Orson Welles (1915-1985)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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xave44
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par xave44 »

Jeremy Fox a écrit :
A serious man a écrit :Le reproche de froideur fait a Orson Welles, pour moi ne vaut que pour Citizen Kane, le reste de sa filmographie me semble plus lyrique et en tout cas plus passionné.
C'est pourtant celui qui me touche le plus émotionnellement parlant, celui que je trouve le moins froid justement.
C'est également mon cas.

Citizen Kane, qui fut le premier film de Welles que j'aie vu, fut une révélation pour moi.
Néanmoins, il n'est aujourd'hui pas mon film préféré du réalisateur.
D'un point de vue formel, Touch Of Evil (La Soif Du Mal) est sans doute le plus abouti, et ce en dépit du montage dont Welles n'eut pas la maitrise finale (comme malheureusement durant l’essentiel de sa carrière).

Il ne faut pas oublier The Magnificent Ambersons (La Splendeur des Ambersons).

Pour ma part, il me reste à voir Chimes At Midnight (Falstaff), The Immortal Story (Une Histoire Immortelle), et F for Fake (Verités Et Mensonges).
Sans parler des films inachevés comme Don Quichotte ou It's All True.
A serious man
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par A serious man »

xave44 a écrit : Citizen Kane, qui fut le premier film de Welles que j'aie vu, fut une révélation pour moi.
Pour moi aussi mais ce fut une révélation avant tout esthétique, j'ai été bouleversé par la vision de Citizen Kane, mais pas au sens émotionnel (sauf si l'on parle d'émotion esthétique)
xave44 a écrit : D'un point de vue formel, Touch Of Evil (La Soif Du Mal) est sans doute le plus abouti, et ce en dépit du montage dont Welles n'eut pas la maitrise finale (comme malheureusement durant l’essentiel de sa carrière).
La version restauré est tout de même faites selon les principes du mémos assez détaillé que Welles avait envoyé aux producteurs, je pense qu'on peut dire qu'on a presque affaire a un director's cut (presque puisque Welles ne pouvait malheureusement plus supervisé ce montage lui même)
"Il ne faut pas être timide avec la caméra. Il faut lui faire violence, la pousser jusque dans ses derniers retranchements, parce qu'elle est une vile mécanique. Ce qui compte, c'est la poésie."

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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par xave44 »

A serious man a écrit :
xave44 a écrit : D'un point de vue formel, Touch Of Evil (La Soif Du Mal) est sans doute le plus abouti, et ce en dépit du montage dont Welles n'eut pas la maitrise finale (comme malheureusement durant l’essentiel de sa carrière).
La version restauré est tout de même faites selon les principes du mémos assez détaillé que Welles avait envoyé aux producteurs, je pense qu'on peut dire qu'on a presque affaire a un director's cut (presque puisque Welles ne pouvait malheureusement plus supervisé ce montage lui même)
On est d'accord.
Je ne l'ai pas ajouté dans mon commentaire mais j'étais certain qu’au moins l'un de nous allait en dire un mot. :wink:
Welles reconnaissait d'ailleurs dans son mémo l'apport des modifications effectuées par le studio en son absence.
bruce randylan
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par bruce randylan »

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Watkinssien
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Watkinssien »

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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Strum »

Fantastique ! :D
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Strum »

J'en profite pour inclure dans ce topic un ancien top Welles et quelques critiques de ses films que j'ai retrouvées dans d'autres topics.

Mes préférés :

1. La Splendeur des Ambersons - rêve de la nostalgie
2. Othello - rêve d'une forme souveraine s'alliant avec le mot shakespearian
3. La Dame de Shanghaï - exorcisme, par le rêve, d'une femme aimée
4. Citizen Kane - le rêve d'une vie

J'aime également beaucoup :

5. Mr. Arkadin - la ronde du rêve, comme un masque pour oublier sa vie
6. Falstaff - Shakespeare en tant que révélateur : quand on rêve trop et que le masque tombe, il ne reste rien

Bien même si j'ai quelques réserves :

7. La Soif du Mal - quand le rêve vire au cauchemar
8. Le Procès - quand le cauchemar existentiel devient trop explicite, la littérature le sert mieux
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Strum »

Mr. Arkadin

Qui suis-je ? De quoi suis-je coupable ? Ces questions courent dans les veines de l'oeuvre de Welles ; on les aperçoit aussi marchant cette fois au grand jour dans les romans inachevés de Kafka. Cette parenté secrête entre ces deux grands artistes, Arkadin la révèle une nouvelle fois. Au moment où débute le film, et cela nous ne le savons pas encore, le mystérieux Arkadin a échappé à son passé. Il n'est plus coupable d'exister, plus coupable d'avoir été un criminel, puisqu'il n'est plus lui-même : il s'est forgé une autre personnalité, il a bâti un empire. Pauvre répit, pauvre illusion ! Scorpion il était, scorpion il demeure lorsqu'il pique les flancs de la grenouille le transportant au travers des flots (cette fable d'Esope est citée par Welles dans le film). Dès lors, à quoi bon vivre, si c'est pour vivre prisonnier de soi-même ?

Qui suis-je ?

Quoi de mieux que l'image pour se cacher, surtout quand elle prend comme dans Mr. Arkadin la forme d'un puzzle ? Par ses multiples plans en contre-plongée, notamment sur Arkadin, Welles nous montre des personnages se rêvant plus grands qu'ils ne sont en réalité. Arkadin avance masqué (le film devait initialement s'appeler Mascarade), qu'il porte un masque au vu de tous dans les fêtes qu'il donne, ou qu'il n'en porte pas, car sa barbe elle-même et son nom sont des masques. Cette image qu'il projette au-devant de lui, Arkadin la substitue à son ancien personnage d'escroc, de même que Welles, devenu un paria en son pays, substituait volontiers l'image d'un roi américain en exil européen à la réalité d'une carrière américaine ratée (du moins selon les critères d'Hollywood). Welles aimait faire l'acteur, il aimait parler dans ses films, y incarner une voix off ou doubler des seconds rôles en post-production. Il pouvait ainsi jouer un autre personnage que lui-même.

Arkadin est aussi une somme de fragments, de fanfreluches et de souvenirs de voyages dans divers pays d'Europe. Issus du cerveau en mouvement perpétuel de Welles, ces fragments, ces décors bariolés, composent une image qui n'a pas la pureté du cinéma classique, et ne figure que très rarement sur un seul plan, en un seul tenant. C'est que Welles est entre deux mondes, un pied dans la réalité, l'autre dans le rêve, un oeil lucide et dégrisé, un autre voyageur enthousiaste toisant les univers. C'est peut-être pour cela qu'il aimait tant les films se présentant sous la forme d'une enquête, comme Mr. Arkadin. Il pouvait ainsi assembler à sa guise les images de ses visions éparses, les décrocher de son esprit où elles attendaient. Sans l'aide de Greg Toland, Welles n'est plus à même de travailler la profondeur de ses plans autant qu'il le voudrait. Mais cela sert davantage son univers, plus composite et pourtant plus cohérent que jamais : les détails et les objets de ses images ne se superposent plus en strates successives et profondes pouvant faire croire en l'existence d'univers distincts, ils se juxtaposent sur un même plan, qu'il soit vertical ou horizontal : passé et futur, vie et rêves, se nourrissent alors l'un de l'autre, puisque leur nature commune est affirmée. Ces images fragmentaires, si contradictoires en leur diversité d'objets, forment les masques d'un seul homme, Orson Welles. Car chez lui, l'homme n'est pas seulement la somme de ses actes, mais aussi la somme de ses rêves, de ses visions, de ses désirs, qu'ils prennent la forme de bals masqués, de capharnaüms sans issues ou de chateau en Espagne aperçu en contre-plongée en arrière plan (peut-être une autre reminiscence de Kafka). Enfin, au diable les faux raccords ! Car selon la méthode de travail de Welles, quand une image traverse son esprit, il faut la fixer immédiatement sur pellicule de crainte qu'elle ne disparaisse telle une comète ! De là sans doute, la raison du très long travail de montage qui suivait le tournage de ses films. Si cette fête baroque rappelle parfois les films de Von Sternberg (avec lequel Welles a une parenté stylistique certaine), c'est avec une force décuplée car on sent que chez Welles, ce monde-là est le résumé de son personnage, le seul langage qu'il sait utiliser.

Malgré certaines prouesses en ce domaine dans Citizen Kane ou La Soif du Mal, il n'est nul besoin de plans séquences dans ce dispositif de mise en scène auquel Welles recourt si naturellement et qui est la marque de son génie ; au contraire, comme dans La Dame de Shanghaï, Othello ou... Le Procès, Mr. Arkadin se distingue par un découpage très prononcé des séquences, qui défilent parfois comme des suites d'images tirés par un manège, et par une vitesse de narration qui défie l'analyse (et qui peut laisser certains spectateurs à quai), pour que le rêve et la réalité se rencontrent enfin. Le film roule alors comme un bateau pris dans le ressac, et quand les personnages sont dépassés par les évènements, quand l'enquêteur est lui-même en danger de devenir une victime prochaine, on entend résonner dans ce chaos les échos du monde absurde et sans loi tel que Kafka le concevait. Dans ce monde, l'homme tombe sans pouvoir s'accrocher, et s'il s'élève, c'est qu'il est porté momentanément par une illusion ; la chute est alors inéluctable. L'imagination chez Welles et Kafka a un caractère vertical et ce n'est pas un hasard si la plongé et la contre-plongée sont les figures stylistiques récurrentes du cinéma de Welles.

De quoi suis-je coupable ?

Des souvenirs taraudent Mr. Arkadin ; il voudrait davantage qu'une nouvelle vie, il voudrait ne plus savoir que des hommes et des femmes l'ayant connu dans sa précédente vie existent ! Il voudrait ne plus avoir à se souvenir. Et ce fou qui se souvient trop se fait passer pour amnésique ! Comme il l'appelle de ses voeux, cette amnésie ! Mais en cherchant à supprimer les fantômes de son passé, dont il confie la chasse à un escroc à la petite semaine, double raté de lui-même, Arkadin se livre pieds et mains liés à ses souvenirs en redevenant cet autre qu'il hait. "Je ne sais pas ce que je fais, je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais" (Epitre aux Romains) : ainsi fait Arkadin. Par les méthodes, par l'habitude, il redevient lui-même. Comprend-il qu'il est simplement coupable d'exister, d'être lui-même, comme les héros de Kafka ? On n'échappe pas à soi-même autrement que par l'art, en se grimant, en se déguisant d'un manteau d'images fragmentaires. On se construit alors une autre image de soi pour un public, tout en sachant qu'il s'agit là d'une illusion. Mais c'est avec joie que l'on s'y adonne.

Dans Mr. Arkadin, Welles projette cette image à sa fille de cinéma, Raina (l'actrice Paola Mori, qu'il épousera peu après le tournage du film), et son personnage se donne des allures de créature mythologique, pareil à un enfant s'étant affublé des postiches (barbe et coiffure) du Zeus de la mythologie grec. A la fin du récit, croyant que Raina a découvert son secret, Arkadin se voit soudain nu et privé de ce masque naïf.
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Il se tourne alors vers cette autre solution plus radicale et permanente pour échapper à soi-même: la mort.
Welles, lui, est déjà parti ailleurs, tourner d'autres films pour arborer d'autres masques. Ces films, il ne les achevait pas toujours, comme son alter ego Kafka là encore, car il se fatiguait vite de ses masques et de ses métamorphoses.
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Strum »

La Dame de Shanghaï

J'aime beaucoup ce film, qui comme souvent chez Welles, prend la forme d'un rêve.

Un homme, un irlandais, erre le long d'un parc. Soudain, surgit comme une apparition, un carrosse où s'alanguit une femme. Sa beauté, son port de reine, ce fiacre qui semble provenir d'un passé lointain, tout lui rappelle ces contes qui peuplent ses rêves, quand ivre de chagrin et d'un amour imaginaire, il s'abandonne au sommeil.

Il est envouté par cette femme, qui l'entrainera dans les méandres d'une intrigue de film noir. Parce qu'il l'a rencontrée dans des circonstances si littéraires, si propices au rêve, il voit en elle une princesse, qui se mue ensuite en sirène, quand il la voit plus tard reposant sur un rocher baigné de soleil. L'image que nous nous faisons d'une femme est celle qui naît des circonstances de sa rencontre. Longtemps cette image reste indélébile, mais parfois, un détour de la vie, une dispute, ou une tromperie finit par la changer.

Dans La Dame de Shanghaï, Welles raconte comment il fut envouté par Rita Hayworth, et comment il réussit par le truchement de son personnage à se libérer de cet envoutement qui confinait au vertige. La mise en scène du film rend compte de cet envoutement avec ce génie particulier propre à Welles où les images et leur assemblage, alliés à cette voix-off si littéraire et chuintante où Welles contrefait l'accent irlandais, comptent plus que le récit lui-même. La figure du vertige est ainsi au centre du film, qui fourmille en plongées (à Acapulco ou sur le bateau par exemple), contre-plongées, ou en brefs mouvements de caméra verticaux en allez-retours (la scène du fiacre au début). C'est le vertige d'un homme qui croit que la vie est le prolongement de ses rêves (n'est-ce pas finalement ce qui arriva à Welles à Hollywood ?).

Car l'irlandais s'imagine cette vie multidimensionnelle, composite, mélange d'imaginaire et de réalité. La clef de ce kaléidoscope nous est là aussi donnée par la mise en scène : les inscrustations géniales dont le film regorge (de l'aquarium au palais des glaces (dont les labyrinthes préfigurent Le Procès, Welles ayant d'ailleurs une nature d'artiste très proche de celle de Kafka)) divise la vie en ces plans différents que le rêveur n'arrive jamais à réconcilier.

Et puis, il y a dans cette Dame de Shanghaï cette rapidité d'exécution, cet entrelacs d'images incessant, qui est une autre facette du génie de Welles (on peut supposer que cette rapidité était là avant l'opération de réduction du film imposée par le studio), et qui le différenciera toujours par exemple de la lenteur voulue d'un Kubrick. D'ailleurs, on pourrait à bon escient comparer La Dame de Shangaï et Eyes Wide Shut pour observer comment le cinéma peut par des moyens complètements différents traduire en images les rêves des hommes.
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Watkinssien »

Je ne peux qu'adhérer à tes (beaux) textes, Strum et à ta vision du cinéma éternellement riche de Welles!

Le seul élément qui me titille, c'est la graphie utilisée pour le nom de Shanghai... Qui semble exister en plus, mais usitée très rarement.
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Strum »

Watkinssien a écrit :Le seul élément qui me titille, c'est la graphie utilisée pour le nom de Shanghai... Qui semble exister en plus, mais usitée très rarement.
Merci de l'avoir relevé, je corrige.
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Jeremy Fox »

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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par monk »

Jeremy Fox a écrit :avec l'ouvrage qui va bien avec
Petit problème de lien, là :wink:
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Jeremy Fox »

Ca devrait aller :oops:
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Re: Orson Welles (1915-1985)

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit : avec l'ouvrage qui va bien avec, édité lui aussi par Carlotta
Belle initiative de la part de Carlotta. C'est tentant!
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