Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-1967

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Bullet for a Badman

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La Patrouille de la violence (Bullet for a Badman - 1964) de R.G. Springsteen
UNIVERSAL


Avec Audie Murphy, Darren McGavin, Ruta Lee, Skip Homeier
Scénario : Mary & William W. Willingham
Musique : Frank Skinner
Photographie : Joseph F. Biroc (Eastmancolor 1.78)
Un film produit par Gordon Kay pour la Universal


Sortie USA : 01 septembre 1964


Griffin, une petite ville du Texas où Logan Keliher (Audie Murphy), ancien Texas Ranger, coule désormais des jours paisibles en tant que fermier auprès de sa jeune femme Susan (Beverley Owen) et de son fils d’une dizaine d’années. Jusqu’au jour où il se trouve pris dans une fusillade qui a lieu alors que Sam Ward (Darren McGavin) cambriole la banque avec sa bande. Tous les membres de cette dernière sont décimés sauf son chef qui, blessé à l'épaule, arrive néanmoins à fuir avec le magot. Sam se réfugie chez Susan dont on apprend qu’elle fut son épouse avant qu’il ne devienne un criminel et soit conduit en prison. Avant de mal tourner, il fit également partie des Texas Rangers aux côtés de Logan. S’il a attaqué la banque de Griffin, c’était pour en profiter pour le tuer, jaloux de ce qu’il lui ait "pris" sa femme et son enfant. En s’enfuyant à nouveau après que Susan lui ait dit que c’était définitivement fini entre eux, il jure d’assassiner Logan. Sachant désormais ses jours en danger, ce dernier organise une milice pour le rattraper et l’empêcher définitivement de nuire. Seulement, tous les volontaires de la patrouille n’ont qu’une idée en tête : s’accaparer le butin, prêt à s’entretuer pour y arriver. Les Apaches belliqueux ne vont pas faciliter la tâche de Logan déjà bien compromise…

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Pour la décennie qui nous concerne ici, La Patrouille de la violence est déjà le sixième western interprété par Audie Murphy. Autant dire que même si les années 50 furent les plus prolifiques pour ‘le comédien au visage poupin’ (ce constat pouvant d’ailleurs également s’appliquer au western en général dont ce fut l’âge d’or), les suivantes ne laissèrent pas reprendre son souffle au 'plus grand héros de la Seconde Guerre Mondiale'. Contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, la qualité de ce corpus 60's demeura presque tout aussi honorable que le précédent malgré évidemment quelques petits ratés (Le Diable dans la peau - Hell Bent for Leather de George Sherman). Le western de R.G. Springsteen, malgré la faible réputation de son réalisateur et sans posséder les qualités de ceux signés par Harry Keller, s’en sort relativement bien même s’il demeure dans l’ensemble assez moyen. Springsteen allant être souvent associé au producteur A.C. Lyles durant ces années, il allait de soi que son nom au générique pouvait faire craindre le pire au regard de ces productions non seulement fauchées mais de plus extrêmement mauvaises. Les principales qualités de Bullet for a Badman pourraient alors provenir non seulement des magnifiques décors naturels mis à disposition de l’équipe de tournage mais également du roman à l’origine du scénario, écrit par Marvin H. Albert. Il fut déjà l'auteur du livre que John Sturges adaptera pour son psychologiquement très efficace Le Trésor du pendu (The Law and Jake Wade) ainsi que de ceux mettant en scène le détective le plus ‘cool’ de la littérature policière, le fameux Tony Rome que campera à l’écran avec une délicieuse désinvolture Frank Sinatra dans deux films au moins tout aussi réjouissants réalisés par Gordon Douglas.

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En effet, si le scénario n’a pas le temps en à peine 75 minutes de fouiller plus avant la psychologie de ses personnages, il bénéficie tout du moins des situations assez originales du roman qu’il adapte. Jugez plutôt ce postulat de départ qui aurait facilement pû faire de ce film un très émouvant western mélodramatique (à défaut de l’être, La patrouille de la violence se suit néanmoins sans trop d’ennui). Attention aux spoilers désormais ! Audie Murphy interprète un ancien Texas Ranger s’étant marié avec l’épouse d’un de ses ‘collègues’ après que celui-ci soit passé du mauvais côté de la loi au point de se faire appréhender et jeter en prison. Mère d’un petit garçon à l’époque, la jeune femme s’était retrouvée seule du jour au lendemain ; le brave Logan s’était alors senti dans l’obligation de prendre soin d’elle et de l’aider à élever son fils sans que celui-ci ne soit jamais mis au courant de l’existence de son véritable père. Quelques années étant passées, le vil Sam ayant réussi à s’évader, il va essayer de récupérer ceux qu’il pense encore lui appartenir, ayant décidé dans le même temps d’assassiner celui ayant pris sa place au sein de son foyer. La milice qui se constitue pour le poursuivre après qu’il ait cambriolé une banque ne sera composé (hormis l’angélique Audie Murphy) que de canailles bien plus préoccupées du butin provenant du hold-up que de l’homme à ramener. Ils sont tous prêts à s’entretuer pour s’accaparer l’argent alors que le petit groupe est acculé par des Apaches sur le sentier de la guerre… On imagine bien qu’avec tous ces éléments, les situations mélodramatiques développées, les énormes possibilités de séquences d'action, les retournements de situations et les motivations de chacun, le film aurait pu être grandiose, à la manière d’un film de Budd Boetticher ou d’Anthony Mann ! Comme nous le disions en début de paragraphe, il ne se révèlera cependant que plaisant ; mais c’est déjà ça de gagné !

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Car non seulement le couple de scénaristes, loin d’égaler les Burt Kennedy ou Borden Chase, n’a pas leur talent ni le temps d’approfondir les caractères ou les situations, mais l’interprétation s’avère très inégale. Si Audie Murphy est impeccable, tout aussi crédible en père de famille avec ses soucis ordinaires qu’en impitoyable tireur d’élite, Darren McGavin a du mal à nous convaincre dans la peau de ce salopard qui, dès la première séquence, afin de ne pas laisser de témoins, abat de sang froid celui qui leur avait fourni les plans de la banque. Tenant le rôle souvent dévolu à Dan Duryea, il ne lui arrive évidemment pas à la cheville, ce qui rend bancales les relations entre les deux ex-amis ayant chacun bifurqués vers des chemins différents voire totalement opposés. Ceci dit, la première séquence qui, à mi-film, nous rend le film enfin plus intéressant (les 40 premières minutes s’avérant assez laborieuses) est celle réunissant de nuit les deux hommes et nous permettant de comprendre les éléments de leur passé qui les ont amenés à cette inextricable situation. Dès ce moment, tout ce qui suivra, même si plus classique que ce qui a précédé, deviendra aussi bien meilleur, le spectateur ayant désormais toutes les cartes en main, ayant entre temps appris les captivants tenants et aboutissants de l’intrigue. Paradoxalement, McGavin arrivera à nous émouvoir lors de la très belle séquence de rédemption finale, plus convaincant en retrouvant un peu d’âme que dans son personnage de Bad Guy sans scrupules. Pour le reste du casting, si l’on est content de retrouver parmi les seconds rôles masculins ( même si sous-employés), les trognes de Alan Hale Jr, Edward Platt, Skip Homeier ou encore George Tobias en Old Timer d’un cynisme sans fond, les deux actrices laissent sacrément à désirer, que ce soit la terne Beverley Owen dans le rôle de l’épouse ou la pénible Ruta Lee, l’une des 7 femmes de Barberousse de Stanley Donen, totalement déplacée ici dans le rôle de la femme dévoyée allant essayer elle aussi de récupérer le magot.

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Malgré un sacré potentiel de départ avec notamment une intrigue pleine de bruit et de fureur, un western de série B à budget très restreint au final sans réelles surprises hormis donc celles octroyées par l’histoire originale ; un film qui se suit néanmoins avec un certain plaisir grâce à Audie Murphy et aux magnifiques décors naturels du Parc National de Zion situé dans le Sud-Ouest de l’Utah, superbement photographiés par Joseph F. Biroc. De la part du cinéaste (qui filma également pour le petit écran de nombreux épisodes de Au nom de la loi ou Gunsmoke), on est même étonné du rythme donné à certaines séquences d’action comme celle filmée à l’aide de superbes et longs travellings de la milice poursuivie à cheval par les indiens. Routinier, sans épaisseur ni ampleur, mais néanmoins suffisamment décent pour pouvoir satisfaire les aficionados du genre le temps d’un après midi pluvieux. A signaler enfin que l’efficace musique de Frank Skinner n’a pas été écrite spécialement pour le film mais qu’elle provient d’autres de ses précédents compositions à commencer par le très beau thème principal que l’on entend au générique.
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Jeremy Fox
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Cheyenne Autumn

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Les Cheyennes (Cheyenne Autumn - 1964) de John Ford
WARNER BROS


Avec Richard Widmark, Carroll Baker, Karl Malden, Sal Mineo
Scénario : James R. Webb
Musique : Alex North
Photographie : William H. Clothier (Technicolor 2.20)
Un film produit par Bernard Smith pour la Warner


Sortie USA : 03 octobre 1964

Captive dans une réserve de l'Oklahoma depuis quelques années, une tribu Cheyenne s'enfuit espérant retrouver la terre de ses ancêtres dans le Wyoming. Un périple de plusieurs milliers de kilomètres les attend, poursuivie par la Cavalerie des USA.

Dernier western de la longue et magnifique carrière de John Ford, Cheyenne Autumn n'est malheureusement pas selon moi une réussite ; il s'agirait même d'un 'beau sabordage' alors qu'évidement les intentions étaient plus que louables, rendre la fierté à la nation indienne au travers la description de l'enfer vécu par la la tribu des Cheyennes pour retrouver sa dignité. Hollywood, les grands auteurs et plus petits artisans du western, avaient néanmoins déjà et à de nombreuses reprises pris la défense des Natives, très souvent avec beaucoup plus de puissance que John Ford dans son film, Raoul Walsh, quelques semaines plus tôt, ayant frappé même plus fort en à peine un quart d'heure dans son excellent testament cinématographique (A Distant Trumpet). L'on sait également à quel point John Ford avait lui aussi payé son tribut aux Indiens et avec quel talent, et ce dès 1948 avec le sublime Fort Apache.

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Hormis la beauté plastique de ses images et de ses cadrages (si l'on veut bien baisser les yeux devant les hideuses transparences des dernières séquencess avec Edward G. Robinson, qui achèvent de rendre le film plus que bancal), Les Cheyennes m'a semblé être privé de vie faute avant tout à un scénario de James R. Webb patinant plus que de coutume, partant vers des digressions pas toujours très heureuses, ainsi qu'à un John Ford semblant ne plus avoir la foi ou alors être extrêmement fatigué. J'ai beau avoir lu quelques textes argumentés en sa faveur, l'épisode de Dodge City (avec James Stewart en Wyatt Earp) est même selon moi totalement indéfendable (et même pas drôle), venant définitivement casser un rythme déjà bien faiblard, un ton déjà bien sentencieux. Ce qui suivra ne sera guère plus captivant, devant supporter le cabotinage éhonté de Karl Malden et s'attrister de voir un Richard Widmark aussi transparent... Il faut bien avouer qu'aucun des comédiens, aussi célèbres et talentueux soient-ils, n'arrive à sortir du lot. L'interprétation est donc à l'image du film, assez terne et sans grande puissance ; je sauverais cependant Carroll Baker.

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On arrive au final à suivre le film sans trop d'ennuis en s'amusant à repérer à quels précédents films de Ford ressemble telle ou telle séquence (c'est d'ailleurs étonnant à quel point on reconnait la patte fordienne dans le choix de chacun des lieux, dans la manière de les filmer...) mais sans presque jamais vraiment être convaincu par ce qui se déroule sous nos yeux ; et pire encore... sans ressentir d'empathie pour les Cheyennes ! Mais j'arrête là ; à quelques exceptions, la filmographie de John Ford dans années 60 n'aura de toute manière pas du tout répondu à mes attentes, ne retrouvant plus rien de ce que j'aimais tant les années précédentes. Pour les amateurs du film, je les invite plutôt à aller relire la chronique signée Franck Viale sur le site
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par ballantrae »

Je suis malheureusement face au même constat: j'aurais aimé aimer ce film mais il n'est pas aisé à défendre au vu de ses défauts.
Pas un moment pénible (quoique, l'épisode de Dodge city est une caricature de la comédie selon Ford) mais à bout de souffle.
Le dernier GRAND western de Ford demeure à mon sens Liberty Valence qui permit d'oublier les ratés de Two rode together et Sergeant Rutledge qui ne sont pas exempts de vraies fulgurances.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par AtCloseRange »

ballantrae a écrit :Je suis malheureusement face au même constat: j'aurais aimé aimer ce film mais il n'est pas aisé à défendre au vu de ses défauts.
Pas un moment pénible (quoique, l'épisode de Dodge city est une caricature de la comédie selon Ford) mais à bout de souffle.
Le dernier GRAND western de Ford demeure à mon sens Liberty Valence qui permit d'oublier les ratés de Two rode together et Sergeant Rutledge qui ne sont pas exempts de vraies fulgurances.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

ballantrae a écrit : Le dernier GRAND western de Ford demeure à mon sens Liberty Valence qui permit d'oublier les ratés de Two rode together et Sergeant Rutledge qui ne sont pas exempts de vraies fulgurances.
De Ford dans les années 60, je sauve juste Sergeant Rutledge au contraire, évidemment le superbe Liberty Valance, ainsi que son ultime Frontière chinoise. Malgré ses défauts, j'arrive encore à supporter Les Cheyennes, ce qui n'est pas le cas ni de Deux cavaliers ni de La Taverne de l'irlandais qui me font vraiment de la peine.
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Rick Blaine
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Rick Blaine »

Je n'ai pas un souvenir si mauvais des Cheyennes. C'est un film malade, raté sur certains point, mais il y a de très belles choses qui font qu'il reste plutôt bon dans ma mémoire.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit :Je n'ai pas un souvenir si mauvais des Cheyennes. C'est un film malade, raté sur certains point, mais il y a de très belles choses qui font qu'il reste plutôt bon dans ma mémoire.
Mauvais, certes non. Le fait d'avoir fait ce "parcours" me fait constater qu'il est loin d'être aussi original et puissant qu'on a bien voulu le dire. Son plus gros problème est qu'il n'arrive jamais vraiment à décoller et à nous faire ressentir de l'empathie pour cette tribu en quelque sorte annihilée (ce qui est quand même un comble). En quelques séquences de pure évocation le Tomahawk de George Sherman (1951) était par exemple beaucoup plus fort. Ceci dit, je ne pense pas que ce soit un mauvais film ; plutôt un film qui a loupé le coche, le film d'un cinéaste essoufflé, ce dernier ne retrouvant presque jamais le génie de ses plus grandes œuvres hormis sur le plan plastique (mais quelle immense faute de goût que les transparences des dernières séquences qui auraient dues être le climax du film et qui en l'état retombent comme un soufflé).
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par ballantrae »

Je "sauve" aussi Sergent Rutldege malgré ses défauts.
Frontière chinoise est bizarre mais pas mauvais, comme un retour à l'apologue un peu intellectualisant des 30' type Lost patrol ou Le mouchard, veine mal aimée du grand cinéaste mais ô combien révélatrice de ses ambitions plus masquées, plus invisibles des grands films des 40'-50' ( je range dans la même catégorie Dieu est mort qui vieillit assez bien).
Cela fait bien longtemps que je n'ai vu Donovan's reef et j'en garde un souvenir assez vague.
Two rode together n'est pas très bien structuré et un peu fainéant amis possède quelques scènes mémorables dont le lynchage et la discussion devant la rivière (un peu survendue par la critique mais mémorable quand même).
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par ballantrae »

Oui Liberty Valance, of course!!!
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :
Rick Blaine a écrit :Je n'ai pas un souvenir si mauvais des Cheyennes. C'est un film malade, raté sur certains point, mais il y a de très belles choses qui font qu'il reste plutôt bon dans ma mémoire.
Mauvais, certes non. Le fait d'avoir fait ce "parcours" me fait constater qu'il est loin d'être aussi original et puissant qu'on a bien voulu le dire. Son plus gros problème est qu'il n'arrive jamais vraiment à décoller et à nous faire ressentir de l'empathie pour cette tribu en quelque sorte annihilée (ce qui est quand même un comble). En quelques séquences de pure évocation le Tomahawk de George Sherman (1951) était par exemple beaucoup plus fort. Ceci dit, je ne pense pas que ce soit un mauvais film ; plutôt un film qui a loupé le coche, le film d'un cinéaste essoufflé, ce dernier ne retrouvant presque jamais le génie de ses plus grandes œuvres hormis sur le plan plastique (mais quelle immense faute de goût que les transparences des dernières séquences qui auraient dues être le climax du film et qui en l'état retombent comme un soufflé).
Oui, je comprends ce que tu dis. Je pense que sur le fond je suis en fait assez d'accord avec toi. Mon souvenir est peut-être un peu meilleur car je ne l'ai pas vu avec le même parcours que toi.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par someone1600 »

Personnelement je l'aime bien Les cheyennes, mais il va s'en dire qu'il n'arrive pas à la cheville des grands chef d'oeuvres de John Ford dans le western.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

ballantrae a écrit : comme un retour à l'apologue un peu intellectualisant des 30' type Lost patrol ou Le mouchard, veine mal aimée du grand cinéaste mais ô combien révélatrice de ses ambitions plus masquées, plus invisibles des grands films des 40'-50' ( je range dans la même catégorie Dieu est mort qui vieillit assez bien).

3 Ford de la veine que je n'apprécie pas du tout non plus. :oops:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Geoffrey Carter »

Les limites du film se trouvent, à mon sens, dans la démarche de Ford qui consiste à incorporer deux approches dramatiques différentes là où il aurait sans doute eu intérêt à adopter un point de vue plus unifié. Certes, le cinéaste s'implique dans l'éloge des Indiens, en particulier en leur offrant tout son talent de composition visuelle, mais il a tendance à raconter l'histoire non pas du point de vue des Cheyennes mais de celui du capitaine Archer, dont la mission est de les ramener à la réserve. Comme le capitaine York dans Fort Apache, Archer, qui est aussi le narrateur du film, est un rebelle obéissant. Compatissant au sort des Indiens, mais contraint à suivre des consignes injustes, Archer s'oppose néanmoins à l'attitude inflexible représentée par le caricatural capitaine Wessels. Comme Ford, Wessels se considère comme un expert des Indiens mais il adhère à un code prussien de discipline militaire que le film souligne avec une insistance clairement destinée à évoquer les arguments utilisés par les accusés nazis aux procès de Nuremberg (filmés par l'unité Field Photo de Ford). Les Cheyennes ne peut sortir de cette impasse et arriver à un semblant de fin « heureuse » qu'en introduisant un deus ex machina, Carl Schurz, qui fait office de père sauveur. L'artificialité de cette consolation, rendue encore plus discutable, comme l'a souligné Jeremy, par les procédés médiocres de transparence utilisés lors de la séquence des pourparlers de Schurz avec les Cheyennes, ne fait que souligner le caractère essentiellement tragique de l'histoire des Indiens d'Amérique. Ford prend néanmoins le temps d'évoquer de manière émouvante son idole quand Schurz, s'adressant à une photographie d'Abraham Lincoln - que le cinéaste avait tirée de sa collection personnelle - lui demande : « Vieil ami, et vous, qu'auriez-vous fait ? » En jouant trop souvent de l'alternance entre le point de vue de la cavalerie et celui des Indiens, Ford ne parvient qu'à brouiller les thèmes et à réduire les possibilités d'identification (et donc d'empathie) avec les Blancs comme avec les Indiens.

Cette erreur de conception tient peut-être de l'incapacité de Ford à résoudre les contradictions de sa double culture, qu'il résumait ainsi : « Qui mieux qu'un Irlandais pourrait comprendre les Indiens, tout en étant ému par les histoires de la cavalerie ? Nous étions des deux côtés de l'épopée. » Compte tenu de cette perspective ethnocentrique, raconter l'histoire du point de vue de l'officier blanc était sans doute la méthode la plus honnête à adopter envers la communauté indienne, de même que dans Le Fleuve, Jean Renoir adopte le point de vue d'une famille anglaise vivant en Inde, conscient du fait qu'étant un outsider, il ne pouvait prétendre parler pour une communauté qui n'est pas la sienne. Les Cheyennes aborde l'histoire américaine de façon traditionnelle et subversive en même temps, ce qui contribue beaucoup à rendre le film à la fois fascinant et confus. Le désir des Cheyennes de retrouver leur patrie est, comme le retour en Irlande de Sean Thornton dans L'Homme tranquille, une fuite désespérée devant la réalité du présent. Ce qui fut une grande nation est réduit à un fragment dérisoire : à la fin, le jeune indien le plus énergique, Red Shirt, doit être tué par le chef parce qu'il menace la trêve permettant à la tribu de vivre en paix. Ford termine sur un retour nostalgique à la sérénité primitive mais nous savons qu'en termes fordiens un tel regard sur le passé, aussi intensément désiré qu'il puisse être, n'est qu'une illusion.

On peut regretter que les compromis commerciaux et les limites de Ford lui-même n'aient pu lui permettre de d'atteindre la conception originale et rigoureuse qu'il avait en tête (« une oeuvre d'art, mélancolique et poétique dans laquelle un cinéaste, soucieux de l'héritage qu'il laissera, médite sur la vieillesse, sur l'Amérique et sur le cinéma » pour citer Joseph McBride). Bourré de faiblesses dramatiques et diminué par le manque de relief des personnages d'Indiens, Les Cheyennes demeure néanmoins une oeuvre très poétique, visuellement splendide : dans des scènes comme le départ de la tribu au petit matin, l'enterrement du vieux chef, le massacre de Fort Robinson ou le transfert final du « paquet sacré » de Little Wolf à Dull Knife, ce sont des qualités plastiques que naît l'émotion. Filmées en Technicolor et en Super Panavision 70, les images ont souvent une profondeur presque tridimensionnelle, merveilleusement modelée par un mélange d'ombres et de lumières. Ford place les Indiens avec une maîtrise naturelle parmi les formations rocheuses de Monument Valley, ses compositions mélancoliques et tendres soulignant le rapport harmonieux entre les Indiens et le paysage qui contraste avec les irruptions de violences provoquées par la cavalerie. Mais contrairement à la La Prisonnière du Désert, dans lequel l'utilisation non réaliste de Monument Valley en souligne la qualité onirique, Les Cheyennes souffre de l'apparente circularité du voyage des Indiens. Leur périple à travers le territoire restreint de la vallée n'est que rarement interrompu par d'autres types de terrain, ce qui, en amoindrissant le caractère épique du film, renforce le statisme des compositions et la lourdeur du rythme délibérément répétitif adopté par Ford.

Les détracteurs du film s'accorderont probablement à dire que si le dernier western de Ford est un échec, c'est un échec honorable. Tourné alors que la « nouvelle frontière » de John F. Kennedy prenait fin, cette brève période d'optimisme prudent (et quelque peu illusoire) où l'Amérique pouvait encore se rêver comme une société éclairée et multiculturelle, Les Cheyennes évoque une sombre période de l'Histoire mais rêve de réconciliation raciale. Ford avait déjà filmé les Indiens de façon positive dans Fort Apache, dans Le Convoi des Braves ou même dans la séquence du massacre de la Washita River dans La Prisonnière du Désert. Néanmoins, le film prend le contre-pied d'une bonne partie des westerns de Ford. On est loin de La Chevauchée fantastique et du Cheval de Fer ou même de films tardifs comme Le Sergent Noir ou Les Deux Cavaliers. Les Cheyennes sont vus en termes typiquement fordiens comme une communauté civilisée s'efforçant de survivre dans la menace des crises intérieures, alors que fait rage le combat contre la source extérieure de chaos et de destruction : la cavalerie américaine.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Sans avoir le courage de reprendre tes arguments point par point, j'ai lu ton intervention, passionnante de bout en bout. Par contre je ne sais pas si ce sentiment de ratage (qui est purement subjectif) provient de ces différences de point de vue. D'ailleurs, il n'existe pas vraiment de point de vue indien, ou alors bien plus ténu. Mais concernant le manque d'empathie, je suis tout à fait d'accord ; d'où ma conclusion d'un film bancal et pas abouti, mon sentiment d'un Ford peu concerné contrairement à Fort Apache par exemple.

Comme autre faute de goût, hormis ces transparences typiques de la Warner concernant le genre, il y a le choix de certains acteurs pour camper les indiens. Sal Mineo par exemple, m'a semblé tout à fait ridicule, tout autant l'interprétation que l'écriture de son personnage. Tout ça mit bout à bout n'en fait effectivement pas un film déshonorant mais sacrément décevant ; d'où mon avis peut-être un peu trop négatif.

Que penses tu du segment Dodge City sinon ?
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Strum »

On peut rappeler que Ford avait en tête une fresque ambitieuse mettant en avant le point de vue indien, et il souhaitait notamment réserver les premiers rôles à ses amis indiens navajo de la réserve de Monument Valley. Mais la production a refusé que les premiers rôles indiens soient tenus par les navajos de Ford, et a imposé à Ford certains acteurs grimés en Navajo, et notamment Sal Mineo. On raconte que Ford a été particulièrement affreux avec Mineo durant le tournage pour se venger. Les contraintes imposées par la production ont également eu un impact défavorable sur le scénario (je partage l'avis de Geoffrey sur le conflit de points de vue). Le Ford et les indiens sorti récemment raconte tout cela. Ford voulait parler des indiens et pas de Dodge city, d'où son traitement cavalier de ce segment selon certains.

Dans l'ensemble, j'aime beaucoup les Ford des années 60 (je crois que c'est Jean Roy qui écrivait qu'ils révèlaient beaucoup de choses sur Ford et son cinéma), et malgré ses défauts, de construction et de ton, j'aime bien Les Cheyennes.
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