Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

Geoffrey Carter a écrit :;)
Mon but est justement de faire découvrir ces films qui recèlent souvent de petites pépites.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Mon coup de cœur personnel sera pour A Girl in Every Port, un véritable régal.
J'annonce également que j'aimerais prendre exemple sur Jeremy Fox (avec son autorisation) pour rajouter des petites notes sur l'index, afin de constituer un « top » Hawks que je mettrais à jour à la fin de chaque décennie.
Pas besoin de demander mon autorisation :wink:
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

Merci quand même en tout cas ;)
Prochaine chronique sur Paid to Love ce week-end après un petit mot sur The Cradle Snatchers.
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Tommy Udo
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Tommy Udo »

Comme mes collègues classikiens, je suivrai ce topic avec intérêt.
Je connais très mal la carrière d'Howard Hawks. Ce sera l'occasion de combler de nombreuses lacunes^^
Merci Geoffrey ! :wink:

Sinon, je profite de l'occasion pour rappeler que le CDM devrait prochainement diffuser FAZIL :wink:
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

Tommy Udo a écrit : Sinon, je profite de l'occasion pour rappeler que le CDM devrait prochainement diffuser FAZIL :wink:
Sais-tu à quelle date ? Ce serait pour moi aussi l'occasion de le revoir avant de rédiger ma chronique étant donné que j'en aie un souvenir assez lointain.
Merci pour l'information en tout cas. :)
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Tommy Udo
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Tommy Udo »

Il n'y a pas encore de date précise. Ce sera dans le cycle "raretés". Peut-être après le cycle "Cinéma italien" (?) :wink:
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Watkinssien
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Watkinssien »

Merci pour ce topic, Geoffrey Carter ! :wink:
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Mother, I miss you :(
Geoffrey Carter
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Si nos Maris s'amusent

Message par Geoffrey Carter »

Si nos Maris s'amusent (The Cradle Snatchers) 1927

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Scénario : Sarah Y. Mason, d'après la pièce de Russell G. Medcraft et Norma Mitchell ; Photographie : L. William O'Connell ; Durée : 70 minutes pour une production Fox.

Interprétation : Louise Fazenda (Susan Martin), J. Farrell MacDonald (George Martin), Ethel Wales (Ethel Drake).

Fort du succès de sa première comédie, Hawks décide d'en tourner une deuxième, toujours sur les conseils de Wurtzel. Il adapte une pièce de Russell Medcraft et Norma Mitchell, dramaturges américains totalement oubliés de nos jours, mais conservant une certaine notoriété pour leur collaboration avec Ernst Lubitsch dans Ange (1937). Cette comédie à succès traite du mariage et de l'infidélité conjugale. Le rôle principal est confié à une comédienne américaine méconnue, Louise Fazenda, actrice ayant débuté à 14 ans et qui fut la vedette des comédies de Mack Sennett. Elle possède une carrière imposante, créditée de pas moins de 268 métrages (source IMDb). Quant à J. Farrell MacDonald, il est célèbre pour ses rôles dans les films muets de John Ford, et ses collaborations avec Preston Sturges et Frank Capra. Lui aussi possède une carrière extrêmement impressionnante (plus de 300 films).

Comme leurs maris ont une fâcheuse tendance à courir le jupon, trois femmes et amies décident de les en guérir. Pour cela, elles demandent à trois étudiants de faire semblant de les séduire et organisent un complot sous forme de farce. Mais les maris rentrent plutôt que prévu et les surprennent en train de parfaire leur mise en scène. Après d'orageuses confrontations, tout le monde se réconcilie.

Sur la durée initiale du film, seule une bobine de 45 minutes fut conservée, mais elle semble assez difficile d'accès aujourd'hui. Cependant, d'après certains archivistes, le film posséderait un rythme effréné et ultra-rapide, semblable à celui des comédies parlantes de Hawks. La pièce d'origine repose sur un principe très classique : manipuler une situation fabriquée pour lui donner un semblant de vérité. On retrouve le jeu de l'inversion déjà évoqué dans Fig Leaves : le fait réel (l'infidélité des maris) se répète pour se retourner complètement, la fiction et la réalité se rencontrent et s'opposent afin de s'harmoniser et se réconcilier, une sorte d'alchimie mécanique un peu comme en sciences. On peut supposer qu'Hawks ait su tirer le meilleur parti de ce système.
A noter que ce film fit l'objet d'un remake musical deux ans après, en 1929, intitulé Why Leave Home et réalisé par Raymond Cannon. Ce métrage est également présumé perdu.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:24, modifié 2 fois.
someone1600
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par someone1600 »

Très intéressant topic ! :-)
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Supfiction
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Supfiction »

Je m'abonne au topic.
Geoffrey Carter
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Prince sans amour

Message par Geoffrey Carter »

Prince sans amour (Paid to Love) 1927

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Scénario : William M. Conselman et Seton I. Miller, d'après un sujet original d’Harry Carr ; Photographie : L. William O'Connell ; Durée : 76 minutes pour une production Fox.

Interprétation : George O’Brien (Le prince), J. Farrell MacDonald (George Martin), Virginia Valli (Dolorès) , J. Farrell MacDonald (Peter Roberts).

Désormais, Hawks est considéré comme un homme habile dans la comédie. On lui impose donc la réalisation de ce film, Paid to Love, dont les rôles principaux sont interprétés par George O’Brien et Virginia Valli. Le premier, déjà vu dans Fig Leaves, est connu pour sa collaboration avec John Ford (11 films, de 1924 à 1964), et surtout pour sa sublime interprétation aux côtés de Janet Gaynor dans L’Aurore de Murnau. Virginia Valli, quant à elle (à ne pas confondre avec son homonyme Alida), possède une carrière prolifique dans le muet, et a joué dans le premier film d’Alfred Hitchcock (The Pleasure Garden, 1925).
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Le roi d’un état imaginaire de l’Europe centrale désire conclure un accord financier essentiel pour son pays avec un homme d’affaires américain. Celui-ci impose que le prince héritier se marie ; or ce dernier est plus attiré par la mécanique des voitures que par les jeunes femmes… Le banquier et le souverain décident de se rendre à Paris, espérant trouver une beauté qui puisse éveiller le prince. Dans un café de Montmartre, ils rencontrent une jeune comédienne, Dolorès, qui simule des meurtres pour berner les touristes. Ils l’engagent, mais un fâcheux quiproquo va venir contrarier leur plan…

Ce sujet, peu passionnant, semble ne pas intéresser Hawks qui profite de cette œuvre de commande pour réaliser de nombreuses expérimentations. L’influence de Murnau et plus spécialement de L’Aurore, tourné peu de temps avant, se ressent beaucoup : on retrouve ainsi une scène, où Dolorès erre dans la campagne, quasiment calquée sur les images du cinéaste Allemand. Cette séquence mise à part, on peut également repérer l’éternelle influence de Lubitsch, et plus étonnamment, celle d’Erich Von Stroheim.

Malgré un scénario convenu du début à la fin, une écriture parfois maladroite et une exubérance forcée chez certains personnages, le film contient de belles idées. Un long panoramique sur des vêtements et des sous-vêtements féminins, nous conduit vers Virginia Valli, nue et inconsciente sous les draps. Les objets que l’on aperçoit à côté sont très symboliques : un collier de perles brisé (déchirement amoureux), un poignard (défenseur de virginité). Tout cela représente une mise à nu, un refus absolu de se masquer sous des apparences trompeuses. Le principal atout du film réside cependant en un portrait de femme riche et passionnant. Dolorès ne se laisse pas tromper par les hommes, manipulateurs et égoïstes, et déstabilise leur machisme et leur virilité. Lorsqu’un séducteur tente de l’approcher, il se voit repousser par le poignard, qui la préserve de toute forme de viol. Énergique et d’allure peu féminine (cheveux courts), Dolorès est une personne qui refuse de se soumettre. En revanche, lorsqu’elle se trouve avec celui qu’elle aime, elle reprend sa part de féminité, se laisse prendre et briser (déchirement symbolisé par le collier de perles) en provoquant le désir et l’appétit sexuel de son amant. Les éternels archétypes d’Hawks sont déjà présents ; ainsi Dolorès est une femme libre, lucide et décidée à agir comme elle l’entend. Son talent d’actrice, trompe les « vieux » (le financier et le banquier), qui ont déjà des handicaps bien trop visibles : le roi est en difficulté financière, il a besoin du banquier qui lui, n’a plus que son argent.

A travers ce film, le style d’Hawks est encore assez difficile à définir : il se laisse ainsi aller ainsi à des écarts parfois encombrants. Cette œuvre expérimentale lui permet en tout cas de réaliser d’impressionnants mouvements de caméra, même si on a du mal à voir leur utilité dans le déroulement du long-métrage… Ces exubérances et exagérations de mise en scène sont rarement profitables à l’œuvre, lui transmettant une lourdeur parfois assez agaçante. Malgré ces imperfections, cette oeuvre de jeunesse possède tout de même quelques qualités remarquables, outre son riche portrait de femme : les deux personnages principaux, en étant au contact l’un avec l’autre, subissent des transformations et finissent par être à l’opposé de ce qu’ils étaient au début. La femme dépravée et vulgaire devient princesse tandis que le prince « intellectuel » découvre la sexualité. De plus, la frontière entre le théâtre et la vie est ici ténue : Hawks le souligne très bien, à travers une mise en abyme, puisque la profession de Dolorès n’est autre que comédienne. Paid to Love reste malgré tout un film bancal de bout en bout, avec un humour parfois très lourd et de mauvais goût. Mais il reste néanmoins intéressant à plus d’un point, notamment au niveau de la caractérisation de ses personnages, et mérite l’attention de tous les admirateurs du cinéaste.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:24, modifié 3 fois.
bruce randylan
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par bruce randylan »

Geoffrey Carter a écrit :Prince sans amour (Paid to Love) 1927
J'avais trouvé ce film assez exécrable pour tout dire. Comme tu le dis, le seul point notable était quelques plans assez brillants mais aussi très gratuits. Du coup, ça ne m'avait pas motivé à découvrir ses autres muets à la cinémathèque (à part Une fille dans chaque port pour Louise Brooks :oops: )
bruce randylan a écrit :Un prince sans amour ( 1927 )

Comédie du temps du muet et un formidable ennui !
C'est aussi originale et surprenant qu'un roman-photo de Girls ou Jeunes et jolies. C'est donc l'histoire d'un prince qui ne s'intéresse pas aux filles. Son père et un banquier lui envoient donc une française ( :o ) pour l'initier au joie de l'amour. Pas de bol, le prince et la fille tombe amoureux sans savoir qui ils sont tandis que le cousin du prince se fait passer pour lui afin de profiter des charmes de la française... Bref, les 75 minutes paraissent bien longue malgré une technique à la hauteur ( quelques travelling virtuoses, photo parfois somptueuse ) mais ça ne sauve jamais l'humour bien lourd du film à l'image de cette métaphore peu subtil où le cousin tripote une banane en regardant la française se déshabiller. On est bien loin de Lubitsch :cry:

Quelques seconds rôles parviennent à nous faire esquiver quelques sourires mais c'est vraiment très peu.
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feb
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par feb »

Geoffrey Carter a écrit :Sa Majesté la femme (Fig Leave) 1926
bruce randylan a écrit :J'avais trouvé ce film assez exécrable pour tout dire.(...) Du coup, ça ne m'avait pas motivé à découvrir ses autres muets à la cinémathèque (à part Une fille dans chaque port pour Louise Brooks :oops: )
Je quote en remplaçant Paid to Love par Fig Leaves car j'ai eu le même sentiment que bruce en découvrant le film. C'est long, anodin, très faible dans l'écriture et vraiment "gentillet" pour rester poli et ça ne m'a pas donné envie de continuer surtout si Paid to Love est lui aussi très mauvais.
On va se contenter d'Une fille dans chaque port :oops:
Geoffrey Carter
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Re: Howard Hawks - Rétrospective personnelle

Message par Geoffrey Carter »

J'aurais tendance à être plus indulgent que vous mais effectivement, ces deux films ne sont pas follement originaux et intéressants. Considérons plutôt que Paid to Love est une oeuvre expérimentale qui mérite l'attention rien que pour voir l'évolution de Hawks à ses débuts. Quant à Fig Leaves, j'avoue que j'y suis assez attaché et qu'il m'amuse par son style si particulier sans être un film extraordinaire. Je dirais que ce qu'il faut vraiment retenir de la période muette est A Girl in Every Port. C'est l'oeuvre la plus complète et la plus intéressante de ces débuts.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 avr. 14, 14:03, modifié 2 fois.
Geoffrey Carter
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L'Insoumise

Message par Geoffrey Carter »

L'Insoumise (Fazil) 1927

Image
Scénario : Seton I. Miller, d'après la pièce de Pierre Frondaie, adaptée par Philip Klein ; Photographie : L. William O'Connell ; Décors : William S. Darling ; Montage : Ralph Dixon ; Durée : 80 minutes pour une production Fox.

Interprétation : Charles Farrell (prince Fazil), Greta Nissen (Fabienne), John Boles (John Clavering).

Le cinquième film d'Howard Hawks est adapté d'une pièce de Pierre Frondaie, L'Insoumise (représentée pour la première fois le 3 octobre 1922). L'écrivain français (1884 - 1948) s'est illustré par ailleurs dans la poésie et a également publié plus d'une vingtaine de romans. Le film se contente de reprendre la trame de la pièce : Fazil, prince arabe, épouse une Parisienne qui ne s'adapte pas au mode de vie du monarque. Après s'être heurtée à lui, elle chasse ses concubines. Alors, Fazil l'empoisonne... Ils finiront par mourir dans le désert. Le rôle principale est confié au comédien Charles Farrell, star des superbes mélodrames muets de Frank Borzage. Ici, il n'est absolument pas crédible en prince arabe, et a plutôt tendance à faire sourire le spectateur, tellement son rôle est inintéressant et indigent. Quant à Greta Nissen, actrice et danseuse d'origine norvégienne, elle parvient à donner un tant soit peu de profondeur et de relief à son personnage de femme indépendante se révoltant contre la tyrannie des hommes, constituant ainsi un des rares atouts du film. Le scénario, en revanche, est totalement calamiteux et plat, accumulant les clichés et les invraisemblances, tout comme l'aspect sentimental du film qui aurait plutôt tendance à faire tire tellement il est ridicule et bâclé. Le film ayant été distribué tardivement, une bande-son fut ajoutée, constituée d'effets sonores, et un arrangement musical de S.L. Rothafel dirigée par Erno Rapee. Ce dernier est à l'image du film, c'est-à-dire d'une banalité et d'une médiocrité calamiteuses, consistant principalement en la répétition d'une chanson d'amour qui finira par vous prendre la tête très rapidement. Enfin, la mise en scène d'Hawks est strictement professionnelle et, elle aussi, indigente. Ce ne sont pas quelques expérimentations, notamment quelques lourds mouvements de caméra, qui arriveront à relever le niveau de ce film de commande médiocre. Inutile donc de s'attarder dessus, et évitons ainsi de chagriner les quelques admirateurs de cette production que l'on peut croiser ici-même.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:26, modifié 2 fois.
Geoffrey Carter
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Une fille dans chaque port

Message par Geoffrey Carter »

Une fille dans chaque port (A Girl in Every Port) 1928

Image
Scénario : Seton I. Miller, James Kevin MacGuiness, d'après un sujet d’Howard Hawks ; Photographie : L. William O'Connell, Rudolph Berquist ; Durée : 64 minutes pour une production William Fox.

Interprétation : Victor McLagen (Spike), Robert Armstrong (Bill), Louise Brooks (Godiva).

Pour son sixième long-métrage, Howard Hawks parvient à imposer un scénario personnel au studio, dont voici la trame principale : Chaque fois qu’il fait escale, le marin Spike découvre que ses petites amies ont été séduites par Bill, autre marin qui a désormais pris l’habitude de tatouer une ancre dans un cœur sur chacune de ses conquêtes. Un jour, Spike rencontre Bill et la conversation tourne vite au vinaigre. Après s’être battus, ils se font arrêter par la police et deviennent finalement amis. Mais Spike tombe amoureux de Godiva, une artiste de foire. Il fait sa connaissance puis la présente à Bill, ignorant que celui-ci l’a déjà connue, comme l’atteste le tatouage qu’elle prend soin de dissimuler sous un gros bracelet… L’idée de départ est très classique, et les péripéties ne sont pas plus originales. Elle rappelle d’ailleurs fortement un film de Raoul Walsh, What Price Glory (1926), adapté d’une pièce de Maxwell Anderson et également interprété par Victor McLagen dans le rôle principal. Suite au succès du film, la Fox commanda deux suites, en 1929 et 1931, The Cock Eyed World et Women of all Nations, signées par le même réalisateur. Hawks assumait cette influence et affirme avoir voulu rendre hommage au film, qu’il admirait. La différence la plus notable entre ces deux productions est que le premier prend place dans un arrière-plan militaire, alors que celui de Hawks ne fait aucune allusion à la guerre, préférant situer son histoire dans un caractère civil. De plus, le réalisateur insiste ici beaucoup plus sur les liens d’amitié qui unissent les deux personnages principaux plutôt que les pulsions amoureuses du caractère de McLagen. On peut noter également plusieurs influences, plus ou moins surprenantes : Josef Von Sternberg (principalement au niveau des lumières et de l’éclairage), Ernst Lubitsch (encore et toujours) et Charlie Chaplin pour quelques gags. A noter que cette production fit l'objet d'un remake en 1931, intitulé Goldie et réalisé par Benjamin Stoloff.
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La mise en scène d’Hawks joue ici essentiellement sur des contradictions : alternance d’ombre et de lumière, du « secret » et du « montré », et tout s’y déroule dans une ambiance chargée par des jeux d’oblitérations ou d’élimination. Tout ceci retrouve son image dans le personnage de McLagen, Spike, qui supprime toujours une marque pour en intégrer une autre. En effet, il inscrit les noms de toutes les femmes qu’il a séduites sur un carnet, il les comptabilise comme il prévoit ses économies et ses préoccupations budgétaires quant à l’achat de bétail. Ce personnage tourmenté est obsédé à l’idée de s’installer sur la terre ferme et d’y fonder un foyer. Dès qu’il ne peut plus tirer plaisir d’une femme, il raye son nom du carnet ou arrache la page pour marquer un détachement complet de son univers. Mais lorsqu’il tombe vraiment amoureux, de Godiva, son carnet ne lui sert plus qu’à des précautions économiques.
Le cinéaste s’attache ici à structurer une marque, une sorte de « figure-signe ». Notre personnage principal chasse ainsi toutes les femmes qui portent une quelconque trace, soit un enfant (séquences tragi-comiques en Amérique et aux Pays-Bas) ou le signe récurrent laissé par Bill (soit le tatouage, soit des bijoux). Les rapports affectifs avec ce rival sont paraphés par cette marque à même la chair, sur le bras de Godiva. Ce tatouage représente l’appartenance forcée de Spike et Godiva à l’univers de Bill et a une signification précise : l’ancre cerclée d’un cœur est le sceau qui désigne sa puissance, mais il côtoie son doigt malade, sans cesse mis en difficulté lors des bagarres, et signe non dissimulé d’un handicap à sa virilité. Ici, toutes les parures sont d’ailleurs dérisoires : bijoux-témoins offerts par Bill, casques de policemen voyageant de tête en tête, chaussures cirées par soumission ravie, maillot de Godiva qui accentue ses délicieuses formes plus qu’elle ne les dissimule. Si ces marques indélébiles provoquent une aliénation, Spike devra marquer le visage de son ami d’une trace confuse et sanglante pour y effacer le spectre de ces ancres encerclées de cœurs. Alors, le masque devient anonyme et inutile. Les deux amis se réconcilient après que Bill aie eu le haut de sa joue déchirée en plaie, parée d’une cicatrice, la même que nous retrouverons chez les personnages de Scarface, El Dorado ou Rio Lobo. Si Bill est handicapé par son doigt fragile (comme le sera le personnage de The Big Sky), Spike l’est par son incapacité à nager, immense paradoxe pour un marin… L’eau tient par ailleurs un grand rôle dans A Girl in Every Port, et pas seulement grâce à la profession des personnages. Dès l’ouverture, on voit Spike naviguer au milieu de l’Océan Atlantique, et la première fois qu’il découvre la marque de Bill sur une femme, c’est aux Pays-Bas, alors qu’il flâne sur les rives d’un canal. Lors de la première rencontre avec son rival, il chutera lourdement dans la mer, et leur relation se concrétisera lorsqu’ils joindront leurs efforts afin de pousser un policier (symbolisant l’ordre terrestre) à l’eau. Enfin, Godiva éclaboussera Spike d’eau quand elle plongera au cours de son numéro à la foire. Aspergé, le marin se livrera totalement à la nageuse. L’eau isole les personnages dans leur condition professionnelle, et les unit les uns et les autres, mais malgré tout, son pouvoir reste limité, et elle ne parvient pas à effacer les traces profondes du passé.
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On s’aperçoit rapidement que les deux personnages principaux sont dépendants l’un de l’autre. En effet, Bill sait que Spike peut le défendre et lui redonner de la puissance en réajustant son doigt malade, quant à Spike il sait parfaitement que Bill a la capacité de nager et pourrait l’empêcher de se noyer. Leur amitié n’est pas désintéressée, ils se complètent l’un et l’autre. Ainsi, même si Godiva est tout d’abord présentée comme une garce, elle est aussi la punition logique au machisme des deux hommes qui ne considèrent la femme qu’en tant qu’objet de collection et de consommation (les meilleurs exemples étant le carnet de Spike et le tatouage de Bill qui fait penser aux marques qu’on laisse sur le bétail). Malgré l’accumulation des gags et des situations burlesques, on ne saurait éluder les touches critiques de Hawks, la situation de la femme ayant été déjà évoqué, moins astucieusement, dans Fig Leaves. Avec leur insistance à vouloir demeurer de grands enfants, Spike et Bill ne font que masquer leur solitude. Sans cesse, ils se mettent en scène dans un monde qui s’accorde à leur désir d’irresponsabilité. Inquiets d’un possible dérapage, ils se surveillent et s’interpellent sans cesse, créant ainsi un astucieux système de vases communicants. Bill veut impliquer Spike dans d’inutiles bagarres pour l’empêcher de devenir adulte. Même si Godiva n’avait rien été pour lui, il eût essayé de garder Spike pour lui seul. Cet entêtement infantile, coloré d’anarchisme, les oblige à vérifier leurs capacités physiques en corrigeant des hommes et en prenant des femmes.
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Un personnage également des plus intéressants, analytiquement parlant, est celui de Godiva. Elle possède d’abord un caractère courageux et téméraire, comme le prouve le périlleux saut de la mort qu’elle exécute. Contrairement aux deux gamins de marins, cette sirène nocturne est dotée du sens de la décision et l’art de la domination. Bien que son tatouage montre qu’elle a Bill « dans la chair », elle s’avère plus féline que soumise, et sa rapacité ne l’empêche pas d’être la seule adulte du film. Effectivement, elle défend son esprit des tentations de l’irresponsabilité, et reste le personnage le plus fort, s’opposant aux deux bagarreurs-nés, meurtris par leur nostalgie de l’enfance, handicapés par leur réalité d’hommes… Mais ce personnage ne serait pas rien de tout cela sans la formidable interprétation de Louise Brooks, toute en subtilité et en nuances, dans un rôle complexe à composer. Finalement, malgré quelques défauts, notamment son ancrage parfois gênant dans les références évoquées au début de cette analyse, A Girl in Every Port dégage un charme profond et certain, et possède de très nombreuses qualités. Il s’agit d’une œuvre charnière pour Howard Hawks, car on y retrouve des thèmes qui reviendront durant toute sa carrière.
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J'ajouterai que le film est édité dans une correcte édition DVD, malheureusement indisponible pour le moment. Une copie de piètre qualité est également disponible sur Youtube, les intertitres étant sous-titrés en espagnol.
Dernière modification par Geoffrey Carter le 21 août 14, 13:28, modifié 3 fois.
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