Interprétation : Paul Muni (Tony Camonte), Ann Dvorak (Cesca), Karen Morley (Poppy), George Raft (Guino Rinaldo), Osgood Perkins (Johnny Lovo), Boris Karloff (Tom Gaffney). Hawks jouerait un homme dans un lit à l’hôpital.
Scarface fut tourné juste après The Dawn Patrol, mais ne sortit qu’après The Criminal Code. Il est donc nécessaire de revenir en 1930 et au tournage de The Dawn Patrol, durant lequel Hawks reçoit la visite du milliardaire Howard Hughes. Passionné depuis son enfance par l’aviation et le cinéma, il commence à produire des films dès l’âge de vingt-quatre ans (Two Arabian Knights, 1927 ; The Racket, 1928). En 1930, il passe à la réalisation pour Hell’s Angels (Les Anges de l’Enfer), conciliant ainsi ses deux passions : il s’agit d’une histoire de pilotes interprétée par Jean Harlow et Ben Lyon. Certaines scènes y sont photographiées en Technicolor. Cependant, Hughes ne vient pas voir Hawks pour échanger avec lui des propos amicaux sur le cinéma ou les derniers modèles d’avion ! Il est là pour se plaindre et menacer, car dans une séquence de Hell’s Angels, un pilote reçoit une rafale de mitrailleuse à travers la poitrine et il accuse Hawks d’avoir plagié cette scène pour The Dawn Patrol. La plainte n’a évidemment pas lieu d’être, et ne sert que de prétexte pour dénouer une situation plus subtile : le milliardaire avait engagé tous les pilotes disponibles pour son film, mais Hawks avait quand même réussi à s’arranger pour les utiliser dans le sien. Leur litige ne pouvant être plaidé, Hughes sort son film avant celui d’Hawks et Hell’s Angels obtient un énorme succès, non en raison de ses spectaculaires séquences d’aviation, mais plutôt grâce à la présence de Jean Harlow. Les deux hommes restent néanmoins en bons termes malgré leur querelle et Hughes décide d’engager le cinéaste pour réaliser sa prochaine production : Scarface. A l’origine de ce projet, un livre d’Armitage Trail qui retrace de manière romancée l’ascension criminelle d’Al Capone. Inspiré par Underworld, de Josef von Sternberg (qui empruntait déjà quelques éléments de la biographie du truand), Hawks souhaitait réaliser un film de gangster depuis 1927 et saute donc sur l’occasion.
Né à Naples, le 17 janvier 1899, Al Capone arrive très jeune aux États-Unis, où la colonie italienne s’est déjà organisée dans les principales villes du pays. Leurs quartiers ont pris la couleur de leur terre d’origine et la délinquance s’y est développée. Une rumeur prétend que le petit Capone a tué pour la première fois à l’âge de douze ans. Après la Première Guerre Mondiale, il travaille pour Johnny Torrio, un baron de la pègre qui tient le marché de la prohibition. Employé comme garde du corps, il devient bientôt son tueur attitré. En 1920, il participe à l’exécution de « Big Jim » Colosimo et grimpe dans la hiérarchie du gang. Cinq ans plus tard, il succède à Torrio, retiré en Italie. Fort de son pouvoir, il inaugure de nouvelles méthodes de racket et de corruption, impose l’assassinat pour éliminer la concurrence, organise l’industrie du crime, invente un syndicat de bandits et déclare la guerre au gang irlandais dirigé par le fleuriste O’Bannion en faisant mitrailler sept de ses membres, dans un garage, le jour de la Saint-Valentin en 1929. Malgré son évidente responsabilité dans ce massacre, il n’est jamais inquiété par la police, faute de preuves et de témoins à charge. Sa puissance ne connaîtra de frein qu’en 1933, à l’abrogation de la loi sur la Prohibition. La justice l’assignera pour fraude fiscale et il sera incarcéré. A la fin de sa peine, il se retirera dans sa propriété avant d’y mourir de la syphilis en 1947. A l’heure actuelle, nous sommes en 1930, et Hawks a l’ambition d’utiliser la biographie du truand pour élaborer une fiction personnelle. Il accumule les documents, consulte des policiers, des journalistes spécialisés dans le crime et même des gangsters. Le scénario est écrit en collaboration avec plusieurs écrivains : Seton I. Miller, son scénariste attitré, John Lee Mahin, un jeune reporter, Ben Hecht, l’auteur d’Underworld et William R. Burnett, devenu célèbre en 1929 avec un roman que Melvyn LeRoy a porté à l’écran : Le Petit César (The Little Caesar, 1930) avec Edward G. Robinson dans le rôle-titre. Dans le magazine Polar n°15, Burnett évoque sa participation : « Il y avait déjà treize scénarios quand j’ai commencé, à la demande d’Howard Hughes. Ben Hecht a fourni la version définitive, contre la montre, dix jours avant le tournage. » Plusieurs autres témoignages confirment l’importance du travail de Ben Hecht. Selon John Lee Mahin, c’est lui qui a eu l’idée de transposer l’histoire incestueuse des Borgia dans le scénario du film.
Tony Camonte, jeune tueur à gages impulsif, violent et infantile, devient le garde du corps de Johnny Lovo, chef d’un gang de bootleggers. Une fois dans la place, Camonte élimine rapidement ses concurrents et devient le chef de la bande, épaulé par Guino Rinaldo, son second. Ils font un raid pour éliminer Meehan, un des rivaux de Lovo. Mais Meehan survit à ses blessures. Qu'à cela ne tienne : Scarface va l'achever dans son lit d'hôpital. Après le meurtre de O'Hara, un fleuriste dirigeant de la bande rivale, Camonte est accusé par Lovo de se faire beaucoup trop d'ennemis. Mais celui-ci tout à sa joie d'essayer sa nouvelle mitraillette, n'a nulle intention de s'arrêter en si bon chemin. La guerre des gangs est maintenant à son comble. C'est alors qu'a lieu le massacre de la saint Valentin où sept gangsters sont exécutés dans un garage. Tom Gaffney, lieutenant de O’Hara, a échappé par miracle à la mort. En haut lieu, on juge dangereuse la mythification de gangsters que la presse encourage et on prévoit des mesures pour y mettre fin. Dans le même temps, Camonte voue une passion incestueuse à sa sœur Cesca ; sa jalousie l’aveugle et lui fait commettre de nombreuses imprudences...
Comme d’autres fictions tournées par Hawks, Scarface est construit sur un mouvement d’engrenage brassant la volonté de puissance, l’abus du pouvoir et l’autodestruction. C’est une machinerie implacable, imparable, marquée de dérision et d’inquiétantes désignations. Les personnages entraînés dans cette mouvance sont des tueurs au caractère d’enfants, sans un atome de maturité. Ils ignorent les contingences sociales, s’amusent à vivre et à tuer, comme s’ils étaient des personnages de comédie ou de bandes dessinées, protégeant leur identité en voulant oblitérer le réel, éliminer ce qui peut gangrener leurs illusions et en raturer cyniquement ce qui peut freiner leur course irresponsable et mégalomane. Chacun d’eux est labellisé par un détail ou une marque (comme on le trouve déjà dans A Girl in Every Port) : la cicatrice sur la joue gauche de Camonte ou la pièce dans la main de Rinaldo. Ces estampillages et ces tics sont les prolongements visuels de leur état d’âme. Par ailleurs, ces invalides sociaux habillent de cruauté leurs infantilismes et les inscrivent dans une froideur inhumaine ou des enfers freudiens. L’amour ne peut se concilier dans cette mécanique sans devenir un grain de sable gênant. En effet, les sentiments dissolvent le pouvoir de nos personnages : il n’est que de voir la jalousie de Lovo, la hargne possessive de Camonte ou la soumission aveugle de Rinaldo. Quand l’amour émerge, l’autodestruction se confond avec l’élimination tactique et, chaque fois qu’un personnage reconnaît son désir d’aimer, il traverse les apparences et se découvre dans une réalité sans issue. Aucun couple de Scarface (et ils sont nombreux) n’échappera ainsi à une conclusion tragique.
Un autre aspect majeur de Scarface, au-delà de cette dominante, est sa construction en une suite de tableaux illustrant, d’une part, une ascension individuelle par rejet d’obstacles humains et, d’autre part, une dégradation irréversible de celui qui agit, et ceci par la nature même de ses propres actes. Pour atteindre le pouvoir absolu qu’il convoite, Camonte ne peut que s’amputer de son entourage et il se perd ainsi. Sa mégalomanie sape littéralement l’organisation qui sécurisait son pouvoir et cette suprématie de l’ego s’avère être le symptôme d’une réalité plus générale. Dès le premier plan-séquence du film, en effet, on assiste à l’exécution du dirigeant d’un monde qui semblait bien établi. Cette société sera déséquilibrée par les actes d’une silhouette-ombre qui assassine en sifflant du Donizetti. L’ouverture nous permet donc d’assister à l’agonie d’un système et l’intrusion d’une nouvelle forme d’autocratie. Dans les scènes suivantes, ce meurtrier fantôme prend corps et visage, celui de Camonte, force issue du peuple, broyée entre ses aspirations romantiques et sa volonté forcenée de pragmatisme inhumain. Il représente ainsi une image, effarante, celle d’une illusion impossible et anarchiste.
On trouve également dans Scarface une utilisation massive de croix dans l’image. Elles annoncent ou concluent les exécutions quand elles n’ont pas un double usage en forme de parenthèses. Ce signe n’est jamais employé comme un système symbolique, une représentation qui aurait certainement été trop classique et que Hawks préfère occulter. Il est en réalité, l’élément nourricier d’une architecture où la fiction se durcit à l’intérieur d’un espace que pervertirait l’intrusion d’humanisme à caractère social. En fait chaque croix est le rouage d’un mécanisme d’ensemble dont Camonte se complaît à jouer méthodiquement et presque mathématiquement. Dans ce sens, il exulte devant la mitraillette, arme nouvelle et crépusculaire qui lui offre la possibilité d’accumuler rapidement un maximum de croix et d’accélérer ainsi le mouvement de cette machine qui doit le conduire à la toute puissance : celle d’organiser le monde selon sa volonté. Camonte désire se mettre en scène à l’intérieur de cet univers afin de mieux se préserver du réel. Il n’est pas créateur, bien au contraire. Sa passion est de détruire, passion qui le conduit à se bâtir en raturant. Pourtant, il connaît les artifices de la mise en scène. Au théâtre, il commente les effets spéciaux. Lorsqu’il veut démasquer Lovo, il fait soigneusement répéter leur rôle à chacun de ses comparses.
C’est alors que la machine, emportée par un surplus d’égocentrisme et de passion destructrice, s’emballe, s’enraye et l’emporte inexorablement car, fasciné par sa propre apparence, il confond la fiction qu’il s’invente avec la réalité qu’il vit. A tel point que son narcissisme va l’empêcher de jouir de son jeu. Le voilà prisonnier de l’image qu’il se donne de sa réussite : il pense que la rature peut cacher les cicatrices qui le brûlent, les masquant sans les cautériser véritablement. Ainsi elles continuent de le dévorer intérieurement, le laissant aux frontières de l’infantilisme. L’enseigne Le Monde est à vous, sur laquelle le film se clôt juste après la mort de Tony, n’est qu’une manifestation quelque peu parodique de son désir d’enfant. A ce stade de confusion, notre personnage ne connaît qu’un pouvoir illusoire. Il organise sa vie en surface selon les poncifs des médias en quête de romanesque. Il ne peut (ni ne veut) guérir de son impuissance chronique. Il se contente d’avoir un double sexuel : Rinaldo qu’il laisse d’ailleurs tuer à sa place dès le début de son ascension. Celui-ci est connoté comme un homme à femmes, un séducteur qui sait assumer ses désirs autant que ceux de ses partenaires. Pour cela, il est le complément idéal de la vierge sensuelle qu’incarne Cesca. En tuant Rinaldo, acte qui conduit d’ailleurs à sa propre mort (et à celle de l’objet de son désir), Tony Camonte détruit sa propre prolongation virile et se retrouve alors seul, en gamin têtu, qui sera ravi de trouver en sa sœur une nouvelle partenaire qui, à la fin du film, est la seule à accepter de continuer à jouer avec lui (et pour lui).
Rassuré par cette conséquente profusion de richesse dans le matériau même de son film, Hawks a ainsi le champ libre pour se livrer à diverses expérimentations. Chaque image de Scarface contient l’évidente contradiction de Camonte : il détruit et se détruit lui-même simultanément. Il fait du théâtre, voit du théâtre, avant de se métamorphoser finalement en objet théâtral et consumable. Pour désigner cet auto-cannibalisme acharné, le cinéaste utilise des plans bouclés. Le plus représentatif est celui de la tuerie de la Saint-Valentin, souvent montrée au cinéma mais rarement de manière aussi puissante qu’Hawks. La scène débute sur sept croix de bois, descend sur des ombres qu’on aligne contre un mur de garage. Puis des rafales de mitraillette crépitent, les ombres tombent et quittent le cadre tandis que la caméra remonte vers les sept croix de bois. Cette démarche est économe, ne travaillant que sur l’opaque et l’irréversible, mais se révèle diablement efficace. Le jeu de l’ombre, du « non-dit », du « off », de la profusion de signes récurrents, raturant ou oblitérant l’image, faisant de la bande sonore le prolongement d’une matière qui excède la fiction, permet à Howard Hawks d’accéder à une réalité ineffable et détournée vers l’abstraction. Scarface est ainsi un très bel exemple de cinéma moderne. La question de définir son genre est d’ailleurs matière à débat. Certains historiens le considèrent comme un drame et d’autres pensent que c’est une comédie déguisée en polar. Le mélange de tons est en fait permanent : même si les scènes de gunfights prennent la majorité du film, on trouve de nombreuses nuances (sérieux/comique, action/pause, drame personnel/drame social), marque au combien élégante de toutes les œuvres futures du cinéaste. La présence du personnage du secrétaire de Camonte, Angelo, nous donne ainsi de savoureux moments de comédies. Analphabète et illettré (il se présente comme le « sectaire » du truand), il est incapable de se servir d’un téléphone et d’assurer correctement ses fonctions, à l’image de la scène où Camonte, appelé pour un meurtre urgent, l’envoie au théâtre à sa place pour qu’il lui raconte la pièce. On trouve même des séquences de pur divertissement comme celle dans la chambre d’hôtel avec Guino et Cesca où cette dernière fait un petit numéro au piano.
Mais en réalité, ce portrait d’un barbare ne peut véritablement se rattacher à un genre précis. C’est un jeu mécanique de la mise en scène établie sur le postulat que s’impose le personnage central : devenir le maître du monde, ou plutôt : devenir le monde entier. De plus, le traitement adopté par Hawks favorise une impression générale de cynisme, comme si le film était une grande fête foraine, avec ses autos folles, ses casse-pipes et ses dancings. Mais tout cela aussi, c’est du cinéma, et une magistrale leçon de septième art. On peut d’ailleurs en faire la démonstration en choisissant uniquement trois plans-séquences. Tout d’abord, un des plus fameux plans-séquences existant, celui qui ouvre le film : il commence par un lampadaire cadré en plan fixe annonçant sobrement l’endroit où l’on se trouve puis la caméra entame un long travelling. Celui-ci nous permet par exemple d’apercevoir un laitier repartant au travail avant de traverser un mur de décors pour nous montrer le patron de la salle de fêtes. Ce dernier balaye les cotillons de la soirée jusqu’à ce qu’il tombe sur un soutien-gorge oublié. La caméra continue son chemin vers la droite et se fixe quelques instants afin de saisir la conversation entre Big Louis et ses deux acolytes qui ne tardent pas à s’en aller. Toujours de manière latérale, on suit Big Louis qui se dirige vers la cabine téléphonique tandis qu’en arrière-plan une silhouette ouvre une porte. La caméra décadre largement sur la droite et on voit maintenant distinctement la silhouette, projetée en ombre chinoise sur le mur. Menaçante, elle passe derrière un panneau transparent et se rapproche de plus en plus de Big Louis dont l’on devine le sort. Le gangster rebrousse chemin tandis que la caméra se décale cette fois-ci sur la gauche pour cadrer le corps, découvert quelques secondes plus tard par le patron qui retraverse la salle de fête pour fuir. En à peine plus de trois minutes, Hawks nous a montré tout ce qu’il y avait à savoir, ce qu’un réalisateur moyen aurait fait en six minutes. Plus tard dans le film, on trouve un plan très court (six secondes) qui doit résumer à peu près dix minutes d’action. Un calendrier allant d’octobre à août s’effeuille au fur et à mesure sous les coups de revolver, symbolisant ainsi les jours de la vie quotidienne rythmée par les règlements de compte. Le massacre de Gaffney dans un bowling se déroule aussi en un seul plan-séquence de quinze secondes. On voit le truand abattu par une rafale de mitraillette juste au moment où il s’apprêtait à lancer une boule. Cette dernière continue sa course et fait d’ailleurs un strike tandis qu’on entend une deuxième rafale en off. A ces trois séquences d’anthologie s’ajoute évidemment le massacre de la Saint-Valentin décrit plus haut dans cette chronique.
Il faut évidemment saluer la prestation des acteurs, sans lesquels le film ne serait sans doute pas ce qu’il est. Paul Muni adopte un jeu fort et violent, transmettant à son personnage un souffle démoniaque, psychédélique consolidant l’aspect instable de Tony Camonte, obnubilé par la violence, l’argent et le sexe. Il parvient parfois même à rendre ce caractère monstrueux profondément humain et pathétique. Dans le rôle de Guido, on retrouve George Raft dans ce qui est certainement son rôle le plus important, celui qui lui collera à la peau pendant toute sa carrière. A l’inverse de Muni, son jeu est ici totalement sobre et glacial, ce qui apporte un contraste bienvenu avec le personnage principal. Pour soutenir ces deux acteurs déjà exceptionnels, la frêle Ann Dvorak qui compose ici un personnage fascinant puisqu’elle sera l’instrument inconscient de la perte de son frère. Éprouvant un sentiment grandissant de frustration sexuelle suite aux nombreuses liaisons brisées par Tony, puis au comble de la fureur après le meurtre de Rinaldo, elle témoignera finalement d’un amour puissant pour son frère, en l’aidant à défendre son appartement assiégé. La question de l’inceste, toujours évoquée de manière ambiguë et voilée, ne sera jamais complètement affirmée, le cinéaste préférant probablement laisser aux spectateurs une interprétation libre.
Hawks raconte qu’à partir de Scarface, il veut créer de nouvelles stars, mais il omet d’évoquer le refus des studios de prêter leurs vedettes au producteur Howard Hughes. Dvorak est une ex-chorus girl de la MGM, prise sous contrat par Hawks qui l’utilise encore dans The Crowd Roars avant de l’abandonner à la Warner où elle tournera sous la direction, entre autres, de William Wellman, Mervyn LeRoy et George Cukor, sans néanmoins atteindre le statut de vedette. Muni, de son côté, avait été remarqué sur la scène d’un théâtre juif de New York et ne se serait pas facilement laissé convaincre de jouer le personnage qui lui vaudra sa gloire. Enfin, selon Hawks, il aurait repéré Gorge Raft dans la foule massée autour d’un ring de boxe et l’aurait fait débuter au cinéma, ce qui est faux puisqu’il était déjà apparu dans quatre films avant d’incarner Rinaldo qui fait de lui une star. Scarface achevé, la censure ne lui donne pas son visa d’exploitation et exige d’y adjoindre un prologue moralisateur, une séquence sociale chez le maire de la ville et une autre fin où Camone est pendu. Ces deux scènes, très didactiques présentent peu d’intérêt et il est nécessaire de visionner le film dans sa version originale pour l’apprécier comme il se doit. D’ailleurs, Hughes fit remonter sa production quelques mois après sa sortie, diffusant la version « Director’s Cut » à la presse et dans certains États.
Scarface n’est pas seulement la description d’une carrière criminelle, mais la mise en relief de la nostalgie du ludique de l’enfance. Et cela rejoindrait pertinemment la radioscopie d’une période trouble de l’Amérique moderne, écartelée, bousculée par sa violence intime, sa naïveté têtue et ses crises hystériques d’immaturité. Film qui peut se révéler bien plus riche qu’en apparence (on a parfois l'erreur de le centrer totalement autour de son personnage principal) Scarface demeure, aux côtés de L’Ennemi Public, Le Petit César et autres fleurons du film de gangster, une des plus belles réussites du genre, par la richesse de ses thématiques, la force de ses personnages magistralement interprétés et surtout une puissance et une énergie destructrices qui laissent le spectateur pétrifié et confus. Un chef d’œuvre essentiel autant à la carrière de son réalisateur qu’au cinéma dans son ensemble, qu’on ne doit manquer sous aucun prétexte.