Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alligator
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Antonio Pietrangeli (1919-1968)

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Io la conoscevo bene (Je la connaissais bien) (Antonio Pietrangeli, 1965)

Mon premier Antonio Pietrangeli. Aussi étrange que cela puisse paraître, je n'avais jamais vu de film de cet auteur. Je crois même que sans ce cinemed 2014, je serais toujours ignorant du bonhomme.

L'Italie a rapidement besoin de se pencher sur son cinéma du passé pour le sauvegarder d'abord, puis de mieux mettre en valeur les œuvres de réalisateurs moins connus, comme cet Antonio Pietrangeli. Parce qu'il le mérite.

Voilà un bon film, peut-être pas le meilleur film de son époque (difficile d'exister face aux Risi, Germi, Fellini, Antonioni et consorts), m'enfin, ce n'est ni bête, ni laid, bien au contraire.

Ce qui peut un peu rebuter (et encore, je ne suis pas sûr de la justesse de ce terme) est l'éventuel sentiment de longueur sur deux ou trois scènes. Je m'interroge. Peut-être un montage un peu plus nerveux parfois aurait pu éviter cela. Subrepticement, j'ai senti une sorte de ralentissement pas très heureux, quand on a déjà compris où la séquence veut nous amener, Pietrangeli prend sans doute un temps démesuré.

Mais à sa décharge, sa tendance à la contemplation, cette patience mêlée d'envie et d'admiration est pour beaucoup dans le charme qui se dégage de cette chronique, douce, triste et sensuelle.

Au delà de cette image presque érotique, la douleur ou le pathétique de ce parcours de femme reste l'axe principal du film. Nous devons cette heureuse composition à une triade de scénaristes, mais bien entendu le nom d'Ettore Scola est le plus clinquant.

Au générique on est également épaté par la superbe distribution. Un rêve : Stefania Sandrelli, Nino Manfredi, Jean-Claude Brialy, Mario Adorf, Enrico Maria Salerno, Franco Nero, Franco Fabrizi ou Ugo Tognazzi. Elle promet tant !

Surtout, le film se révèle être un écrin formidable pour sublimer la beauté de Stefania Sandrelli, plus incroyable que jamais, de cette grâce, de cette féminité émouvante, qui m'embue les lunettes. À la fois fragile, courageuse, très sensuelle, elle est l'archétype de la jeune femme pleine de rêves encore enfantins, de cet espoir de vie, mort-de-faim pour les joies à venir.

Pietrangeli étudie ici ce papillon, son aveuglement, son obsession encore un peu infantile, qui se referme sur elle comme un piège. Le fantasme létal des jeunes filles en fleur à cette époque comme aujourd'hui se révèle d'une grande cruauté. Cela lui fait perdre de belles occasions de vie, la vraie, qui ne manquent pas, mais finissent par devenir invisibles.

On a parlé, paraît-il, de Pietrangeli -et pour ce film entre autres- comme d'un précurseur d'un cinéma féministe. On est en 1965, la place des femmes en Italie comme ailleurs n'est pas des plus heureuses. Il est vrai que le regard amoureux, chargé de libido de la caméra instaure un féminisme peut-être masculin au fond? Il est réel, sincère. Mais il est aussi un élan, le fruit d'un désir mal défini, esthétique et érotisé, ce qui pour certains ne peut se mêler au féminisme disons "premier". Injuste.

Oui, ce film très proche du visage de cette belle femme un peu naïve est touchant, mais en profondeur. Cette caméra tendue vers le moindre frémissement de cette femme confrontée à une Italie en pleine croissance et donc aussi en pleine mutation, où elle trouve difficilement sa place entre la jeune fille, la mère ou la catin célibataire, cette proximité avec le personnage affreusement seul recèle une émotion que je n'espérais pas aussi vive.

Du coup, j'ai décidé d'aller voir ensuite un autre film de Antonio Pietrangeli, "La fille de Parme" qui passe aussi lors de cette rétrospective et qui évoque également les affres que fait subir un monde brutal à une jeune femme, un monde où il est presque impossible de se faire une place sans abandonner une partie de sa liberté... de femme.

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Alligator
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

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La parmigiana (La fille de Parme) (Antonio Pietrangeli, 1963)

http://alligatographe.blogspot.fr/2014/ ... fredi.html

Après avoir découvert Antonio Pietrangeli avec "Je la connaissais bien" de quelques années postérieur à cette "parmigiana" mais à la thématique identique, j'ai encore plus apprécié de voir ce film malgré les conditions difficiles. Un vieillard à ma droite est sorti deux fois de la salle pour revenir à chaque fois, m'emmerdant 4 fois au cours de la séance donc et tout cela avec une version originale non sous-titrée doublée en direct. En effet, il n'existerait plus que cette seule copie non sous-titrée, par conséquent on a eu droit à un traducteur et un casque audio antique pour suivre tant bien que mal un joli film.

Dans ma critique de "Je la connaissais bien", je louais la manière amoureuse de filmer Stefania Sandrelli par Pietrangeli. C'est exactement la même impression qui se dégage de ce film. Pietrangeli suit avec soin mais aussi une grande délicatesse l'actrice Catherine Spaak. Il met en valeur sa beauté, son grain de peau, la finesse de ses traits, tous les petits détails comme une mèche de cheveux qui descend doucement le long du cou sur une épaule, un regard qui fuit sous le coup d'une émotion, etc.

Il capte ces petits moments touchants propres à la comédienne qui joue un personnage malmené par la société italienne des années 1960, le désir des mâles, pressée par le vouloir collectif, même des autres femmes rangées, de la voir se soumettre aux règles tacites de bienséance.

On est bien dans la même problématique que "Je la connaissais bien" : l'aliénation de la femme par une société traditionnelle. Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas seulement de féminisme. En effet, le personnage interprété par Nino Manfredi n'est pas mieux loti que celui de Catherine Spaak. Il joue un petit escroc vivant d'arnaques ou de petits boulots.
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Dans un monde plus clément, plus ouvert, ces deux-là auraient très bien pu finir ensemble et former un couple à l'époque anti-conformiste. Mais le propos n'est pas aussi optimiste ou romantique qu'on pourrait le croire pendant une bonne partie du film et ils se loupent parce qu'ils ont faim. Ce sont tous deux des survivants. Paradoxalement car l'Italie d'alors est en plein boom économique comme la plupart des pays européens, mais toutes ces transformations laissent encore bon nombre d'individus sur le bas côté de la route. Pas uniquement les femmes.
Allez savoir pourquoi mais jusqu'à maintenant je n'avais pas été "accroché" par Nino Manfredi, que j'ai vu pourtant dans quelques films déjà, et sur celui-ci, ce fut en quelque sorte une révélation. Sur "Je la connaissais bien", précédent film de Pietrangeli que j'ai vu la veille, il n'est qu'une apparition, un personnage intermittent qui permet surtout de souligner la tragédie de celui de Ugo Tognazzi. Difficile de briller. Sur ce film-là, il m'a époustouflé sur une ou deux scènes. Il y a là dans son visage rond une espèce de bonhomie fragile, un regard d'enfant triste qui peut se briser en une fraction de seconde pour vous prendre aux tripes. Il joue une victime pathétique, un poisson hors du bocal, résigné. Très émouvant. Peut-être même plus bouleversant que celui de Catherine Spaak dont on devine qu'elle sera plus armée pour s'en sortir.

Ce film étonnamment violent, décrivant très justement comment certains sont contraints à se prostituer littéralement ou de façon "conjugale", pour leur survie, est à marquer d'une pierre blanche. Plus le temps passe, plus il gagne en densité dans mes souvenirs et mon estime.

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Profondo Rosso
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Profondo Rosso »

Bonne idée de topic les titres dont tu parles donnent bien envie, je remets ça ici seul Pietrangeli que j'ai vu pour l'instant

Fantômes à Rome (1961)

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Le vieux prince Don Annibale di Roviano cohabite avec ses fantômes ancestraux dans son antique palais romain. Il refuse l'offre alléchante que lui fait une société immobilière qui voudrait acheter son palais pour en faire un grand magasin. Le prince meurt subitement et Reginaldo, son héritier, conclut la vente.

Quand la comédie italienne décide de se teinter de fantastique ça donne ce petit bijou un peu oublié de Antonio Pietrangeli, fameux scénariste (La Terre Tremble et Ossessione pour Visconti, Europa 51 pour Rosselini entre autres...) et auteurs de quelques grandes réussite en tant que réalisateur comme Adua et ses compagnes. Fantômes à Rome, commande du producteur Franco Cristaldi au casting prestigieux bien que moins personnel n'en demeure pas moins brillants.

Le principe est assez classique du film de fantôme avec des revenants qui vont tout faire pour empêcher leur demeure de tomber entre les mains d'un promoteur immobilier souhaitant la transformer en garage. Tout est dans le traitement assez irrésistible grâce au scénario finement ciselé de Pietrangeli, aidé entre autres par un Ettore Scola pas encore passé à la réalisation. On découvre donc l'attachant et acariâtre vieillard Don Annibale di Roviano dernier prince de sa lignée cohabitant joyeusement avec les fantômes de ses ancêtres, tous mort dans des circonstances rocambolesque.On trouve Reginaldo (Marcello Mastroianni) séducteur mort en glissant du balcon d'où il quittait la chambre d'une maîtresse (et condamné dans l'au delà à ne porter qu'une chaussure l'autre ayant été perdue au moment fatidique), Flora (la belle Sandra Milo) jeune fille suicidée par dépit amoureux ou encore le Frère Bartolomeo (Tino Buazelli) victime de sa gourmandise lorsqu'il mangea des boulettes de viandes pleines de mort aux rats.

La première partie pose les règles de coexistence entre le monde des morts et des vivants, les revenants pouvant intervenir physiquement de manière restreinte (mais source de nombreux gags) et surtout psychologiquement en influençant les actions et pensées des humains. Chaque fantôme possède une personnalité bien marquée et attachante, tel Mastroianni profitant de son statut pour reluquer les belles plantes dans leur intimité voir plus, ou encore la nature lunaire et dingue de Sandra Milo. Les bons mots pleuvent et les situations délirantes également jusqu'à la mort accidentelle du prince qui enclenche l'intrigue puisque le palais semble menacé si le seul héritier (Mastroianni dans un double rôle voir plus grosse surprise à la fin) cède au promoteurou à sa fiancée (Belinda Lee) intéressée. Un des grands atouts est que malgré l'humour l'aspect fantastique est traité avec rigueur tout en déclinant une belle poésie. Les tenues blanches immaculées et le teint blafard des fantômes contraste avec l'éclatant technicolor, tout comme l'atmosphère éthérée de leur univers avec le côté réaliste et "vivant" du quartier romain où se déroule l'histoire. Dès lors tout en conservant un caractère bien trempé, les spectres s'en donne à coeur joie dans les faculté offerte par leur statut, traverser les murs, déplacer les objets.

En toile de fond, c'est la question de la modernité se faisant dans le le mépris du passé qui se dessine et les fantômes et leur disparition annoncées ne sont qu'une métaphore de l'oubli dans lequel l'inculture et l'appât du gain sacrifie le patrimoine ici sous la forme de spéculation immobilière (dont un savoureux moment où Gassman se plaint de son acienne demeure devenue une barre HLM sans âme). Au delà des murs en eux même, c'est aussi une manière de vivre qui disparaît par ce phénomène, Pietrangeli l'illustre d'ailleurs avec quelques figures hautes en couleurs du quartier comme la Reine déchue jouée par une cabotine et touchante Lilla Brignone.Cette thématique s'exprime pleinement dans l'ultime astuce trouvées par les fantômes pour conserver leur demeure, en faire un monument historique. C'est l'occasion d'une mémorable apparition finale de Vittorio Gassman plus cabot que jamais en peintre soupe au lait dont l'oeuvre confondue avec celle du Caravage est l'occasion de colère dantesque.

Drôle, élégamment mis en scène et porté par un superbe score de Nino Rota une grande réussite parmi les plus originale de la comédie italienne. 5/6
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Jeremy Fox
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

Du soleil dans les yeux par Justin Kwedi à l'occasion de sa ressortie en salles.
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Jeremy Fox
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

Après la belle redécouverte de Du soleil dans les yeux en octobre dernier, Les Films du Camélia ressortent Je la connaissais bien, autre œuvre maîtresse d’Antonio Pietrangeli. La chronique est signée Justin Kwedi.
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Kevin95
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Kevin95 »

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IL SOLE NEGLI OCCHI | DU SOLEIL DANS LES YEUX (1953) découverte

Le parcours d’une fille de la campagne qui par obligation, monte en ville pour aller faire le ménage chez des plus tunés. Ses frères l’abandonnent, ses patrons sont des cons, un dragueur macho tourne autour d'elle et le reste du monde s’en fout. Pour son premier film, Antonio Pietrangeli vadrouille du côté des trois topics les plus abordés/aimés du cinéma italien de l'époque : le mélo, la comédie et (une touche de) néo-réalisme (une pincée seulement, faut quand même que ça ne respire pas trop le budget à la dèche). Les trois genres se mêlent avec harmonie, jamais vraiment où on les attend (seul le final en pleurs est prévu d'avance), toujours au service (qu'elle le veuille ou non) de son personnage principale, véritable bécassine qui va se bouffer la réalité à pleines dents. Là où le réalisateur tire son film vers le plus haut, c'est dans la peinture sans gant de la bourgeoisie italienne, et ce, sous tous ses aspects (nouveaux riches méprisants, vieil intellectuel coupé du monde, beaufs gras du bide fier du peu d'argent en-dessous du lit...) Le pays reprend des couleurs mais Pietrangeli n’y voit que du mépris de classes, entre des ruraux naïfs et des citadins bêtement snobs. Seule la solidarité des femmes de ménage trouve grâce aux yeux du metteur en scène, union non sans moqueries mais toujours sincère. Une morale catho traine ici ou là dans le discours du réalisateur, un prête au début du métrage va même jusqu’à prévoir la déchéance de la jeune fille. Beau film d'un cinéaste pas si (re)connu que cela mais qui m'a suffisamment titillé pour que j'explore sa filmo.
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

Après les rééditions l'année dernière de Du soleil dans les yeux et de Je la connaissais bien, Les Films du Camelia poursuivent leur exploration du cinéma d’Antonio Pietrangeli avec la ressortie en salle ce mercredi d'Adua et ses compagnes. Chronique écrite par Justin Kwedi.
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

Adua et ses compagnes, on ne peut que le découvrir en salles actuellement ? Pas de VOD, DVD... ?
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jack Carter »

Jeremy Fox a écrit :Adua et ses compagnes, on ne peut que le découvrir en salles actuellement ? Pas de VOD, DVD... ?
oui, juste en salle.
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Jeremy Fox
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

Jack Carter a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Adua et ses compagnes, on ne peut que le découvrir en salles actuellement ? Pas de VOD, DVD... ?
oui, juste en salle.

Merci ; la chronique de Justin et vos notes m'ont grandement donné envie. On va guetter ça :)
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Profondo Rosso »

Après les rééditions de Du soleil dans les yeux, Je la connaissais bien et Adua et ses compagnes, Les Films du Camelia poursuivent leur exploration du cinéma d’Antonio Pietrangeli avec la ressortie en salle ce mercredi de Le Célibataire. Chronique.
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John Holden
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par John Holden »

Profondo Rosso a écrit :Après les rééditions de Du soleil dans les yeux, Je la connaissais bien et Adua et ses compagnes, Les Films du Camelia poursuivent leur exploration du cinéma d’Antonio Pietrangeli avec la ressortie en salle ce mercredi de Le Célibataire. Chronique.
Une chronique qui fait mouche. En espérant que le film soit prochainement édité...
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Jeremy Fox »

John Holden a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Après les rééditions de Du soleil dans les yeux, Je la connaissais bien et Adua et ses compagnes, Les Films du Camelia poursuivent leur exploration du cinéma d’Antonio Pietrangeli avec la ressortie en salle ce mercredi de Le Célibataire. Chronique.
Une chronique qui fait mouche. En espérant que le film soit prochainement édité...

Idem.
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Re: Antonio Pietrangeli (1919-1968)

Message par Profondo Rosso »

La Fille de Parme (1963)

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La belle orpheline Dora (Catherine Spaak) vit chez son oncle prêtre... Elle séduit le séminariste Giacomo (Vanni De Maigret) et fuit avec lui à Riccione. Hélas, il l'abandonne au petit matin. Désemparée, elle découvre le désir des hommes et utilise sa séduction. Elle rencontre alors Nino (Nino Manfredi), le petit escroc dont elle tombe amoureuse, et Michele (Lando Buzzanca), un policier de Parme, qui veut l'épouser. Elle quitte ce dernier en pleine rue et décide de rejoindre Nino. Mais elle constate qu'il est marié et qu'il travaille dans une épicerie.

La Fille de Parme est le troisième film du cycle d'Antonio Pietrangeli consacré à la condition féminine italienne, suivant Du soleil dans les yeux (1953) et Adua et ses compagnes (1960), et précédant Je la connaissais bien (1965). Chacun des films est un marqueur de la société italienne qu'il dépeint, et en traduit les profondes mues à travers le destin de ses figures féminines. L'héroïne de Du soleil dans les yeux était comme une enfant apeurée par la modernité de la ville et de ses mœurs, et marquée par une douloureuse expérience en essayant de s'y plier sans y être totalement préparée. Au contraire le groupe de prostituées repenties de Adua et ses compagnes ne connaissait que trop bien l'envers dissolu de cette bienséance hypocrite, sans jamais pouvoir échapper à leur condition. Je la connaissais bien plaçait son jeune femme fêtarde au centre d'un monde hédoniste et désormais libéré des entraves morales, mais pour en faire un être seul et désespéré. Dans chacun des films, le contexte plaçait la femme en être sacrificiel payant chèrement la volonté d'indépendance morale et sociale dans des environnements leur donnant l'illusion que cela leur était enfin possible.

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La Fille de Parme est judicieusement placé dans ce corpus, puisque Catherine Spaak semble y incarner un personnage libéré dans un monde qui ne l'est pas encore tout à fait, mais sans être consumé par la vie comme la Stefania Sandrelli de Je la connaissais bien qui constitue vraiment l'étape suivante. Une narration faite de va et vient entre passé et présent nous fait suivre Dora (Catherine Spaak), jeune femme sophistiquée et sexuellement libérée avec en contrepoint des flashbacks sur les circonstances qui l'ont menées à cette désinvolture. La grande différence avec les autres films, c'est qu’ici Dora n'est pas naïve, candide, et ne subit jamais les évènements. Les hommes sont veules, pervers et fourbes comme toujours, mais elle en a conscience et ne sera jamais leur victime. Elle goutera chaque liaison pour ce qu'elle est, laissant les hommes s'emporter dans leurs élans pour elle sans s'amouracher sincèrement d'aucun. L'argument de plusieurs situations semblent exprimer le contraire puisque la livrant souvent en pâture aux amants ou prétendants mais l'approche de Pietrangeli ainsi que le jeu de Catherine Spaak le font ressentir autrement. Entamant une liaison avec un jeune aspirant prêtre (Vanni De Maigret), Dora est capturée dans tout son détachement lascif et languide tandis que la tension et la peur du regard des autres passent par le regard du religieux - qui la quittera par culpabilité justement. Notre héroïne semble en mue permanente, se tannant d'un cuir de plus en plus dur au fil de ses expériences avec la petitesse masculine. Une scène le représente magnifiquement lorsque, abandonnée par le jeune curé, elle découvre le paquet de cigarettes que ce dernier a laissé sur le lit. Elle décide d'en fumer une et s'étouffe dans un premier temps, avant de parvenir à la consommer avec élégance tandis que ses larmes se sèchent. Les amants de passages seront pareils à cette cigarette, des éléments nouveaux dont il faut apprivoiser et assumer la toxicité sans les laisser nous étouffer.

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Pietrangeli ne fait de Dora ni une victime, ni une mangeuse d'hommes insatiable, simple une femme assumant ses désirs et parfois se pliant à ceux des autres par pure nécessité (le tenancier d'hôtel demandant le règlement de la note "en nature"). Les moments potentiellement glauques sont balayés par une Catherine Spaak qui écrase de sa détermination et dédain les rustres inélégants et trop entreprenants, tel cet entrepreneur faisant miroiter des photos de publicité pour l'attirer dans sa chambre d'hôtel. Le réalisateur brille dans ces effets de montage fluide à créer des transitions ironiques d'une temporalité à l'autre, avec un dialogue, un geste ou une tonalité qui trouve son envers souvent moral dans la bascule. C'est le cas notamment lorsque le prétendant policier (Lando Buzzanca génial de piété précieuse malvenue) demande en mariage Dora, un panoramique sur des cloches d'église nous faisant voir non pas une cérémonie, mais Dora en flashback et petite tenue prenant des photos dénudées pour un précédent amant douteux (Nino Manfredi). Dora est un défi à l'hypocrisie et dichotomie de la société italienne, que ce soit pour les hommes où les femmes. Le piquant et la tentation de l'aventure existe aussi chez les femmes mûres et respectables comme chez Amneris (Didi Perego), bienfaitrice de Dora l'ayant connu enfant, mais il faut préserver les apparences.

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Le policier coincé souhaitant convoler avec Dora est aussi confronté à ses contradictions, recherchant un idéal de femme pure et forcément vierge, mais piégé par Dora qui lui fera goûter son expertise érotique dont il ne pourra plus se passer. La facette sexuée de l'amante doit se restreindre à la chambre tandis que la femme digne et soumise est exposée à l'extérieur inquisiteur, ce à quoi se refuse notre héroïne intrépide. Cette schizophrénie est croquée de manière hilarante dans une scène de lit où le policier, dans une posture affligée, traite vulgaire Dora de "pute" avant de se réfugier dans ses bras et l'embrasser. Dora représente la part d'ombre dissolue des hommes, ce que Pietrangeli traduit formellement dans des compositions de plan où elle apparaît comme une une projection mentale et coupable de ceux lui ayant cédé. La seule relation durable et attachante sera ainsi avec le photographe raté joué par Nino Manfredi qui assume aussi sa médiocrité sans se draper d'un masque de vertu. L'ironie sera que le réalisateur reprend cette composition de plan pour faire de la femme "respectable" que choisit en définitive Manfredi cette fois la projection mentale de Dora, lui faisant entrevoir la "dignité" qu'elle n'aura jamais.

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Dora n'est jamais présentée comme une paria, si ce n'est à travers le regard des autres dont elle n'a cure. C'est d'ailleurs une source de gag lorsque présentant son fiancé à son oncle prêtre, ce dernier confond sans cesse la profession du nouveau venu avec celle de ses nombreux prédécesseurs amenés par Dora. Catherine Spaak est absolument parfaite de séduction et de distance, tout en parvenant à éviter le risque de froideur pour ce personnage peu sentimental. La dernière scène laisse entrevoir malgré tout la quête d'une vraie relation qui sera empêchée par un partenaire choisissant à son tour de rentrer dans le rang, et laissant Dora retourner à son papillonnage séducteur. Mais l'on sent bien que cela nous amène vers l'héroïne brisée du film suivant Je la connaissais bien, l'image finale de Dora rajustant son maquillage anticipant la scène tragique où Stefania Sandrelli à bout de forces laisse ce même maquillage couler avec ses larmes sur son visage. 5/6
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