Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-1967

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Frank 'Spig' Wead
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Frank 'Spig' Wead »

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Juste deux images, pour le plaisir d'abord, puis pour constater au moins que Scar est une Chimère pour Ethan. Il est un support de projections.
Je joins aussi celle du regard d'Ethan, quand il essuie l'écume sur le dos de son cheval (décidément Ford s’intéresse à ce cheval :roll: ) ; il a l'intuition de l'attaque des Comanches.
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cinephage a écrit :mais tu m'as donné envie de lire le bouquin de Leutrat
Si c'est le cas je suis ravi, son livre sur Liberty Valance n'est pas mal non plus!
kiemavel a écrit :C'est Jim McBride (il me semble) qui affirmait que les modifications par rapport au roman et les dernières modifications apportées au scénario avaient été voulu par John Ford justement pour accentuer les sous entendus d'inceste et il en passait aussi bien sûr par la mise en scène de Ford.
C'est un point très intéressant.

Bien sûr que l'essentiel est de partager des idées, c'est tout l’intérêt de ce forum :wink:
Strum
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Strum »

Je serais curieux de lire l'argumentation de Leutrat dans le texte, mais l'idée d'un inceste entre Ethan et Debby m'apparait à moi aussi tirée par les cheveux. A vue de nez, elle parait assez typique d'une certaine psycho-critique d'inspiration freudienne. Je ne sais pas si Leutrat se place d'habitude dans ce sillon critique, que je n'aime pas beaucoup. J'ai le McBride, je regarderai ce qu'il dit des modifications apportées par Ford au scénario.

Je pense en tout cas qu'on explique mieux la fureur d'Ethan à l'idée que Debby couche avec Scar par son racisme pathologique, sa haine de l'autre, qui ressemble un peu à une haine (ou à une peur) d'une partie de lui-même, puisqu'il est lui aussi, comme Scar et les indiens, un paria. Quitte à faire des extrapolations sur le film, il me paraitrait plus raisonnable d'en rester à une autre idée ou hypothèse, selon laquelle Debby pourrait être la fille d'Ethan - on sait qu'Ethan est initialement parti pour mener sa vie de paria parce qu'il aimait Marta, la femme de son frère, et que cet amour était réciproque (cf le plan furtif du manteau caressé). On sait aussi que lorsqu'il est parti, Debby était déjà née. Et quand il rejoint Debby dans la grotte pour la tuer à la fin, il la reconnait comme sa nièce (ou sa fille donc) en la portant à bout de bras, comme il le faisait quand elle était bébé (même geste quand il la soulève au début du film dans la maison).
Frank 'Spig' Wead
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Frank 'Spig' Wead »

Strum! Je partage globalement ton analyse.
Pour précision je suis allergique à la psychanalyse freudienne; mais le Freud n'a pas le monopole de l'inceste.
En revanche certaine notions jungiennes me semble encore pertinentes - je ne vais pas ouvrir un nouveau débat, mais Ford ne semblait pas ignorer certaines de ces notions.
L'inceste dans ce film, s'il y a, est sous une forme fantasmatique, à mille lieux de The last sunset , là on sera tous d'accord.
Les deux images que j'ai envoyées précédemment font a mon avis -pour suivre Leutrat - penser à ces tableaux de Fusslï et du Caravage.
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someone1600
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par someone1600 »

Strum a écrit :Je pense en tout cas qu'on explique mieux la fureur d'Ethan à l'idée que Debby couche avec Scar par son racisme pathologique, sa haine de l'autre, qui ressemble un peu à une haine (ou à une peur) d'une partie de lui-même, puisqu'il est lui aussi, comme Scar et les indiens, un paria. Quitte à faire des extrapolations sur le film, il me paraitrait plus raisonnable d'en rester à une autre idée ou hypothèse, selon laquelle Debby pourrait être la fille d'Ethan - on sait qu'Ethan est initialement parti pour mener sa vie de paria parce qu'il aimait Marta, la femme de son frère, et que cet amour était réciproque (cf le plan furtif du manteau caressé). On sait aussi que lorsqu'il est parti, Debby était déjà née. Et quand il rejoint Debby dans la grotte pour la tuer à la fin, il la reconnait comme sa nièce (ou sa fille donc) en la portant à bout de bras, comme il le faisait quand elle était bébé (même geste quand il la soulève au début du film dans la maison).
C'est bien comme cela que je le vois personnellement. :wink:
Frank 'Spig' Wead
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Frank 'Spig' Wead »

Pour mettre un peu cette notion d'inceste de côté...
Si on est attentif au moment où Ethan revoit Martin pour la première fois, il lui refuse une place à la tablée familiale, là on entend très nettement une horloge sonner.
Le temps est comme suspendu, et à partir de cet instant, le film (« une épopée psychologique » selon John Ford) va observer le temps que mettra Ethan à reconnaître Martin.
C'est à travers la reconnaisse de son âme indienne – Debbie - cette part étrangère et impure de lui-même - qu'il va intégrer et aimer Martin, ce fils que le destin lui a donné – il l'a trouvé comme les bandits du Fils du désert trouvent par hasard un enfant dans le désert.
Cette relation, pour moi, est aussi belle que celle entre Ethan et Debbie (à mon sens, son amour pour Martha était platonique, et Debbie n'est pas sa fille; génétiquement parlant).
Ce film est d'une richesse infinie.
Je n'aurai pas dû employer directement le terme « double » pour évoquer le rapport entre Scar et Ethan ; ce sont des contraires qui se confondent, qui ne savent plus se définir, Scar renvoie à Ethan une image déformée de lui-même - d'où la tête de méduse.
La notion d'inceste, pas du tout freudienne, si elle existe dans le film, a à voir avec les notions de pureté et de fermeture sur l'autre. Debbie est une part d'Ethan qu'il veut entièrement à lui, il est hanté par l'idée que Scar la possède sexuellement.
Le rapport entre racisme et sexualité est aussi très explicite dans le Sergent Noir et Les Deux cavaliers.
La notion d'inceste est très secondaire, elle n'est pas nécessaire à la compréhension globale, et à l’appréciation du film.

Bon voilà, pour ma part j'ai tout dit cette fois-ci :wink:
Dernière modification par Frank 'Spig' Wead le 12 nov. 14, 17:43, modifié 1 fois.
Strum
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Strum »

Frank 'Spig' Wead a écrit :Pour précision je suis allergique à la psychanalyse freudienne; mais le Freud n'a pas le monopole de l'inceste.
En revanche certaine notions jungiennes me semble encore pertinentes - je ne vais pas ouvrir un nouveau débat, mais Ford ne semblait pas ignorer certaines de ces notions.
Vu la manière dont tu tires parti dans ton analyse du film d'images mythologiques figurant dans des tableaux, tu me sembles effectivement plus jungien que freudien. :wink:
D'accord avec toi pour dire que la relation d'Ethan et de Martin, qu'il finit par accepter comme son propre fils, est au coeur du film.
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Jeremy Fox
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The Last Sunset

Message par Jeremy Fox »

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El Perdido (The Last Sunset - 1961) de Robert Aldrich
UNIVERSAL


Avec Kirk Douglas, Rock Hudson, Joseph Cotten, Dorothy Malone, Carol Lynley
Scénario : Dalton Trumbo d'après un roman d'Howard Rigsby
Musique : Ernest Gold
Photographie : Ernest Laszlo (Eastmancolor 1.85)
Un film produit par Eugene Frenke & Edward Lewis pour Brynaprod



Sortie USA : 07 juin 1961


Le shérif Dana Stribling (Rock Hudson) poursuit Brendan O'Malley (Kirk Douglas) depuis plus de cinq années, depuis que ce dernier a tué son beau-frère causant du même coup le suicide de sa sœur. S’étant fait à l’idée d’être bientôt rejoint par l’homme de loi, O’Malley s’arrête au Mexique où il trouve asile dans le ranch de John Breckenridge (Joseph Cotten) ; il y retrouve Belle (Dorothy Malone), l’épouse de John, avec qui il eut autrefois une liaison passionnée. John, dévasté par l’alcool, demande à O’Malley de l’aider à conduire son troupeau jusqu’au Texas. Stribling arrive comme prévu peu après et accepte lui aussi de faire partie du convoi pour tenir O’Malley à l’œil ; maintenant qu’il l’a enfin appréhendé mais qu’il ne peut pas se servir de son mandat d’arrestation en dehors du territoire américain, il ne veut surtout pas le perdre de vue d’ici là. Stribling promet également de ne lui régler son compte (s’il ne se laisse pas trainer devant le tribunal) qu’une fois leur mission accomplie, les bêtes arrivées à destination. C’est le début d’un voyage qui ne sera pas de tout repos, en plus des tensions internes, les ennuis arrivant également de l’extérieur, John allant en faire le premier les frais, abattu sans sommation lors d’une rixe avec d’ex-soldats confédérés. Malgré le deuil, sa jeune fille (Carol Lynley) tombe amoureuse d’O’Malley tandis que Stribling n’est pas insensible au charme de Belle…

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Alors qu’elle connait des difficultés financières ayant pour cause la production du Spartacus de Stanley Kubrick, Brynaprod, la compagnie de Kirk Douglas, cherche activement un projet qui permettrait de renflouer ses caisses. A la demande du comédien, très satisfait du scénario de Spartacus, Dalton Trumbo se met alors rapidement à pondre l’intrigue de The Last Sunset sans être très convaincu par la qualité de son travail, ayant en tête d’autres sujets qui le passionnent bien plus comme le scénario de Seuls sont les indomptés (Lonely are the Brave) que réalisera David Miller l'année suivante avec à nouveau Kirk Douglas en tête d'affiche. Pour The Last Sunset, Kirk Douglas engage Rock Hudson pour principal partenaire masculin ainsi que Robert Aldrich pour le réaliser, le cinéaste étant connu pour ses idées libérales, sa forte tête et son refus de se plier à quelconques exigences, ayant auparavant déjà tournés deux westerns mémorables en 1954, Bronco Apache et Vera Cruz, tous deux avec Burt Lancaster. Après l’échec du Grand couteau (The Big Knife) auquel il tenait beaucoup et la réalisation d'Attaque (Attack), l'un des sommets du film de guerre, Aldrich a tourné plusieurs œuvres parmi les plus faibles de sa carrière. Il faut dire que suite à la fermeture de sa propre société de production (qui renaîtra suite au succès des Douze salopards), il n’eut pas d’autres choix que d’accepter des projets auxquels il ne croyait pas ; El Perdido en fera partie. Robert Aldrich et Kirk Douglas ayant des caractères aussi trempés et directifs l’un que l’autre, les relations entre les deux hommes s’avèrent tellement tumultueuses que le tournage devient vite cauchemardesque pour tous ses participants. Kirk Douglas accusa par exemple Aldrich de ne pas avoir été assez impliqué, ayant fait soi-disant venir sur le plateau d’autres scénaristes avec lesquels il s’occupait de préparer ses prochains films. Quant à Aldrich, selon ses propres dires et à l'instar de Trumbo, The Last Sunset ne semble effectivement guère l’avoir intéressé, l'ayant par la suite quasiment renié par le fait de n'avoir pas supporté ni les conditions de tournage ni l’attitude dictatoriale de sa capricieuse vedette principale.

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"Une expérience particulièrement désagréable. L'ensemble a mal commencé, s'est mal continué et s'est mal terminé. Kirk Douglas a été impossible" dira t-il en 1969 tout en louant dans le même temps le professionnalisme et le talent de Rock Hudson. Quoiqu’il en soit, à mon humble avis, malgré sa gestation fortement houleuse, le résultat final ne s’en ressent pas même si une majorité de critiques et historiens du western pensent et ont écrit le contraire. En effet, tout du moins en France, le film fut très mal accueilli et traine encore aujourd’hui une réputation peu flatteuse. Prenons pour exemple l’avis de quelques uns de nos spécialistes du genre. A l’instar du "ambition au niveau du roman photo" de Jean-Louis Rieupeyrout et du "Aldrich frôle la mièvrerie" de Bertrand Tavernier, il n’y eut que peu d’échos favorables à ce western encore assez mal aimé de nos jours et qui m’apparait au contraire comme l’une des plus belles réussites non seulement de son scénariste mais également de son réalisateur, bien évidemment loin du cynisme et de la hargne de Vera Cruz et de la plupart de ses opus suivants, d’où peut-être l’origine de la déception que fut El Perdido pour les plus grands admirateurs du cinéaste coup de poing ?! De cynisme, The Last Sunset n’en est néanmoins pas totalement dépourvu et s’exprime au travers du personnage interprété par Kirk Douglas, homme-enfant qui pense encore que tout lui est dû. Lorsque l’époux de Belle lui dit qu’il est prêt à partager tout ce qu’il possède ("Everything that's mine is yours"), le sourire en coin d’O’Malley lorgnant sur l’épouse de son hôte ne fait aucun doute ; à la première occasion il prendra cette phrase à la lettre ! Le personnage d’O’Malley est d’ailleurs celui qui tient au sein du film la place prépondérante ; certaines mauvaises langues diront que c’est parce que Kirk Douglas a intégralement supervisé le montage pour se mettre en avant. Néanmoins, son O’Malley demeure inoubliable, sorte d’adolescent n’ayant pas encore accompli sa mue d’adulte, d’où ce mélange de cynisme et de douceur naïve, de fougue, de rage contenue et de passion, typique d’une jeunesse trop sûre d’elle et qui se croit encore tout permis sans aucun remords une fois les choses les plus viles accomplies.

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O’Malley est un pistolero haut en couleurs, paradoxalement tout de noir vêtu comme, à l’instar du Billy le Kid personnifié par Robert Taylor dans le film homonyme de David Miller, les cowboys d'une rare élégance et parfaitement bien ‘sapés’ qu’enfants dans les années 60/70 nous rêvions d’être. Cet accoutrement ‘m’as-tu-vu’ plus le fait de porter un petit Derringer au lieu du revolver traditionnel renforce le côté assez immature et vaniteux de cet homme certes fortement charmeur et passionné mais dans le même temps égoïste, vantard et gouailleur, ne sachant pas gérer ses pulsions ni ses brusques accès de rage. Un antihéros (il s’agit quand même d’un assassin) charismatique et extraverti comme seul savait les personnifier Kirk Douglas avec sa immense palette de jeu. L'acteur n'hésite d'ailleurs pas à pousser la chansonnette (en espagnol qui plus est pour interpréter la fameuse 'Cucurrucucu Paloma'), O'Malley se faisant aussi poète à ses heures, racontant à ses compagnons de voyage des histoires fantaisistes de son cru sous forme de paraboles, palabrant sans fin sur la vie, l’amour, la mort... Comme c'est la cas pour de nombreux adolescents, c'est un homme dont la force de caractère le dispute constamment à la fêlure et à l'inquiétude d'un avenir incertain ; le meurtre pour lequel il est recherché a fait suite à une simple crise de jalousie et durant le film c’est un chien qui passe tout près de se faire étrangler lors d’une séquence d’une grande puissance, l’homme et l’animal se faisant face avec une égale rage. Tour à tour envoutant et effrayant, exerçant une fascination bien réelle autant sur les autres personnages que sur le spectateur, il est tout à fait logique qu’à ses cotés et en comparaison Stribling apparaisse comme terne et lisse ; en un mot, plus convenu. Il s’agit de la figure type de l’homme de loi taiseux, solide, rassurant et droit dans ses bottes, ne doutant jamais de son bon droit et n’ayant qu’une autre idée en tête en dehors de bien accomplir son devoir, celui de trouver une femme douce et aimante qui pourra l’attendre à la maison. Rock Hudson ne pouvait pas faire autrement que de jouer la sobriété pour ce rôle en retrait d’un digne représentant de la force tranquille, sans défauts hormis une forte misogynie, un puritanisme flagrant et des idées bien arrêtées sur la place de la femme dans la société ; l’accuser de fadeur me parait du coup bien injuste puisque c’est justement ce contraste entre les deux hommes qui rend leurs relations si intéressantes, si conflictuelles.

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Pour rester dans l'imagerie traditionnelle du western classique (car El Perdido lui est encore bien lié malgré son ton, ses audaces et ses digressions), le duel final qui oppose les deux hommes (il ne s’agit pas vraiment d’un spoiler car nous nous attendons durant toute la durée du film à ce qu’il ait lieu) s’avère comme il se doit ‘Bigger than Life’. Dans sa forme en revanche il annonce les westerns qui vont fleurir dans les années qui suivent et a d'ailleurs très certainement influencé Sergio Leone, son découpage, sa gestion du rythme et sa mise en scène préfigurant grandement les séquences identiques du cinéaste italien pour ses westerns à venir. En revanche, à partir de maintenant, ce qui va suivre ici et dans les paragraphes à venir ferait bien de ne pas tomber sous les yeux de ceux qui n’aiment pas que l’on leur gâche l’effet de surprise ! D'une manière assez audacieuse, c’est hors-champ que O’Malley mord la poussière et l’on se rend compte peu après qu’il s’agissait de sa part d’une sorte de suicide puisqu’il n’avait pas chargé son arme. Un sacrifice déchirant (afin que son amour de jeunesse ne soit pas 'veuve' une deuxième fois par sa faute et aussi pour ne pas succomber à l'inceste sur lequel nous revenons au paragraphe suivant) au sein d'une scène poignante et d'une profonde mélancolie ; une situation presque inédite dans le western puisque seulement déjà abordée d'une manière cependant un peu différente par Robert Parrish dans Libre comme le vent (Saddle with the Wind) et Arthur Penn dans Le Gaucher (The Left-Handed Gun), John Cassavetes et Paul Newman en faisant alors les frais. L’autodestruction d’O’Malley est encore bien plus touchante que les précédentes, les quelques plans qui suivent sa mort finissant de faire de ce western un des plus romantiques et lyriques qu'il nous ait été donné de voir jusqu'à présent. La douceur de celui qui voit Carol Lynley caresser la tête de son père est absolument sublime d’autant qu’il est immédiatement suivi par un splendide mouvement de grue ascendant qui clôt le film en dévoilant en plan d'ensemble le lieu de la tragédie avec tous ses participants, accompagné du très beau thème musical signé Dimitri Tiomkin.

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Aux côtés du truculent O’Malley (cependant non dénué de failles et d'inquiétudes) et du plus terne Stribling (la faute en incombant non pas à Rock Hudson mais à Dalton Trumbo qui reconnaissait volontiers n’avoir pas eu le temps, la possibilité ni l’envie de l’enrichir davantage), nous avons droit à deux personnages féminins inoubliables, bien plus matures que leurs pendants masculins, nous prouvant que le scénariste, malgré ses dires, n’aura pas démérité, loin de là ! Tout d’abord Dorothy Malone se voit offrir l’un de ses plus beaux rôles. Une femme sensible qui, après tant de drames et une vie aussi laborieuse n’aspire qu’à une seule chose, trouver enfin la tranquillité et la stabilité ; il est du coup tout à fait logique qu’elle se tourne plus volontiers vers le roc que s’avère être le shérif que vers l’aventurier immature qui ne ferait que lui empoisonner encore plus l’existence. Tout en douceur et en intelligence, sans jamais trop en faire, Dorothy Malone s’approprie magnifiquement ce très beau personnage de forte femme à la fois intelligente et pragmatique ("Men kill or get killed and women bury them. We're professional survivors") ; on ne regrette pas qu'Aldrich l'ait préféré à la pourtant superbe Ava Gardner. Sa fille est interprétée par la délicieuse Carol Lynley qui laissera probablement une durable empreinte dans le cœur de nombreux spectateurs. Une jeune adolescente qui s'éveille à la féminité et qui veut qu’on la considère désormais comme une femme ; elle va littéralement tomber en adoration devant le charme ravageur de l’homme en noir. Sa diaphane apparition nocturne, vêtue de la robe jaune dans laquelle O’Malley était tombé amoureux de sa mère des années auparavant, est un plan magique, d’une beauté à couper le souffle, l’une de ces images que les aficionados du genre garderont bien ancrés dans leur panthéon. Car rares sont les westerns qui auront versé aussi ouvertement dans le romantisme et le lyrisme même si, ne l’oublions pas, dans cette veine, Aldrich avait déjà frappé assez fort avec son premier film, Bronco Apache, notamment dans les relations entre Burt Lancaster et Jean Peters. Une séquence d’autant plus bouleversante qu’on se rend compte à ce moment qu’O’Malley était en fait plus amoureux du souvenir idéalisé de Belle que de la Belle en chair et en os qu'il venait de retrouver. Et d'ailleurs, à partir de ce moment là, le pistolero reporte son amour sur la jeune fille ("a new smell to follow"). Un virage assez culotté puisqu’il va permettre d’aborder frontalement la thématique de l’inceste (une première dans le genre) ; nous sommes d’autant plus troublé d’apprendre qu’il s’agit de sa fille que quelques minutes auparavant nous les avons vu échanger un baiser passionné.

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Un scénario non dénué de qualité, des personnages complexes, fouillés, fortement caractérisés et très attachants (n’oublions pas Joseph Cotten assez étonnant en rancher déchu, couard et alcoolique) mais également une réalisation qui ne démérite pas contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là. J’aurais tendance à penser qu’il y eut un peu d’aveuglement ou de mauvaise foi de la part des détracteurs de n’y avoir trouvé aucunes fulgurances, aucunes véritables idées de mise en scène. Car, en plus de la fascinante séquence citée au paragraphe précédent de l’apparition nocturne de Carol Lynley en robe jaune, comment ne pas être frappé par la modernité du montage elliptique de la scène au cours de laquelle O’Malley donne une leçon de ‘rodéo’ à une forte tête, la confusion de ce dernier étant exprimée uniquement par la mise en scène ; comment ne pas être captivé par celle d’une grande intensité au cours de laquelle Joseph Cotten se fait publiquement humilier puis tuer et qui, par sa sécheresse rappelle le meilleur d’Anthony Mann et notamment la sortie du saloon par les trois personnages principaux dans Les Affameurs (Bend of the River) d’Anthony Mann. Plus encore, comment ne pas reconnaitre une étonnante leçon de virtuosité dans la longue et magnifique scène se déroulant durant la tempête de poussière : gestion de la montée dramatique, mouvements de caméra, montage, construction, cascades ; tout est ‘mixé’ à la perfection faisant atteindre à ce moment précis des sommets à ce très beau western. Quant au duel final que nous avions déjà évoqué un peu avant, dans sa gestion de l’espace, de la dilatation du temps, du montage et du placement des protagonistes, c’est un remarquable point d’orgue au film, un modèle du genre arrivant à faire accroitre la tension jusqu’au climax auquel s'ensuit un final tout en apaisement et sobriété, à nous faire venir des larmes aux yeux. D’innombrables moments qui témoignent du savoir-faire du cinéaste et qui prouvent qu’il ne s’est pas autant désintéressé de son film qu’il a bien voulu le dire. Surement une amertume à postériori de ne pas avoir eu les coudées franches sur le tournage, lors du montage et de la postproduction mais en aucun cas son film ne semble bâclé.

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Hormis son rythme inégal et pas toujours bien maîtrisé, une absence d'idées dans sa mise en scène, la fadeur de Rock Hudson et la naïveté de certains séquences, on a également souvent reproché au film ses plans nocturnes tournés en studio ; certes les toiles peintes sont visibles mais quels éclairages et quelle photographie ! Ernest Laszlo accomplit ici des petits miracles avec l’utilisation de ce bleu marine très profond mélangé avec le jaune de la lumière provenant de différentes sources. Alors que ces séquences renvoient au western classique des années 40/50, les scènes de jour font plus contemporaines, utilisant avec talent les décors extérieurs du Mexique, avec notamment les restes d’architecture espagnole telles ces arches et aqueducs en ruine que nous connaissions déjà par l’intermédiaire de Vera Cruz. La musique du film n’est pas non plus à négliger, signée Ernest Gold pour l’ensemble mais avec un thème principal écrit par Dimitri Tiomkin, variations autour de la chanson ‘Pretty Girl In The Yellow Dress’. The Last Sunset (beau titre poétique qui nous fait préfigurer le fatum final) nous propose un harmonieux mélange de classicisme parfois assez naïf (avec ces séquences autour du feu, celle du petit veau sauvé par Rock Hudson…) et de modernité avec la sécheresse de ses quelques éclairs de violence, une décontraction d’apparence et des thèmes abordés bien plus adultes et audacieux que la moyenne comme le suicide, la sexualité et l’inceste. A partir d’un postulat de départ assez banal ou déjà vu des dizaines de fois (une chasse à l’homme doublée du convoyage d’un troupeau), un western intelligent dans le fond, souvent brillant sur la forme, mélangeant avec habileté et efficacité thèmes traditionnels et plus contemporains ; il est temps de redonner à ce western mélodramatique la chance qu’il mérite car, de par son ton insolite assez unique, loin d’être raté ni mineur, il laisse au contraire une empreinte durable dans le genre et dans le cœur des aficionados ! Une belle parenthèse lyrique au sein de la filmographie assez brutale du 'gros Bob.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Frank 'Spig' Wead »

J'ai été étonné, aussi, en découvrant le film, qu'il n'ait pas meilleure réputation. Malone est superbe, et rien que pour ça il vaut le coup.
Penses-tu (M. Fox) qu'en revanche le film marque l'épuisement du western psychologique, disons pour simplifier la période qui commence avec Anthony Mann. C'est une question, pas une affirmation. Après Le Gaucher et El Perdido on touche un peu le bout du filon, non, à moins de traîter de vrais cas psychiatriques... c'est peut-être le cas avec Peckinpah :)
Heureusement on a échappé au cowboy schizophrène, ou bipolaire (pour le dernier cas je ne suis pas sûr qu'il n'est pas été traité...). La schizophrénie aussi, remarque, avec Monte Hellman on n'en est pas loin :D
Dernière modification par Frank 'Spig' Wead le 15 nov. 14, 21:58, modifié 1 fois.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par O'Malley »

Excellente chronique (que j'attendais avec impatience), qui met bien en valeur tout ce qui fait pour moi la richesse, le caractère atypique et la sensibilité de ce beau western qui, néanmoins, lors de sa dernière vision, m'avait paru quand même un tantinet bancal dans son rythme: des séquences passionnantes certes qui côtoient des moments très convenus (l'attaque des Indiens par exemple)...A noter aussi la présence de deux seconds couteaux incontournables du western: Neville Brand et Jack Elam...
Je ne savais pas par contre que le film est aussi mal aimé: il fait pourtant souvent partie de la liste des classiques du genre, notamment dans le bouquin de Pierre Tchernia et Jean-Claude Romer
et celui de Patrick Brion aux éditions de la Martinière.

L'un des plus grands rôles de Kirk Douglas aussi, à ranger à côté de ses interprétations de L'arrangement de Kazan, Les sentiers de la gloire de Kubrick ou chez Minnelli... En tout cas, mon pseudo lui doit beaucoup (même si Les aristochats, la première sortie ciné de ma vie, peut aussi l'expliquer) :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

O'Malley a écrit :A noter aussi la présence de deux seconds couteaux incontournables du western: Neville Brand et Jack Elam...
Oui mais tellement anecdotiques que je n'ai pas senti nécessaire de le noter.
J'ai fait le tour de la dizaine d'ouvrages sur le western que je possède : la moitié ne le cite même pas et parmi les autres, beaucoup passent très rapidement dessus et seul Brion lui a consacré une page de son livre.
Merci sinon :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Frank 'Spig' Wead a écrit : Penses-tu (M. Fox) qu'en revanche le film marque l'épuisement du western psychologique, disons pour simplifier la période qui commence avec Anthony Mann. C'est une question, pas une affirmation.
En regardant rapidement ce qui suit, c'est vrai qu'il n'y en a pas beaucoup qui pourraient prétendre entrer dans ce cas de figure mais ma mémoire me joue tellement de tour que je ne pourrais pas l'affirmer maintenant. On verra par la suite :wink:
Malone est superbe, et rien que pour ça il vaut le coup.
Oui ; et pourtant je ne suis pas spécialement fan de la comédienne.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

O'Malley a écrit : des moments très convenus (l'attaque des Indiens par exemple)...
Tiens, je n'en ai pas parlé non plus mais contrairement à toi cette scène m'a également positivement surpris d'autant qu'il n'y a pas d'attaque au final alors que l'un des leurs a quand même été tué lâchement et sans sommation. Ca se termine même sur un trait d'humour assez bienvenue je trouve.
Frank 'Spig' Wead
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Message par Frank 'Spig' Wead »

Jérôme Fox a écrit : A suivre : Les Deux Cavaliers (Two Rode Together) de John Ford avec James Stewart & Richard Widmark
Je vois que tu vas attaquer ce film, et peut-être que ça va t'étonner, mais de la sortie du livre de Jean Roy Pour John Ford , et disons le début de années 90, il était encensé par une certaine critique, et même cité dans des listes de meilleurs westerns voire films tout court. Je n'ai plus la preuve physique de ce que j'avance, j'étais encore tout jeunot. J'étais alors très étonné car j'avais détesté le film en le decouvrant pour la pemière fois sur France 2 (c'était peut-être encore antenne 2). Les critiques parlaient alors de Das Kapital au far West, focalisant leur analyse sur la thématique de l'argent et de l'échange. Depuis l'engouement pour le film est retombé. Pour ma part je l'apprécie davantage que lors de ma première vision. Mais c'est très loin d'être une oeuvre fétiche. Hâte de lire ta chronique ... (mon instinct me dit que tu n'es pas un grand admirateur du film, je verrai si je me trompe).
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Hitchcock »

Je connais des personnes qui en parlent comme un chef d'oeuvre de John Ford, voir même plus réussi que son modèle The Searchers... :shock:
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique IV 1960-19

Message par Jeremy Fox »

Frank 'Spig' Wead a écrit :
Jérôme Fox a écrit : A suivre : Les Deux Cavaliers (Two Rode Together) de John Ford avec James Stewart & Richard Widmark
Je vois que tu vas attaquer ce film, et peut-être que ça va t'étonner, mais de la sortie du livre de Jean Roy Pour John Ford , et disons le début de années 90, il était encensé par une certaine critique, et même cité dans des listes de meilleurs westerns voire films tout court. Je n'ai plus la preuve physique de ce que j'avance, j'étais encore tout jeunot. J'étais alors très étonné car j'avais détesté le film en le decouvrant pour la pemière fois sur France 2 (c'était peut-être encore antenne 2). Les critiques parlaient alors de Das Kapital au far West, focalisant leur analyse sur la thématique de l'argent et de l'échange. Depuis l'engouement pour le film est retombé. Pour ma part je l'apprécie davantage que lors de ma première vision. Mais c'est très loin d'être une oeuvre fétiche. Hâte de lire ta chronique ... (mon instinct me dit que tu n'es pas un grand admirateur du film, je verrai si je me trompe).
Je n'aime même pas du tout ; tout du moins suite à mon précédent visionnage. Oui, il avait été mis à un moment sur un piédestal par la critique française alors que presque tous les spécialistes du cinéaste ne l'apprécient guère ; à juste titre pour ma part. Mais bon, je repars sans à priori pour cette nouvelle vision :wink:
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