Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Hitchcock
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Hitchcock »

J'adore ce Hawks personnellement, malgré des scènes mélodramatiques perfectibles comme tu le dis.
Mais je ne savais pas du tout que c'était adapté de Faulkner :idea:
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Jeremy Fox
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Allez hop je me le programme cette semaine
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

Hitchcock a écrit : Mais je ne savais pas du tout que c'était adapté de Faulkner :idea:
La nouvelle est loin d'être la plus connue et encore moins une des meilleures de son auteur.
Mais comme j'adore Faulkner (qui n'est pas loin d'être mon écrivain préféré), n'importe laquelle de ses œuvres m'est agréable...

Sinon, après quelques recherches supplémentaires, je préfère aborder Viva Villa directement dans une chronique à part plutôt qu'une mention au début de la chronique de Train de Luxe comme je comptais le faire.
Geoffrey Carter
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Viva Villa !

Message par Geoffrey Carter »

Viva Villa ! 1934

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Réalisation : Jack Conway et Howard Hawks (non crédité) ; Scénario : Ben Hecht d’après un livre de Edgcumb Pinchon et O.B. Stade ; Photographie : James Wong Howe et Charles G. Clarke ; Montage : Robert V. Kern ; Musique : Herbert Stothart ; Décors : Harry Oliver ; Costumes : Dolly Tree ; Durée : 115 minutes pour une production David O. Selznick pour MGM.

Interprétation : Wallace Beery (Pancho Villa), Leo Carillo (Sierra), Fay Wray (Teresa), Stuart Erwin (Johnny), Donald Cook (Don Felipe).

En 1933, Hawks prépare un film racontant l’ascension d’un boxeur qui se saoule de son succès, The Prizefighter and the Lady (La Dame et le Boxeur). Le réalisateur voulait donner les rôles principaux à Clark Gable et Jean Harlow, mais les studios imposèrent Max Baer et Mirna Loy. Selon lui, c’est cette décision qui l’a conduit à abandonner le film, mais John Lee Mahin raconte une version plus vraisemblable : Hawks, jugé trop lent, aurait été remplacé après deux jours de tournage par Woody S. Van Dyke. Concernant la lenteur du cinéaste, il existe des témoignages intéressants. Il faut savoir tout d’abord qu’Hawks n’aimait pas que l’on contrôle son travail sur le plateau. Il faisait tout arrêter si un chef de production y arrivait. De plus, il souhaitait obtenir de la justesse et pouvait interrompre le tournage jusqu’à ce qu’il découvre ce qui n’allait pas dans une scène. Il accordait une place importante à l’improvisation et avait l’habitude d’en discuter avec les comédiens et techniciens, facilement perméable aux suggestions des autres, comme en témoigne Marcel Dalio : « Ce géant au regard bleu glacial est en réalité l’homme le plus accessible et le moins prétentieux du cinéma américain. Au début, il nous avait réunis, nous, les seconds rôles, pour nous dire : "S’il y a quelque chose qui vous gêne, dites-le moi, je le changerai." Il n’était pas coutumier qu’un metteur en scène agisse ainsi. Les studios pensaient qu’Howard Hawks ne voulait pas se soumettre à leurs règles. Ils lui reprochaient aussi de transformer les scénarios en cours de tournage. » (Marcel Dalio, Mes années folles, récit recueilli par Jean-Pierre de Lucovich - Éditions J.-C. Lattès, 1976).
Depuis Today We Live, Hawks s’est lié d’amitié avec William Faulkner. Ils travaillent ensemble à l’adaptation d’un roman de Blaise Cendrars, L’Or. Ce sujet est finalement cédé aux studios Universal qui confient la réalisation à James Cruze, sous le titre de Sutter’s Gold (L’Or Maudit, 1936). Mais la collaboration Hawks – Faulkner est loin d’être terminée.

Quand Franklin Roosevelt arrive à la présidence, en 1933, Hawks est conservateur depuis longtemps. Il n’est pas solidaire de la politique gouvernementale qui consiste à dévaluer le dollar. On peut donc s’étonner qu’il se soit intéressé à un sujet contraire à ses convictions : la vie de Pancho Villa, héros de la révolution mexicaine. En 1912, Raoul Walsh avait réalisé Life of Villa, mêlant documents d’actualités et scènes de fiction. Griffith était l'initiateur de ce projet. Cette fois, Hawks demande à Ben Hecht de lui écrire ce Viva Villa ! à partir d’un sujet de Edcumb Pinchon et O.B. Stade. 1880, le Mexique subit la dictature de Diaz. Les paysans sont exploités par l’aristocratie espagnole. Le jeune Pancho Villa voit l’exécution de son père qui avait osé faire valoir ses droits. Il décide de le venger et lève une armée pour combattre les oppresseurs. Après s’être lié d’amitié avec un journaliste américain, il rejoint les troupes de Madéro qu’il aide à devenir président du Mexique. Cependant, Madéro est assassiné et Villa revient pour faire aboutir les réformes. Il est finalement abattu par un aristocrate dont il avait accidentellement tué la sœur. Le film contiendrait des extraits de Que Viva Mexico de Sergueï Eisenstein. Cette légende n’est aucunement fondée et ne s’appuie sur aucune preuve tangible.
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Bien que non crédité au générique, Hawks aurait réalisé toutes les scènes d’extérieurs au Mexique et quelques plans d’intérieur, mais il fut remplacé par Jack Conway pour les séquences en studio. Selon lui, il avait été écarté du film parce qu’il avait refusé de témoigner contre le comédien alcoolique Lee Tracy, qui jouait le rôle du journaliste. Alors qu’il était ivre dans sa chambre, il aurait uriné du balcon, arrosant une armée mexicaine. Il fut renvoyé par la production et remplacé par Stuart Erwin. Encore une fois, il est plus probable que les responsables de la MGM jugèrent que le matériel tourné par Hawks n’était pas conforme à leurs attentes et que sa lenteur inacceptable justifiait son renvoi. Malgré tout, le cinéaste insistait pour qu’on inscrive Viva Villa ! dans sa filmographie. Dès l’écriture du scénario, il s’est intéressé au caractère excessif et barbare de Villa, ce qui permet à Wallace Beery de pouvoir composer une interprétation truculente et pittoresque. Ce personnage rappelle par moments Tony Camonte, mais il vaut mieux oublier la réalité historique de la révolution mexicaine car le film fonctionne sur l’humour et la violence au détriment d’un discours idéologique et politique. On trouve également dans certaines scènes une sorte de lyrisme baroque qui ne semble pas venir d’Hawks.
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Le film reste un ensemble correct mais très perfectible et alourdi par de nombreux défauts. Curieusement, à sa sortie en salle il trouve un écho favorable chez les spectateurs américains qui semblent établir un parallèle entre la lutte de Villa contre les exploiteurs et celle des nouveaux gangsters individualistes contre les banques. Habitué à teinter d’héroïsme ces crapules, le public fait un amalgame. Ainsi, Viva Villa ! produit involontairement un effet pervers. Le film reçut pourtant quatre nominations aux Oscars (Meilleur film, Meilleur scénario adapté, Meilleur mixage de son) et John S. Waters remporta la statuette décernée au meilleur assistant réalisateur.
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Le film est disponible dans un DVD d'origine espagnole.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:42, modifié 1 fois.
Geoffrey Carter
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Train de Luxe

Message par Geoffrey Carter »

Train de Luxe (20th Century) 1934

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Scénario : Ben Hecht et Charles MacArthur d’après une comédie homonyme tirée de Napoléon de Broadway de Charles Bruce Millholland ; Photographie : Joseph August, Joseph Walker ; Montage : Gene Havlick ; Son : Edward Bernds ; Décors : Harry Oliver ; Costumes : Dolly Tree ; Durée : 91 minutes pour une production Howard Hawks pour Columbia.

Interprétation : John Barrymore (Oscar Jaffe), Carole Lombard (Mildred Plotka/Lily Garland), Walter Connolly (Oliver Webbs), Roscoe Karns (Owen O’Malley), Ralph Forbes (George Smith), Dale Fuller (Sadie), Etienne Girardot (Matthew G. Clark).

Après la mauvaise expérience de Viva Villa ! Hawks comprend que le système MGM ne lui convient pas. Il se conduit alors de manière à ne pas y rester, mais de façon prudente pour ne pas provoquer une rupture trop violente. Ainsi, sa liberté lui est rendue. Il est devenu un réalisateur reconnu – et très bien payé – même si lui on prête, sans doute à raison, une réputation de lenteur dans le travail, d’arrogance et d’individualisme, ce qui est loin d’être un avantage dans le Hollywood de l’époque. En cette année 1934, le cinéma s’inspire de plus en plus de la réalité. On entreprend la production de fictions à résonnance sociale et de grands mélodrames. Ceux de Frannk Borzage ont beaucoup de succès : A Man’s Castle (Ceux de la zone) et Little Man, What Now (Et demain !). Le grand King Vidor réalise ses premières fables humanistes avec notamment Our Daily Bread (Notre pain quotidien). Le film contestataire apparaît également du côté de William Wellman avec Wild Boys on the Road. Hawks n’a guère envie de suivre cette tendance. Il souhaite revenir à la comédie qu’il n’a plus abordée depuis ses premiers films muets. Ce genre connaît alors un renouveau, le comique burlesque ayant été abandonné au profit des dialogues et de l’impressionnante vitesse d’élocution des acteurs, venus pour la plupart du théâtre ou du music-hall. Les meilleurs cinéastes (et Ernst Lubitsch en premier) sacrifient à cette règle, seuls Laurel & Hardy et les Marx Brothers font survivre le slapstick tandis que Buster Keaton se retrouve flanqué d’un Jimmy Durante qui monologue sans cesse. La Columbia engage Hawkks qui y a déjà tourné The Criminal Code trois ans plus tôt, mais sa réputation de lenteur inquiète les responsables qui décident de lui confier la production et la réalisation d’une comédie, à condition de ne pas dépasser le budget prévu. Grand admirateur de The Front Page (qu’il adaptera, bien sûr, six ans plus tard), pièce de Ben Hecht et Charles McArthur que Lewis Milestone a filmé pour Howard Hughes en 1931, le cinéaste porte son choix sur leur nouveau triomphe à Broadway : Twentieth Century (Train de Luxe).

Metteur en scène de théâtre, Oscar Jaffe est un être mégalomane et dictatorial, qui s’est juré de ne travailler que dans le génie. Il vient de façonner une nouvelle star qu’il prénomme Lily Garland. Après un premier succès, ils décident d’unir leurs existences. Ils joueront la comédie à la ville comme à la scène. Trois années passent, théâtres à gloire mais aussi à psychodrames qui conduisent à la rupture : Lily s’enfuit pour Hollywood tandis qu’Oscar, de son côté, accumule les échecs et doit fuir ses créanciers… S’embarquant sur le Twentieh Century, il y retrouve Lily par hasard et joue la comédie afin de lui faire signer un contrat. Finalement, il y parviendra en faisant croire à son agonie. De retour au théâtre, il recommencera à humilier sa protégée avec ses manières forcenés et peu scrupuleuses.
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Ce scénario aurait été rédigé en cinq jours et tourné, entièrement en studio, en seulement trois semaines. Hawks n’eut pas de mal à convaincre John Barrymore d’être son Oscar Jaffe. Jeune premier au temps du muet, l’acteur est encore au sommet de sa gloire malgré ses problèmes d’alcoolisme. Il parvient à se contrôler et reste un parfait professionnel, jamais réprimandé par les studios. Amusé de devoir jouer un cabotin excessif, il accepte de partager l’affiche avec une cousine éloignée du cinéaste qui n’est autre que Carole Lombard. Hawks raconte la première journée de travail avec ses deux vedettes : « Quand elle arriva sur le plateau, elle ruisselait d’émotion. Elle essayait très dur, mais c’était terriblement difficile. Barrymore était plein de patience et nous avons fait plusieurs essais, mais elle était raide et comme paralysée. Alors je lui dis : "Ecoutez, on va faire un tour." Nous sommes sortis, je lui ai demandé combien d’argent elle gagnait pour le film. Elle me le dit et je lui répondis : "Que penseriez-vous si je vous disais que, ce matin, vous avez gagné tout votre salaire et que vous n’avez plus besoin de jouer ?" Elle fut frappée de stupeur. Je lui dis : "Eh bien, oublions la scène : que feriez-vous si quelqu’un vous disait ceci ou cela ?" Elle dit : "Je lui placerais un uppercut à l’estomac." Moi : "Eh bien, c’est plus ou moins ce qu’il vous a dit, pourquoi le ne frappez-vous pas ?" Elle : "Vous rigolez ?" Moi : "Non". Nous sommes retournés sur le plateau, je lui ai laissé un moment pour réfléchir. Ensuite, on a essayé la scène. Une prise, et ça y était. Et, par la suite, Barrymore me déclara : "C’était fantastique !" Elle fondit en larmes et s’enfuit du plateau. Plus tard, elle ne commençait jamais un film sans m’envoyer un télégramme avec ces mots : JE VAIS COMMENCER PAR LE FRAPPER. »
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Dans ses précédents films, Hawks travaillait sur le dépouillement et des dialogues concis et elliptiques qui incisaient adroitement la bande-son. Dans Train de Luxe, c’est le dialogue qui impose sa structure au film. Pour mieux parfaire cette expérimentation, Hawks demande à ses comédiens de ne pas attendre la fin d’une réplique de leur partenaire pour enchaîner une autre. Il leur permet même d’interrompre leur partenaire dans son jeu et d’empiéter sur son texte. L’originalité de ce système produit un effet de fulgurance propre à la screwball comedy. Le film est ainsi riche en chassés croisés, en dérapages et en ratures : tous les personnages s’y servent de la parole pour mettre en scène ceux qu’ils veulent coloniser. Pour lutter contre cette colonisation, les proies répondent par l’avalanche d’un rire ou la brusquerie d’une phrase de révolte. Ces réactions annulent la mise en scène et l’inversent en d’autres dynamiques, ce qui fait que le film est en perpétuel renouvellement. Cependant un tel fonctionnement demande une relaxation exceptionnelle, tout en conservant l’hystérie de l’interprète. Le paradoxe du dispositif satisfait Hawks qui alterne ces moments de libération d’énergie avec des instants de fixité théâtrale, mais ici l’alternance est inscrite dans la continuité comme dans l’instant. Tous ces éléments font de Train de luxe l’œuvre la plus aboutie de Hawks depuis Scarface. Et je ne pense pas exagérer en affirmant qu’il s’agit de son deuxième chef d’œuvre (dans une filmographie où on peut s’amuser à en dénombrer une bonne dizaine, mais n’anticipons pas). La cruauté et la causticité s’y affichent dans une désignation cynique du milieu théâtral. Déjà, dès le couturier de Fig Leaves, Hawks nous apparaissait très méchant en décrivant des créateurs qui travestissent le réel. Il a plus de sympathie pour les barbares (Tony Camonte, Pancho Villa…) ou les suicidaires. Cependant, les personnages féminins captent de plus en plus son attention. Il poursuit le développement de caractère annoncé, là aussi, dans un film muet (Paid to Love), approuve la femme tant qu’elle montre une spontanéité charnelle et désigne la justesse de son comportement lorsqu’elle possède l’habileté de choisir la manière dont elle se laissera dominer afin de mieux séduire et d’inverser le processus ancestral du machisme. La femme moderne doit savoir tout apprendre pour être libre.
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Cette théorie est complètement affirmée à travers la débutante de Train de Luxe. Au départ, elle sait encore dissocier l’univers théâtral de son propre vécu. Puis, au fur et à mesure elle se laisse envahir par Jaffe – sorte de Tony Camonte du fictif et du ludique – qui lui impose sa marque morale semblable à des traies de craie balisant le moindre de ses mouvements professionnels pour obtenir un parcours obligatoire, géométrique et théorique. Il lui impose également sa marque physique (idée exprimée dans A Girl in Every Port) en lui enfonçant une épingle dans la fesse, symbolisant le cri réel à l’intérieur du jeu d’apparences qu’il organise. C’est aussi le signe transparent d’une liaison entre la volonté scientifique – et mécanique – et la spontanéité expressive, la clé qui verrouille le style même de ce cinéaste selon lequel la réalité doit illustrer un sentiment né de l’imaginaire. Mais, contrairement à ce qu’Howard Hawks pense de sa propre méthode, il invalide aussi le système de Jaffe en y désignant le manque de lucidité par rapport au monde extérieur. Ce manipulateur de ses propres fantasmes ne veut pas voir ce qui l’entoure. Il n’apparaît d’ailleurs qu’une seule fois dans un lieu public et ouvert : le quai de la gare, mais il y est grimé. Habituellement, il organise son univers quotidien en lieux théâtraux, remplis d’accessoires excessifs : la plume immense qui lui sert à prendre des notes ou le lit en forme de gondole vénitienne qui abrite ses ébats avec Lily… Amant de celle-ci, il oublie qu’elle est une femme vivante, spontanée et sensuelle. Il lui laisse dépasser les règles théoriques dont il l’a lui-même affublée, inconscient de son charme véritable. Hawks insiste alors sur la nature physique de Lily. Au salut final qui clôt son premier succès, il n’hésite pas à mettre en évidence l’indiscrétion de son décolleté. Ensuite, pendant qu’on cloue l’étoile des stars à sa porte, son corps et sa sexualité sont confiées à Jaffe qui, du pied, ferme la porte en l’embrassant. Trois années de cet enrobage finissent par déshumaniser la jeune femme. Durant sa fuite, elle croit retrouver son corps en se parant d’une robe sexy soulignant ses formes, mais elle part à Hollywood et son image appartient désormais à tout le monde. Hawks caractérise avec ironie la faillite sexuelle du personnage de Jaffe, impuissant, et le présente dans une crise de jalousie folle. On le voit raturer de peinture l’image de sa création, mais essayant aussitôt de recommencer son processus de création vis-à-vis d’une jeune comédienne qui ne possède en aucun cas le côté charnel de Lily. D’ailleurs, il lui confie le rôle de Jeanne d’Arc la pucelle. Mais ce type d’abstraction n’intéresse pas le public et c’est un échec… Nous le retrouvons ainsi grimé en vieillard sénile sur un quai de gare, comme pour souligner son pré-gâtisme et son onanisme obsessionnel. En effet, toutes les théories de Jaffe ne donnent que la caricature d’un art qui n’a plus que la technique comme matière finale, une fois dépourvues d’un prolongement charnel essentiel pour leur développement.
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Quant à elle, Lily s’est transformée, une fois à Hollywood, en une image qui transite un fantasme collectif (et anonyme). C’est un autre travestissement. Cela la rend similaire de Jaffe et l’en rapproche : tout le long des duels verbaux qui ponctuent leur voyage en commun, elle subit une régression positive en retrouvant son corps et son propre langage. Elle se place alors en position de domination (elle est vêtue d’un pyjama) en s’opposant à son mentor qui lui répond en affichant une impotence (faux bras cassé) ou des vêtements excessivement efféminés (robe de chambre excentrique, pause alanguie). Cependant, Jaffe se retrouve lui-même victime d’un autre faiseur de marques, un illusionniste mensonger qui colle des tracts partout lorsqu’il ne signe pas des chèques sans provision. A chacun son estampillage : Jaffe est un calculateur qui joue au fou, mais il se fait berner à son tour par un fou qui joue les sponsors. Pour aboutir à la signature de Lily, Jaffe fait croire que son corps agonise. En appliquant des clichés du théâtre, il lui joue une comédie macabre. Grâce à cet excès, il reprend place dans l’espace de la domination, en redevenant fétichiste, maniaque, et en retrouvant sa puissance sexuelle et professionnelle. Le pouvoir du faux réside dans l’univers qu’organise Jaffe : c’est l’illusion qui lui permet ce triomphe ignoble. Il marque à nouveau sa « propriété » à traits de craie, comme s’il oblitérait la peau d’un animal.
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Comédie virtuose et géniale, au rythme magique, conçue sur la déperdition d’énergie et l’épuisement physique, Train de Luxe est aussi truffée d’allusions sociologiques et psychanalytiques. Hawks n’hésite à porter un regard très critique sur ses collègues : les ambitions de Jaffe peuvent être rapprochées de celles de Cecil B. DeMille (Jeanne d’Arc, la Bible, la profusion d’exotisme) ou de certains metteurs en scène qui se plaisent à jouer les dictateurs sur le plateau, alors que lui n’y élève jamais la voix et conserve une distance proche de l’indifférence, comme le confirment nombre de ses collaborateurs. Une telle hargne est peut-être également un moyen de masquer son appartenance à cette famille. Mais Hawks n’a rien d’un humaniste généreux : pas d’optimisme gentil, uniquement du mépris. Il jette les acteurs, les producteurs, les imprésarios et le metteur en scène dans le même sac. Cette attitude est dictée par le manque de danger mortel dans ce métier : dans le film, le monde du théâtre est prolongé dans cette affectation par la clôture du train ; le seul péril y étant de dérailler. Hawks pense que le monde doit appartenir à ceux qui jouent véritablement avec leurs vies, et non à ceux qui simulent l’émotion, l’amour ou la mort. Il préfère l’infantilisme de témérité à celui du jeu entre le théâtre ou la vie. Mais la femme semble être la seule à échapper à cette sévérité, le personnage de Lily étant la plupart du temps présentée comme victime. Les caractères féminins différent ainsi par leur lucidité et leur intelligence, comme le montreront les futurs films du cinéaste. Bourré de qualités, Train de Luxe demeure une des comédies les plus charmantes et attachantes d’Howard Hawks, œuvre aboutie qui fait définitivement entrer l’auteur, en cette année 1934, parmi les grands réalisateurs de son temps.
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DVD sans bonus et transfert souvent pas terrible, mais c'est apparemment le seul avec des STA.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:42, modifié 2 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Depuis que j'avais vu ta note, j'attendais ton texte ; je me le réserve pour le petit déjeuner. :wink:
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par feb »

Geoffrey Carter a écrit :DVD que je déconseillerai car transfert complètement raté, mais c'est apparemment le seul avec des STA.
Qu'est-ce que tu entends par "complètement raté" ? Parce que tes captures ne semblent pas catastrophiques surtout pour un film Columbia de 1934.
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

J'ai parlé un peu trop vite effectivement :oops:
J'ai surtout le souvenir d'une certaine frustration lors de l'achat du DVD il y a quelques années et quand j'ai vu qu'il n'avait pas bénéficié d'une restauration complète (surtout au prix où je l'avais acheté, mais ça c'est une autre histoire).
Effectivement passé cette première frustration l'image reste de bonne qualité, plus ou moins granuleuse selon les scènes, mais je continue à penser que le film aurait pu bénéficier d'une restauration plus poussée : la qualité de certaines scènes laisse grandement à désirer tout comme la compression qui est parfois moins réussie. En plus, aucun bonus sur ce DVD. Donc "complètement raté" est sans doute très excessif mais il s'appuie certainement sur ma colère et ma frustration lors du premier visionnage du film sur ce DVD :oops:
Jeremy Fox a écrit :Depuis que j'avais vu ta note, j'attendais ton texte ; je me le réserve pour le petit déjeuner. :wink:
J'attends ton avis avec impatience ;)
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Excellent texte : ça me fait désormais deux DVD à sortir de mes étagères (avec Today we Live).
Comédie virtuose et géniale, au rythme magique, conçue sur la déperdition d’énergie et l’épuisement physique
Ce qui me faisait un peu peur ayant toujours eu du mal avec les screwballs et leur rythme qui m'est souvent plus pénible qu'autre chose, a été rattrapé par
une des comédies les plus charmantes et attachantes d’Howard Hawks.
Bref, me reste plus qu'à voir le film :wink:
Geoffrey Carter
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Ville sans loi

Message par Geoffrey Carter »

Ville sans loi (Barbary Coast) 1935

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Scénario : Ben Hecht et Charles MacArthur ; Photographie : Ray June ; Montage : Edward Curtis ; Son : Frank Maher ; Décors : Richard Day ; Costumes : Omar Kiam ; Musique : Alfred Newman ; Durée : 97 minutes pour une production Samuel Goldwyn pour United Artists.

Interprétation : Edward G. Robinson (Louis Chamalis), Myriam Hopkins (Mary Rutledge), Joel McCrea (James Carmichael), Walter Brennan (Old Atrocity), Brian Donlevy (Knuckles), Harry Carrey (Slocum), Frank Craven (colonel Marcus Aurelius Cobb), Clyde Cook (Oakie).

Au moment de sa sortie, Twentieh Century n’attire pas les foules malgré ses nombreuses qualités. En effet, un film de Tay Garnett pour la MGM, La Malle de Singapour (China Seas), interprété par le célèbre duo Clark Gable et Jean Harlow, a beaucoup de succès à la même période. Hawks raconte avoir travaillé sur le scénario, sauf que James McGuiness et Jules Furthman sont les seuls auteurs crédités au générique, et comme nous le savons, le cinéaste n’était pas avare de mensonges. Celui-ci reste ensuite quelques mois sans tourner, résidant à New York, puis reprend son projet Sutter’s Gold qu’il décide finalement d’abandonner et conseille ses amis scénaristes Ben Hecht et Charles McArthur qui s’apprêtent à passer derrière la caméra. En 1935, le producteur indépendant Samuel Goldwyn le contacte pour lui proposer de réaliser Ville sans loi (Barbary Coast). Hawks accepte, se croyant suffisamment rusé pour résister à son interlocuteur qui a pour habitude d’imposer sa volonté aux metteurs en scène qu’il emploie. Tout d’abord, il parvient à faire engager ses scénaristes favoris (Ben Hecht et Charles McArthur) pour la réécriture du scénario adapté d’un roman d’Herbert Asbury. L’écrivain américain (1889 – 1963) est surtout connu pour son roman Gangs of New York, adapté très librement par Martin Scorsese en 2002. De son côté, Samuel Goldwyn exige que la distribution mette en avant deux acteurs qu’il a sous contrat, Joel McCrea et Miriam Hopkins. Les deux hommes se mettent ensuite d’accord pour prendre Edward G. Robinson, qui tourne son deuxième film avec le cinéaste (après Le Harpon Rouge). Pour la première fois, ce dernier engage Walter Brennan, comédien qui deviendra une sorte de mascotte à travers cinq autres films. On peut difficilement apparenter Ville sans loi au western même s’il s’agit de la première incursion de l’auteur dans la mythologie de l’Ouest.

Suite à la découverte d’une pépite d’or, en 1848, San Francisco devient la capitale de la Californie. A son arrivée, Mary Rutledge apprend la mort de son futur époux. Au lieu de repartir, elle décide de rester et devient ainsi la première femme blanche à s’installer. Le maître des lieux, Chamalis est séduit par sa beauté et son esprit d’indépendance. Il la transformera en entraîneuse et en croupier. Chamalis domine le monde des tripots et n’hésite pas à faire sa propre justice : ainsi lorsque les clients protestent contre ses méthodes, il laisse Knuckles, son bras droit, s’occuper d’eux. Le crime et la corruption règnent dans la ville, véritable empire de cet affreux personnage. Un journaliste, fraîchement débarqué, tente de dénoncer cette barbarie mais il est bientôt exécuté. Mary, toujours convoitée par Chamalis, tient ce dernier à distance au moment où elle rencontre Carmichael, un jeune pionnier venu de l’Est dont elle tombe amoureuse. Cependant, lorsqu’il vient dans le tripot, elle le laisse se ruiner au jeu et le jeune homme se fait engager comme serveur et plongeur par Chamalis, celui-ci ignorant toujours que Mary le connaît… Old Atrocity, un vieux voleur pittoresque, est pris de remords et restitue un sac d’or qu’il avait volé à Carmichael. Ce dernier décide de le jouer à la roulette. Lily le fait gagner. Entre-temps, les citoyens honnêtes de la ville ont constitué une milice : ils parviennent à exécuter Knuckles et ils traquent Chamalis qui ne s’en préoccupe pas, aveuglé par la jalousie : en effet il préfère chercher Mary qui vient de s’enfuir avec Carmichael. Soudain, comprenant qu’il ne connaîtra jamais un amour aussi fort que celui qui unit ces deux êtres, il décide de les épargner et se rend à la milice.
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« Détestable, artificiel, un travail de commande plus ou moins » Voici les paroles d’Howard Hawks sur son propre film, une sévérité sans doute causée en partie par ses difficultés à faire valoir ses idées au tournage (Goldwyn contrôle et surveille tout) et l’attitude de Miriam Hopkins, qui se comporte comme une diva arrogante et capricieuse sur le plateau. Néanmoins, le film est effectivement rempli d’artifices malgré quelques scènes réussies. Une musique envahissante alourdit les scènes d’amour empreintes d’un romantisme mou et qui manquent déjà – comme dans les drames tournés par Hawks au début des années 30 – considérablement de légèreté. De plus, le cinéaste a encore du mal à maîtriser le baroque résultant du caractère pittoresque de certains éléments, car il lui manque le sens de la truculence d’un Walsh ou d’un Ford. Il est également mal à l’aise dans la reconstitution historique, mais il sait comme toujours travailler sur la force et la concentration d’énergie : ainsi chaque fois que le film aborde des situations suicidaires ou des cheminements mécaniques, le bilan est moins mitigé. Autrement, il semble se résoudre à imiter le style d’autres cinéastes. L’ouverture est très marquée par l’influence de Josef Von Sternberg et en particulier par l’esthétique de Morocco. Malgré tout, certaines thématiques hawksiennes sont présentes, grâce aux scénaristes qui ont transformé les personnages pour les rapprocher de l’univers du réalisateur, et peuvent donc nous fournir un fragment d’analyse.
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Edward G. Robinson, qui s’en tire assez bien dans un rôle pas forcément évident, apporte à Chamalis une barbarie sophistiquée, gorgée d’élégance et d’équivoque sexuelle. Ce truand est prisonnier de ses blocages, de son corps et ses habitudes. Il élimine le moindre obstacle en faisant tuer, et, ne pouvant pas posséder Mary, veut préserver les apparences en faisant croire qu’ils sont amants. Pris à son propre jeu, il s’excède alors en jalousie hystérique. Son infantilisme tient de l’impuissance, mais ces deux éléments sont masqués aux autres par son double, Knuckles, un exécuteur de basses œuvres qui semble avoir pour lui une passion dépassant l’amitié. Et lorsque ce dernier est abattu, Chamalis redevient vulnérable par évidente amputation de ce prolongement viril, ce qui lui redonne une humanité élémentaire, car ce Tony Camonte minable régnait par l’illusion, s’y complaisait et n’était d’ailleurs que la victime fragile des tricheries corollaires de ses propres mises en scène. En revanche, Mary est un personnage fort, plus sympathique aux yeux du public. Indépendante, cynique, refusant d’éprouver le moindre sentiment, elle s’enferme et se protège dans une solitude morale et physique. Ainsi, dans plusieurs séquences, elle exige que l’on frappe à sa porte, que l’on respecte la clôture des lieux où elle habitue, sans oublier la manière qu’elle a de ses cacher derrière l’inconnu quand elle rencontre Carmichael. Pragmatique, Mary domine le destin comme elle domine la table de jeu, lieu du hasard truqué par Chamalis, qu’on peut considérer comme son double noir. Face à elle, ses deux soupirants sont faibles qui la confortent dans sa puissance asexuée : Chamalis semble désarmé et impuissant, tandis que Carmichael est naïf et inexpérimenté. Pièce intégrante d’un jeu de dupes, Mary utilise donc sa séduction que pour pervertir ceux qui l’indiffèrent et elle ne redevient un personnage instinctif et capable de sentiments qu’en faisant gagner de l’argent à un joueur au lieu de lui en faire perdre. En épargnant Mary et Carmichael, Chamalis subit à son tour le même processus.
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Malheureusement, face à ces deux personnages intéressants et caractères typiquement hawksiens, s’oppose la fadeur du personnage de Carmichael. On aura rarement vu Joel McCrea - pourtant très bon acteur - si benêt et inexistant. Reste donc une bonne performance de Walter Brennan à travers le personnage d’Old Atrocity qui va à son tour subir un processus d’inversion de sa fonction professionnelle : voleur, il devient honnête. C’est également le cas de la milice qui fait la justice d’une manière presque aussi expéditive que Chamalis. Mais l’insensé happy-end détruit quasiment tout le travail accompli durant le film, car il accentue toutes ses faiblesses en produisant un excès de romantisme. Les habituelles expérimentations d’Hawks auraient peut-être pu relever le niveau de l’ensemble, mais il ne s’y livre pas, semblant se désintéresser complètement de la mise en scène. Malgré la présence de certains de ses thèmes et des personnages assez intéressants, Ville sans Loi reste un film boiteux de bout en bout et très franchement passable. Il avait pourtant tous les atouts, sur le papier, pour séduire - une bonne distribution, un personnage de femme forte et des scénaristes talentueux - mais s'avère très décevant. Si vous n’êtes pas un inconditionnel du renard argenté, passez votre chemin !
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DVD décevant mais Erick Maurel vous en parlera mieux que moi
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Jeremy Fox
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Même avis sur Barbary Coast. Joel McCrea n'a vraiment pas été gâté par son personnage.
Geoffrey Carter
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Brumes

Message par Geoffrey Carter »

Brumes (Celling Zero) 1936

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Scénario : Frank Wead, d’après sa pièce homonyme ; Photographie : Arthur Edeson ; Montage : William Holmes ; Décors : John Hughes ; Musique : Leo B. Forstein ; Effets spéciaux : Frank Jackman ; Conseiller technique : Paul Mantz ; Durée : 9 95 minutes pour une production Cosmopolitan Pictures-First National, pour Warner Bros (production Harry Joe Brown).

Interprétation : James Cagney (Dizzy Davis), Pat O’Brien (Jake Lee), June Travis (Tommy Thomas), Stuart Erwin (Tex Clark), Isabel Jewell (Lou Clark), Henry Wadsworth (Tay Lawson), Barton MacLane (Al Stone), Martha Tibbetts (Mary Lee), Craig Reynolds (Joe Allen), James H. Bush (Buzz).
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Après son expérience d’un tournage d’une production indépendante, la Warner Bros. engage Hawks pour la réalisation de Brumes (Celling Zero). Il s’agit de l’adaptation d’une pièce de Frank « Spig » Wead, ancien aviateur devenu scénariste, à laquelle Hawks a assisté lors de son séjour à New York. Le directeur de l’aérodrome d’une compagnie d’aéropostale, Jack Lee, désapprouve la désinvolture de son meilleur pilote, Dizzy. Ce dernier tente de draguer une aviatrice et demande à Tex de le remplacer pour un vol. Mais celui-ci manque de visibilité et manque son atterrissage : l’accident mortel est inévitable. La veuve de Tex accuse Dizzy d’en être le responsable et on lui retire sa licence. Un soir de brouillard, Dizzy apprend qu’un jeune aviateur inexpérimenté doit tester un nouveau système de navigation. Il décide de l’assommer et prend sa place dans l’avion, scellant ainsi son destin…
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A travers ce film, Hawks réaffirme son refus de tricher avec les conventions théâtrales et poursuit son travail sur la claustration et les dialogues. Il conçoit le découpage de manière à respecter la structure de base en l’ayant au préalable refondue pour la plier à sa thématique et ruser avec la censure. Il réinvente – sans doute inconsciemment – le théâtre filmé en lui apportant une profonde modernité : le cinéaste transforme le lieu théâtral en un espace fantôme, coupé de tout repère naturaliste, si bien que ce réservoir d’idées assure la représentation des comportements dans une opacité frôlant presque l’abstraction. Hawks s’acharne également à répéter des thèmes et situations déjà explorés dans ses œuvres précédentes. Celling Zero est déjà son quatrième film mettant en scène des aviateurs et la référence à The Dawn Patrol n’en est que d’autant plus flagrante. On retrouve ainsi un souci documentaire dans les scènes d'aviation et une trame similaire : un pilote en élimine un autre pour se suicider dans une mission capitale. Cet héroïsme ne trouve que l’écho d’une marque (carte de pilote et nom tracé sur le tableau). Cependant, ici, tout se déroule en temps de paix : les pilotes sont des civils et le patriotisme ne les motive pas. Quant au devoir consistant à transmettre le courrier, ce n’est qu’un prétexte pour tester leur résistance et jouer avec la vie et la mort. Se transformant en gamins impuissants sans leurs machines, ces personnages sont plus proches de The Crowd Roars. Mais c’est surtout le morbide qui s’inscrit dans leurs actes-limites, comme la mission finale de Dizzy. Le personnage y peut enfin communiquer, quittant son état de masque et entraînant une sorte de dégivrage, malgré son aveuglement dans le brouillard (qui donne son titre français au film). La pièce originale était teinté d’héroïsme, voire de machisme, et comportait des situations mélodramatiques et de nombreux personnages symboliques. Hawks supprime tout cela, ne gardant que le caractère du pilote devenu handicapé physique et mental après un terrible accident. Il dirige James Cagney dans le rôle principal comme dans The Crowd Roars, se servant du jeu bien particulier – et exceptionnel – de l’acteur pour parfaire son système de cadence effrénée du dialogue. Enfin, il profite du sujet de cette pièce pour explorer encore un peu plus ses conceptions sur les personnages et la nature de leur comportement face à la mort, la trahison, la lâcheté, le refus de vieillir, et la volonté de professionnalisme. De plus, la femme juge, décide et se veut égale à l’homme qu’elle remet à sa place d’enfant boudeur et capricieux, lui révélant cet état de complaisance apeurée pour qu’il trouve l’opportunité d’assumer une maturité. Ce personnage préfigure ainsi les plus belles héroïnes hawksiennes, même si le film baigne néanmoins dans un pessimisme attaché au ludique.
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Si, comme nous l’avons vu, Celling Zero détient de nombreux atouts, il n’est pas non plus dénué de défauts. La réalisation manque parfois d’entrain, d’ampleur, et il manque les superbes moments de bravoure qui faisaient de The Dawn Patrol un excellent divertissement. Mis à part le personnage de James Cagney, les protagonistes masculins sont peu attachants, et véritablement peu intéressants. Quant au scénario, il faiblit dans sa dernière partie, conférant au film un rythme assez mou et, il faut l'avouer, ennuyeux par moments. L'imparfait Celling Zero est cependant le brouillon, voir l’esquisse de films futurs du cinéaste tant sur le renouvellement de ses thèmes que dans l’annonce des changements de style. Hawks est à la recherche de son style définitif, celui qui lui permettra d’atteindre la perfection à partir de 1938.
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Dernière modification par Geoffrey Carter le 17 déc. 14, 10:58, modifié 2 fois.
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Rick Blaine »

Malgré les défauts que tu explicites et que l'on ne peut nier, c'est un film qui me plait beaucoup, certainement grâce à Cagney, je le trouve dans l'ensemble très attachant.
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

Rick Blaine a écrit :Malgré les défauts que tu explicites et que l'on ne peut nier, c'est un film qui me plait beaucoup, certainement grâce à Cagney, je le trouve dans l'ensemble très attachant.
Cagney était effectivement un acteur exceptionnel, et j'en viens à regretter que la collaboration Hawks-Cagney, peut-être trop courte (2 films), n'ait pas donné de grand film.
Sinon, pas de chronique cette semaine pour cause de vacances, je reviens la semaine prochaine avec The Road To Glory
Geoffrey Carter
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Les Chemins de la gloire

Message par Geoffrey Carter »

Les Chemins de la gloire (The Road to Glory) 1936

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Scénario : Joel Sayre, William Faulkner, d’après le film Les Croix de bois de Raymond Bernard tiré du roman de Roland Dorgelès ; Photographie : Gregg Toland ; Montage : Edward Curtis ; Décors : Hans Peters ; Musique : Louis Silvers ; Costumes : Gwen Wakeling ; Son : George Leverett, Roger Heman ; Durée : 95 minutes pour une production Darryl F. Zanuck, Nunnaly Johnson pour 20th Century Fox.

Interprétation : Fredric March (lieutenant Michel Denet), Warner Baxter (capitaine Paul Laroche), Lionel Barrymore (soldat Maurin, alias Papa Laroche), June Lang (Monique), Victor Killian (Regler), Gregory Ratoff (Bouffiou).

The Road to Glory est le titre de deux films d’Howard Hawks (qui n’ont strictement rien à voir entre eux) : son premier film, sorti en 1926 et aujourd’hui perdu, ainsi que celui qui nous intéresse, tourné en 1936 juste après Brumes. L’œuvre sera produite par la jeune 20th Century-Fox qui a racheté la Fox. Darryl F. Zanuck en est le vice-président, et vient d’acquérir les droits du film français Les Croix de bois (1932) réalisé par Raymond Bernard et inspiré du roman de Roland Dorgelès. Cependant, le producteur n’a aucunement l’intention de le distribuer, et désire surtout utiliser les séquences de bataille qu’il juge très réussies. Zanuck a déjà travaillé avec Hawks : il l’estime, mais il se méfie de sa lenteur et de son esprit d’indépendance. Il ne voit néanmoins personne d’autre pour réaliser la version américaine du film en intégrant les scènes de bataille françaises. C’est également une sécurité car il sait qu’Hawks est meilleur en studio qu’en extérieur. Le réalisateur accepte la proposition de Zanuck et fait appel à William Faulkner et Joel Sayre pour écrire le scénario. A l’exception de quelques scènes, l’histoire sera très différente de l’original, et on peut même y voir certains éléments annonçant Parabole, un roman de Faulkner publié en 1954.
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France, 1914. Au front, le lieutenant Michel Denet rencontre Monique, une infirmière bénévole. Il ignore qu’elle est fiancée avec son supérieur, le capitaine Laroche, un homme en quête de gloire n’hésitant pas à sacrifier ses hommes pour assurer le succès de ses missions. Denet, à l’opposé de ses méthodes, désapprouve Laroche, provoquant un conflit inévitable. Lors d’une avancée dans les tranchées, Denet sauve un blessé, tandis que Laroche en sacrifie un autre… Cantonnés dans une baraque, des hommes du détachement savent qu’une mine a été posée sous leurs pieds. Lorsque la relève arrive, ils quittent les lieux en sachant que leurs successeurs sont condamnés à mourir. Pendant ce temps, à l’arrière, de nouvelles recrues arrivent. On y trouve un vieillard qui n’est autre que le père de Laroche. Malgré son impotence et ses déficiences, le vieil homme s’impose pour des missions risquées : sa sénilité provoque la mort d’un de ses compagnons. Plus tard, Laroche est blessé et Denet découvre qu’il est fiancé avec Monique. Il décide de lui avouer leur liaison, pensant qu’il les a vus, mais il ignore que son supérieur est devenu aveugle. Cela ne l’empêche pas, accompagné de son père, d’accomplir une mission périlleuse et d’installer une liaison téléphonique. Les deux hommes meurent dans cette action glorieuse, mais suicidaire. Denet remplace Laroche en adoptant le même comportement inhumain que son ancien supérieur.
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Le cinéaste continue ici le travail entamé avec The Dawn Patrol (les deux films se terminent de la même façon) avec une riche galerie de personnages aveugles, infirmes, autodestructeurs par mégalomanie, inconscients des réalités naturelles. Mais ce ne sont plus tout à fait de simples obsessions d’auteur, et cela devient un matériel volontairement choisi pour servir de palette à un travail artistique supérieur. Contrairement aux précédents opus - La Foule Hurle, Le Harpon Rouge - l’opposition des deux personnages n’a rien à voir avec la compétition amoureuse, puisque les deux hommes ignorent jusqu’à la fin du film qu’ils sont amoureux de la même femme. L’antagonisme ne repose pas non plus sur la différence hiérarchique (un lieutenant et un capitaine). C’est juste le heurt de deux conceptions différentes de l’univers. Le lieutenant sauve un blessé. Le capitaine en sacrifie un. Le lieutenant tente de vivre malgré la guerre. Le capitaine ne vit que pour la guerre. Le lieutenant s’exalte par ses sentiments amoureux ou humanistes. Le capitaine se satisfait dans l’application des théories militaires. Le lieutenant s’adapte aux circonstances. Le capitaine refuse de modifier ses plans. Le lieutenant fait partie intégrante de la nature (thématique nouvelle du réalisateur qu’on retrouvera à de multiples reprises). Le capitaine n’existe que sur une abstraction qui le coupe de toute communicabilité. Le lieutenant subit la guerre, mais le capitaine cherche à justifier les traces de sa mise en scène (stratégies de guerre), tout comme son père s’efforce de masquer ses réalités naturelles : vieillesse et irresponsabilité. Mais le point culminant de toute cette parabole, c’est l’exploit commis par le capitaine (un aveugle physique) et son père (un aveugle moral) qui établissent enfin une communication – tout comme Dizzy dans Brumes – en sacrifiant leurs vies en même temps.
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Par ailleurs, tout le mécanisme des actions militaires repose sur la métaphore : en effet, commander est une responsabilité qui isole physiquement et moralement celui qui s’en charge. C’est inéluctable et contagieux, comme le montre le transfert subi par le lieutenant dans la scène finale. Encore au-dessus de ces comportements, il y a la guerre, barbare, inhumaine, et renforcée par les machines meurtrières. Dans la seconde partie des années trente, des films encensent la bravoure. La Charge de la Brigade Légère (The Charge of the Light Brigade) de Michael Curtiz, sorti également en 1936, en est le plus parfait exemple, un véritable prototype (sans vouloir évidemment critiquer le film, très agréable au demeurant). Cet aspect héroïque et belliciste est curieusement contrebalancé par des données pacifistes, alors qu’Hitler menace, que Mussolini envahit l’Abyssinie et que la guerre civile fait rage en Espagne. Mais les Etats-Unis se déclarent neutres. Dans ce contexte, The Road To Glory apparaît comme un film pacifiste, soutenant la politique extérieure du président Roosevelt. Le film en lui-même n’est pas dénué de défauts même si l’ensemble demeure assez harmonieux. Ainsi, le personnage féminin paraît décevant, sans doute à cause du jeu de June Lang qui semble légèrement daté de nos jours. La caractérisation de ce protagoniste n’est pas complétement aboutie, et cela influence probablement la direction artistique qui peut paraître également moyennement réussie. Néanmoins, la photographie du génial Gregg Toland se révèle une fois de plus splendide : l’opérateur de Citizen Kane mêle les séquences du film de Raymond Bernard sans que l’on ressente la moindre variation dans l’éclairage. Le technicien joue également sur les contrastes et les lumières, conférant au film une noirceur et un pessimisme débridés, qui correspondent très bien aux idées du cinéaste. Enfin, Hawks commence à élargir ses galeries de personnages, avec notamment une très belle performance de Lionel Barrymore – anticipant un peu celle de Brennan dans Rio Bravo – qui apporte une touche d’humour bienvenue. The Road to Glory fut en tout cas un très bon succès public et critique, et devrait intéresser, sinon passionner, tous les admirateurs du cinéaste.

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Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:46, modifié 1 fois.
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