Le Western
El Paso, ville sans loi (El Paso, 1949) de Lewis R. Foster
PARAMOUNT
Sortie USA : 05 août 1949
Après le nombre de westerns noirs et adultes sortis dans les mois précédents, à la vision d’
El Paso, les spectateurs de l’époque ont du se croire revenu quelques années en arrière, ce film se révélant être délicieusement anachronique pour 1949, totalement désuet par son ton et son style malgré une histoire une nouvelle fois assez sombre. En effet, le film de Lewis R. Foster retrouve une naïveté qui avait un peu déserté le genre et fait bien plus penser à la vague des westerns de série du début des années 40 dans lesquels George Gabby Hayes faisait déjà office de faire valoir comique à ces stars montantes qu’étaient John Wayne ou Randolph Scott. Ici, il s’acoquine avec un nouveau venu dans le genre, John Payne, sans changer quoi que ce soit au personnage cocasse et pittoresque qu’il a toujours tenu. L’histoire proposant plusieurs pistes intéressantes n’allait pas tenir toutes ses promesses à l’écran mais le spectacle allait néanmoins se révéler agréable.
La Guerre de Sécession vient de prendre fin. L’ex-officier confédéré Clay Fletcher (John Payne) reprend son métier d’avocat à Charleston. Il saute néanmoins sur la première occasion d’aller faire signer un document au juge Jeffers (Henry Hull) désormais installé à El Paso pour raison de santé, dans le but de lui demander la main de sa fille, Susan (Gail Russell). Ce qu’il découvre n’est pas bien reluisant : la ville texane est sous la coupe du tenancier d’un saloon, Bert Donner (Sterling Donner) dont le bras droit n’est autre que le shérif local, le véreux LaFarge (Dick Foran). Ils font régner la terreur, s’octroyant les terres des soldats partis au combat leurs épouses n’ayant pas pu s’acquitter à temps des impôts, faisant lyncher ceux qui font mine de se révolter, profitant de la faiblesse du juge déchu devenu alcoolique pour lui dicter des sentences impitoyables. Outré par les procès truqués, par le comportement des notables et par la violence qui règne en ville, il décide, en tant qu’homme de loi, de prendre légalement la défense des fermiers spoliés. Mais après que son futur beau-père se soit fait assassiner suite à un procès qui avait enfin fait innocenter un pauvre paysan tué à son tour, il se transforme en nettoyeur sans concession, faisant subir aux despotes le même traitement que ces derniers faisaient endurer aux pauvres bougres se mettant en travers de leur chemin. Les morts s’accumulent, ce qui n’est pas du goût de Susan qui fait venir le grand-père de Clay. Elle espère qu’il pourra faire entendre raison à son petit-fils d’autant qu’elle ne souhaite pas épouser un homme devenu meurtrier…
«
Si vous voulez vivre, apprenez à tirer » dira-t-on à l’avocat venu à El Paso juste pour demander la main de la fille du juge. Au vu de ce conseil et à la lecture de l’histoire on constate à quel point le film pouvait sembler sombre ; mais comme dit précédemment, il ne se révèle qu’une petite série B sans conséquences dont le ton se révèle finalement assez décontracté. Il faut dire que Lewis R. Foster fut longtemps gagman pour les courts métrages burlesques de Hal Roach avant d’écrire des scénarios et de venir sur le tard à la mise en scène. Parmi ses écrits signalons surtout qu’il est à l’origine du sujet original d’un des chefs-d’œuvre de Frank Capra, le célèbre
Monsieur Smith au Sénat (
Mr Smith go to Washington) et qu’il fournira à René Clair l’idée de sa délectable comédie
C’est arrivé demain (
It Happened Tolmorrow). En tant que cinéaste, il se spécialisera dans le polar et le western de série B,
El Paso étant son premier western et le premier de ses films produits par le duo William H. Pine et William C. Thomas. Leur compagnie distribuée par la Paramount produira la plupart des œuvres suivantes de Lewis R. Foster dont le genre de prédilection deviendra le film d’aventure exotique coloré, John Payne et Rhonda Fleming étant de presque toutes ces escapades. On prénommait Foster ‘le Cecil B. DeMille du budget minuscule’ et il eut pour autre partenaire d’élection, la douce et jolie Gail Russell qu’il se partageait avec l’autre réalisateur qui œuvrait à l’époque quasiment dans le même style de film, Edward Ludwig, auteur du magnifique
Le Réveil de la Sorcière Rouge (
Wake of the Red Witch). En tout cas, le cinéaste eut la cote auprès des cinéphiles français de l’époque, Tavernier et Coursodon écrivant même dans leur première édition sur 30 ans de cinéma américain "
Heureux les cinéphiles qui ont connu Foster" !
Dans
El Paso, on voit apparaître pour une des premières fois celui qui sera une révélation l’année suivante dans la peau du gangster Dix Handley, celui de
Quand la Ville Dort (
Asphalt Jungle) de John Huston, le charismatique Sterling Hayden. Dans ce western, même s’il est le meneur des ‘Very Bad Guys’, on peut dire qu’il s’avère assez transparent, les scénaristes n’ayant pas eu l’air de s’intéresser plus que ça aux méchants du film, aucun d’eux ne nous laissant forte impression. A ses côtés, on retrouve donc Gail Russell, l’une des actrices les plus attachantes du moment, deux ans après son personnage inoubliable dans
L’Ange et le Mauvais Garçon (
The Angel and the Badman). C’est cette même année 1949 qu’on pouvait aussi la voir dans cette merveille méconnue signée Edward Ludwig dont je touchais deux mots le paragraphe juste au dessus. Dans
El Paso, elle n’a pas grand-chose à faire mais arrive pourtant à nous attendrir. Son père, le juge fantoche qu’elle soutient par amour filial, est interprété par le sympathique Henry Hull, déjà de la distribution de
Colorado Territory de Raoul Walsh, surtout connu dans le genre pour avoir été le major Rufus Cobb, journaliste teigneux et râleur dans le dytique
Jesse James /
The Return of Frank James. Si George Gabby Hayes interprète encore et toujours le rôle du vieux grincheux aux cheveux blancs, Mary Beth Hughes se voit octroyer un personnage secondaire tout à fait savoureux, celui d’une ‘voleuse de diligence’ d’un genre tout particulier : alors qu’elle fait route assise aux côtés de ses compagnons de voyage, elle leur propose de garder leur argent prétextant qu’il serait à l’abri en cas d’attaques par des bandits, ces derniers ne s’en prenant jamais aux femmes ; bien entendu, à l’arrivée, avant que les dupés pensent à lui redemander leurs biens, elle s’est éclipsée !
Mais le héros du film est interprété par John Payne. Après avoir été l'un des jeunes premiers des comédies musicales de la Fox auprès de Betty Grable ou Alice Faye, avec El Paso il entre dans une seconde partie de carrière où, cette fois (le veinard) aux côtés de Rhonda Fleming, Gail Russel ou d'autres belles jeunes femmes, il tourne des dizaines de films d'aventures ou westerns de série B dont de nombreux sont réalisés par Lewis R. Foster et Edward Ludwig. L’acteur dont le nom ne dira pas grand-chose à beaucoup, aura pourtant toujours une place de choix dans le cœur des cinéphiles pour avoir été le comédien de prédilection d’Allan Dwan dans les années 50 dans les films qu’il tourna avec le producteur Benedict Bogeaus (nous les aborderons dès 1954). A cause d’un physique assez neutre et un visage quasiment immuable, beaucoup le jugeront fade mais, à l’instar de Randolph Scott, je lui trouve au contraire (dans
El paso, son premier western et après aussi d’ailleurs) une certaine élégance de dandy et un jeu à la sobriété exemplaire, ne tablant jamais sur quelques mimiques ou grimaces que ce soit, ne cherchant jamais à trop en faire. Certains prendront cette forme ‘d'underplaying’ pour un manque de talent ; pour ma part, il me convient tout à fait. En tout cas, John Payne possède une belle prestance dans ce western où il incarne un personnage plutôt complexe tour à tour homme de loi nonchalant ou chef d’une milice n’hésitant pas une seconde à massacrer ses anciens ennemis. Bref, un nouveau venu dans le genre qui s’y coule parfaitement bien.
Alors certes, le film est inégal, bien trop long (98 minutes là où un autre aurait pu le boucler en à peine 70 minutes) et survole de très loin un potentiel de départ qui semblait devoir être plus ambitieux mais son but n’était à priori que de divertir et, sans rien vouloir révolutionner, il le réussit parfois plutôt bien notamment dans la description de ce personnage principal tiraillé entre son éthique et sa soif de vengeance. Si de nombreux westerns avaient déjà évoqués l’après guerre civile, il me semble n’avoir encore jamais vu ces images de soldats disséminés sur la route, leur paquetage sur les épaules, en train de revenir dans leurs foyers ou ces femmes ayant été expulsées de leurs terres pour ne pas avoir pu payer assez vite leurs taxes, campant au bord de la route pour être certain de ne pas louper leur époux de retour des combats. D’autres images assez inédites et en Cinécolor, celle des pendus que l’on redescend de l’arbre en plein jour devant les citoyens vaquant à leurs occupations, ce curieux plan d’un cerf en contre-jour regardant la diligence traverser le paysage ou encore ces paysages calcaires au sein desquels a lieu une poursuite assez efficace au premier tiers du film. Enfin, Lewis R. Foster s’essaie à des trucs de mise en scène qui semblent parfois incongrus, comme le montage de la séquence d’apprentissage au tir au pistolet, mais qui peuvent s’avérer par la même occasion assez enthousiasmants par leur cocasserie même si ce n’était certainement pas le but poursuivi.
De la même manière, le combat final qui se déroule dix minutes durant lors d’une tempête de vent et de sable, s’il s’avère dramatiquement peu efficace le spectateur n’arrivant pas à distinguer grand-chose, nous octroie quelques flagrances plastiques probablement involontaires mais bien présentes telles ces ombres apparaissant subrepticement le révolver au poing ou ces plans redoutablement énergiques de cavaliers en pleine course entourés par un nuage de poussière orangé. Quelques fulgurances, quelques images assez neuves, une histoire assez intéressante et quelques comédiens plutôt bien choisis pour un western de série un peu démodé qui ne devrait plaire qu’aux seuls aficionados.
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L’Aigle et le Vautour (The Eagle and the Hawk, 1950) de Lewis R. Foster
PARAMOUNT
Avec John Payne, Rhonda Fleming, Dennis O’Keefe, Thomas Gomez, Fred Clark, Frank Faylen, Eduardo Noriega, Walter Reed…
Scénario : Lewis R. Foster & Daniel Mainwaring
Musique : Rudy Schrager
Photographie : James Wong Howe (Technicolor)
Une production William H. Pine & William C. Thomas (Paramount)
Couleur - 97 mn - 1950
Sortie USA : 30 mai 1950
Notre parcours nous avait déjà fait croiser une fois la route de Lewis R. Foster alors que nous en étions à l’année 1949. Il nous présentait alors son premier western assez anachronique, le sympathique mais oubliable
El Paso. A l’occasion nous avions rapidement abordé sa filmographie ; rappelons succinctement que parmi ses contributions célèbres, il fut à l’origine du sujet original de
Monsieur Smith au Sénat (Mr Smith goes to Washington) de Frank Capra et que Tavernier et Coursodon dans la première édition de leur livre sur 30 ans de cinéma américain avaient écrit sur lui ce court mais surprenant éloge : ‘
Heureux les cinéphiles qui ont connu Foster’ et à propos de ce deuxième western du cinéaste, ‘
dont l’humour et la photo de James Wong Howe ne manquent pas d’agréments’. Bref, si le nom de ce cinéaste ne dira aujourd’hui certainement rien à une immense majorité, il serait convenable de ne pas complètement l’oublier. Il se rappelle à nous aujourd’hui avec son excellent deuxième essai dans le genre,
L’Aigle et le Vautour ; à notre tour de le faire sortir de l’injuste oubli dans lequel il est tombé.
En 1863, en plein milieu de la Guerre de Sécession, le Texas Ranger Todd Croyden (John Payne) délivre Whitney Randolph (Dennis O’Keefe) d’un camp de prisonniers confédérés. De retour au Texas, le gouverneur lui apprend que l’homme qu’il vient de sortir de cette mauvaise posture n’est autre qu’un espion à la solde des Nordistes. Todd n’en croit pas ses oreilles ; avoir risqué sa vie pour sauver un ennemi du Sud ! Et ce n’est pas fini puisqu’il est maintenant chargé de l’accompagner au Mexique. En effet, il semble se préparer dans ce pays un bien plus grand danger que les conflits civils qui gangrènent actuellement les Etats-Unis et contre lequel il convient de s’assembler pour lutter. On a cru comprendre que non loin de la frontière, le général mexicain Liguras surnommé ‘le vautour’ (Thomas Gomez) levait une armée dans le but d’envahir le Texas. Il faut aller s’en rendre compte sur place d’autant que le précédent agent secret envoyé en ces lieux est désormais porté disparu et que les armes que les américains font porter au président Juarez n’arrivent jamais à destination. En route, les deux hommes aident Madeline (Rhonda Fleming), une jolie demoiselle, à se sortir d’un mauvais pas, son chariot s’étant retrouvé coincé au milieu d’une rivière. En arrivant dans la première ville mexicaine, ils la retrouvent et apprennent qu’il s’agit de la fille de l’important Basil Danzeeger (Fred Clark) qui semble faire la pluie et le beau temps dans la région. Ils découvrent sans tarder que le prédécesseur de Whitney a été tué et que la situation est encore plus compliquée que ce qu’ils avaient suspecté…
John Payne :
“This spying business … wouldn’t be dangerous would it?”
Dennis O’Keefe
“Little bit. Worse that can happen to you is you get killed.”
A postériori, ce western pourra peut-être sembler banal mais puisque nous avançons chronologiquement, nous ne pouvons que constater avec surprise que ce film pourrait tout simplement être l’un des premiers westerns d’espionnage et que c’est aussi l’une des premières fois que l’action se déroulait quasi intégralement sur le territoire mexicain et non plus en Amérique du Nord même si le tournage a eu lieu en Arizona. En tout cas, nous concernant, il s’agit de nouveautés d’où mon envie encore plus grande de vouloir défendre ce petit western méconnu mais qui aura innové sur plusieurs plans. Il est également intéressant de constater que les mexicains ne sont encore pas ici caricaturés comme ils le seront trop souvent par la suite y compris dans des chefs-d’œuvre du genre. Rendons grâce pour tout ceci au scénariste Daniel Mainwaring (déjà auteur non négligeable de petites pépites telles
La Griffe du Passé – Out of the Past de Jacques Tourneur ou encore de
Ca Commence à Vera Cruz – The Big Steal de Don Siegel) qui, en collaboration avec le réalisateur lui-même, a signé un scénario non seulement novateur mais intelligent, extrêmement bien écrit, plein d’humour et historiquement passionnant.
Eduardo Noriega :
“I see a army building in the mountains, I see peasants with silver in their pockets for joining that army, and I hear El Captain speak of leading an army into Tejas when word and arms come from Presidente Juarez.”
Alors que la Guerre de Sécession faisait rage, Napoléon III a voulu profiter de cette déstabilisation et vulnérabilité du pays pour installer à la tête du Mexique, Maximilien d’Autriche, trahissant ainsi le président légitime, Benito Juarez, alors ami du gouvernement américain. Le fait historique est bien réel mais, il serait dommage au détriment de l’intrigue, de dévoiler les rouages qui feront prendre conscience à nos héros de ce coup d’état qui se préparait en sourdine. Car l’imbroglio d’espionnage mis en place par les scénaristes, quoique très fluide et finalement assez attendu, n’en est pas moins captivant pour l’époque. Mais ce n’est pas le seul point positif de ce script ; en effet, le duo que Foster et Mainwaring a décrit, celui formé par un Texas Ranger et un agent secret du camp adverse, est bougrement attachant et leurs relations faites d’amitié, de connivence et d’ironie m’ont fortement fait penser à celles qui lieront plus tard les personnages interprétés par Roger Moore et Tony Curtis dans la série
Amicalement Votre ; une sacrée belle descendance quand même ! Et vu que John Payne et Dennis O’Keefe sont parfaits dans la peau de leurs protagonistes respectifs, on se régale de leurs échanges divinement spirituels ; il faut dire que les dialogues concoctés pour ce film et dont j’ai parsemé ce texte de quelques exemples, s’avèrent brillants et savoureux. Attention, ne vous y trompez pas ; il ne s'agit aucunement d'une comédie mais d'un film bourré d'humour, nuance !
John Payne à Rhonda Fleming :
“I don't know anything about you, except you can tie a man's stomach in knots and make his tongue feel as thick as a saddle blanket.”
Pour compléter cette histoire d’espionnage et d’amitié, une romance se fait jour entre John Payne et Rhonda Fleming, un couple dont l’alchimie fonctionne à merveille et qui se reformera à de nombreuses reprises sous la direction du même Lewis R. Foster mais aussi sous celle plus prestigieuse d’Allan Dwan. Rien de naïf ni de mièvre dans cette histoire d’amour qui, sans en dire plus, a peut-être pu influencer Fritz Lang pour son
Rancho Notorious ; en effet, elle possède de nombreux points communs avec celle liant Marlene Dietrich et Arthur Kennedy. Et les amateurs d’action là dedans ; entre délicates réparties humoristiques, running gag amusants (celui des bottes), imbroglio d’espionnage, mise en perspective historique et séquences romantiques, sont-ils oubliés pour autant ? Pas du tout car le film file à vive allure et n’est pas dénué de scènes mouvementées qui culminent avec celle au cours de laquelle John Payne est attaché entre deux mustangs lancés au grand galop dans le but de le faire mourir écartelé et dépecé. Dommage que le manque de moyens se fassent ressentir à ces moments cruciaux et que l’utilisation maladroite des transparences gâche un peu notre plaisir. Car oui, il s’agit malgré tout d’un petit film de série solidement réalisé par Lewis R. Foster, ce dernier ne s’avérant cependant pas assez doué pour constamment pallier à ce trop petit budget comme le seront par exemple André de Toth ou Budd Boetticher.
Saluons aussi la photographie en Technicolor de James Wong Howe qui nous avait surtout habitué jusqu’à présent à manier le noir et blanc avec ‘dextérité’ et un casting parfaitement choisi. Si Rhonda Fleming n’est pas spécialement une grande actrice, cette sculpturale rousse en impose quand même sacrément, Fred Clark et Frank Faylen sont des ‘méchants’ que l’on aime haïr et nos deux compagnons de fortune sont superbement interprétés par Dennis O’Keefe, le bavard impénitent, et John Payne, bien moins loquace, préfigurant l’homme sans nom de Leone avec ses réparties cinglantes et non dénuées d’une forte dose d’ironie. Alors qu’on le critique souvent pour sa fadeur, je vous conseille de jeter un coup d’œil sur la prestation qu’il délivre dans ce film pour vous rendre compte qu’il n’en est rien. Un acteur à redécouvrir d’urgence et que nous n’avons pas fini de croiser, pour mon plus grand plaisir. Un scénario intelligent et bien ficelé, de l’humour à revendre, de la romance, de l’action, un arrière fond historique passionnant, une pointe d'émotion inattendue vers le final… il manque assurément un grand metteur en scène derrière la caméra mais n’accablons pas plus ce pauvre Lewis R. Foster car son travail de bon artisan nous aura fait passer un moment bougrement agréable.
Pas de DVD pour ce film ; autant dire qu’il rentre directement dans mes souhaits les plus urgents pour pouvoir le revoir dans des conditions plus correctes, la copie sur laquelle j'ai pu le visionner étant celle avec le logo de la chaîne Action.
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Quatre étranges cavaliers (Silver Lode, 1954) de Allan Dwan
RKO
Avec John Payne, Lizabeth Scott, Dan Duryea, Dolores Moran, Emile Meyer, Robert Warwick, John Hudson, Harry Carey Jr., Alan Hale Jr., Stuart Whitman.
Scénario : Karen DeWolf
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la RKO
Sortie USA : 23 juillet 1954
Jusqu’à présent, à l’exception en 1939 de
Frontier Marshall (L’aigle des frontières), bien terne version de l’histoire du shérif Wyatt Earp et de son amitié avec Doc Holiday dont John Ford fera un remake avec
My Darling Clementine (La poursuite infernale), Allan Dwan nous aura déjà offert en ce début de décennie trois autres westerns on ne peut plus plaisants :
La Belle du Montana (Belle Le Grand) et
La Femme aux revolvers (Montana Belle), deux westerns mélodramatiques du plus bel effet, aussi charmants que désuets, ainsi que
La Femme qui faillit être lynchée (Woman who almost Lynched) qui sortait un peu des sentiers battus, donnant tous les rôles principaux à des femmes au sein d’une intrigue d’une étonnante richesse.
Silver Lode marque le début d’une fameuse collaboration avec le producteur Benedict Bogeaus et confirme que Dwan était non seulement un homme sensible mais également le cinéaste qui, dans le genre, s'intéressait le plus aux personnages féminins, leur donnant une étoffe, une éthique et une importance encore assez rares. Un western lorgnant du côté du film du film noir ; un des grands chef-d'oeuvre de la série B !
Le jour de la fête nationale à Silver Lode, on s’apprête à célébrer le mariage de Dan Ballard (John Payne) avec Rose Evans (Lizabeth Scott), la fille du plus riche notable de la localité. La cérémonie se voit interrompue par l’arrivée inopinée de "quatre étranges cavaliers" dont le chef se dit être un Marshall (Dan Duryea) venu arrêter Ballard. Il l’accuse d’avoir, deux ans plus tôt, tué son frère d’une balle dans le dos et d’avoir dérobé 20 000 dollars. Il souhaite le ramener dans l’Etat où la tragédie s’est déroulée afin qu’il y soit jugé. Grâce à l’appui de ses concitoyens, Ballard obtient un sursis de deux heures afin de prouver son innocence. Le mystérieux Marshall, grâce à quelques malheureux concours de circonstances, va arriver à faire se retourner l’opinion publique en sa faveur, Ballard devenant ainsi la brebis galeuse et allant désormais devoir se défendre (presque) seul et contre tous. La tension est à son comble ; la violence ne va pas tarder à éclater et faire de nombreuses et innocentes victimes…
En plus de marquer le début de l’association Dwan/Bogeaus,
Silver Lode est la première rencontre entre le cinéaste et l’un de ses interprètes de prédilection, l’excellent et trop méconnu John Payne (déjà mémorable dans l'excellent mais trop ignoré
L'aigle et le vautour (The Eagle and the Hawk de Lewis R. Foster). C’est également le plus réputé des dix films de la collaboration prolifique entre le réalisateur et le producteur, auxquels il faut ajouter le compositeur Louis Forbes, le monteur James Leicester et le chef opérateur John Alton qui l'accompagneront tout du long. Et non seulement il s’agit d’un magnifique et âpre western de série B mais aussi dans le même temps, après les célèbres
High Noon (Le train sifflera trois fois) de Fred Zinnemann et
Johnny Guitar de Nicholas Ray, d’une nouvelle charge féroce contre le maccarthysme qui venait de gangréner l’industrie du cinéma de l’époque. Dwan n’avait pas eu personnellement à souffrir de la "chasse aux sorcières", et disait toujours ne pas s’intéresser à la politique, mais il semblait pourtant en avoir gardé un sacré ressentiment qu’il exprime vigoureusement dans ce virulent pamphlet. Western urbain comme le fameux
Train sifflera trois fois (High Noon), il s’en rapproche tout en allant bien plus loin et surtout plus frontalement. Il faut néanmoins savoir que cette hypothèse est venue de France, Dwan lui-même n’en ayant jamais fait cas dans ses interviews, ne semblant jamais avoir eu en tête une telle idée.
Il faut pourtant se rendre à l’évidence ; cette théorie tient toujours remarquablement bien le coup ! Jugez plutôt en relisant l'intrigue sachant que, comme son illustre prédécesseur, sa structure dramatique respecte également l’unité théâtrale de lieu et de temps ! L’élément primordial qui n’avait pas encore été indiqué lors du résumé est que le nom de famille du Marshall (qui n’est autre que le "bad guy" de l’histoire, personne n’en doute, et ce dès sa première apparition) n’est rien d'autre que McCarty. Comme le sénateur du même nom (au moins phonétiquement), sans véritables preuves à l’appui, ce manipulateur va réussir à lui seul à gagner la confiance des habitants de la ville alors qu’ils étaient jusque-là entièrement dévoués à l’accusé (le «
We are behind you ! » des concitoyens de Ballard ne fera pas long feu). La réputation d’un homme connu pour son intégrité morale va être entachée en quelques heures par une simple accusation venue d’on ne sait trop où. Après un temps de lucidité et de compréhension («
Admettons que Dan ait pu se tromper dans le passé. Qui d’entre nous est immaculé ? »), le venin de McCarty va vite se propager et le doute va s’installer bien ancré dans les esprits. Au final, les résidents de Silver Lode vont, sans trop de problèmes de conscience, retourner leurs vestes. On ne pouvait guère faire plus transparent de la part de la scénariste Karen DeWolf. Devant la tristement célèbre Commission des Activités Anti-américaines, les personnalités invitées à témoigner réussissaient à détruire la réputation de leurs collègues en guère plus de temps. Mettons que Dwan ne se soit pas rendu compte de 'la parabole' mais ça me semble assez peu probable !
Mais ce n’est pas tout et, dans la lignée d’autres films délibérément libéraux tels que
Fury de Fritz Lang ou, pour rester dans le domaine westernien,
L’Etrange incident (The Ox-Bow Incident) de William Wellman et le sublime
Johnny Guitar de Nicholas Ray,
Silver Lode fustige la lâcheté collective tout en mettant le doigt sur la bêtise de la foule prise dans un engrenage de violence, et qui n’hésite pas à vouloir rendre la justice elle-même sans en passer par un procès équitable. Le film, d’une formidable dignité, se révèle aussi éprouvants que les trois titres cités ci-dessus ; la tension est souvent à son comble au milieu de ce brassage très efficace de thèmes sociaux et politiques pour le moins assez inhabituels dans le western. Mais
Silver Lode n’est pas célèbre que pour son aspect extra-cinématographique (un manifeste libéral anti-maccarthiste), ni remarquable uniquement pour son sujet, mais se trouve être dans le même temps splendide sur le plan formel et de plus magnifiquement interprété et photographié.
Silver Lode a bénéficié d’un budget plus conséquent que les films suivants de la série qu'Allan Dwan tournera avec Bogeaus, même si la somme (800 000 dollars) reste dérisoire en rapport avec les films des grands studios ; ce n’est pas pour autant que le réalisateur l’utilisera à mauvais escient, préférant en rester à un dépouillement en corrélation avec un sujet sombre et dramatique. Il semble d’ailleurs sur ce point avoir parfaitement maitrisé son sujet. Sa mise en scène ne déroge pas au classicisme traditionnel, cependant transfigurée par une sorte d’évidence dans le choix des cadrages et de la succession des plans (le découpage sec et épuré ménage une intensité grandissante et réellement prenante), en même temps que dynamitée par l’intrusion de plans séquences absolument fulgurants comme ce célèbre travelling exalté (loué par Martin Scorsese) qui suit Ballard traqué dans les rues de la ville décorée aux couleurs de la nation. Justement à propos de Ballard, l’un de ces laissés-pour-compte qui auront toujours l’affection du cinéaste, c’est John Payne qui l’interprète avec une sobriété exemplaire, gardant toujours un visage fermé et inquiet sans chercher à trop en faire (certains prendront cette forme "d'underplaying" pour un manque de talent mais il n’en est rien, bien au contraire). Son rival dans le film, c’était déjà celui de James Stewart dans
Winchester 73 et plus récemment de Audie Murphy dans le très bon
Chevauchée avec le diable (Ride Clear of Diablo) de Jesse Hibbs, l’inquiétant Dan Duryea, ici une nouvelle fois prodigieux avec sa voix haut perchée, sa mine défaite et son sourire cruel. Parmi les seconds rôles apparaissent beaucoup de visages connus, en tout cas plus que leurs noms, ceux de Robert Warwick, Hugh Sanders, John Hudson, Roy Gordon, Emile Meyer et bien d’autres.
Ce casting quatre étoiles est entériné par Dolores Moran et Lizabeth Scott dans la peau des deux personnages féminins qui sont parmi les plus intéressants du film ; ce sont elles seules qui soutiendront jusqu’au bout l’accusé et qui viendront à son secours tout au long de son itinéraire tragique, compensant la noirceur du regard du cinéaste et de sa scénariste sur la société qu’ils décrivent sans complaisance. Deux femmes d’origines sociales et de caractères presque opposés, qui auraient pu être rivales (l’une est la riche future épouse de Ballard, l’autre son ex maîtresse, Dolly, une prostituée au grand cœur), mais qui préfèreront s’unir pour sauver l’homme traqué et lui faire retrouve sa respectabilité. Si la fiancée a pu douter un instant de son mari, Dolly lui a fait confiance à chaque seconde. Dolly, femme franche et obstinée, ne passe pas par quatre chemins pour balancer leurs quatre vérités aux membres de cette société puritaine et hypocrite qui abandonne l’un de ses siens par honte d’avoir accueilli en son sein un homme qui a pu être un aventurier en son temps. Dolly (dernier rôle de Dolores Moran qui était l’épouse du producteur Benedict Bogeaus) est un personnage que le réalisateur semble avoir beaucoup apprécié, au point de terminer son film par un plan qui la montre courir en fond de plan avec en main un télégraphe innocentant son ex amant.
Pas plus de graisse dans ce final que dans tout ce qui aura précédé, Allan Dwan étant allé à l’essentiel avec un sérieux jamais pesant (cependant non dénué d’ironie, McCarty étant tué par le ricochet de sa balle sur la cloche de l’église). Il nous aura délivré au bout du compte une œuvre dure, digne et remarquable, stigmatisant les préjugés et l’absence de générosité morale dans une société qui n’hésite pas à piétiner ses propres croyances en allant jusqu’à envahir une église pour attraper le fugitif. Un des très grands westerns américains de l’histoire du cinéma, aussi bien sur le fond que sur la forme. Un western que l'on peut légitimement comparer et préférer au
train sifflera trois fois. Dommage que le film de Dwan soit moins célébré que son prédecesseur.
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Sorti en zone 2 dans un coffret Allan Dwan édité par Carlotta.
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Le Mariage est pour Demain (Tennessee’s Partner - 1955) de Allan Dwan
RKO
Avec John Payne, Rhonda Fleming, Ronald Reagan, Coleen Gray, Anthony Caruso, Morris Ankrum, Leo Gordon
Scénario : D.D. Beauchamps, Milton Krims, C. Graham Baker & Teddi Sherman
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor 2.00)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la Benedict Bogeaus Production
Sortie USA : 21 septembre 1955
Juste après que se soit bouclée la sublime collaboration westernienne entre Anthony Mann et James Stewart avec
L’Homme de la Plaine (The Man from Laramie), voici qu’à son tour prenait fin non pas le corpus de westerns d’Allan Dwan dans son intégralité (puisqu’il en réalisera encore un en 1957,
The Restless Breed) mais la très bonne série de westerns qu’il signa sous l’égide du producteur Benedict Bogeaus. Ce que le prolifique cinéaste avait jusqu’à présent réalisé dans le genre depuis le début des années 50 se sera révélé aussi discret que dispensateur de bonheur et de réjouissance. Aujourd’hui, tous ces films restent pour la plupart encore assez méconnus à l’exception de
Silver Lode ; probablement à cause de leur trop grand classicisme et à leur absence totale d'ironie qui ne cadre plus bien avec l'époque actuelle. Il y eut tout d’abord sa série RKO/Républic qui ne manquait pas de charmes avec les plaisants
La Belle du Montana (Belle Le grand),
Montana Belle et, pour point d’orgue, l’excellent
La Femme qui faillit être lynchée (Woman they almost Lynched) ; puis ce fut le début de sa collaboration avec le producteur sus-cité et le superbe et puissant
Quatre Etranges Cavaliers (Silver Lode) suivi par
Tornade (Passion), curieux mais pas totalement abouti, et enfin le séduisant et naïf
La Reine de la Prairie (Cattle Queen of Montana). Rien ne nous préparait cependant à ce qui allait être son chef-d’œuvre, ce doux et splendide
Tennessee’s Partner, d’autant plus qu’il faisait suite à deux films exotiques guère enthousiasmants :
Les Rubis du Prince Birman (Escape to Burma) et
La Perle du Pacifique (Pearl of the South Pacific). Un western unique dans son ton et d'autant plus précieux qu'il peut sembler anecdotique à la première vision tellement il se fait discret y compris dans sa mise en scène !
A l’époque de la ruée vers l’or dans une petite ville californienne, on fréquente assidument l’accueillant saloon tenu par la sculpturale ‘Duchesse’ (Rhonda Fleming), elle-même entourée d’une kyrielle d’autres belles jeunes filles à marier. La maîtresse de maison est amoureuse de l’élégant Tennessee (John Payne), un joueur professionnel cynique qui ne veut pour l’instant pas entendre parler de mariage. Arrive Cowpoke (Ronald Reagan), un honnête cow-boy de passage venu attendre sa promise, qui sauve la vie de Tennessee en abattant un tueur à gage payé par un joueur rival pour l’assassiner. Une belle amitié se noue entre les deux hommes. Tennessee, en apprenant l’identité de la fiancée de son nouvel ami, Goldie (Coleen Gray), une aventurière cupide de sa connaissance, se doutant qu’elle n’en veut en fait qu’à son argent, fait tout son possible pour la faire repartir. Goldie s'étant exécutée, grassement payée pour le faire, les habitants de la ville ne se gênent plus pour accueillir Cowpoke avec moqueries et sarcasme. Ce dernier, se sentant ridiculisé, frappe violemment Tennessee avant de comprendre qu’il n’a agi que dans son intérêt. Mais leur amitié ainsi renforcée va buter contre la folie furieuse des mineurs quand ils apprennent que l'un d'entre eux, le vieux Grubstake (Chubby Johnson), a trouvé un filon dont il ne tient pas à révéler l'emplacement ; les conséquences seront dramatiques…
Après deux incursions dans l'exostisme, avec
Tennessee’s Partner Allan Dwan fait son retour dans l’Ouest américain du 19ème siècle réalisant du même coup peut-être son plus beau film, en tout cas également le préféré du cinéaste, un western tendre et mélancolique, plus préoccupé de s’appesantir sur les personnages et les relations qu’ils entretiennent entre eux que par l’intrigue, même si cette dernière est loin d’être inintéressante. En tout cas, le scénario est remarquablement bien construit et mené de main de maître. Nous sommes à l’époque de la ruée vers l’or dans une petite ville californienne dans laquelle l’établissement le plus assidument fréquenté est l’accueillant ‘Marriage Market’ tenu par ‘The Duchess’ (Rhonda Fleming), une rousse sculpturale entourée d’une kyrielle d’autres belles jeunes filles à marier. La maîtresse de maison est amoureuse de l’élégant Tennessee (John Payne), un joueur professionnel cynique possédant une bien piètre opinion de l’âme humaine. The Duchess et Tennessee, partenaires en amour mais aussi professionnellement, puisque non seulement le charme des filles aide à remplir les caisses mais en plus les gains récoltés grâce aux cartes viennent s’y ajouter. Une telle manne financière vient à faire naître des jalousies et beaucoup de joueurs cherchent ainsi à provoquer l’inébranlable Tennessee, le traitant de tricheur pour pouvoir s’en débarrasser en état de ‘légitime défense’. Mais intelligemment, ce dernier ne préfère pas faire attention aux provocations, au grand dam de ses adversaires qui repartent bredouilles. Certains notables détestant le joueur tentent alors d’employer les grands moyens en embauchant des tueurs à gage. Pas de chance pour ces derniers ; justement le jour où Tennessee est sur le point d’être abattu par l’un d’entre eux, entre en jeu Cowpoke (Ronald Reagan), un cow-boy de passage qui lui sauve la vie en abattant le tueur. C’est le début d’une grande amitié entre deux hommes de caractères, de moralités et de tempéraments totalement différents.
Cowpoke est un homme foncièrement honnête, d’une naïveté confondante, ne disant jamais le moindre mal de quiconque et prêt à défendre le premier venu. Pour l’interpréter, nous trouvons un Ronald Reagan inattendu, certainement dans l’un des ses plus beaux rôles, celui d’un homme très attachant par sa candeur et sa gentillesse, un personnage qui tranche avec les héros habituels du western. Cowpoke est venu en ville attendre sa promise qui doit arriver par le River Boat. Tennessee, en apprenant l’identité de la fiancée de son nouvel ami, une aventurière cupide de sa connaissance (l'une de ses nombreuses anciennes amantes), se doutant qu’elle n’en veut en fait qu’à son argent (son prénom, Goldie, est loin d’être innocemment choisi), fait tout son possible pour la faire repartir. Il y réussit mais Cowpoke, se sentant ridiculisé, le maltraite violemment avant de se rendre compte que Tennessee n’a agit de la sorte que pour lui venir en aide. Le final sera tragique mais nous n’en dévoilerons pas ici la teneur ; il est là pour nous rappeler que, contrairement à ce que son titre français avait pu nous le faire croire, il ne s’agit pas d’un western humoristique même si le film possède beaucoup de caractéristiques de la comédie américaine au travers surtout de savoureux dialogues et de certaines situations. D'ailleurs le début du film aurait pu aussi nous induire en erreur : le générique se déroulait sur une chanson entraînante, la première séquence voyant Chubby Johnson tenter de faire se lever sa mule couchée au milieu de la rue se révélait cocasse tout comme la suivante montrant Rhonda Fleming donner des conseils de bienséance à ses filles (dont l’une d’elle, si vous faites très attention, n’est autre qu'Angie Dickinson), toutes légèrement vêtues de tenues affriolantes.
Ce qui a immédiatement plu au réalisateur à la lecture de l’histoire originale de Bret Harte (auteur dont il collectionnait les livres) étaient les relations entre les deux hommes et l’atmosphère de mélancolie qui s’en dégageait, le tout au milieu d’un tableau brossant les effets de la fièvre de l’or en Californie. Ayant collaboré pour la première fois de très près à l’écriture, avec les nombreux scénaristes qui ont participé à son élaboration, Dwan a remarquablement bien retranscrit ces éléments et l’on peut dire qu’il a réussi un western au ton unique, à la fois doux et grave, léger et tragique. C’est aussi à partir de ce film qu’on a pu admirer la perfection plastique du travail de John Alton et de Van Nest Polglase ; si leur travail était déjà superbe au travers de quelques séquences dans les films précédents, il est ici constamment splendide et il aboutira à une sorte de perfection esthétique dans le suivant,
Slightly Scarlet (Deux Rouquines dans la Bagarre). Le placement de bouquets de fleurs colorés au milieu des plans, l’harmonie des couleurs primaires et (ou) pastels dans les intérieurs, la profondeur des noirs, la douceur des travellings, la magnificence de la contre-plongée sur la table de jeu enfumé à côté de laquelle tranche la robe rose de Rhonda Fleming, la beauté des ombres et des clairs obscurs… tout cela donne une patine et une splendeur visuelle unique à cet intimiste
Tennessee’s Partner qui culmine, esthétiquement parlant, dans ce plan final de sépulture crépusculaire en haut d’une colline.
Attention cependant, cette beauté (toujours discrète) ne vient jamais perturber le spectateur qui continue à suivre l’intrigue et à s’attacher aux personnages avec la plus grande passion. Car outre Ronald Reagan (comédien pas si mauvais qu’on a voulu le faire croire), Rhonda Fleming et John Payne forment un duo absolument inoubliable. La rousse pulpeuse tient son rôle de femme de tête avec une belle détermination sans jamais pour autant nous la rendre froide ; son apparition de dos dans la baignoire est à l’origine de l'une des séquences les plus puissamment érotiques que l’on ait pu trouver dans un western de l’époque (si ce n’est celle équivalente avec Jeanne Crain dans la même situation dans
L’homme qui n’a pas d’Etoiles de King Vidor). Son partenaire est interprété par un John Payne au sommet de son talent. Après avoir été le sympathique héros d’innombrables comédies musicales de la Fox dans les années 40 aux côtés de Betty Grable ou d'Alice Faye, il entre ici dans la peau de Tennessee avec une classe, un flegme et une élégance que rehausse sa fine moustache. Tout en finesse, sans jamais en faire de trop (de l’underplaying avant l’heure) Payne nous donne une interprétation de tout premier ordre. Par un simple regard, sa prise de conscience finale qu’une réelle amitié pouvait bel et bien exister dans un monde qu’il jugeait trop sévèrement est tout simplement déchirante : "
Et dire que je ne connaissais même pas son nom !". Encore un comédien bien sous-estimée ! On peut regretter en revanche que les personnages secondaires soient un peu laissés de côté surtout quand ils sont interprétés par des habitués du genre comme Coleen Gray, Morris Ankrum, Leo Gordon ou Anthony Caruso. En voilà un western dont on aurait aimé que sa durée soit double afin de pallier à ces manques.
Tennessee’s Partner est un western d’une poignante simplicité (à l’exemple des patronymes des protagonistes, tous appelés par leurs surnoms), d’une formidable élégance dans sa mise en scène, d’une belle originalité dans la description des rapports entre les personnages ;
"une tragédie optimiste" comme l’a décrit Jacques Lourcelles. Peut-être aviez-vous découvert ce western à la télévision dans les années 70 puisqu’il a été diffusé sous le titre
Le Mariage est pour demain mais aussi sous celui du
Bagarreur du Tennessee, des titres qui n’entretiennent pas plus de rapport l’un que l’autre avec le film, et qui le font même passer pour ce qu’il n’est pas par leur total contresens. Laissons conclure Patrick Brion qui, dans son ouvrage sur le western, en écrivait une véritable déclaration d’amour : "
Dire que Tennessee’s Partner est le plus chatoyant et le plus séduisant des westerns hollywoodiens est une évidence. La beauté des couleurs de la photographie de John Alton, le soin apporté aux décors et aux costumes et la présence de la voluptueuse Rhonda Fleming, dont les épaules sont déjà un enchantement, suffisent à rendre le film incomparable…" Un Far West qui aura rarement été aussi séduisant !
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Le film existe dans le coffret Alan Dwan sorti par Carlotta. Copie correcte même si décevante.