Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Demi-Lune »

Nouveau flop en vue, mais après avoir découvert La femme des sables et maintenant Le visage d'un autre, je me dis que le méconnu Teshigahara mérite son propre topic. A la fois pour donner envie aux curieux de découvrir un cinéma résolument moderne et troublant, et à ceux qui connaissent déjà de relayer ce qu'ils pensent d'autres de ses films.

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Le visage d'un autre (1966)

Teshigahara reforme la dream-team de La femme des sables (son compositeur Tôru Takemitsu et l'auteur Kôbô Abe au scénario) pour évoquer une autre forme d'emprisonnement : celle avec soi-même. Résultat : un film très chiadé et intrigant, qui ne va malheureusement pas totalement au bout de son idée ni de son potentiel (contrairement à La femme des sables).

De quoi s'agit-il ? M. Okuyama, défiguré par un accident du travail et obligé de porter au quotidien des bandelettes qui cachent son visage, vit de plus en plus mal la négation de son être que représente son absence de visage, alors que son épouse s'éloigne de lui et le repousse. Ruminant son amertume, il fait part à son psychiatre de ses pensées misanthropes. Contre toute attente, son médecin se pique à cette provocation et lui propose d'expérimenter une forme révolutionnaire de masque, composé de nouvelles matières qui rendent indécelable son existence à l’œil nu. Implicitement le médecin lui lance un défi : se re-socialiser avec cette nouvelle identité (endossable pendant 12 h faute de quoi la peau ne pourra plus respirer), retrouver son amour-propre et sa conscience d'être tout bonnement, mais aussi apprendre à mieux se connaître dans l'adversité et la tentation d'être quelqu'un d'autre. Un badaud, payé rubis sur ongle, accepte de prêter son visage au moulage. Nanti de ce nouveau visage, Okuyama se teste, commence à mener une double vie, avec l'espoir secret de reconquérir sa femme... mais avec le visage d'un autre.

Sans vouloir trop spoiler, le pitch évoque immanquablement Les yeux sans visage ou L'homme invisible (voire La piel que habito pour une filiation plus récente) et donne évidemment lieu à des réflexions attendues sur l'identité, le rapport incarnation/psyché. L'idée reste suffisamment forte et évocatrice pour captiver - l'absence de visage est toujours quelque chose de dérangeant, et même quand le grand Tatsuya Nakadai entre en scène en faisant croire qu'il n'est qu'un masque, le film parvient remarquablement à faire oublier ce subterfuge au spectateur, si bien que l'on est pris de malaise devant le visage de l'acteur, qui paraît irréel, artificiel, mort. Une force de suggestion qui participe à l'ambiance délétère, au même titre que les idées très modernes de mise en scène de Teshigahara.
Le problème c'est qu'en dépit du brio de l'exécution formelle, le récit demeure relativement convenu voire fragile. On se passerait bien de cette intrigue parallèle avec la jeune défigurée, qui ne s'insère pas au reste en plus de ne pas être probante. Il est à regretter aussi la prévisibilité des développements à partir de l'appropriation du masque. D'une absence de soi à l'émergence d'une part d'ombre, le cheminement psychologique du héros reste attendu. Il aurait fallu quelque chose de plus tordu et approfondi, car le spectateur peut tout anticiper des enjeux, leur vertige n'a plus autant d'impact. Très recommandable cependant à cause de la singularité de l'ensemble et de sa première partie vraiment excellente et malsaine. La vitalité du cinéma mondial des années 60 est quand même impressionnante.
bruce randylan
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par bruce randylan »

Demi-Lune a écrit :Nouveau flop en vue, mais après avoir découvert La femme des sables et maintenant Le visage d'un autre, je me dis que le méconnu Teshigahara mérite son propre topic.
Tssss tssss. Tu parles à celui qui a fait du flop sur le cinéma japonais un véritable art de vivre 8)

D'ailleurs, je ne devrais pas tarder en enrichir véritablement ce topic puisque samedi la MCJP projette son Rikyu, le maî­tre de thé dans le cadre d'une petite rétrospective sur le renouveau du cinéma d'auteur japonais des années 80. Comme d'hab, y-a plein de trucs intéressants :D
http://www.mcjp.fr/francais/cinema/anne ... ssance-des


Sinon, je reprends ici mes précédents avis
bruce randylan a écrit :Il y a des films trop intimidant pour qu'on puisse en parler avec du recul.

La femme des sables de Hiroshi Teshigahara en fait partie.

D'un beauté extraodinaire, le film échappe à tous regards critiques dans le sens où l'on peut lui faire dire ce qu'on veut y voir selon son humeur.

Fable social, conte moral, métaphore du couples, allégorie de l’aliénation, quête de l'identité, réflexion sur l'acceptation de soit.
on peut l’interpréter d'une multitude de façon et chacun pourrait être la bonne.

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Mais commençons pas le début.
L'histoire.
Fuyant la bureaucratie étouffante, un salary-man part quelques jour au bord de mer pour chercher des insectes qu'ils collectionne.
Ratant le dernier bus, un villageois lui propose de passer la nuit dans la maison d'une femme vivant seule.
Détail surprenant, la maison se trouve en plein milieu d'un carrière de sable.
A son reveil, il constate qu'il ne peut remonter de ce gouffre.

Cette histoire étonnante déjà sur le papier vire presque dans le fantastique avec son cadre atypique, sorte de huis-clos entouré de sable.
Et ce sable est étouffant, force invisible que rien n'arrête, il avance, glisse, coule, s'infiltre, engloutit, dévore...

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le prisonnier du desert devra apprendre à cohabiter avec cette femme vivant reclue tout l'année dont le seul rêve est de se payer une radio pour imaginer le monde.
De cette relation nait une succession de scènes d'une incroyable sensualité qui suinte de l'écran aidé par une mise offrant les gros plans les plus majestueux que j'ai pu voir.
Le grain ( de sable et de peau ) devient un décor, une peinture sompteuse, irréaliste.

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En dire plus serait sans intérêt.
Ce film est un véritable poème dont les images et le duo d'acteur fabuleux livrent un spectacle onirique complètement hypnotisant de A à Z.

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Sans atteindre ce niveau, j'aime aussi profondément le traquenard. Je pensais avoir écrit une bafouille mais faut croire que non :(
Dernière modification par bruce randylan le 17 avr. 14, 14:31, modifié 1 fois.
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit :et à ceux qui connaissent déjà de relayer ce qu'ils pensent d'autres de ses films.
Je me disais bien que tu me faisais un appel du pied. ;)
Lune a écrit :On se passerait bien de cette intrigue parallèle avec la jeune défigurée, qui ne s'insère pas au reste en plus de ne pas être probante.
C'est ton ressenti personnel, pour ma part je trouvais cette histoire vraiment passionnante et plus humaine que celle d'Okuyama. Disons que je n'ai eu aucun mal à m'attacher à ce personnage qu'à celui joué par (l'excellent) Nakadai. Il y a ainsi tout un "background" fascinant qui s'impose sur le personnage de la jeune fille puisque contrairement au personnage principal, aucune piste ne nous est donné sur ce qui l'aurait défiguré. C'est un personnage sans passé mais à l'instar d'Okuyama, sans avenir. Et si comme chez ce dernier on sent poindre une certaine folie (certains cadrages penchés sont assez révélateurs (*)), elle choisit toutefois son propre devenir contrairement à ce dernier. Dans le roman de Kôbo, le personnage de la jeune fille provient d'une intrigue plus secondaire, un récit que lit Okuyama et qui l'intrigue, une sorte d'histoire dans l'histoire si je me souviens bien (ce qui n'est pas facile puisque Kôbo joue sur le fait que le personnage principal écrit plusieurs carnets et journeaux intimes, destructurant l'histoire à plusieurs niveaux).





(*) Il faudra que je retrouve les captures de mon mémoire et ce que j'en disais si tu es d'accord.
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Demi-Lune »

Anorya a écrit :Je me disais bien que tu me faisais un appel du pied. ;)
Ben oui, t'es obligé de participer, là :wink:
Anorya a écrit :C'est ton ressenti personnel, pour ma part je trouvais cette histoire vraiment passionnante et plus humaine que celle d'Okuyama. Disons que je n'ai eu aucun mal à m'attacher à ce personnage qu'à celui joué par (l'excellent) Nakadai. Il y a ainsi tout un "background" fascinant qui s'impose sur le personnage de la jeune fille puisque contrairement au personnage principal, aucune piste ne nous est donné sur ce qui l'aurait défiguré. C'est un personnage sans passé mais à l'instar d'Okuyama, sans avenir. Et si comme chez ce dernier on sent poindre une certaine folie (certains cadrages penchés sont assez révélateurs (*)), elle choisit toutefois son propre devenir contrairement à ce dernier. Dans le roman de Kôbo, le personnage de la jeune fille provient d'une intrigue plus secondaire, un récit que lit Okuyama et qui l'intrigue, une sorte d'histoire dans l'histoire si je me souviens bien (ce qui n'est pas facile puisque Kôbo joue sur le fait que le personnage principal écrit plusieurs carnets et journeaux intimes, destructurant l'histoire à plusieurs niveaux).
J'entends tout cela, mais je ne suis toujours pas convaincu. Le jeu de miroir entre la situation de cette inconnue et celle d'Okuyama fait vraiment parachuté. En plus, ce que veut nous dire le réalisateur derrière ça, cette idée du regard aliénant de la société porté sur l'anormalité du visage, c'est un peu bateau et surtout déjà exploité dans l'intrigue principale. Ça fait redite, mais en moins bien. Ça ne dialogue pas tellement avec le reste au-delà de la simple mise en perspective de deux désamours de soi.
Perso j'ai eu l'impression que cette défiguration pouvait avoir été causée par des radiations, thème cher au cinéma japonais (hypothèse que confirmerait cette idée visuelle assez WTF de rayon solaire qui "crame" le frère et le transforme en barbaque écartelée).

P.S. : merci à vous deux d'avoir sauvé ce topic du bide. :mrgreen:
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Anorya »

Demi a écrit :...cette idée du regard aliénant de la société porté sur l'anormalité du visage, c'est un peu bateau et surtout déjà exploité dans l'intrigue principale.

Bateau je dirais pas. Très exploité et vu sous divers variations de ci, de là, oui.
Faut dire qu'en replaçant dans le contexte, on est en plein renouveau des années 60 et qu'au cinéma, la différence et le rapport à l'autre et toutes les réflexions données (incommunicabilité, psychanalyse, folie, monstruosité du corps ou du visage...) m'ont toujours paru exploser quasiment dans cette décennie. M'enfin c'est un ressenti personnel qui me permet de relativiser ce qui peut te poser problème.

Après pour Teshigahara, je pense que pour lui, il était nécessaire de rajouter cette histoire, non pas pour brouiller les pistes ou diluer son propos mais offrir d'autres idées personnelles sur le thème de l'aliénation de l'Homme qu'il partageait avec son ami Kôbo. Que ça ne dialogue pas avec le reste de l'histoire ça après je pense pas qu'il s'interrogeait forcément là-dessus. :)

demlu a écrit :Perso j'ai eu l'impression que cette défiguration pouvait avoir été causée par des radiations, thème cher au cinéma japonais (hypothèse que confirmerait cette idée visuelle assez WTF de rayon solaire qui "crame" le frère et le transforme en barbaque écartelée).

Tu brûles. :mrgreen:
Même si ce n'est pas dit explicitement, la cause de défiguration de la jeune fille est amenée plus naturellement que l'accident industriel d'Okuyama. Outre le rayon qui frappe --détail plus qu'intéressant-- le jeune homme au moment où il fait montre de sa culpabilité d'avoir succombé au pêché de chair et qu'il est soudain pris de remords (évitons de spoiler trop), il y a aussi un zoom violent sur le soleil au moment où...
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La jeune fille se noie.
Oui là, spoiler obligé.

C'est un détail plus qu'intéressant si l'on tient compte que Teshigahara d'une part et contrairement à ses collègues Oshima ou Imamura (cf une interview avec d'autres cinéastes dans les Cahiers du cinéma des 60's) revendique des influences européennes (Buñuel --la barbaque en clin d'oeil surréaliste-- et Resnais entres autres) et que d'autre part le bonhomme avait assisté de loin à l'une des explosions nucléaires sur le Japon alors qu'il était étudiant. Quelque part la question du nucléaire reste en filigrane dans son oeuvre des 60's. Ne disait-on pas que la lumière perçue lors de l'explosion d'une bombe nucléaire équivalait à celle du soleil alors ? D'où que Spielberg laisse entrevoir une lumière au loin dans Empire of the sun et que le jeune Bâle croit que l'âme de la personne sous ses pieds s'envole. Cette scène me hante autant que le zoom sur le soleil du visage d'un autre.


Enfin dernier détail important en forme d'indice qui fait écho à Resnais et qui reviendra dans l'un des plans les plus noirs du monstrueux Pluie noire de Shohei Imamura, ces cheveux noirs qui flottent au delà d'une porte entrouverte dans le cabinet du docteur...
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...Or comme dans le film de Resnais --la visite du musée dans Hiroshima mon amour-- ou le film d'Imamura le montre, les cheveux, c'est ce que tu perdais en premier et qui était l'un des signes physiques les plus visibles chez les irradiés. Ici, c'est une préfiguration de la mort de la jeune fille qui est donnée à voir au spectateur. Conscient ou inconscient, il fonctionne comme un étrange avertissement. Je me rappelle plus le nom exact de ce genre de plans qui était l'une des marques du style cinématographique du Teshigahara des 60's, faudra que je farfouille dans mon mémoire. :oops:

C'est pour ça que je pense --toujours d'un point de vue personnel en ayant creusé un peu le sujet-- que pour Teshigahara il fallait rajouter cette histoire. Et comme tu dis et en le replaçant dans le contexte, oui, c'est aussi un thème cher au Japonais. ;)
Dernière modification par Anorya le 17 avr. 14, 15:24, modifié 1 fois.
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Anorya »

Pour finir sur une note rigolote, tu as remarqué Demi-Lune que l'on retrouve les acteurs principaux de La femme des sables dans ce même film ? Amuse toi à les retrouver. :P :mrgreen:
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Demi-Lune »

Anorya a écrit :Enfin dernier détail important en forme d'indice qui fait écho à Resnais et qui reviendra dans l'un des plans les plus noirs du monstrueux Pluie noire de Shohei Imamura, ces cheveux noirs qui flottent au delà d'une porte entrouverte dans le cabinet du docteur...
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...Or comme dans le film de Resnais --la visite du musée dans Hiroshima mon amour-- ou le film d'Imamura le montre, les cheveux, c'est ce que tu perdais en premier et qui était l'un des signes physiques les plus visibles chez les irradiés. Ici, c'est une préfiguration de la mort de la jeune fille qui est donnée à voir au spectateur. Conscient ou inconscient, il fonctionne comme un étrange avertissement. Je me rappelle plus le nom exact de ce genre de plans qui était l'une des marques du style cinématographique du Teshigahara des 60's, faudra que je farfouille dans mon mémoire. :oops:
Oui, plan tout à fait étonnant, une de ces idées visuelles qui font lorgner le film sur le fantastique. On pense spontanément à ces chevelures de fantômes, avec l'idée d'une menace, de pieuvre. En le remettant en contexte comme tu le fais, son caractère prophétique n'en devient que plus clair.

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Anorya a écrit :Pour finir sur une note rigolote, tu as remarqué Demi-Lune que l'on retrouve les acteurs principaux de La femme des sables dans ce même film ? Amuse toi à les retrouver. :P :mrgreen:
Ah non, je n'ai pas remarqué. Où est-ce qu'ils apparaissent ?
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit :
Anorya a écrit :Pour finir sur une note rigolote, tu as remarqué Demi-Lune que l'on retrouve les acteurs principaux de La femme des sables dans ce même film ? Amuse toi à les retrouver. :P :mrgreen:
Ah non, je n'ai pas remarqué. Où est-ce qu'ils apparaissent ?
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Eiji Okada joue le patron d'Okuyama. Quand à Kyoko Kishida, elle joue l'assistante-infirmière un peu bizarre qui accompagne le médecin. Après avoir capturé un homme dans le sable littéralement et lui avoir changé et son être et son identité au film précédent, elle aide le docteur à changer un visage... Ce qui changera aussi finalement l'homme en question. :o
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par bruce randylan »

Rikyu, le maî­tre de thé (Rikyu - 1989)

Au 16e siè­cle, Toyotomi Hideyoshi a atteint le pouvoir et après avoir écrasé ses opposants, il ambitionne d'envahir le continent. Son maître de thé qui n'ose le prendre à parti voit ses projets d'un mauvais oeil.

Après 17 ans d'absence dans le long-métrage de fiction, Teshigahara repasse derrière la caméra pour un drame historique forcément très différent formellement de ses travaux des années 1960. Bien moins expérimental, avant-gardiste et graphique, Rikyu possède une approche bien plus classique pour ne pas dire académique.
Le début fait un peu peur avec sa reconstitution qui sonne fausse entre costumes, décors et figurants bien trop lisses, sans parler de la photographie assez "téléfilm". Comme l'histoire prend son temps pour s'installer, on craint l'indolence.

Pourtant, aucune langueur ni même longueur ne se ressentent. Teshigahara en s'attachant à décrire le cérémonial de la préparation du thé parvient à conférer à ses images une réel pouvoir de fascination voire d'hypnotisme. Il en fait un véritable art et une philosophie. Il était donc logique que sa mise en scène adopte cette recherche de la pureté et de la sobriété dans son esthétisme et son rythme.
Et pendant que l'eau chauffe, c'est un empire entier qui bouillonne. Rikyu est à la fois un témoin involontaire et privilégié des intrigues de pouvoirs. Il devra donc être forcé de prendre parti d'autant que son style de vie va à l'opposé de celui de son élève/commanditaire, un homme impatient, tyrannique, imbu de lui-même, grossier et vivant dans la superficialité et l'apparence (outre une obsession pour l'or même son apparence est hypocrite puisque sa barbe et ses moustaches sont factices).
A partir de là, comme si la réalisation se rendait compte de sa propre artificialité, Teshigahara se ressert sur une dimension presque Zen de sa mise en scène. L'histoire, la psychologie, les tensions dramatiques, la progression narrative... tout commence à déployer une sorte d'assurance sereine, une acceptation lucide et apaisée des crispations historiques en train de se dérouler. Il ne s'agit plus d'être passif et effacé mais de revendiquer sa place dans l'univers sans fuir ni atténuer sa vision du monde. Alors que le film se fait ainsi de plus en plus doux, les rapports entre les personnages sont de plus en plus profonds et complexes avec un suspens troublant car presque dédramatisé (le thé empoisonné).
Teshigahara filme vraiment des hommes dont la philosophie passe par l'art et tous s'y adonnent : thé, calligraphie, peinture, sculpture... et gouverner. Rikyu questionne également ce rapport entre l'art, la philosophie et le pouvoir. Ainsi le régent ne peut accepter qu'une statut trône au dessus de lui y voyant un symbole de rébellion plutôt qu'une élévation spirituelle.

Et quand arrive la conclusion, la réalisation a vraiment atteint une sorte d'éveil et de plénitude. Elle peut donc s'effacer derrière le destin de son maître de thé comme une magnifique estampe s’effaçait quelques scènes plutôt devant son paysage pour ne garder que la blancheur et la silhouette d'un homme sur une barque.
Il y a dans cette approche feutrée quelque chose de magnifique même si tout le monde risque de ne pas être réceptif à la démarche. Un ami s'est assoupi durant la séance tandis que je suis sorti de la séance en état d'admiration, même si je reconnais que le film met un peu de temps à se mettre en place et que son approche/discours pourrait être plus abouti.

EDIT : la même année sortait toujours un Japon un autre film sur Rikyu, réalisé cette fois avec Kei Kumai (avec Toshiro Mifune) apparemment plutôt centré sur sa relation avec son apprenti.
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-Kaonashi-
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Re: Hiroshi Teshigahara (1927-2001)

Message par -Kaonashi- »

bruce randylan a écrit :EDIT : la même année sortait toujours un Japon un autre film sur Rikyu, réalisé cette fois avec Kei Kumai (avec Toshiro Mifune) apparemment plutôt centré sur sa relation avec son apprenti.
Oui, La Mort d'un maître de thé, d'après Yasushi Inoué. Il était passé sur France 2 il y a une dizaine d'années, je l'avais enregistré sur VHS mais j'avais perdu l'enregistrement peu après. Jamais eu l'occasion de rattraper depuis.

Le film de Teshigahara, par contre, je l'ai sur disque dur depuis plusieurs années, je n'ai toujours pas pris le temps de le regarder. :oops:
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