca! Calling Barranca!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par The Eye Of Doom »

Moi qui n’arrive pas a me rappeler d’un seul film de Hawk que j’ai aimé (à l’exception de Indiscrétion et L’impossible monsieur bébé), a vous lire je vais me laisser tenter…
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Alexandre Angel
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Alexandre Angel »

The Eye Of Doom a écrit : 7 nov. 21, 21:01 à l’exception de Indiscrétion
C'est de Cukor.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par The Eye Of Doom »

Gasp, c’est pourtant vrai. Donc un de moins…
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Ouf Je Respire
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Re: Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks - 1939)

Message par Ouf Je Respire »

Enfin découvert. Bon Dieu, c'est le type de film qu'il faudrait regarder chaque mois pour notre hygiène cinéphilique!
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