L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Hitchcock
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L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Hitchcock »

L'Ombre d'un doute (Shadow of a Doubt) d'Alfred Hitchcock (1943)

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Poursuivi par la police, Charlie Oakley, un assassin de riches veuves, se réfugie chez sa sœur à Santa Rosa en Californie, où il retrouve sa nièce Charlie qui lui voue une profonde admiration. Deux policiers déguisés en journalistes le surveillent de près, semant le doute dans l'esprit de la jeune fille, qui finit par soupçonner l'impensable.

L'Ombre d'un doute est assurément un très grand chef d'oeuvre, qui fait partie des six meilleurs films du maître au même titre que Fenêtre sur Cour ou Psychose. Joseph Cotten et Teresa Wright livrent une superbe interprétation, dans une histoire originale d'Hitchcock née d'une collaboration avec Thornton Wilder. Le suspens est parfaitement géré jusqu'à la scène finale, terrifiante, du train. Le spectateur vit en même temps que la jeune fille, progressivement, l'effondrement de son idole. Joseph Cotten est le héros du film et en même temps le méchant, c'est un personnage très complexe qui a un profond mépris pour la société. Le film contient des petites pépites de suspens, comme la scène où Charlie n'a que quelques minutes pour atteindre la bibliothèque : le spectateur se demande tout le long de son trajet, retardé par différentes choses, si elle va arriver à temps ou non. La scène finale, quant à elle, est une véritable anthologie. Quelques métaphores intéressantes : la fumée noire du train symbolisant l'arrivée du diable dans une paisible ville. Enfin, beaucoup d'humour dans ce film, avec les seconds rôles très bien choisis, notamment Hume Cronyn qui tournera avec Hitchcock dans Lifeboat et collaborera aux scénarios de La Corde et Les Amants du Capricorne.
Le long-métrage, tourné en décors réels à Santa Rosa, reste visuellement très beau. La musique de Dimitri Tiomkin, qui donne dans des registres différents tout au long du film, accompagne ce dernier merveilleusement. On peut regretter deux choses : quelques incohérences scénaristiques, et le manque de charisme évident de Macdonald Carey, alias le détective.
18/20

Lien vers la Chronique Classik du film
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Dernière modification par Hitchcock le 4 janv. 14, 18:02, modifié 2 fois.
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Watkinssien
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Watkinssien »

Une oeuvre remarquable en tous points. Il faut voir à quel point Hitchcock s'est senti à l'aise avec cette histoire, notamment par une mise en scène d'une belle sobriété, loin des effets puissants auxquels le cinéaste nous avait habitués. Ici tout coule avec une fluidité peu commune. Les enjeux dramatiques, la caractérisation des personnages (avec tous les enjeux psychologiques et psychanalytiques que cela provoque), la tension trouble et feutrée et la finesse de l'interprétation en font un drame criminel magnifique et subtil.
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Demi-Lune
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Demi-Lune »

Allez, pour faire mon chieur, un Hitchcock qui m'ennuie beaucoup-beaucoup. Comprends pas sa réputation.
Je crois que c'est celui que je trouve le moins intéressant parmi tous ceux des années 40 (oui, je suis un défenseur du Procès Paradine :fiou: ). Je mets évidemment de côté des trucs impersonnels comme Joies matrimoniales.
L'idée de départ est bonne, tout comme le duo Joseph Cotten/Teresa Wright.
Mais le talent de conteur de Hitch est souvent pris en défaut. L'ombre d'un doute souffre de vraies longueurs (la scène précédant l'arrivée d'Oncle Charlie, où nous est présentée toute la famille, est interminable), de personnages effleurés (le voisin impromptu, le père passif), et d'une interprétation très discutable (la mère avec son insupportable sourire à la Joker, la petite pédante). En outre, je n'ai pas tellement cru à cette love-story entre Charlie et le policier, alors que Hitchcock est un maître dans ce domaine. Esthétiquement, je crois me souvenir que c'est quand même décevant.
Le plus intéressant est à chercher du côté de cette représentation de l'Amérique moyenne et provinciale, et dans ce duo captivant et ambigu formé par les deux Charlie. Dès que le film ne s'attarde plus sur eux deux, il perd de son intérêt et devient long et ennuyeux... incidemment, la dernière demi-heure, focalisée sur ces "jumeaux", est la plus intéressante du film. Du coup, je trouve surprenant que ce film ait la préférence de Hitch auprès de Truffaut, car le bonhomme devait quand même se rendre compte qu'il avait fait bien mieux ne serait-ce qu'à la même époque.
feb
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par feb »

Demi-Lune a écrit :Je mets évidemment de côté des trucs impersonnels comme Joies matrimoniales.
Merde, il m'a fallu faire une recherche Google pour savoir de quoi tu parlais :mrgreen:
Sinon je me place dans le camp de Demi, un ennui très poli devant ce Hitchcock.
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Demi-Lune
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Demi-Lune »

feb a écrit :
Demi-Lune a écrit :Je mets évidemment de côté des trucs impersonnels comme Joies matrimoniales.
Merde, il m'a fallu faire une recherche Google pour savoir de quoi tu parlais :mrgreen:
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Watkinssien
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Watkinssien »

Je peux comprendre le rejet dans la mesure où ce film est particulier dans la brillante filmographie du Maître.

Pour ma part, je ne m'ennuie jamais devant ce film (bien meilleur, à tous points de vue, que The Paradine Case :wink: :mrgreen: ).

La présentation de la famille avant la venue de l'oncle est bien menée, pour ma part. On y sent derrière la "normalité" des relations des aspects plus retors, comme si c'était une façade que Hitchcock voudrait faire imploser. Il nous ne montre rien et pourtant, il y a quelque chose de pervers (mais il faut plusieurs visionnages pour s'en rendre compte).

Et d'un point de vue esthétique, le film est très beau, seulement c'est un Hitchcock plus "posé" que d'habitude, plus sage, moins "virtuose". Cela n'empêche aucunement le film d'être formellement réussi, car sa mise en scène s'accorde bien avec le sujet. C'est l’incrustation de la pulsion naturelle dans un univers culturel codé et le cinéaste choisit de "contextualiser" cette atmosphère traditionnelle par un classicisme omniprésent.
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Mama Grande! »

Pour moi un des sommets de la filmo du maître. J'ai d'ailleurs beaucoup de mal à établir une hiérarchie entre ses nombreux sommets. Mais l'Ombre d'un doute est l'un de ceux que j'ai le plus de plaisir à revoir. C'est vrai qu'il est particulier, moins thriller pur que ses films suivants. Néanmoins sa description posée de la bourgade américaine qui préfigure Twin Peaks, la relation avec Oncle Charlie, son suspense qui prend le temps de s'installer, son humour...Tous ces éléments s'équilibrent à merveille et font de ce film un univers complet que l'on a plaisir à revisiter. Tout en le trouvant moins grandiose que Les Oiseaux ou North by Northwest, je le trouve extrêmement attachant.
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par someone1600 »

Un bon film mais loin d'être mon préféré du maître.
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Frances
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Frances »

L’OMBRE D’UN DOUTE (1943) d’Alfred Hitchcock avec Joseph Cotten, Teresa Wright, MacDonald Carey (détective Jack Graham), Henry Travers (Joseph Newton).

L’ombre d’un doute ou la perte de l’innocence…une piste de réflexion à prendre ou à laisser.

Charlie Oakley est le personnage central du film autour duquel s’articulent les figures féminines : Charlie sa nièce au troublant prénom homonyme, sa sœur Emma qui porte la nostalgie d’une enfance heureuse et partagée et lui voue toujours un amour sans réserve, Ann la fille cadette d’Emma plongée en permanence dans ses livres et qui n’opère aucune distinction entre le réel et la fiction, ses victimes – de riches veuves adipeuses qui dilapident bêtement la fortune accumulée par leurs défunts époux et qui offensent l’existence par leur seule présence – Misanthrope et misogyne, fourbe et pervers, Charlie arbore le masque du séducteur et du parent prodigue qui affiche ostensiblement sa réussite lors d’une scène finement orchestrée à la banque où travaille son beau frère. Dans cette petite ville typiquement américaine, bien sous tous rapports, le célibataire nanti offre une alternative tentante à la vie de famille codifiée, balisée et sans surprise.
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Mais l’enchantement qui agissait jusque-là sur Charlie, qui vouait à son oncle une admiration sans borne montre des signes de faiblesse quand l’oncle passe au doigt de sa nièce une bague pour sceller une alliance incestueuse. L’oncle Charlie voit désormais sa nièce comme une femme, provoquant subséquemment la perte de l’innocence et la naissance des premiers doutes à son encontre. Cette vision qu’il a d’elle sera confirmée dans une scène ultérieure quand il la rattrape après qu’elle a quitté la table et l’entraîne dans un bar louche pour tenter de découvrir ce qu’elle sait et pactiser si nécessaire.

C’est l’éveil de la sexualité de la jeune fille, initiée par l’oncle, confirmé par les sentiments que lui porte le policier qui enquête sur celui-ci qui agit en tant que révélateur, enclenche la prise de conscience, amorce le mécanisme de séparation et de perte. Perte de l’innocence, perte de l’aveuglement qui désignait alors la maison des Newton comme le refuge idéal (maison qui verra son écho dans celle faite de papier journal pour dissimuler des informations compromettantes).

Hitchcock réussit là un film passionnant. L'ombre d'un doute ou le joyau du maître jouant sur l’ombre et la lumière pour révéler les différentes facettes d’un même personnage. Il malmène la sacro sainte famille américaine heureuse en apparence mais prête à se laisser aveugler par le premier séducteur venu pour peu qu’il bouscule le morne quotidien des femmes au foyer. Il nous dit aussi que cette famille modèle peut cacher en son sein un meurtrier et que la communauté tout aussi myope peut l’élever au rang de héros.
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Hitchcock »

Un film tellement riche et passionnant qu'on finit par se perdre dans les différentes pistes d'analyse... Celle que tu proposes est très intéressante ! :wink:
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Frances
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Frances »

Hitchcock a écrit :Un film tellement riche et passionnant qu'on finit par se perdre dans les différentes pistes d'analyse... Celle que tu proposes est très intéressante ! :wink:
Merci, d'autant plus touchée que c'est un connaisseur qui le dit. :wink:

J'ajouterai que je les extérieurs du début et la fuite de l'oncle Charlie m'ont bien bluffée. C'est sec et précis et fort bien maîtrisé.
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Harry Caine »

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Un détail que je trouve absolument remarquable dans ce film c'est la qualité de la garde-robe de Joseph Cotten / Oncle Charlie. Elle caractérise très bien le personnage, très élégant, mais avec une sophistication, une recherche un peu trop pointue, qui plus que le séducteur, fait apparaître le jouisseur, l'anarchiste qui refuse toute entrave à son plaisir. Un type de tueur qui va très bien avec le cinema d'Hitchcock - voir La Corde.
Parmi les multiples tenues de Cotten dans le film, j'apprécie particulièrement cette cravate très originale.

On peut d'ailleurs noter que les costumes de l'Ombre d'un doute sont l'oeuvre de Vera West, Head of Costume Design d'Universal pendant vingt ans et à ce titre, pouvant être considéré comme l'un des artisans de la construction de l'image de la "femme fatale".
D'ailleurs une de ses plus belle réussites était son travail sur les Tueurs de Siodmak:
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par Hitchcock »

Le travail de costumes est assurément remarquable, comme dans beaucoup de Hitchcock. Enfin je ne m'aventurerai pas plus loin car je n'y connais absolument rien en mode.
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par shubby »

Découvert sur Arte tout récemment.
Il est jubilatoire de le voir programmé alors que l'affaire Cahuzak bat son plein, soit dit en passant.

J'ai adoré, c'est vraiment bon. Pourtant, il est daté, en cela qu'il a influencé son monde, un monde que j'ai découvert avant la bête. Un tas de films doivent bcp à ce Hitchcock, pourtant, parce que je les ai vus avant et parce que, aussi, ils ont parfois su raconter autre chose en sus, je les préfère.
Le Stoker du coréen PCW l'a davantage sexué, par exemple.
Woody Allen en a repris la "chute" pratiquement tel quel dans son correct Homme irrationnel - qui lui reste inférieur, ça reste une anecdote.

Pour ma part, c'est surtout La vérité nue d'Atom Egoyan qui prolonge admirablement cette oeuvre. La bonne morale, de façon excellemment troublante, ne gagne pas à la toute fin ; chez Hitchcock, si, on a droit au happy end.

L'ombre d'un doute reste incontestablement une pierre angulaire, une étape, un de ces films "socle" sans lesquels d'autres n'auraient pas pu se bâtir.
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AtCloseRange
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Re: L'Ombre d'un doute (Alfred Hitchcock - 1943)

Message par AtCloseRange »

Je ne suis pas un fou du Hitchcock mais le voir comparé au film raté d'Egoyan, ça me fait mal au derrière.
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