L'Homme de la Sierra (The Appaloosa - 1966) de Sidney J. Furie
UNIVERSAL
Avec Marlon Brando, Anjanette Comer, John Saxon, Emilio Fernandez
Scénario : James Bridges & Roland Kibbee d'après une histoire de Robert MacLeod
Musique : Frank Skinner
Photographie : Russell Metty (Technicolor 2.35)
Un film produit par Allan Miller pour la Universal
Sortie USA : 14 septembre 1966
1870. De retour de la Guerre Civile, fatigué de ce climat de violence et du sang qu’il a dû faire couler, Matt Fletcher (Marlon Brando) souhaite désormais se ranger et fonder un ranch, destinant son Appaloosa à devenir le premier d’une lignée de chevaux de race qu’il élèvera avec la famille de son ami Paco chez qui il vivait avant de partir se battre. Arrivé à la ville frontière d’Ojo Prieto, il se retrouve involontairement pris à partie par l’inquiétant chef de bande Chuy Medina (John Saxon) qui croit que Matt a tenté de poser la main sur sa ‘fiancée’ (Anjanette Comer). Cette dernière avait inventé ce mensonge afin que Chuy relâche son attention et qu’elle puisse enfin ‘s’évader’. Tentant de s’enfuir avec le cheval de Matt, elle est rattrapée par les pistoleros de Chuy ; afin de ne pas perdre la face, Chuy leur fait croire qu’elle ‘essayait’ le cheval ayant l’intention de le lui acheter si le test s'avérait concluant. Mais Matt refuse absolument de s’en séparer, ce qui vexe profondément le bandit mexicain. Peu de temps après, alors que Matt est arrivé chez ses amis auprès de qui il a décidé de s’installer définitivement, Chuy vient voler l’Appaloosa et humilie son propriétaire en le torturant et en le laissant presque pour mort. Matt n’a désormais qu’une idée en tête : récupérer son pur-sang…
The Appalosa (encore une fois nous préférerons n’utiliser au cours de ce texte que le titre original, bien plus représentatif, le cheval de race étant au plein centre de l’intrigue puisque tous les drames et motivations découleront de son existence) pourrait être un parfait exemple pour démontrer que l’exécrable réputation d’une œuvre ne devrait jamais nous empêcher d’aller jeter un œil par nous-mêmes, d’autant plus en l’occurrence lorsque l’on porte une admiration sans bornes à son comédien principal dont il s’agit ici du deuxième western. En 1961, Marlon Brando avait déjà abordé le genre à la fois devant et derrière la caméra ; c’était pour
La Vengeance aux deux visages (One-Eyed Jacks), western assez singulier pour l’époque et qui, s’il manquait quelque peu d’émotion et si la construction paraissait parfois chaotique n’en était pas moins une jolie réussite, un film ambitieux, mûri et fascinant sur une quête obsessionnelle de la vengeance qui devient l’unique raison de vivre pour son principal protagoniste. Ce très beau film complètement charcuté par les producteurs fut malheureusement un fiasco critique et financier.
Il en a été de même pour
The Appaloosa, le film n’ayant eu que peu de soutien journalistique si ce n’est aux Etats-Unis celui non négligeable de Pauline Kael. Le western italien n’ayant à cette époque pas encore traversé l’Atlantique, le style du réalisateur canadien Sidney J. Furie a probablement dû déstabiliser les spectateurs puisqu’il s’inspirait effectivement grandement de celui de cinéastes comme Sergio Leone. Rythme lent et hiératique, cadrages bizarroïdes ou biscornus, placement millimétré des personnages dans le cadre, utilisation totalement nouvelle du format large avec amorces incongrues de visages, animaux ou objets en très gros plan, photographie excessivement contrastée surtout en extérieurs nuit avec ce bleu intense des cieux nocturnes, violence exacerbée des comportements, visages en sueur et grimaçants, vêtements et décors poussiéreux… Comme pour son précédent film -la première aventure d’espionnage du personnage d’Harry Palmer génialement campé par Michael Caine, l’insolite
Ipcress danger immédiat (Ipcress File)-, ce western sera très mal reçu en France, la plupart parlant de pénible maniérisme et revenant sans cesse sur cette filiation honteuse avec le ‘western spaghetti’ qui –et sa dénomination le démontrait- était lui aussi était très loin d’avoir bonne presse à l’époque. Si la vapeur s’est renversée concernant les débuts de Leone et le premier Harry Palmer,
The Appaloosa n’a pas encore été réévalué à l’orée de ce qui s’est fait entre temps dans le genre.
Et c’est bien dommage car si le film de Sidney J. Furie fait effectivement penser sur la forme aux westerns italiens du début des années 60, il n'en est rien sur le fond, ne possédant ni leur cynisme ni leur violence morale, s’avérant être au contraire un western extrêmement touchant avec pour personnages principaux des laissés-pour-compte ayant soufferts dans leur jeunesse, et se concluant même en un happy-end inattendu. Le scénario épuré de James Bridges & Roland Kibbee (
Vera Cruz), avec sa ligne directrice d’une limpide clarté, se révèle d’une simplicité enfantine. Un homme, écœuré par la guerre, revient chez lui avec pour but de fonder un élevage de chevaux à partir de son pur-sang. Malencontreusement, à cause d’une femme dont il tombera plus tard amoureux, il sera confronté sans l’avoir voulu à un bandit mexicain tenant la région sous sa coupe et qui lui subtilisera son cheval Appaloosa. L’homme n’aura de cesse d’essayer de le récupérer, sans au départ avoir aucunement dans l’idée de tuer ses adversaires malgré la brutalité de ces derniers. Il devra finalement en passer par là mais non par pure vengeance, plutôt pour une question de survie. La jeune femme par qui son malheur arrive fut vendu dans sa jeunesse par ses parents au redoutable hors-la-loi ; et c’est en voulant fuir son ‘maître’ et amant qu’elle déclenchera la haine que vouera le bandit mexicain au yankee. L’itinéraire de ces deux exclus se rejoindra pour se souder après le tendu mais lumineux climax final se déroulant au milieu du blanc immaculé d’un superbe paysage de neige. Le couple ainsi constitué pourra commencer une nouvelle vie de paix et de tranquillité.
Atypique mélange de violence assez sadique et d’une mélancolie empreinte d’une grande douceur comme l’était déjà
La Vengeance aux deux visages, le film de Furie est également déroutant pour son rythme inhabituellement lent, ses longues plages de silence et sa mise en scène très formaliste alors que l’histoire et les différents éléments scénaristiques le font donc quand même pas mal s’éloigner des westerns italiens. L’interprétation de Marlon Brando participe également de cette étrangeté/originalité. Certains détracteurs du comédien aimant à dire qu’il n’avait accepté de faire le film que dans le but de pouvoir payer les pensions alimentaires de ses deux ex-épouses, ayant probablement pris connaissance comme quoi en plus il s’était très mal entendu avec son réalisateur sur le tournage, diront qu’il a fait le strict minimum, se contentant de marmonner et de montrer son ennui et son manque total de motivation à l’écran. Et pourtant, Brando fait ici… du Brando ; c'est-à-dire un mélange unique (et pour ma part tout simplement génial), paradoxal et parfaitement contrôlé d’underplaying et de cabotinage. Ici, dès qu’il émet une ligne de dialogues, nous sommes collés à ses lèvres, chacun de ses gestes ou froncements de sourcils en disent long sur ses sentiments. Son personnage d’homme revenu de tout, n’aspirant désormais qu’à la tranquillité et déterminé à tout pour y arriver s’avère fortement émouvant. Son cheval étant en quelque sorte un symbole d’espoir en la possibilité d’une nouvelle vie à laquelle il rêve, il est évident qu’il fera tout pour le récupérer quitte à en passer une fois de plus par la violence lorsque son vieil ami fera les frais de sa décision et de sa mise en œuvre. Touchantes aussi les relations qu’il entretient avec son hôte et sa famille (a-t-il eu autrefois une histoire avec la femme de Paco comme John Wayne dans
The Searchers ?), avec le vieil homme qui le recueille et le soigne, et surtout avec la ‘fiancée’ de son ennemi, la magnifique Anjanette Comer qui sera plus connu dans nos contrées l’année suivante pour son rôle très ressemblant dans
La Bataille de San Sebastian d’Henri Verneuil où elle avait pour partenaire Anthony Quinn.
Pour faire face à Brando et contraster avec l’interprétation toute en intériorité de ce dernier, les auteurs ont eu la bonne idée de faire appel à John Saxon qui nous offre ici une prestation bien plus extravertie et presque tout aussi mémorable dans la peau du rancher cruel et sadique. Le duo qu’ils forment est haut en couleurs et leurs intenses séquences de confrontation toutes puissamment captivantes jusqu’à ce final abrupt et expéditif mais finalement très réaliste et crédible ; une dernière séquence qui se déroule dans des paysages neigeux alors que jusque là nous nous déplacions dans des contrées désertiques, sèches ou poussiéreuses. A noter d’ailleurs un choix de décors naturels absolument remarquables que Russell Metty photographie avec un extraordinaire talent, de très nombreux plans se révélant oh combien somptueux ! La bande originale signée Frank Skinner, composée pour une part de rythmes traditionnels mexicains, n’est pas en reste. On appréciera un peu moins l’exagération (devenue un véritable cliché du western) sur les visages ricanants des bandits mexicains, l’interprétation outrée de Emilio Fernandez (futur inquiétant Mapache dans l’un des chefs-d’œuvre de Peckinpah,
The Wild Bunch – La Horde sauvage) et quelques idées de cadrages effectivement un peu gratuites et maniérées… éléments cependant absolument pas rédhibitoires, n’empêchant aucunement la tension et l’immersion du spectateur au sein de cette jolie histoire d’amour, de rédemption et de retour aux sources.
Un western à mon avis injustement boudé et méprisé, critiqué un peu exagérément pour son aspect ampoulé et son influence transalpine alors que, si cette dernière est bel et bien présente, elle est très astucieusement transposée dans le western classique sans que cette mixture assez novatrice ne soit 'inharmonieuse'. Ne révolutionnant en rien le genre, probablement pas non plus un sommet du western mais, grâce surtout au jeu déstabilisant de Brando et une puissante identité visuelle, une curieuse et humble réussite à la mise en scène légèrement décalée, à la trame narrative d’une grande clarté et au ton doux/baroque assez unique. A découvrir ou redécouvrir en oubliant sa réputation bien trop sévère.