Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-1967

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Invitation to a Gunfighter

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Le Mercenaire de minuit (Invitation to a Gunfighter - 1964) de Richard Wilson
UNITED ARTISTS


Avec Yul Brynner, Janice Rule, George Segal, Alfred Ryder
Scénario : Elizabeth & Richard Wilson
Musique : David Raksin
Photographie : Joseph MacDonald (DeLuxe 1.66)
Un film produit par Richard Wilson pour la United Artists


Sortie USA : 14 octobre 1964


Nouveau Mexique à la fin de la Guerre de Sécession en 1865. Le Soldat Confédéré Matt Weaver (George Segal) revient à Pecos, son village natal. C’est malheureusement pour trouver sa ferme vendue et son épouse Ruth (Janice Rule) mariée au nouveau propriétaire. C’est le notable Sam Brewter (Pat Hingle) qui est à l’origine de ces ‘transactions fallacieuses’ et c’est vers la demeure de ce puissant homme d’affaires que se dirige un Matt très en colère. Brewter arrive à mettre Matt hors d’état de nuire après que ce dernier ait tué le nouveau propriétaire de ses terres en état de légitime défense. Mais, de peur que Matt ne refasse une tentative pour récupérer ses biens et attenter à sa vie, Brewster engage un tueur à gages pour s’en débarrasser, Jules Gaspard d’Estaing (Yul Brynner). Cet homme taciturne et mystérieux est un élégant créole chauve qui joue aussi bien aux cartes et au clavecin qu’avec son revolver. Cet as de la gâchette va vite se trouver être plus encombrant qu’efficace ; en effet, il s’est pris de pitié pour celui qu’on lui demande de tuer alors qu’au contraire sa haine ne cesse de grandir à l’encontre de ses employeurs et des autres habitants de la petite ville qui s’avèrent tous plus ou moins corrompus, veules ou racistes. De plus, le mercenaire tombe sous le charme de l’ex-fiancée de Matt…

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Deuxième et dernier western pour Richard Wilson qui fut, avant de passer derrière la caméra, aux côtés d’Orson Welles, régisseur du fameux Mercury Theatre, acteur radiophonique notamment dans la fameuse adaptation de La Guerre des mondes, et enfin, producteur délégué sur deux de ses films, La Dame de Shanghaï et Macbeth. Son premier essai dans le genre, L’homme au fusil (Man with a Gun) avec Robert Mitchum, relatait la traditionnelle histoire d’un tireur d’élite dont les services sont loués par les notables d’une petite ville afin de pacifier leur bourgade. Avec de faibles moyens, sans fioritures, ce western austère et très sombre n’en oubliait cependant pas l’humour et se faisait remarquer par un réalisme assez minutieux ainsi que par une psychologie des personnages assez poussée. Un western dépouillé et assez froid mais aussi une très belle réussite. Reprenant en gros le même thème avec les mêmes conséquences (le Gunfighter finissant par être plus encombrant que protecteur), Le Mercenaire de minuit ne lui arrive malheureusement pas à la cheville, pas plus qu’à celle de ses prestigieux prédécesseurs tels L’Homme aux colts d’or (Warlock) de Edward Dmytryk ou Une Balle signée X (No Name on the Bullet) de Jack Arnold dans lesquels successivement Henry Fonda et Audie Murphy faisaient merveille. Et pourtant les motivations du tueur à gages interprété par Yul Brynner étaient encore plus honorables que celles de Blaisdell et John Gant ainsi que de son plus célèbre successeur, le mystérieux étranger joué par Clint Eastwood dans High Plains Drifter (L’Homme des Hautes Plaines) : l’antiracisme et l’anti-esclavagisme.

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En effet, il est bien connu que les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films ; Le Mercenaire de minuit en est un nouvel exemple. Cette sensation de ratage est pressentie dès la première séquence se déroulant en même temps que le générique. Où l’on voit la porte d’une diligence en mouvement s’ouvrir, Yul Brynner se prenant pour Burt Lancaster et, sourire Colgate bien en place, effectuant une acrobatie pour se retrouver à côté du conducteur. Pour un film au ton léger, ça aurait pu le faire ; mais celui de Richard Wilson se prenant énormément au sérieux, cette scène rend d’emblée le film bancal et sa volonté de gravité caduque d’autant que le tueur à gages interprété par Yul Brynner est censé nous sembler menaçant. Nous ne le verrons d’ailleurs plus avant un bon quart d’heure, le scénario des époux Wilson nous faisant alors suivre l’autre personnage important que joue un tout jeune George Segal. De retour de la Guerre de Sécession, il arrive de nuit à sa propriété où il est reçu par le nouvel occupant des lieux, non moins que son rival en amour qui lui a non seulement pris sa maison mais également sa fiancée. Malheureusement, la tension n’est pas au maximum à cause d’une direction d’acteurs très lâche -aucun des comédiens ne s’avérant convaincant, certains cabotinant assez mal, les autres à l’inverse se révélant totalement fadasse (Janice Rule)- ainsi que de décors minimalistes et d’une photographie anti-réaliste au possible qui ne cadrent guère avec les intentions des auteurs. Faute à un manque total de rigueur dans le scénario, nous avons également beaucoup de mal à comprendre les motivations des uns et des autres. Certes les thématiques abordées ainsi que le squelette de l’intrigue sont très intéressants (même si guère nouveaux), ce qui n’empêche pas l’ensemble d’être non seulement peu concluant mais également guère captivant malgré quelques éléments cocasses ou étranges qui font que le film pourra néanmoins se suivre sans trop d’ennui.

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Ces éléments, ce sont avant tout la personnalité et l’accoutrement raffiné du personnage principal, le fameux mercenaire de minuit selon les distributeurs français. Pourquoi ce titre ? Probablement puisqu’il s’agissait du deuxième western de Yul Brynner et pour rappeler son plus gros succès au cinéma dans Les Sept mercenaires. Car excepté sa tenue vestimentaire qui rappelle beaucoup celle de Chris dans le film de John Sturges (tout de noir vêtu), Jules n’est ni un mercenaire ni n’opère spécialement à minuit. Sous sa veste noire, des chemises de soie à jabot ; son nom, Jules Gaspard D’Estaing qu’il prend un malin plaisir à faire en sorte qu’il soit prononcé correctement ; son hobby, le clavecin, arrivant même de s’accompagner lui-même en chantant ; sa conscience, torturée par un passé violent et un père qu’il méprisait de par sa situation d’esclave ; son aspect inhumain et de prime abord méprisant et cynique… Autant dire un protagoniste de western pas banal. Seulement, malgré son charisme naturel dû à son maintien, son élégance féline, son regard d’acier et son crane rasé, Yul Brynner, comme d’ailleurs tous ses partenaires dans le film, n’est pas très bon dans ce western ; lors de ses grandes tirades antiracistes (SPOILER il est devenu tueur à gages plus pour se venger des blancs que pour le salaire que ça lui procure FIN DU SPOILER), toujours aussi hiératique, il n’est guère convaincant. Pas plus que lorsque son personnage, sous l’emprise de l’alcool et d’une colère qu’il ne peut plus réfréner, se met 10 minutes durant à saccager la ville. La séquence qui semblait devoir représenter le climax du film, finit au contraire de le rendre raté. On a du mal à comprendre comment, seul contre tous, avec pour toutes armes des barreaux de chaises entre les mains et bien aviné, il arrive à détruire la moitié des devantures sous le regard médusé des habitants qui ne bougent pas le petit doigt. La scène s’éternise sans que la tension ne monte, le ridicule de la situation nous semblant alors gênante pour les interprètes. Ce qui s’ensuit, l’humiliation du Bad Guy, s’avère tout aussi embarrassant, plus grotesque que réellement puissant comme les auteurs paraissaient l’avoir voulu ; on croirait voir un instituteur taper sur les doigts d'un élève.

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Tout ceci est d’autant plus dommageable que, comme nous le disions déjà précédemment, les intentions du couple de scénariste étaient tout à fait honorables. [Autres nombreux spoilers en vue tout au long de ce dernier paragraphe] Voir le tueur se mettre à douter de sa mission, se posant des problèmes de conscience par le fait d'avoir été embauché pour éliminer le seul habitant de la ville qui semble intègre, le seul à défendre ses droits légitimes ; constater paradoxalement que le seul citoyen à être tolérant envers les mexicains repoussés de l’autre côté du pont qui coupe la ville en deux, le seul à être anti-esclavagiste… n’est autre que le seul à avoir combattu pour les Sudistes (sic ! là c'est un peu gros) ; voir le tueur retourner la situation en contrant ses employeurs corrompus par l’argent et leurs préjugés, finissant par prendre fait et cause pour son ‘contrat’… tout ceci était loin d'être inintéressant même si au final guère crédible. Le message que veulent faire passer les auteurs a traversé trop de situations invraisemblables pour arriver à convaincre. Et ce n’est pas la mise en scène souvent chichiteuse de Richard Wilson qui arrange l’affaire. Reste néanmoins assez de situations et d’éléments inattendus, la curiosité de voir que la maison du Bad Guy n’est autre que celle, célèbre, qu’habitait Norman Bates dans Psychose, un Pat Hingle convaincant dans la peau du méchant de service et une belle réussite musicale signée David Raskin pour rattraper l’ensemble. Un western en fin de compte assez médiocre et d’autant plus oubliable qu’il eut des précurseurs bien plus prestigieux et intrigants. Dommage pour ce Gunfighter torturé, élégant, froid et hautain qui aurait mérité plus de rigueur dans l’écriture afin d’être plus fascinant et mystérieux ; à l’image du film que ça aurait également pût être !
Geoffrey Carter
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Geoffrey Carter »

Jeremy Fox a écrit : Que penses tu du segment Dodge City sinon ?
Je pense que cette séquence est un autre moyen pour Ford, deux ans après L'Homme qui tua Liberty Valance, de nous communiquer sa vision de plus en plus pessimiste de l'histoire américaine (les événements de l'époque ne faisaient d'ailleurs rien pour l'infirmer, quand on sait que l'assassinat de Kennedy intervint pendant le tournage du film). Non content de brocarder l'hystérie raciste de la frontière dans ce segment burlesque, il amorce la décadence terminale du western en une impitoyable parodie : le Wyatt Earp cynique incarné par James Stewart est un semi-retraité suffisant qui s'intéresse plus à sa partie de poker qu'à l'exercice de ses fonctions de marshal. Réduction jusqu'à l'absurde du Earp posé et plein d'autorité incarné par Fonda dans My Darling Clementine, il ridiculise la foule raciste de la ville en la conduisant dans la mauvaise direction à la poursuite d'Indiens dont la menace se révèle inexistante. Le mépris de Earp pour l'inconstance et l'incrédulité du public est partagé par le rédacteur en chef du New York Globe, qui déclare, quand il apprend la nouvelle de Dodge City : « Nous allons adopter un point de vue différent. Dorénavant nous compatirons avec le noble Indien. Ça fera vendre plus de journaux. » Si une grande partie des Cheyennes souffre d'un retour à la tradition excessivement rhétorique de Dudley Nichols, la séquence satirique de Dodge City s'impose, à mon sens, comme une autocritique.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Merci. Mais pour moi une parodie pas du tout drôle (comme c'est le cas ici) n'est pas un modèle de réussite. On va dire qu'il n'était pas forcément fait pour ça ; la même année, Walsh réussissait des séquences similaires beaucoup plus jubilatoires dans son dernier film.
Doc Boone
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Doc Boone »

Je ne voulais pas 'la ramener' une nouvelle fois, mais puisque d'autres viennent de s'exprimer sur le sujet ...

D'après ce que j'en sais -entre autres les bouquins de P. Bogdanovich, McBride & M. Wilmington, et un ou deux autres- Ford n'appréciait pas Mineo, qui en faisait trop au goût du vieux dur à cuire ; ce dernier trouvait en outre que Mineo avait un accent italo-new-yorkais qui ne collait 'pas vraiment' avec le rôle et lui réserva donc un minimum de scènes parlantes ; néanmoins, des scènes entre Red Shirt et sa mère Spanish Woman/Femme Espagnole (Dolores Del Rio) qui étoffaient les personnages, auraient été supprimées, seraient passées à la poubelle au montage, duquel Ford, morose et déçu, s'était désintéressé.
Le metteur en scène ne souhaitait pas davantage une jeune femme dans le rôle de l'institutrice, mais 'une vieille fille' qui n'aurait pas fait le voyage de retour jusqu'au bout, ne réussissant pas à supporter les conditions de l'exode. Carroll Baker lui fut imposée, de même, donc, que l'histoire d'amour entre elle et Archer (Widmark).
J'ai lu effectivement également à deux ou trois reprises -ne me fiant qu'à des livres pré-Internet (car depuis, des informations, même fausses, sont reprises de site en site -comme par exemple le fait que quelqu'un se soit amusé à faire naître John War Eagle en Angleterre sur l'IMDB, ["John War Eagle was born on June 8, 1901 in Leicestershire, England as John Edwin Worley Eagle."] et que cela a été repris par l'un ou l'autre bloggeur américain sur le western et ailleurs ...) que Ford souhaitait donner les rôles des deux chefs cheyennes à deux des frères Stanley (dont l'un est également le chef 'War Eagle' dans "The Distant Trumpet/La Charge de la Huitième Brigade" de Walsh). J'aurais pour ma part bien vu John War Eagle et Jay Silverheels, mais là encore, on imposa à Ford Montalban et G. Roland. (Ce dernier eut également à essuyer des affronts de la part du réalisateur ...)
Quant aux 'transparences d'un goût douteux' ... A l'origine, c'est Spencer Tracy qui devait jouer le rôle de Carl Schurz. Mais Tracy tomba malade et Edward G. Robinson fut choisi en catastrophe pour le remplacer, et certains plans de la rencontre entre Schurz et les chefs cheyennes à 'Victory Cave' furent tournés en dernière minute (les transparences, qui ne sont pas un choix, mais un pis-aller imposé dans l'urgence par les circonstances ...)

Voilà qui fait déjà beaucoup ...
Ajoutons les décès rapprochés de Ward Bond (en 60) et la maladie du fidèle Jack Pennick (qui mourut l'année de sortie du film), ainsi que l'assassinat de J.F. Kennedy, qui affecta Ford. Celui-ci arrêta le tournage et s'enferma dans sa chambre ce jour là ... autant de choses qui minaient et minèrent davantage encore le réalisateur, enclin à des périodes de dépression.
Et enfin, Ford -qui avait par exemple donné des indications à Max Steiner sur ce qu'il souhaitait dans la musique de "The Searchers"- n'apprécia pas davantage la musique des "Cheyennes", dont il dit, de mémoire, qu'on croirait qu'il s'agit d'un film sur les cosaques.

En plus de cette mélancolie chronique, Ford était malade sur le tournage et délégua au directeur de seconde équipe le soin de filmer certaines scènes à sa place. (Ces deux dernières lignes manquant de précisions, car de mémoire, et guère le temps de vérifier, pour le moment, où je l'avais lu ... Désolé).
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Jeremy Fox
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Rio Conchos

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Rio Conchos (1964) de Gordon Douglas
20TH CENTURY FOX


Avec Richard Boone, Stuart Whitman, Anthony Franciosa, Wende Wagner
Scénario : Joseph Landon & Clair Huffaker
Musique : Jerry Goldsmith
Photographie : Joseph MacDonald (DeLuxe 2.35)
Un film produit par David Weisbart pour la 20th Century Fox


Sortie USA : 28 octobre 1964


Un groupe d’Apaches en train de pratiquer une cérémonie mortuaire est massacré par un certain James Lassiter (Richard Boone), ex soldat confédéré. Arrêté par la cavalerie américaine, il explique son geste par sa farouche haine à l’encontre des Indiens, ayant perdu sa famille par leurs fautes. Depuis il ne cesse de vouloir se venger, les exterminant dès qu'il en a l'occasion et sans problèmes de conscience. Le Capitaine Haven (Stuart Whitman) lui propose de le libérer s’il se joint à lui pour aller récupérer une cargaison de 2000 fusils qu’il s’est fait subtiliser ; en effet, l’arme qui a servi à la tuerie opérée par Lassiter faisait partie du lot et Haven est certain que ce dernier connait le coupable du vol des fusils qui risque d’aboutir à un massacre si, comme il le pressent, la marchandise atterrit aux mains des Indiens. Pour retrouver sa liberté Lassiter accepte à condition qu’un de ses compagnons de cellule se joigne à eux. Rodriguez (Anthony Franciosa), coupe-gorge mexicain, aurait fini sur l’échafaud s’il n’avait pas pu rejoindre ce petit groupe composé seulement de quatre éléments, le quatrième étant le Sergent Franklyn (Jim Brown), le bras droit de Haven, un afro américain taciturne. Voilà ce ‘commando’ hétéroclite en route pour un périple oh combien dangereux…

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Déjà détenteur d’une conséquente filmographie westernienne, Gordon Douglas poursuit sa contribution au genre en cette fin d’année 1964 avec l’un de ses meilleurs opus, ce Rio Conchos qui annonce à quelques semaines d’intervalle les westerns italiens à venir dont les premiers signés Sergio Leone qui n’allaient pas tarder à secouer le genre avec le succès retentissant que l’on sait. Le personnage picaresque interprété avec jubilation par Anthony Franciosa aurait d’ailleurs tout à fait pu être le modèle des futurs Tuco, sans d’ailleurs avoir à rougir de la comparaison tellement il trouve le juste équilibre dans son cabotinage. D’emblée, avec une stupéfiante scène de massacre en préambule du générique, nous avons comme l’impression que le western a définitivement tourné une nouvelle page. L’utilisation de la profondeur de champ, du zoom avant et de la musique sont différentes de tout ce qui s’était fait auparavant et préfigurent grandement ces westerns 'spaghettis' qui n’allaient pas tarder à faire couler tant d’encre, à faire naître de nouvelles vocations et de nouvelles passions même chez ceux jusqu'à présent peu adeptes du western classique. Cette séquence, d’une redoutable violence et d’une étonnante sécheresse, nous promet donc sans tarder un western au ton nouveau même si Budd Boetticher avec L’Aventurier du Texas (Buchanan Rides Alone), Marlon Brando avec La Vengeance aux deux visages (One-Eyed Jack) et Sam Peckinpah avec Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country) avaient déjà déblayé la piste qui allait aboutir à Pour une poignée de dollars, pour le meilleur ou pour le pire, c'est selon.

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L’intrigue de Rio Conchos rappellera sans doute à beaucoup la deuxième partie des Comancheros de Michael Curtiz au cours de laquelle un petit groupe s’infiltrait chez des bandits sur le point de lancer des indiens sur le sentier de la guerre grâce à des fusils volés. Ce n’est pas étonnant et cette impression de ressemblance est renforcée par la présence de Stuart Whitman dans les deux westerns mais également par celle du même coscénariste, Clay Huffaker, Rio Conchos pouvant être vu comme la face noire et nihiliste du très bon divertissement de Curtiz ; deux films qui, sans atteindre des sommets, s’avèrent tout aussi recommandables. Rio Conchos, c’est en quelque sorte un film de commando qui voit quatre hommes totalement différents et aux motivations très diverses, être réunis pour une mission quasi-suicide, essayer d’empêcher que se déclenche un massacre par la récupération d’un chargement d’armes qui doit tomber aux mains des indiens prêts à se lancer sur le sentier d'une guérilla sanglante. L’homme à l’origine de ce vol de plusieurs milliers de fusils est un Général sudiste qui n’accepte toujours pas la défaite de son camp lors de la Guerre de Sécession et qui pense se venger en envoyant des Apaches anéantir les civils américains. Un mégalomane illuminé se faisant construire une bâtisse coloniale au milieu des paysages désertiques du Mexique ; courte mais mémorable performance de l’excellent Edmond O’Brien (le flic infiltré du White Heat de Raoul Walsh, le Casca du Jules César de Mankiewicz…) d’autant qu’on le voit parcourir les pièces de sa demeure en construction, déjà partiellement meublée mais encore privée de toiture (géniale idée de ce décor presque surréaliste dans le dernier quart du film).

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Le petit groupe qui va tenter de contrer ce rebelle est composé de deux soldats de la cavalerie américaine, d’un ex-confédéré assoiffé de haine à l’encontre des Apaches et d’un coupe-gorge mexicain ; ils vont être rejoints en cour de route par une indienne qu’ils font prisonnière. Le chef du petit commando n’est autre que le Capitaine s’étant fait subtiliser la cargaison d’armes. Honteux, il souhaite mener à bien la tâche qu’on lui a confiée et qui lui ferait probablement retrouver son aura ; certains pensent même que ses motivations sont plus ambigües, le soupçonnant de vouloir prendre encore du grade, ce qui pourrait fort bien advenir s’il mène à bien sa mission. Stuart Whitman incarne avec juste ce qu'il faut de fermeté ce soldat sévère cachant bien son caractère et ses motivations derrière une certaine raideur et un visage impassible qui en imposent assez pour entrainer ses hommes jusqu’au bout. Il faut dire qu’il est soutenu par son ‘sergent noir’ tout aussi taciturne et encore plus charismatique de par sa carrure et son visage carré, que joue pour son premier rôle au cinéma l’ex-footballeur Jim Brown dont le personnage semble être un modèle de droiture. Ils sont accompagnés par un mexicain fourbe savoureusement campé par un Anthony Franciosa tout à fait réjouissant (alors qu'il en manquait de peu pour le rendre insupportable), arrivant même à voler les scènes qu’il a en commun avec Richard Boone. Amoral, individualiste, roublard, gouailleur, cupide et criminel, le comédien (plus connu sur le petit que sur le grand écran) nous livre ici sans cabotinage trop éhonté un personnage haut en couleurs apportant énormément d’humour noir à ce western. Toutes ses apparitions se révèlent jubilatoires à commencer par la séquence du début se déroulant en prison où il voit au dehors la potence qui lui est destinée se mettre en place.

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Enfin, quel plaisir de constater que ce fabuleux second rôle qu’a très souvent été Richard Boone (Alamo de John Wayne, L’Homme de l’Arizona – The Tall T de Budd Boetticher, Le Raid de Hugo Fregonese…) se voit enfin offrir un rôle complexe à la mesure de son immense talent. Son Lassiter a quelques points communs avec le Nathan Edwards de John Wayne dans La Prisonnière du désert (The Searchers) ; c’est un homme ayant contracté une haine farouche à l’encontre des indiens après qu’ils aient torturé puis tué sa femme et sa fille. Depuis ce temps là, il n’a plus qu’une seule idée en tête, en anéantir le plus possible, le génocide ne semblant lui poser aucun problèmes de conscience ; et c’est d’ailleurs par la preuve de cet instinct sanguinaire que débute le film. La richesse du scénario aidant, Richard Boone arrive néanmoins à rendre son Lassiter attachant, tout simplement humain. Vient s’ajouter au groupe à mi-film, une indienne au caractère trempée mais mutique elle aussi, dont le personnage aurait pu s’élever au niveau de ses 'compagnons de route', mais sur lequel les scénaristes n’ont pas assez pris le temps de s’appesantir ; la jeune Wende Wagner n’a ainsi pas beaucoup d’occasion pour faire preuve de son talent et c’est bien dommage. A signaler cependant qu’elle n’est à l’origine d’aucune quelconque romance, cette absence d'intrigue amoureuse pouvant être comptée comme une des autres originalités du film. D’ailleurs, les indiens ont beau être les ennemis de nos 'héros', ils sont néanmoins décrits avec dignité, le chef des guerriers se révélant être une sorte de double de Lassiter, leur confrontation étant à l’origine d’une des séquences les plus puissantes du film, chacun se rendant compte beaucoup ressembler à son adversaire. Rodolfo Acosta campe le chef indien avec lui aussi beaucoup de charisme.

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Une intrigue ‘mission commando’ somme toute assez classique (un style d’histoire que l'on a déjà rencontré mais qui sera encore plus souvent réutilisé durant la décennie, dans tous les genres touchant à l’action) soutenue par de brillants dialogues et dynamitée par une morale plus trouble qu'à l'accoutumée ainsi qu'une galerie de protagonistes divers et variés un peu plus ambiguë que la moyenne, ses membres formant un groupe hautement improbable, pour notre plus grand plaisir. Un scénario d’une solidité à toutes épreuves si ce n’est lors d’une dernière partie qui s’étire bien trop en longueur, le climax s'avérant décevant au vu de ce qui a précédé. Quant à la forme, on peut dire que Gordon Douglas n’a pas tort lorsqu’il affirme qu’il s’agit d’un de ses plus belles réussites. Il semble ici très à l’aise avec le scope, le maniement de la caméra, l’utilisation des décors naturels et il nous offre quelques séquences d’action anthologiques. Outre évidemment le prologue puissamment rugueux, on se rappellera également longtemps du guet-apens des tueurs mexicains en pleine montagne mais surtout du blocus de la ferme incendiée et abandonnée où ne reste comme seul survivant qu’un nouveau-né. Parfaitement bien rythmée et montée, il s’agit probablement de la séquence mouvementée la plus virtuose du film aussi bien dans sa construction que dans sa vitalité. En effet, comme nous venons de le dire, la séquence apocalyptique finale tant attendue parait faible en comparaison, bien trop confuse dans son ensemble. Gordon Douglas a été formidablement secondé par son chef opérateur Joseph MacDonald mais surtout par son compositeur Jerry Goldsmith qui signait ici une admirable partition, très moderne pour l’époque et annonçant elle aussi celles qui n’allaient pas tarder à faire le tour du monde… bien évidemment les bandes originales de Ennio Morricone.

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S’il est permis de lui préférer son coup d’essai dans le genre, le dynamique et généreux Fâce au chatiment (The Doolins of Oklahoma), ou encore le réjouissant Sur la piste des Comanches (Fort Dobbs), le meilleur de son trio avec Clint Walker (comédien qui aurait eu parfaitement sa place dans la peau du personnage interprété ici par Stuart Whitman), Rio Conchos est sans aucun doute l’une des œuvres les plus réussies de son auteur avec également durant la même décennie le jubilatoire Tony Rome est dangereux avec Frank Sinatra. Un western qui ne manque pas de brio, réussissant la parfaite synthèse de l’âpreté et du picaresque, à la mise en scène efficace et précise, à l’interprétation réjouissante, soutenu par une musique lancinante et entêtante. La mutation du western est plus que jamais en marche ; le genre va devoir désormais partager le parc de salles de cinéma avec son pendant transalpin. Définitivement mis de côté les cow-boys élégamment vêtus et rasés de près ; une nouvelle ère s’ouvre désormais, plus que jamais !
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Re: Rio Conchos

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :on se rappellera également longtemps du guet-apens des tueurs mexicains en pleine montagne mais surtout du blocus de la ferme incendiée et abandonnée où ne reste comme seul survivant qu’un nouveau-né. Parfaitement bien rythmée et montée, il s’agit probablement de la séquence mouvementée la plus virtuose du film aussi bien dans sa construction que dans sa vitalité. En effet, comme nous venons de le dire, la séquence apocalyptique finale tant attendue parait faible en comparaison, bien trop confuse dans son ensemble.
D'accord sur la séquence du blocus, qui est magistrale. Mais j'aime beaucoup la fin également. J'en garde un souvenir vraiment excellent de ce film.
A ranger effectivement au côtés de Tony Rome, mais aussi de Them! dans les réussites du réalisateur. Douglas est pour moi un vrai grand artisan, au sens noble du terme. Sa maîtrise technique est remarquable et peut nous offrir de très grands films, même si ça ne l'a pas empêché de tourner quelques horreurs, comme La Diligence vers l'Ouest, que je préfère oublier pour ne me concentrer que sur ses réussites, suffisamment nombreuses pour ne pas être dues au hasard.
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Re: Rio Conchos

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit : A ranger effectivement au côtés de Tony Rome, mais aussi de Them! dans les réussites du réalisateur. Douglas est pour moi un vrai grand artisan, au sens noble du terme. Sa maîtrise technique est remarquable et peut nous offrir de très grands films, même si ça ne l'a pas empêché de tourner quelques horreurs, comme La Diligence vers l'Ouest, que je préfère oublier pour ne me concentrer que sur ses réussites, suffisamment nombreuses pour ne pas être dues au hasard.
Son chef-d’œuvre demeure néanmoins pour moi Young at Heart, l'un des rôles les plus bouleversants de Sinatra. Ses partenaires dans ce film étaient Dorothy Malone ainsi que Doris Day avec qui il formait un couple inoubliable.
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Re: Rio Conchos

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :
Rick Blaine a écrit : A ranger effectivement au côtés de Tony Rome, mais aussi de Them! dans les réussites du réalisateur. Douglas est pour moi un vrai grand artisan, au sens noble du terme. Sa maîtrise technique est remarquable et peut nous offrir de très grands films, même si ça ne l'a pas empêché de tourner quelques horreurs, comme La Diligence vers l'Ouest, que je préfère oublier pour ne me concentrer que sur ses réussites, suffisamment nombreuses pour ne pas être dues au hasard.
Son chef-d’œuvre demeure néanmoins pour mois Young at Heart, l'un des rôles les plus bouleversants de Sinatra. Ses partenaires dans ce film étaient Dorothy Malone ainsi que Doris Day avec qui il formait un couple inoubliable.
Il est toujours en attente chez moi celui-là, il faut que je le vois.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Très peu connu en France, il parait qu'aux États-Unis ce drame musical a une réputation équivalente à La Vie est belle de Capra ; ce sont tous deux les champions des rediffusions télévisées à la période de Noël. C'est en tout cas ce que j'ai lu et qui me semble légitime.
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Re: Rio Conchos

Message par Flavia »

Rick Blaine a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Son chef-d’œuvre demeure néanmoins pour mois Young at Heart, l'un des rôles les plus bouleversants de Sinatra. Ses partenaires dans ce film étaient Dorothy Malone ainsi que Doris Day avec qui il formait un couple inoubliable.
Il est toujours en attente chez moi celui-là, il faut que je le vois.
Je sais que tu es aussi un grand fan de Sinatra :wink: comme l'indique Jeremy c'est un grand rôle pour Sinatra, tu vas, j'en suis sûre, apprécier ce mélodrame rythmé par de très belles chansons.
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Re: Rio Conchos

Message par Jeremy Fox »

Flavia a écrit : rythmé par de très belles chansons.
Les chansons sont effectivement parmi ses plus belles ; le thème principal me fait fondre.
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Rick Blaine
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Re: Rio Conchos

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :
Flavia a écrit : rythmé par de très belles chansons.
Les chansons sont effectivement parmi ses plus belles ; le thème principal me fait fondre.
Les chansons, je les connais très bien par contre ! :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Apache Rifles

Message par Jeremy Fox »

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La Fureur des Apaches (1964) de William Witney
20TH CENTURY FOX


Avec Audie Murphy, L.Q. Jones, Michael Dante, Linda Lawson
Scénario : Charles B. Smith
Musique : Richard LaSalle
Photographie : Archie R. Dalzell (Eastmancolor 1.85)
Un film produit par Grant Whytock pour la Admiral Pictures


Sortie USA : 26 novembre 1964


Arizona 1879. Les Apaches Mescaleros ont de nouveau quitté leur réserve de San Carlos, estimant que le traité qu’ils avaient signé n’avait pas été respecté ; en effet des chercheurs d’or se sont installés sur leurs terres, convoitant leurs richesses. La mission du Capitaine Stanton (Audie Murphy) est de traquer et de ramener les indiens, peuple à qui il voue une profonde haine. Il capture le chef Victorio (Joseph Vitale) et son fils Red Hawk (Michael Dante) ; ceux-ci acceptent que la tribu le suive à condition que les mineurs soient chassés de leur territoire, auquel cas contraire ils préfèrent se faire tuer. Devant une telle détermination, Stanton leur promet que leur demande sera prise en compte. Effectivement, sa troupe se rend sans plus tarder déloger les chercheurs d’or qui rentrent penauds en ville. Un nouvel agent aux affaires indiennes arrive dans la région mais il est tué par deux blancs sans scrupules de manière à faire croire que les coupables sont les Indiens ; l’idée – lancée par l’épicier Crawford Owens (Charles Watts) qui prône la non-obéissance aux autorités militaires- est de relancer le conflit afin que les Indiens soient exterminés et que les prospecteurs puissent ainsi retourner tranquillement s’occuper de leurs gisements d’or. Stanton, qui a été remplacé au commandement par l’impitoyable Perry (John Archer), part de nouveau à la poursuite des Apaches mais avec beaucoup moins de conviction depuis qu’il a rencontré la missionnaire Dawn Gillis (Linda Lawson) qui l’a presque convaincu du bon droit des Natives, et qu’il a été informé des massacres perpétrés par les mineurs sur les familles indiennes…

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En cette année 1964, Admiral Pictures, petite compagnie indépendante soutenue par la 20th Century Fox, met en chantier avec Apache Rifles un ‘remake’ de Indian Uprising (Les Derniers jours de la nation Apache), western signé Ray Nazarro datant de 1952. On confie la mise en scène au très prolifique William Witney, un réalisateur qui fit surtout les beaux jours du serial, ayant notamment mis en scène en 1939 l’un des plus réputés auprès des aficionados, Zorro's Fighting Legion, mais également des aventures des célèbres Dick Tracy, Fu Manchu ou encore du docteur Satan. Il réalisa aussi bon nombre de série B ou Z avant de terminer sa carrière toute aussi féconde à la télévision avec de nombreux épisodes de Bonanza, Chaparral, Tarzan, Le Virginien… Pour La Fureur des Apaches, les auteurs reprennent non seulement l’intrigue du film original de Ray Nazarro (ce qui me semble logique étant donné qu’elle s’appuie sur le scénario écrit à l’époque par Kenneth Gamet et Richard Schayer) mais, faute à un budget minimal, y puisent également de nombreux stock-shots, exclusivement pour les séquences de combat. Le rendu est par ce fait assez inharmonieux, la colorimétrie des séquences puisées dans le film de 1952 n’ayant pas grand-chose à voir avec celle des scènes tournées en 1964, les lieux de tournage étant également différents, les paysages ne se trouvant ainsi pas très raccords. Tout ceci n’est pas très grave et nous pouvons tout à fait l’accepter vu les moyens ridicules alloués par la production, mais cette ‘incohérence plastique’ explique en partie la faiblesse des scènes mouvementées ainsi beaucoup moins crédibles.

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Sorti peu après Rio Conchos de Gordon Douglas, le western de William Witney a dû paraitre anachronique à de nombreux spectateurs ; en effet La Fureur des Apaches ressemble beaucoup plus à un western du début des années 50 qu’à un de ceux de l'époque du tournage. Les premiers opus de Sam Peckinpah et Sergio Leone allaient très peu de temps après définitivement lui faire prendre un coup de vieux. Ceci étant dit, si on fait abstraction de sa date de sortie, on pourra prendre du plaisir face à ce sympathique western classique et fortement pro-indien et anti-raciste. Audie Murphy interprète un officier de l'US Army n’éprouvant que mépris pour les indiens après que son père ait été renvoyé de l’armée pour leur avoir fait ‘trop confiance’. Dans son esprit, son père a eu tort et il décide de laver son nom en s’occupant de gérer le conflit entre indiens et prospecteurs, en essayant de freiner les velléités de révoltes des tribus Apaches. Durant sa mission (qu’il se voit d’ailleurs retiré pour avoir écouté un peu trop attentivement les ‘revendications’ des indiens), il tombe sous le charme d’une missionnaire qui vit au sein de la tribu. Que ce soit la jeune femme ou le médecin de l’armée, ils tenteront tous deux (et avec succès) de lui inculquer la tolérance tout en lui faisant toucher du doigt la légitimité de la colère des Apaches. Les scénaristes appréhendent assez bien et en douceur le revirement qui va s’opérer chez ce militaire, au départ assez borné, au contact de personnes censées et nobles. L’amitié (ou tout du moins le respect mutuel) qui va naitre entre lui et le fils du chef Apache n’en est que plus touchante.

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Tout aussi intéressant, le scénariste Charles B. Smith (dont ce sera le seul travail pour le cinéma) met aussi en avant le fait que les vils chercheurs d’or étaient soutenus par le gouvernement américain quant à leur accession aux terres convoitées et ‘volés’ aux Indiens. Même si ce n’est pas nouveau et qu’un nombre considérable de westerns avaient déjà abordé le sujet, le western pro-indien étant un peu tombé en désuétude durant les années 60, une sincère piqure de rappel n’était pas de trop même si John Ford, sur un sujet à peu près similaire, l’avait martelé lui aussi quelques semaines auparavant dans Cheyenne Autumn (Les Cheyennes). Soit dit en passant et même si ça risque de faire grincer des dents, il n’est d’ailleurs pas interdit de préférer la petite série B de William Witney au prestigieux film de Ford, le noble message arrivant à passer avec au moins autant de puissance puisque moins insistant et moins sentencieux. Et puis la séquence de massacre par L.Q. Jones de civils indiens, femmes et enfants, filmée frontalement, s’avère d’une puissance à laquelle on ne s’attendait pas au sein d’un tel film de série qui reste sinon dans l’ensemble très convenu. Car si l’on aura effectivement quelques difficultés à s’extasier sur la mise en scène ou sur le scénario, il faut cependant se rendre à l’évidence : Witney nous offre tout du long un western rythmé et plaisant grâce aussi à de bonnes performances d’un Audie Murphy cependant un peu fatigué mais aussi de la jolie Linda Lawson dans le rôle de la missionnaire métisse, de Michael Dante, loin d’être ridicule dans celui du guerrier Apache ayant eu une éducation européenne, de L.Q. Jones que l’on aime en l'occurrence haïr, de John Archer dans la peau d’un officier à la Owen Thursday de Fort Apache (recherchant avant tout la gloriole au risque de faire massacrer ses hommes) ou encore de J. Pat O’Malley dans celui du docteur. Un casting parfaitement bien choisi !

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On peut relever encore quelques réjouissantes idées de scénario faisant de l’officier interprété par Audie Murphy un homme aux méthodes parfois peu orthodoxes : il enivre un prospecteur pour lui obtenir des aveux, il place un homme au milieu d’une dangereuse échauffourée pour lui faire peur… [Attention spoiler] Dommage en revanche que Charles B. Smith n’ait pas pu aller au bout de son idée pour le final (enfin c’est ce qu’il nous semble), celle de faire mourir son héros, le spectateur y croyant durant quelques minutes après l’avoir vu se prendre une lance en pleine poitrine. Les producteurs ont du penser que c’était un peu violent pour le personnage principal de l’histoire, d'autant plus interprété par Audie Murphy [Fin de spoiler]. Autrement, le réalisateur et son chef opérateur utilisent plutôt bien les beaux extérieurs mis à leur disposition, ceux de Bronson Canyon et des Alabama Hills, et le compositeur Richard LaSalle s’en tire plutôt bien, quelques phrases musicales arrivant aisément à nous rester en tête. L’ensemble est certes inégal, un peu vieillot, souffrant d’un manque d’inventivité et de tension mais se situe néanmoins dans la bonne moyenne des séries B westerniennes.

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Pour essayer de résumer, nous nous trouvons devant une série B certes mineure, prévisible, un peu trop sage et quelque peu en décalage si l’on prend en compte l’évolution du genre à l'époque du tournage, mais cependant décemment construite, correctement réalisée (si l’on veut bien faire abstraction de l’utilisation abusive de stock-shots) et constamment agréable à suivre d’autant qu’elle aura eu également le mérite de nous reparler de cette réalité historique, celle des difficiles relations en Arizona entre blancs et indiens alors même que les traités de paix avaient été signés, l’or demeurant encore et toujours le ferment des conflits. Même si Audie Murphy avait eu l’occasion de jouer dans de bien meilleurs westerns lorsqu’il était à l’Universal, La Fureur des Apaches est un film de fin de carrière tout à fait honorable.
someone1600
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par someone1600 »

Encore bien du plaisir à lire tes deux dernières chroniques sur deux films que je n'ai pas vu. ;-)
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Jeremy Fox
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Taggart

Message par Jeremy Fox »

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5000 dollars mort ou vif (Taggart - 1965) de R.G. Springsteen
UNIVERSAL


Avec Tony Young, Dan Duryea, Dick Foran, Elsa Cardenas
Scénario : Robert Creighton Williams d’après un roman de Louis L’Amour
Musique : Herman Stein
Photographie : William Margulies (Technicolor 1.37 matté en 1.85)
Un film produit par Gordon Kay pour la Universal


Sortie USA : 24 décembre 1964



Ralph Taggart (Ray Teal) arrive pour s’installer dans l’Ouest en tant qu’éleveur avec son épouse, son fils Kent (Tony Young), ses hommes de main et son troupeau. Le rancher Ben Blazer (Emile Meyer), qui règne sur la région et ne souhaite pas partager ses terres, fait fuir les bêtes, attaque le campement et massacre tous ses membres. Kent échappe miraculeusement à la tuerie et va n’avoir de cesse que de se venger. Blessé, Ben est emmené en ville afin d’y être soigné ; mais Kent fait irruption chez le médecin et tue le fils de Ben qui avait participé au carnage. Le rancher sans scrupules loue alors les services d’un tueur à gages, Jay Jason (Dan Duryea), pour rattraper et liquider Kent contre 5000 dollars de récompense. Débute une traque en plein pays indien, les Apaches étant sur le sentier de la guerre. Le chasseur de primes et son ‘gibier’ se retrouveront tous deux dans une mission abandonnée où se sont réfugiés un vieil homme (Dick Foran) qui y exploite une mine d’or, sa cupide et jeune épouse ainsi que sa fille. Mais les Apaches sont déjà en embuscade…

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Dans les années 60, avec notamment des producteurs de triste renom comme A.C. Lyles, beaucoup de westerns avec des budgets minimes sortirent sur les écrans de cinéma, espérant malgré leur aspect ‘tristounet’ faire de l’ombre à la télévision qui programmait à tour de bras des séries westerniennes avec énormément de succès. La plupart de ces longs métrages furent tellement mauvais qu’ils ne parvinrent même pas à traverser l’Atlantique ; ce qui aura au moins eu le mérite d'éviter aux spectateurs européens de se rendre compte de l’état catastrophique dans lequel se trouvait le western de série B à cette époque, alors qu’il avait brillé de mille feux seulement une décennie auparavant, grâce surtout à Universal qui se mettait désormais à distribuer nombreuses de ces médiocres productions. Sachant que R.G. Springsteen avait souvent été associé durant cette période à A.C. Lyles et ses productions non seulement totalement fauchées mais de plus extrêmement médiocres, il allait de soi que son nom au générique de Taggart pouvait faire craindre le pire même si son précédent western, La Patrouille de la violence (Bullet for a Badman) avec Audie Murphy, n’avait pas été trop déplaisant. On ne demandait pas au cinéaste ni de révolutionner le genre ni d’être novateur, puissant ou original ; on attendait juste un honnête divertissement : il ne sera même pas parvenu à nous l’offrir ! En lieu et place, un effroyable navet, un film de série Z ultra cheap et que rien ne parvient à hisser des tréfonds sa totale nullité.

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C’est d’autant plus triste et rageant que l’on voit cachetonner de talentueux habitués du genre tel Ray Teale qui ne dépasse pas les premières bobines, Emile Meyer qui passe son peu de temps de présence couché et gémissant suite à ses blessures, ou au contraire de nouveaux visages tel David Carradine (placé en bonne place sur la jaquette, non moins qu’en haut de l’affiche) qui non seulement n’ouvrent pas la bouche mais 'dégagent' aussi vite qu’ils étaient apparus. Quant au souvent jubilatoire Dan Duryea, il nous prouve ici que lorsqu’il était mal (ou pas) dirigé il pouvait s'avérer être un insupportable cabotin. Quant au reste du casting, nous ne sauverons du lot que Dick Foran dans le rôle du vieil homme mal marié, le seul personnage possédant un tant soi peu d’âme, de chair et de sang. En effet les deux actrices n'ont rien d'autres à nous offrir que leurs charmes (et surement pas leur talent dramatique), quant à Tony Young, rarement un comédien de western aura été tour à tour aussi mauvais, terne et peu charismatique. Il est donc d'emblée tout à fait impossible de s’attacher à qui que ce soit. Quant en plus il faut se coltiner un western dont toutes les séquences d’action utilisent une majorité de stock-shots d’autres précédents films (ici, pêle-mêle, Hondo, A l’assaut de Fort Clark, Les Cavaliers de l’enfer, L’Héroïque Lieutenant…), et que bien évidemment les plans de ces films ne s’intègrent plastiquement pas du tout bien avec les plans tournés en 1965 (colorimétrie et contrastes totalement différents dus aussi au vieillissement des stock-shots), c’est souvent non seulement pas du tout crédible mais pour être franc tout à fait insupportable. La partition d’Herman Stein a beau faire son effet, elle n’est constituée elle aussi que d’extraits non réorchestrés de précédentes de ses musiques de western.

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Mais la récupération ayant ses limites, un tel niveau de j’menfoutisme et d’incompétence auxquelles on ajoute un scénario d’une désolante banalité ne motivent pas à écrire plus sur un film qui ne pourrait de toute manière plaire qu’aux complétistes purs et durs. Nous nous en tiendrons donc à ces quelques lignes afin de ne pas plus perdre notre temps.
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