Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Strum
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Re: Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Message par Strum »

I'm game:

1) Alfred Hitchcock ?
Le bébé est une poupée, le Mcguffin du film, qui contient les plans (d'une arme secrète) recherchés par l'officier allemand. Nous le savions déjà, mais pas le héros, qui le réalise seulement au moment où le bébé pleure. Par le jeu du découpage, Hitchcock crée les conditions du suspense suivant : le héros récupérera-t-il les plans avant que le nazi réalise que le bébé est une poupée contenant les plans ?

2) Quentin Tarantino ?
En recyclant une musique d'Ennio Morricone, et en jouant sur le champ-contrechamp du regard noir de l'officier et du regard terrorisé de la mère, Tarantino prend un malin plaisir à créer un suspense autour de cette question immorale : l'officier va-t-il tirer sur le bébé ?

3) Michael Powell (& Emeric Pressburger au scénario)
L'officier a beau être un enemi, c'est aussi un être humain. D'ailleurs, c'est le personnage principal du film, procédé typique de Pressburger pour tester nos préjugés ou confondre nos attentes. L'officier fait mine d'ignorer le bébé mais au bout d'un moment, ne supportant pas les pleurs du bébé, il confie les otages à ses soldats et remonte sur le pont du bateau. Avant sa fuite, Powell capture par un plan d'insert le trouble qui se lit dans ses yeux. Alternative : la femme que recherche l'officier arrive à ce moment là et finit de perturber l'officier ("L'espion noir", non ?)

4) Mel Brooks ?
L'officier allemand se met à sangloter sur l'épaule de son voisin en disant : "Why am I never taken seriously?"
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ed
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Re: Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Message par ed »

Strum a écrit :("L'espion noir", non ?)
Bingo
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Première Guerre Mondiale, au large des Orcades.
L'officier allemand vient d'échapper au piège qui lui avait été tendu, et prend en otage les passagers d'un bateau. Il est revanchard, après ce dont il vient d'être victime, et indéniablement menaçant.
Mais même si nous sommes en 1939, il est impossible pour Powell et Pressburger de limiter le personnage, magistralement incarné par Conrad Veidt, à une dimension de tortionnaire.
Le film nous l'a jusqu'alors montré comme un officier compétent et méticuleux, mû par le devoir mais aussi capable d'une vraie humanité.
Lorsqu'il entend le bébé pleurer après avoir dit "Personne ne doit faire un bruit, sous peine de mort...", son regard s'adoucit imperceptiblement, et il ajoute - sans même avoir besoin de sourire - : "... à une exception près".
Il y a là toute la finesse du trait jamais appuyéde Powell/Pressburger, cette manière de conférer de la grandeur à tous les personnages, même - et surtout - ceux des "ennemis" (Colonel Blimp n'est pas si loin). Cette fin de réplique, particulièrement furtive, m'a collé des larmes aux coins des yeux, par sa simplicité, son évidence, sa dignité.
Beau film, au passage.
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Strum
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Re: Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Message par Strum »

ed a écrit :Le film nous l'a jusqu'alors montré comme un officier compétent et méticuleux, mû par le devoir mais aussi capable d'une vraie humanité.
Lorsqu'il entend le bébé pleurer après avoir dit "Personne ne doit faire un bruit, sous peine de mort...", son regard s'adoucit imperceptiblement, et il ajoute - sans même avoir besoin de sourire - : "... à une exception près".
Je ne me souvenais plus de cette réplique mais elle résume parfaitement l'esprit du film en effet. Le fait que Powell & Pressburger aient écrit, réalisé et produit en 4 ans (de 1939 à 1943), pendant une période où la propagande anti-allemande battait son plein, au moins trois films (L'Espion Noir, le 49e Parallèle et Colonel Blimp) qui font la part belle aux personnages de militaires allemands en montrant leur humanité montre très bien l'originalité et la force de résistance de leur duo à l'esprit du temps. Cela a quelque chose de vertigineux. On peut comprendre que Churchill ait finit par les prendre en grippe, notamment au moment de Colonel Blimp, qui était pour lui la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.
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Re: Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Message par Stone Blue »

Attention, ce texte ne convient pas aux lecteurs de -15 ans


2) Quentin Tarantino ?

Plan serré d'une cigogne en train de nourrir ses petits dans un nid sur un toit de chaume.

Fondu au noir. Ecran noir pendant une quinzaine de secondes.

Plan général du bâtiment du Lebensborn de Steinhöring.

15 août 1936 — Ouverture à Steinhöring, en Bavière, de la première maternité dite du « Lebensborn ». Ces « fontaines de vie », ainsi nommées par les nazis, sont conçues pour répondre aux canons de la « race aryenne » et vont se multiplier dans toute l'Europe, y compris en France sous le régime de Vichy. Les « élues », sélectionnées sur des critères physiques, sont contraintes de se soumettre à l'autorité allemande, c'est-à-dire au viol.

Plusieurs plans de nature autour de la maternité. Champs fleuris, tournesols et coquelicots, roses trémières, le bruit du vent qui berce les feuilles, chants d'oiseaux, une abeille sur une fleur. Bourdonnement. Silence.

Dans un Lebernsborn, aucun silence ne ressemble à un autre silence. L'attente est peuplée de fantômes quand elle se conjugue avec le désespoir. Chacun des silences est précédé ou suivi par des bruits de bottes. Leur nombre en général signe la sentence : un SS qui pénètre dans la cellule de l'une des élues pour y faire son « devoir », une tentative d'évasion, un suicide, quelquefois les cris d'une femme sous la torture.

Il y a aussi les nourrices SS. Elles ont pour mission de materner des enfants kidnappés dans les pays de l'Est, orphelins ou enlevés de force à leurs parents parce que « racialement conformes ». Elles s'efforcent de les « germaniser », tout en essayant de les persuader que leurs parents les ont abandonnés.

Et enfin des prisonniers, employés de service à la botte des SS.

1944, maternité de Steinhöring, Allemagne — Mess des officiers. Tandis que se font entendre les cris étouffés d'une femme que l'on torture, une discussion très animée a lieu autour du D-IX, une nouvelle drogue qui permet aux prisonniers de porter des charges de 20 kg pendant plusieurs heures sans faire de pauses et, subséquemment, de bander comme un taureau.

Flashback n° 1 :
1937, maternité de Steinhöring, Allemagne — Plusieurs tentatives d'évasion ont eu lieu ces derniers temps et von Pollditz, en charge du commandement de ce centre pilote, veut marquer les esprits en infligeant une punition exemplaire. Il réunit tous les détenus dans la cour et prend trois otages au hasard : deux élues et un prisonnier, qu'il fait asseoir à une table devant tout le monde.

[texte de Ed]

Il dégaine son arme et la pointe sur le nouveau-né qui vient de l'interrompre.

« Mais ce n'est qu'une enfant, herr Major ! supplie la femme.

— Une enfant qui n'a plus besoin de vous, dit-il après un moment d'hésitation.

L'officier s'approche de la mère et lui tire une balle en pleine tête.

— Madame Lewinski a raison, il faut préserver la race aryenne. Nous allons donc jouer au strip-poker, selon la règle des trois couteaux. Je tire trois cartes. Si vous perdez vous devez choisir au hasard l'un des trois couteaux. Faites le bon choix car, comme vous le voyez, tous les trois ont des manches identiques (rires). L'un des couteaux n'est pas tranchant. Si par chance vous tirez celui-là vous n'avez rien à craindre et vous passez votre tour. Si vous tirez le petit couteau, on vous enlève une petite partie du corps. Mais si vous tirez le long couteau, on vous enlève un membre. Et la partie continue jusqu'à ce que vous n'ayez plus rien sur vous. Le dernier joueur à ne pas être entièrement dénudé gagne la partie… et le droit d'être exécuté pour mettre un terme à ses souffrances.

— Comment s'appelle le bébé ? demande l'officier.

— Cornelia, répond, terrorisée, la femme qui vient de récupérer le nouveau-né.

Flashback n° 2 :
1943.
Un matin, la petite Cornelia assiste à l'exécution de trois otages, dont sa propre mère adoptive, Hania, selon la règle des trois couteaux.

Pendant la « partie de cartes », chanson « I Have A Dream » de Abba.

Flashback n° 3 :
1944.
En pleine nuit, Cornelia est arrachée à sa troisième maman, et placée dans une famille « modèle » en Allemagne.

1957, Kitzingen, Allemagne — Le film retrace l'enquête minutieuse de Cornelia pour remonter jusqu'à von Pollditz, exfiltré grâce au concours de certains dignitaires du Vatican dans une villa imprenable d'Amérique du Sud. Sans aucune connaissance des conditions de survie, sans aucun don particulier pour le combat, elle devra se surpasser pour le localiser, déjouer les systèmes de sécurité, défier les gardes, et affronter son passé.
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Re: Le Jeu du "que feraient-ils" ?

Message par Stone Blue »

1) Alfred Hitchcock ?

Un agent travaillant pour le compte du MI6, s'est infiltré dans un Centre de recherches allemand avec une double mission : trouver et saboter le combustible nucléaire que les nazis ont réussi à se procurer, et coordonner l'évasion des otages.
En parallèle, un lieutenant allemand s'éprend de l'une des otages en secret. Grâce à elle, il prend peu à peu conscience qu'il n'a pas vraiment l'étoffe d'un criminel de guerre.
Alors que les charges explosives ont été posées, que le sabotage et l'évasion sont programmés pour le soir même et que tout se déroule comme prévu, le commandant de la base découvre par accident qu'un espion se cache parmi les otages. Il réunit tout ce petit monde dans le but de confondre l'imposteur.

[texte de Ed]

Le bébé se débat et, fouettant l'air avec ses bras, n'est plus que sanglots et hurlements.
Regard inquisiteur du commandant sur la femme. Cette femme serait-elle l'espionne recherchée ? Il s'avance, écarte le linge et découvre légèrement le nourrisson.

(Un portrait de Hitchcock apparaît un instant, brodé sur la grenouillère du bébé. Son caméo.)

Le commandant est à deux doigts de découvrir la véritable identité de la "mère", car les cris et les pleurs incoercibles du bébé signifient qu'elle n'est pas la mère de l'enfant, et semblent la désigner de manière "criante" à l'officier.

Sous le regard pressant du commandant, persécutée par les pleurs de l'enfant, finira-t-elle par abdiquer et par se rendre ? Que fera le lieutenant, témoin de la scène, tiraillé entre ses sentiments pour une otage et son devoir envers sa nation ? Et enfin, quid des charges qui doivent exploser dans quelques heures… s'ils restent confinés dans le bâtiment ?


N.B. Quand à Powell & Pressburger, je passe la main car ils avaient été désignés par Strum
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