Le Messager (Joseph Losey - 1971)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Arnojul
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Le Messager (Joseph Losey - 1971)

Message par Arnojul »

Quelqu'un pourrait-il me renseigner sur la première date de diffusion à la TV française de ce film ?
Ou bien me donner des pistes pour obtenir ce renseignement précieux pour moi...
Merci beaucoup !
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moonfleet
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Re: Le Messager (Joseph Losey - 1970)

Message par moonfleet »

Je n'ai pas de réponse à votre question, mais il est scandaleux que ce film magnifique ne bénéficie toujours pas d'une édition dvd française !!

Les lois de nos désirs sont des dés sans loisirs
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Père Jules
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Re: Le Messager (Joseph Losey - 1970)

Message par Père Jules »

Il était inclus dans ce coffret (contrairement à ce qu'indique le visuel)

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Watkinssien
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Re: Le Messager (Joseph Losey - 1970)

Message par Watkinssien »

Quel grand film de Joseph Losey. Tout est marquant et magnifique : la subtilité de la dramaturgie, la performance des comédiens, la caractérisation des personnages, l'élégance impeccable de la mise en scène.

J'aimerai bien le revoir, tiens !
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Jeremy Fox
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Re: Le Messager (Joseph Losey - 1971)

Message par Jeremy Fox »

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Thaddeus
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Re: Le Messager (Joseph Losey - 1971)

Message par Thaddeus »

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Petit Mercure aux talons ailés


Stimulé par les expériences d'une carrière non dépourvue d'hésitations, et dont plusieurs films sont marqués de baroquisme théâtral (Boom !), de complaisance maniériste (Eva) ou d’un abandon à une imagerie symbolisante (Deux Hommes en Fuite), Joseph Losey réalise avec Le Messager une œuvre aussi éloignée de la violence de quelques-uns de ses longs-métrage les plus remarquables (Les Criminels) que de l'extravagance esthétisante de certains autres. Il y a dans ce recours à une sorte de régularité tempérée, toute de transparence et de luminosité, dans l’élégance de cette mise en scène de l’anastrophe, dans ces structurations apparemment traditionnelles, un recul, un abandon, un refuge jusqu’alors inédits pour le cinéaste. La corruption de l’innocence, les pièges de la mémoire, ces thèmes qui l’ont toujours fasciné sont ici donnés à voir avec le plus d’acuité. Adapté par Harold Pinter, le roman de Leslie Poles Hartley lui a fourni une riche matière. Précision méticuleuse dans la peinture du milieu social, habileté consommée dans la construction de l’inquiétude du spectateur, pénétration sans faille des caractères. L’adéquation parfaite entre un double scénario (l’éducation sentimentale d’un adolescent, la liaison d’une jeune aristocrate avec son métayer) et le traitement que Losey lui fait subir se nourrit de reflets profonds et des vibrations combinées de la tendresse et de la lucidité. L’étude des mœurs de la haute société rurale anglaise, à l’aube du XXème siècle, témoigne d’une précision et d’une justesse qui en restituent la rigueur, la bienséance, le self-control. L'argent y impose ses lois, l'orgueil de caste, les préjugés ("pride and prejudice"), le snobisme et l'hypocrisie les leurs. La psychologie des personnages ne souffre aucun à coup, nulle erreur d’appréciation ; costumes et comportements les dessinent dans le cadre sans faute de goût. Autant de qualités qui culminent et se cristallisent dans la mémorable séquence de la partie de cricket. Par sa subtilité, l’harmonie de ses images, l’équilibre de la composition et de l’interprétation (qu’emmène une superbe et radieuse Julie Christie), Le Messager exerce une forte impression de plénitude artistique, comme peut en provoquer la rencontre d’une œuvre classique à son point idéal d’accomplissement, quand se conjuguent, maîtrisées par l’écriture, ses tensions contraires.


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Qu’est-ce que la beauté ? Moraliste convaincu, brechtien à peine résipiscent, Losey ne semble pas vraiment la chercher, mais il en propose ici une fort probante hypothèse. Sa source n’est pas celle due à l’évidence chez Howard Hawks ou à une métaphysique schématisée chez Fritz Lang, au mystère chez untel ou au geste et au cri chez tel autre. Elle évite également le piège du superflu enjolivé : il n'est rien dans le décor et le script qui n'ait une signification à des plans différents du récit. On a fait un sort au mot quelque peu maladroit de Méliès : "Le cinéma est un art parce qu’il est la réunion de tous les arts." Autant dire qu’un saladier est un fruit parce qu’on peut y faire des salades de fruits. Si le cinéma est un art (quelque part sur la route asymptotique du spectacle complet inaugurée par les élisabéthains et barrée par Wagner), ses historiens pourraient noter que le lauréat de la Palme d’Or 1971 rassemble notamment la peinture (un exemple parmi cent : les guêpes sur les chardons bleus, vision signifiante et matérialiste d’une réminiscence par-delà le symbolisme du pourrissement) et la sculpture, réduite à des éléments de mobilier mais intégrée à une architecture utilisée jusqu’à l’exhaustion. Le tournage repose sur un repérage non seulement géométrique mais topographique, presque cartographique, qui donne l’impression d’une scénographie entièrement préexistante à l’apparition de quelque acteur et de quelque caméra que ce soit. La présence physique du passé est immédiatement sensible ; mais aussi, grâce à l'accord de l'image et de la bande son, celle de l'été, grésillant et bourdonnant d'une chaleur dont l'écran semble empoissé, ne laissant circuler qu'une lumière tour à tour lourde et tamisée, brutale et magnificente.

Comme la plupart des films de Losey, Le Messager dresse un constat d'échec. Au terme du récit (la dernière scène ne remue que des cendres), on découvre que trois vies ont été gâchées, que trois individus se sont laissés condamner au malheur. Leo Colston, le tout jeune héros de l’histoire, joue une partie inégale. Flatteusement accueilli dans le beau monde comme un enchanteur (la douairière lui offre le bras et l'emmène à la place d'honneur, le cortège passant dans la salle à manger comme s'il s'enfonçait dans un miroir), il tente d'appliquer son bagage de connaissances occultes et botaniques à l'exorcisme d'un danger encore inconnu. Tentative insignifiante face aux artifices dont use la fée Marian, qui se met en colère, joue, câline ou dispute son facteur si essentiel à sa jouissance. Des larmes amères coulent sur le générique, et ce n'est pas par hasard si Losey fait assister à l'ouverture de la lettre qui causera tant de chagrins près d’un tronc cadré avec insistance. L'arbre biblique de la connaissance du bien et du mal ne peut manquer à ce paradis, où la seule activité de Dieu le Père consiste à diriger la prière collective des servantes. Bien sûr, il y a le refuge du fumoir, mais Leo n'est pas en âge d'y accéder (Losey souligne à ce seul instant sa sujétion sociale à Trimingharn, qui partout ailleurs apparaît comme un grand cousin plutôt aimable). Parfaitement innocent en matière sexuelle, le petit Mercure sublime ses pulsions par son intérêt pour la magie. Il a soif de savoir. Aussi, à partir du moment où il saisit le rôle qu’il joue, véhicule d’une trahison, sa douleur morale s’efface devant la perspective de découvrir enfin ce que signifie "rendre hommage à une dame". L’innocent négocie son entremise. Il n’est pas question ici de libre-arbitre mais de genèse d’une forme de servilité. Relais occasionnel, Leo subit et devient à jamais la première victime déchirée de la passion des autres. Quand, le soir de son anniversaire, Mrs Maudsley l'entraîne sous l'orage jusqu'au couple fornicateur éclairé par la colère du ciel, il est confronté à la scène primitive, lui qui n’a pas de père. Il voit sans pouvoir comprendre ce qui est vu : échec de toute intégration rationnelle, qui condamne l’enfant à ne pas grandir et à vivre toujours à côté de lui. Des décennies plus tard, Leo a-t-il connu dans son existence ce bonheur dont lui parle Marian ? Il a été la condition de ce bonheur, mais n’est-ce pas la fonction des dominés que de permettre aux dominant de vivre joyeusement ?


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La difficulté majeure consistait pour Losey à faire courir en parallèle, dans une trame si finement tissée, le passé, conjugué au présent par le récit, et le présent de la mémoire, d'où tout procède par essence. Cette tentative l’incite à refuser les facilités du flash-back, pour inverser la relation usuelle de l’avant et du maintenant. Très vite, des inserts modernes (le passage d'une luxueuse automobile noire dans le paysage que l’on commence de connaître en tant que décor daté) surprennent, s'imposent insidieusement à l'attention, dénaturant un contexte saisi par de très souples et très amples mouvements d'appareil dès la première arrivée en calèche. L'itinéraire de Leo pourrait être retracé en un croquis coté, bien qu'il ne soit jamais suivi ni filmé dans son intégralité ni sous un seul angle. Le morcelage et le remodelage d'un espace on ne peut plus réel (un château du Norfolk, province archaïque) aboutissent à le traiter comme une énorme scène de théâtre à plusieurs niveaux distincts. Cette maîtrise de la spatialité s'effectue grâce à un parti-pris, le moins proustien qui soit, dans la temporalité. Il n'y a pas afflux de souvenirs dans la conscience du héros âgé mais présentation immédiate de l’autrefois convoqué. Bien que le point de vue narratif général soit celui de Leo gamin, Losey ne montrant sans lui que ce qu'il a pu imaginer ou entendre, les plans de coupe préparant le dénouement sont distribués de manière harmonique par rapport à la mélodie ; ils s'accumulent avec le temps gris de la soirée fatidique qui semble n'avoir jamais cessé depuis. Lorsque, dans la dernière scène, lady Trimingham demande à Leo de reprendre le jeu, c'est Marian amante de Ted qui parle en elle, et c’est l'enfant qui écoute. Mais celui-ci ne peut plus entendre, l’abîme reste ouvert. Et la douleur devenue muette s’affiche sur le visage parfaitement mat de Leo devenu vieux.

Les premiers mots du film, prononcés en voix off, avaient averti que l’on allait pénétrer dans un ailleurs aux clés désormais brisées, dont le langage était chargé de signes fallacieux et les gestes affectés d'une signification inconnue ("Le passé est une terre étrangère où l’on agit tout autrement"). Colston quittera Brandham Hall en ruines sans avoir accédé à l'ultime requête de Marian Trimingham. Il n'ira pas dissiper les accusations du fils de la seule femme qu'il a sans doute aimée, lui apprendre qu'il n'y a pas d'autre malédiction qu'un cœur sans amour. Il a joué son ultime rôle de relais entre le passé et le présent, objet des soins aveugles du destin. Rien d'étonnant à ce que l’œuvre convoque le clair de lune et le soleil couchant, une harde de cerfs et un vol d'oies sauvages. La belladone vaincue, détruite même dérisoirement avec l'aide de l'appel à la pureté (trois boîtes d'allumettes marquées d'un cygne), mettait en péril l'existence d'une société close. Le messager, c'est le médiateur, le médium, l'artiste, prenant sur lui du chaos et de la mort que le monde tente de refouler. La blessure de Leo est le message (littéralement, comme l’indique le geste fétichiste de Marian voulant garder le mouchoir ensanglanté de Ted), et le message est tout entier dans la blessure. Demi-dieu, jeune prince à qui on promet la vie et l’amour, Leo est pris au piège, perdu, contraint par une civilisation qui a fait du mensonge sa loi. Le vieux monsieur éteint des dernières minutes n’a rien de l’éclatant petit bonhomme d’antan. Lui ne se servait de ses maléfices qu’à l’école, et pas pour tuer. D’autres ne se sont pas embarrassés d’autant de précautions à son égard. Œuvre détachée et passionnée, attachante et passionnante, Le Messager marque la cruelle brutalité avec laquelle s'ouvre à l'enfant la porte de l’univers qui sera le sien.


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