Les Gainsborough Pictures

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Les Gainsborough Pictures

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Gainsborough Pictures est une société de production cinématographique britannique. Les studios, basés à Poole Street, Hoxton (Londres), et aménagés dans une ancienne centrale électrique alimentant le métro londonien, furent en activité de 1924 à 1951. De façon assez curieuse, les studios furent appelés "Islington Studios" et non "Hackney" qui est le nom de la circonscription dans laquelle ils se trouvaient en réalité. En 2002, les studios d'origine ont été démolis pour faire place à un immeuble d'appartements. Les autorités ont fait poser une plaque commémorative sur le bâtiment1.

Gainsborough fut fondée en 1924 par Michael Balcon et devint une société sœur de la Gaumont British Picture Corporation à partir de 1927, Balcon occupant la fonction de directeur de production pour les deux studios. Alors que Gaumont British, basée aux studios de Lime Grove, produisait les films dits « de qualité », Gainsborough, aux studios d'Islington, fabriquait surtout des films de série B et des mélodrames. Les deux studios se servirent de l’expérience cinématographique continentale, en particulier allemande. Ainsi, par exemple, avant la Seconde Guerre mondiale, Alfred Hitchcock fut-il encouragé par Balcon, qui avait des liens avec l'UFA, d’aller y étudier et de tourner des coproductions multilingues avec la société allemande. En sens inverse, dans les années 1930, Conrad Veidt, Mutz Greenbaum, Alfred Junge, Elisabeth Bergner et Berthold Viertel, entre autres, vinrent participer à des films produits par les deux studios britanniques2.

Après le départ de Balcon pour la filiale britannique de la MGM, la Rank Organisation s'intéressa à Gainsborough et des films populaires comme Oh, Mr Porter ! (1937) y furent alors tournés. En 1937, Gaumont-British, touchée par une crise financière, fut contrainte de fermer les studios de Lime Grove. Toute la production, alors, déménagea vers les studios de Poole Street. Durant la Seconde Guerre Mondiale, on jugea que l’imposante cheminée qui se trouvait sur le site constituait un danger supplémentaire en cas de bombardements et les studios Gainsborough revinrent s'installer à Lime Grove jusqu'à la fin du conflit3.

De 1942 à 1946, une série de mélodrames en costumes furent produits par Gainsborough à destination du marché anglais, dont la plupart étaient des adaptations de romans récents écrits par des auteurs féminins. Parmi ceux-ci, L'Homme en gris (The Man in Grey, 1943), L'Homme fatal (Fanny by Gaslight, 1944), La Madone aux deux visages (Madonna of the Seven Moons, 1945), Le Masque aux yeux verts (The Wicked Lady, 1945) et Caravane (Caravan, 1946). Souvent, on retrouvait aux génériques de ces films les mêmes acteurs britanniques : Margaret Lockwood, James Mason, Stewart Granger et Patricia Roc. Les studios produisirent également des comédies et des mélodrames situés à cette époque comme Love Story, Time Flies (1944), avec Tommy Handley, Bees in Paradise (1944), de Val Guest et avec Arthur Askey, Le Tyran (They Were Sisters, 1945), ou encore Easy Money (1948).

Parmi les productions qui suivirent, supervisées par Betty Box, qui était à l’époque l'unique productrice importante du cinéma britannique, on peut citer Miranda (1948) et une série mettant en scène la famille Huggett avec pour vedettes Jack Warner, Kathleen Harrison et Petula Clark. Mécontent des performances des studios, Rank fit fermer leurs portes début 1951.

Le site de Lime Grove fut repris par la BBC en 1949 et utilisé pour le tournage de programmes télévisés jusqu'à sa fermeture en 1991. Les installations furent démolies au début des années 1990 et remplacées par un immeuble appelé « Gaumont Terrace » et « Gainsborough Court ».

Les anciens studios d'Islington, situés dans Poole Street, furent largement laissés à l'abandon après leur fermeture en 1951 et ne furent plus utilisés que sporadiquement pour servir de cadre à l'une ou l'autre manifestation culturelle, dont deux productions de pièces de Shakespeare par la compagnie Almeida Theatre, en avril et juillet 2000, sous la direction de Jonathan Kent et avec Ralph Fiennes dans le rôle principal, ainsi qu'à l’occasion d'une « saison Hitchcock » en octobre 20034.

Les bâtiments ont commencé à être déblayés en 2002 et des appartments, conçus par les architectes Munkenbeck et Marshall, ont été construits sur le site en 2004. Ils portent aujourd’hui le nom des anciens studios5.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gainsborough_Pictures

Donc le topic pour les amateurs de mélodrames too much, de rebondissements improbables, de méchants très méchant et d'héroïnes pures et innocentes les films Gainsborough c'est du bonheur tout en excès :mrgreen:
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Profondo Rosso
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Et quelques avis repêchés en vrac

The Man in Grey de Leslie Arliss (1943)

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En 1943, une jeune femme faisant partie de la marine britannique et un pilote de la R.A.F. font connaissance lors de la vente des biens de la famille Rohan, dont le dernier membre mâle vient de trouver la mort à Dunkerque. Après que le pilote a tenu des propos calomnieux sur ladite famille, la jeune femme lui révèle que le dernier des Rohan était en fait son frère…

Retour dans l'Angleterre de 1830 : la riche et fragile Clarissa Richmond et son amie d'enfance, Esther Shaw, issue d'un milieu pauvre, se séparent lorsque cette dernière décide de suivre un jeune officier. Clarisse, pour sa part, épouse un dandy libertin, le marquis de Rohan. Quelques années s'écoulent. Clarisse retrouve son amie, devenue actrice, et s'éprend discrètement de son partenaire, Peter Rokeby...


The Man in Grey est une œuvre importante pour le cinéma anglais des années 40. Le film lance la vague des grands mélodrames Gainsborough qui rencontreront un succès considérable durant ces années-là avec leur cocktail de raffinement, romanesque et provocations. De plus le film réunit un casting emblématique où on trouve ici toute les futures stars du genre et pour certaines du cinéma anglais des années à venir. Margaret Lockwood était déjà une vedette établie grâce aux succès de sa doublette à suspense Une femme disparaît/Train de nuit pour Munich signé Hitchcock et Carol Reed mais c'est réellement avec ce Man in Grey qu'elle se forge une identité auprès des spectateurs anglais avec ce rôle de garce séductrice qu'elle amplifiera encore avec le plus audacieux encore The Wicked Lady. James Mason est un peu dans la même situation, acteur déjà installé c'est avec ses rôles de méchants ténébreux à la Gainsborough qu'il deviendra la star la plus populaire d'Angleterre même si lassé de ces emplois limités il ira poursuivre sa carrière aux Etats-Unis à la fin de la décennie. De même Stewart Granger trouve là son premier grand rôle en jeune premier romantique fougueux et aussi Phyllis Calvert en femme victime fragile. Ces quatre-là se croiseront plus d'une fois dans les succès à venir du studio : Phyllis Calvert à nouveau tourmentée par James Mason dans Fanny by Gaslight, Margaret Lockwood et Mason couple vénéneux dans The Wicked Lady, Phyllis Calvert séduite par un Stewart Granger retors dans Madonna of the Seven Moons, Granger et Lockwood en couple poignant dans Love Story. The Man in Grey n'est pas le meilleur mélo produit par la Gainsborough mais il en pose toute les bases, autant par les archétypes des rôles composés par ses acteurs donc, mais aussi par son intrigue (notamment la source littéraire commune que sont les romans de Eleanor Smith adaptée ici ou plus tard pour Caravan) calquée en partie plus tard pour The Wicked Lady ou la réminiscence de certaines scènes avec là un Leslie Arliss qui filme presque à l'identique la première apparition nocturne de Stewart Granger et plus tard celle de James Mason dans The Wicked Lady.

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L'histoire narre les destins liés de deux amies, Esther (Margaret Lockwood) et Clarissa (Phyllis Calvert). Depuis l'enfance leur nature profonde et leur différence sociale les différencie. Issue d'un milieu pauvre, Esther pour combler ce complexe face à ses camarades adopte une attitude distante et renfermée tandis que l'aisée Clarissa est ouverte et avenante envers tous. Ambitieuse et égoïste, Esther voit ses mauvais penchants atténués par la bonté de Clarissa mais une diseuse de bonne aventure leur prédit une opposition fatale dans le futur si elles poursuivent cette amitié. On les retrouve quelques années plus tard, Clarissa mal mariée au ténébreux Rohan (James Mason) qui ne l'aime pas et souhait juste qu'elle lui donne un héritier et Esther végétant comme actrice dans un théâtre miteux. Clarissa prend une nouvelle fois son amie sous son aile sans se douter du drame à venir. Rohan perce Esther à jour et ayant reconnu une volonté et une âme noire semblable à la sienne en fait sa maîtresse tandis que Clarissa va tomber sous le charme d'un saltimbanque partenaire d'Esther, Rokeby (Stewart Granger).

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Leslie Arliss développe déjà ici son brio narratif avec cette capacité à rendre limpide une intrigue très dense, en enchaîner les rebondissements rocambolesque sans perdre le spectateur et à alterner les ambiances avec une aisance parfaite. Après une première partie d'enfance posant idéalement le caractère de chacune des héroïnes on bascule donc dans un enchevêtrement romanesque des plus prenants avec ses enjeux impossible à résoudre. Les scènes romantiques chatoyantes entre Phyllis Calvert et Stewart Granger alternent donc avec les étreintes plus torrides de Margaret Lockwood et James Mason mais les codes de ce monde aristocratique empêchent les couples de s'intervertir officiellement sous peine de scandale. Dès lors des solutions plus radicales s'imposent, surtout pour le personnage de Margaret Lockwood prête à toute les bassesses pour prendre sa revanche sur ses origines.

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L'interprétation est pour beaucoup dans l'attrait du film. Margaret Lockwood campe un personnage à la dualité plus prononcée que dans The Wicked Lady (où elle était totalement malfaisante), constamment partagée entre sa réelle amitié pour Clarissa et ses rêves de grandeur, avec en point d'orgue une fabuleuse scène où elle a l'occasion de tuer pour de bon sa rivale mais semble prise de remords au dernier moment. James Mason captive par son seul talent ce qui aurait pu être un grotesque rôle de châtelain sadique et est ici extraordinaire par ses moues dédaigneuses (la première rencontre avec Clarissa sommet de mépris) et la perversité constante qui se dégage de ses regards. Stewart Granger fait preuve d'un beau panache en amoureux fougueux (la bagarre avec Mason excellente) mais son personnage disparait un poil trop tôt. Phyllis Calvert peut parfois être agaçante quand elle se laisse trop aller dans ses élans pleurnichards (ce qui gâchait grandement Fanny by Gaslight) mais trouve ici le ton juste avec cette héroïne passionnée et fragile.

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Le film traîne parfois en longueur mais la beauté plastique de l'ensemble happe de bout en bout avec ses intérieurs somptueux, la splendide photo de Arthur Crabtree (futur réalisateur de la firme) et les costumes recherché où pointent les écarts sexy à venir avec les décolletés vertigineux l'oie blanche Clarissa, les chemises de nuits semi transparentes de la provocante Esther et un James "Man in Grey" Mason qui a fière allure dans ses redingotes collées au corps. Les élans de cruauté et de sadisme sont inédits pour l'époque, on retiendra particulièrement la terrible trahison de Margaret Lockwood et surtout le sévère châtiment que lui réservera un James Mason au regard fou. Les flashbacks au présent tentent d'amener un peu de candeur à l'ensemble en réunissant à l'ère moderne le coule brisé dans le passé mais c'est surtout cette profonde noirceur et cette provocation qui marqueront les spectateurs anglais qui feront un triomphe au film, incitant Gainsborough à poursuivre dans cette veine. Ce sera fait avec The Wicked Lady, bien plus audacieux encore et réunissant quasiment la même équipe gagnante. The Man in Grey constitue cependant une belle entrée en matière pour s'initier à l'art encore imparfait de Gainsborough. 4,5/6
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The Wicked Lady de Leslie Arliss (1945)

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Barbara Worth, beauté du XVIIe siècle, entame sa carrière criminelle en volant le mari de sa meilleure amie, laquelle vient juste de convoler…

The Wicked Lady est une des plus fameuses productions du studio Gainsborough et un des grands succès du cinéma anglais des années 40. Cette popularité s’avère tout à fait fascinante à la vision d’un spectacle délicieusement amoral. Le film s’ouvre sur les amours courtois entre les fiancés Caroline (Patricia Roc) et Sir Ralph Skelton (Griffith Johns) effectuant une balade à cheval en campagne tout en échangeant des mots doux. Cette tonalité douce et timorée se voit en un instant balayé avec l’entrée en scène de Barbara (Margaret Lockwood) meilleure amie de la future mariée et ambitieuse sans scrupule rêvant de la grande vie. Le film adapte le roman The Life and Death of the Wicked Lady Skelton de Magdalen King-Hall qui s'inspirait elle-même des moeurs dissolues de Lady Katherine Ferrers qui fit scandale dans l'Angleterre du XVIIe siècle. Sur ces bases réalistes le film ne se refusera aucune surenchère.Ainsi vingt minutes ne se sont pas écoulées que la belle a déjà séduit et épousée le fiancé de son amie (qui humiliation suprême est réduite à demoiselle d’honneur de son mariage annoncé) et trouvé le moyen le moyen de tomber follement amoureuse d’un autre durant les festivités des noces ! Seulement la vie rurale morne au côté d’un homme qu’elle méprise ne lui sied guère et en tentant de récupérer un diamant perdu au jeu elle embrasse la carrière criminelle où elle va croiser la route du bandit de grand chemin Jerry Jackson.

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Il y a déjà matière à trois films avec cet aperçu qui occupe à peine un tiers de l’histoire. Le récit enchaîne sans discontinuer les rebondissements rocambolesques jusqu’à l’excès. Cette frénésie est dictée par la vénéneuse héroïne incarnée par une Margaret Lockwood étincelante de perversion. Guidée par ses seuls désirs, elle éliminera tous les obstacles à son plaisir et ses ambitions sans le moindre remords et par les moyens les plus vils : vol, duperie, assassinat… Le script noie toute tentative de l’humaniser quelque peu tel ce moment où elle commet son premier meurtre par maladresse lors d’un vol et que dès la séquence suivante elle se réjouit de découvrir que sa prime de capture est plus élevé que celle de James Mason. Ce dernier s’en donne à cœur joie également en voleur à la gouaille irrésistible et porté sur les jolies femmes et les échanges avec Margaret Lockwood sont un festival de sous-entendus sexuels, sans parler des nombreuses situations équivoques. De plus Les décolletés vertigineux des deux personnages féminins vaudront (en plus du reste) les coups de ciseaux de la censure américaine lors la sortie du film outre atlantique.

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On comprend totalement le succès du film, divertissant et jubilatoire de bout en bout par son sens de l’excès. Cette Barbara si peu fréquentable (à faire passer l’Ambre de Kathleen Windsor pour un parangon de vertu) s’avère finalement aussi attachante que fascinante dans sa manière de suivre ses envies sans se soucier des conséquences et la délectation de Margaret Lockwood à interpréter un tel personnage est contagieuse. Tout aussi avenante, Patricia Roc évite de tomber dans la niaiserie pour contrebalancer l’âme noire de sa rivale et maintient également l'emppathie pour la douce Caroline, ce que ne parviennent pas à faire les autres figures masculines (à se demander comment Barbara peut préférer le fade Michael Rennie à Mason) écrasées par le charisme de James Mason. Leslie Arliss mène là un récit alerte et trépidant orné par le luxe et le soin habituel des productions Gainsborough. Un vrai plaisir coupable, scandaleux et charmant. Apparemment, il existerait un remake réputé assez piteux avec Faye Dunaway réalisé par Michael Winner en 1983... 5/6
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They Were Sisters de Arthur Crabtree (1945)

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Trois sœurs se marient. L'une devra subir un époux tyrannique, l'autre trompera stupidement un bien brave époux, tandis que la dernière connait le bonheur parfait, si ce n'est la mort de son enfant.

There were Sisters est un des mélodrames les plus réussis produit par la Gainsborough où si l'on trouve les stars du studio James Mason et Phyllis Calvert le film dénote par certains points avec les classiques du studio. On s'échappe donc ici du film en costume pour une intrigue contemporaine s'étalant sur vingt ans de 1919 à l'époque de production, le ton se fait plus sobre et intimiste loin des récits romanesques aux rebondissements extravagants d'un The Wicked Lady et la dose de provocation habituelle est plus diffuse. On doit sans doute cette retenue au roman de Dorothy Whipple (paru deux ans plus tôt), surnommée la Jane Austen du XXe et dont les ouvrages rencontrèrent un grand succès en Angleterre dans l'entre-deux guerre à l'égal d'un Graham Green. Pour rester dans la comparaison avec Jane Austen, on peut voir There were Sisters comme un Raison et Sentiments moderne avec une intrigue suivant les destins et amours contrariés de trois sœurs sur une période de vingt ans, de la jeunesse insouciante à l'âge mûr douloureux.

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Lucy ( Phyllis Calvert), Charlotte (Dulcie Gray) et Vera (Anne Crawford) sont trois sœurs aux caractères bien différents qui vont les entraîner dans des voies singulières. Arthur Crabtree pose leurs natures respectives en début de film lors d'une scène de bal où leur comportement annonce déjà le futur. La provocante et séductrice Vera (que l'on découvre en bas et sous-vêtements dès l'ouverture) jubile face aux regards admiratifs des hommes sur son élégance sur la piste, la douce et fragile Charlotte en retrait se laisse séduire par le plus vil des séducteurs présents et la bienveillante Phyllis ne se préoccupe que du bien-être de ses sœurs, du plus futile (l'ouverture où elle prête ses bas à Vera) au plus prévoyant puisqu'elle distingue immédiatement la malveillance de Geoffrey (James Mason) faisant la cour à Vera.

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Une scène scelle également l'avenir sentimental des trois sœurs avec le mariage de Vera avec Geoffrey dont la désinvolture annonce le pire, la charmante rencontre de Lucy et l'homme de sa vie William (Peter Murray-Hill vrai époux de Phyllis Calvert à la ville) et Vera qui accepte détachée la demande en mariage de Brian (Barry Livesey frère de Roger Livesey) plus par convenance que par amour pour ce prétendant réellement épris d'elle. Une ellipse nous les fait retrouver vingt ans plus tard où chacune a récoltée ce qu'elle a semé. Lucy vit des jours heureux à la campagne malgré la perte douloureuse de sa petite fille quelques années plus tôt, Vera néglige sa fille et trompe allégrement son mari et surtout Charlotte vit un véritable enfer conjugal face à la tyrannie de Geoffrey. C'est les tourments de Charlotte qui constituent le pivot du récit mettent en valeur les deux autres sœurs dans les caractères dépeint au début, le souci de Lucy pour les autres la faisant s'immiscer dans le ménage pour sauver Charlotte et l'égoïsme et la frivolité de Vera provoquant le drame final.

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Le récit alterne donc d'une famille à une autre, le calvaire domestique de Charlotte, le havre de paix de Lucy et l'hypocrisie régnant chez Vera. Le drame personnel des adultes est lié à celui des enfants avec de remarquables et charmants jeunes acteurs joués notamment par la jeune starlette Ann Stephens et la future étoile de ballet anglaise John Gilpin, tous deux très émouvant en rejetons malmenés par un James Mason plus odieux que jamais. Ce dernier campe sans doute là le méchant le plus abject de toutes ses prestations Gainsborough avec cet époux sadique et manipulateur. Sourire en coin maléfique, regard ténébreux et suavité cachant une violence verbale et physique pouvant surgir à tout moment, Mason est l'infamie personnifiée ici et plus que jamais the man they loved to hate comme le surnommais la critique anglaise. C'est d'ailleurs avec ce rôle outrancier qu'il prit conscience du carcan où il était enfermé et décida de poursuivre sa carrière aux Etats-Unis. Dulcie Gray est très touchante en épouse brimée et joue bien de sa frêle silhouette et de son visage triste pour exprimer la destruction psychologique progressive de son personnage. Phyllis Carver est parfaite aussi béquille de toute ses âmes blessées loin de ses personnages de victimes tout en dévoilant subtilement une certaine fragilité quant à son drame personnel d'avoir tant d'amour à offrir et pas d'enfant.

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Ancien directeur photo promu à la mise en scène par le studio (on lui doit les somptueuses visions gothique de Fanny by Gaslight ou The Man in Grey) délivre ici une mise en scène sobre qui s'efface pour mettre en valeur son casting inspiré mène avec brio cette intrigue sans véritable temps forts où s'enchaîne bonheurs et malheur jusqu'à un final judiciaire plus surprenant. Les excès de la firme n'ont donc pas cours ici mais pourtant on se rappelle que l'on est bien devant un Gainsborough devant ce sous-entendu à peine dissimulé suggérant l'attirance incestueuse de James Mason pour sa fille aînée Margaret (jouée par Pamela Mason épouse de James Mason et seulement de sept ans sa cadette mais ça passe aisément), leur première scène ensemble laissant même croire qu'ils sont amants. Superbe mélodrame en tout cas qui sera salué par le public puisque le film sera le quatrième plus gros succès du box-office anglais en 1945. 5/6
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Caravan d’Arthur Crabtree (1946)

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A Londres, à la fin du XIXe siècle, le jeune écrivain Richard Darell porte secours à Don Carlos, un riche espagnol, qui vient de se faire agresser. Richard lui explique que pour épouser Oriana, la femme qu'il aime, il doit trouver un travail avant que l'année ne soit écoulée. Don Carlos lui propose un marché : si Richard accepte de convoyer des bijoux en Espagne, il publiera son livre. Laissant Oriana seule avec un soupirant peu scrupuleux, Richard s'embarque pour l'Espagne...

Caravan est un virevoltant mélodrame Gainsborough avec tous les excès et dérapages non contrôlés si typique de la maison de production. Le film adapte le roman éponyme d’Eleanor Smith paru en 1942. Eleanor Smith avait donné ses lettres de noblesse au mélo Gainsborough avec l'adaptation de The Man in Grey de Leslie Arliss qui posait les bases du genre avec ses intrigues à tiroirs, ses rebondissement inattendus, sa dose de provocation teinté d'érotisme et ses méchants odieux. Sans être aussi réussi que The Man in Grey , Caravan est un divertissement de haute volée où l'on goutte sur pellicule aux plaisirs simple du roman feuilletonesque du XIXe. Les revirements incessants de l'intrigue, dans le ton comme dans les genres contiennent au moins la matière à quatre films et si l'on a parfois un sentiment de trop plein, la surprise est constante.

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Richard Darell (Stewart Granger) est un jeu écrivain sans le sou qui va porter secours à Don Carlos victime d'une agression dans un Londres nocturne. Don Carlos reconnaissant décide en savoir plus sur son bienfaiteur qui lui raconte son histoire. On découvre donc en flashback l'enfance de Darell, enfant pauvre amoureux d’Oriana (Anne Crawford) fille de bonne famille avec qui il va se lier sous le regard jaloux de son rival nanti Sir Francis Castleton (Dennis Price). S'étant promis un amour éternel malgré leur différence de classe, Darell devenu adulte promet de se faire une situation d'ici un an afin de convoler avec Oriana. Don Carlos lui en offre l'opportunité en remerciement en lui confiant la livraison d'un collier de grande valeur en Espagne en échange de la publication de son livre mais Francis est bien décidé à l'en empêcher et épouser Oriana qu'il convoite également. A ce stade, on croit voir venir la suite avec les embûches sur la route de Richard qui parvient à les surmonter et arrive de justesse avant les noces avec le méchant. Mais nous sommes chez Gainsborough et ce ne sera pas si simple loin de là, l'intrigue effectuant de rocambolesque détour et nos héros endurant mille souffrances avant le happy end attendu.

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Après un début lorgnant sur l'aventure romanesque avec Richard avançant à fier allure vers son destin, tout vole en éclat. Un triangle amoureux s'instaure avec une vénéneuse danseuse gitane jouée par Jean Kent, notre héros devient amnésique oubliant sa belle qui elle le croyant mort épouse le grand méchant par désespoir, Granger lui-même épousant sa gitane lorsqu'il l'apprend ! On pourrait décrocher face à tant d'excès mais comme toujours chez Gainsborough l'absence d'ironie, la puissance du récit et la conviction des acteurs fait parfaitement tenir l'ensemble. Stewart Granger en jeune premier romantique et fougueux est parfait et Jean Kent sensuelle en diable (les danses provocantes, les robes de gitanes quasi transparente et cette nage nue dans un lac) porte totalement la force émotionnelle du film. Amoureuse éconduite puis choisie par défaut, elle irradie l'écran par sa fougue passionnée, tout à tour jalouse colérique puis totalement dévouée à son homme qu'elle va sauver plus d'une fois.

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C'est elle qui fait exister le couple romantique un peu niais au départ formé par Granger et Anne Crawford qui ne fonctionne vraiment qu'une fois dévoré par la rancœur dans la dernière partie où les échanges se font plus passionnés. Dennis Price en méchant prend ici le relai de James Mason villain emblématique de la Gainsborough qui là de cet emploi est parti à Hollywood. Price n'a pas la présence physique de Mason mais tire son épingle du jeu avec un savant mélange de couardise, suavité et perversion pour ce Francis précieux et jamais à cours de ressources diaboliques pour piéger ses ennemis. Il forme un mémorable duo avec Robert Helpmann (dont on se souvient plus du rôle de danseur et chorégraphe dans Les Chaussons Rouges et Les Contes d'Hoffmann), homme de main chétif mais tout aussi veule et calculateur.

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Arthur Crabtree même s'il a signé pour le studio des œuvres plus folles (l'ovni psychanalytique Madonna of the seven moons) ou dramatiquement plus intense (le poignant et cruel There were sisters avec James Mason en mari tyrannique) offre quand même une sacrée extravagance à l'ensemble. L'action est brutale et sanglante (l'embuscade dont est victime Granger), les situations équivoques (Dennis Price qui s'avère un sacré pervers collant des mains aux fesses aux servantes, la dualité entre l'amour courtois d'Anne Crawford et celui torride de Jean Kent), la cruauté et le sadisme sans limite. On se souviendra ainsi longtemps de la course poursuite finale où Crabtree se délecte de la mort lente et atroce du méchant (qui ne l'a pas volé) et un Granger le molestant sévèrement avant de l'achever involontairement. Visuellement c'est éclatant entre extérieurs grandioses et décors studios et costumes respirant le luxe rococo dans une Espagne de pacotille et très bande dessinée. Un peu trop long et partant trop dans tous les sens certes mais toujours aussi délirant et excessif, vive la Gainsborough et ses mélos too much ! 4,5/6

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Romance d'amour (Love Story) de Leslie Arliss (1944)

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Un magnifique mélo Gainsborough qui transcende totalement un pitch à faire peur tant il semble chargé dans le larmoyant outrancier. Lissa Campbell (Margaret Lockwood), pianiste à succès décide de mettre sa carrière entre parenthèse pour participer à l'effort de guerre. Catastrophe le jour de la visite médicale où les médecins lui annoncent qu'il ne lui reste plus que quelques mois à vivre ! Partie se ressourcer dans la campagne de Cornouailles, elle tombe amoureuse de Kit Firth (Stewart Granger) jeune ingénieur qui lui aussi dissimile un terrible secret, il devient aveugle...

Leslie Arliss le prouvera encore de magistrale façon avec son mémorable film suivant The Wicked Lady, il est passé maître dans l'art d'enchaîner les rebondissements les plus rocambolesque sans sombrer dans le ridicule. C'est encore le cas ici où les évènements évoqués s'enchaînent dans la première demi-heure avant que le récit (adapté d'un roman de Drawbell) prenne un tour intimiste étonnant. Arliss fait passer toutes les énormités par la caractérisation de son couple qui rend le tout crédible et touchant. Lissa et Kit ont ainsi deux attitudes totalement différentes face au funeste destin qui les attends et qu'ils se dissimulent encore (ce double secret rappelle un peu à Hollywood le I'll be seing you de Dieterle). Pour les derniers mois qui lui reste à vivre, Lissa embrasse la vie plain-pied, bien décider à ressentir les émotions dont son existence reclus de musicienne professionnelle l'ont privées. Elle rayonne littéralement (cette magnifique scène où elle surplombe une falaise cheveux au vent) et semble plus vivante que dans les premiers instants du film où elle ne savait rien de son mal. A l'inverse, Kit se réfugie dans une vie de coureur de jupons sans attache ni responsabilité mais la rencontre de Lissa viendra bouleverser ses velléités de détachement.

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Le script exploite d'ailleurs bien l'arrière-plan de la guerre pour accentuer le drame. Ainsi Margaret Lockwood se demande longuement pourquoi Granger, jeune homme fort et vigoureux n'est pas mobilisé. Honteux de lui avouer ses raisons, il feint l'égoïsme et finit par la faire douter de son courage et fait vaciller leur relation. Stewart Granger d'habitude si viril et imposant exprime ici une subtile vulnérabilité alors qu'à l'inverse la frêle Margaret Lockwood est d'une constante vigueur et saura remotiver son compagnon. A cela s'ajoute un triangle amoureux avec l'amie d'enfance de Granger jouée par Patricia Roc. Sa performance est encore meilleure que celle plus connue de The Wicked Lady où elle étoffe déjà considérablement un rôle potentiellement ingrat. Moins affectée par les malheurs que ces partenaires, elle compose peut être le personnage le plus tragique du film par ses tourments bien plus ordinaires. Confrontée à de terribles dilemmes (laisser Kit devenir aveugle pour l'avoir rien qu'à elle), elle voit impuissante (beau moment symbolique lors des adieux à la guerre où elle est en retrait du couple qui ne se quitte pas des yeux) l'homme qu'elle depuis toujours s'attacher à une autre.

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Leslie Arliss impose un rythme lent où chaque moment partagé par le couple se doit d'être vécus comme s'il était le dernier à travers de belles séquences romantiques rurales où les paysages de Cornouailles sont magnifiés (la balade en barque dans la crique, le théâtre en plein air face à la mer) par le lyrisme de la mise en scène. L'alchimie entre Stewart Granger et Margaret Lockwood fait merveille et la nature hors-normes de leurs personnages (on peut faire un rapprochement avec Le Secret Magnifique de Sirk et ses héros plus grands que nature également) se voit équilibrée par une tout aussi touchante Patricia Roc et aussi Tom Walls en mentor bienveillant. Très beau film auquel on peut juste reprocher un épilogue à rallonge qui n'ose pas la grande tragédie finale attendue. Jusqu'au bout, le film esquive les clichés qui le guettent pour un étonnant happy-end en pointillé... 4,5/6

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Fanny by Gaslight de Anthony Asquith (1944)

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Londres, 1880. Après dix années passées en pension, Fanny Hopwood revient au domicile familial. Celui qu'elle prend pour son père, William Hopwood, est tué accidentellement par Lord Manderstoke lors d'une altercation. À la mort de sa mère, la jeune femme entre au service d'un homme politique influent, Clive Seymore, qui lui révèle être son véritable père (sa famille s'était opposée à un mariage en dehors de son rang social et il avait ensuite épousé Alicia). Peu après, Fanny rencontre le secrétaire particulier de son père, Harry Somerford, et Alicia Seymore apprend la vérité...

Fanny by Gaslight est un des plus fameux mélodrames en costumes de la Gainsborough et fut même le second plus grand succès du box-office anglais en1944 derrière Heureux Mortels de David Lean. Adapté du roman éponyme de Michael Sadleir paru 4 ans plus tôt, l'histoire est typique du grand récit moral victorien. L'innocence et la candeur la plus sincère côtoie donc l'immoralité et le stupre tout au long du film et ce dès la scène d'ouverture. Notre héroïne Fanny encore fillette découvre ainsi au sous-sol de son paisible foyer un curieux établissement déambulent des femmes costumées et fardées qu'elle prend pour des actrices. Vice et vertu se confondent même le temps d'un superbe plan ou juvénile de Fanny observe un tableau obscène.

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Le même jour (qui est celui de son anniversaire) un homme mystérieux vient lui rendre une chaleureuse visite et semble tenir particulièrement à elle. Une ellipse nous ramène sur les lieux dix ans plus tard avec le retour de Fanny (Phyllis Calvert) dans son foyer après ses études et va révéler tragiquement l'envers des évènements du début. Comme on l'a deviné le sous-sol abrite une maison close tenue par son père, ce dernier succombant bientôt après une altercation avec le client récalcitrant Lord Manderstoke (James Mason). Le grand mélodrame se poursuit le meurtrier est acquitté, que sa mère meurt de maladie à son tour et qu'elle est envoyée chez le gentleman croisé au début et qui s'avérera être son vrai père. Jeune promis à un bel avenir politique, on l'empêcha d'épouser sa mère. Cela fait beaucoup en une demi-heure de film à peine et l'héroïne vraiment trop innocente frise la niaiserie et a du mal à être attachante tant Phyllis Calvert peine à faire exister le personnage derrière cette douceur ébranlée par les malheurs.

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Tout le film voit donc Fanny subir les conséquences des évènements du début, le scandale qui l'entoure la freinant dans tous ces projets, que ce soit les retrouvailles avec son père (belle scène rurale et seul moment apaisé du film) ou sa romance avec Harry Somerford (Stewart Granger charmant et avenant jeune premier) la voyant se retrouver dans la même situation que sa mère. Et à chaque fois le destin funeste prendra les traits de son persécuteur Lord Manderstoke avec un James Mason (encore dans sa période grand méchant Gainsborough) génialement sournois et détestable qui une fois de plus éclipse tout le casting. L'ensemble est tout de même assez ennuyeux et on s'amuse bien moins que dans les œuvres plus ouvertement amorales de Gainsborough la faute à ce trop lisse personnage principal, l'interprétation de Phyllis Carver (hormis la toute dernière scène où elle réplique enfin) peinant à susciter l'empathie.

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C’est d’ailleurs bien les personnages immoraux les plus intéressant et charismatiques, Mason donc mais aussi Kathleen Nesbitt en épouse vénale mais aussi une ambigüe Jean Kent qui fera les mauvais choix par confort matériel. Le film n'est pas désagréable pour autant notamment grâce à la mise en scène élégante d'Asquith dont les cadrages et la lumière (belle photo de Jack E. Cox) mettent vraiment en valeur les décors et les costumes. On retiendra notamment une assez somptueuse scène de duel au petit matin dont on peut se demander si elle est passée sous les yeux de Ridley Scott pour Les Duellistes. Un peu trop forcé dans le larmoyant et peu palpitant donc mais cela se laisse voir tout de même. 3/6
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Quand il n'y en a plus il y en a encore :mrgreen:

La Madone aux deux visages (Madonna of the Seven Moons) de Arthur Cabtree (1945)

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Traumatisé dans son adolescence, Maddalena possède une double personnalité. Le jour de la fête de sa fille, Angela, elle s'enfuit vivre avec son amant Nino, avec qui elle est Rosanna.

Au croisement du thriller, du mélodrame et du film psychanalytique, Madonna of the Seven Moons est un des films les plus étranges et audacieux produit par la Gainsborough. Le film adapte un roman de Margery Lawrence spécialiste du récit à mystère et surnaturel et on sera servi tant on empruntera ici des chemins inattendus. Alors qu'elle est encore adolescente au couvent, Maddalena (Phyllis Calvert) est violée par un inconnu. La scène est filmée comme dans un cauchemar, saccadée, sans parole et avec un expressionnisme prononcé évoquant un film muet. C'est un traumatisme aussi bref qu'halluciné que notre héroïne n'aura de cesse d'effacer de sa mémoire au prix de sa santé mentale. La jeune fille n'aura pas le temps d'encaisser le choc de cette agression puisque dans la foulée elle doit quitter le couvent pour se marier selon la volonté de son père et la douleur refoulée va avoir un effet surprenant sur elle. Nous la retrouvons bien des années plus tard, mariée, heureuse et attendant le retour de sa fille parti étudier depuis de longues années en Angleterre.

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Le ton et l'esthétique du film est un choc permanent entre passé et modernité. La demeure de Maddalena à Rome semble restée figée dans une Renaissance pieuse et luxuriante tandis que Phyllis Carver arbore de longue robes sophistiquée qui ajoutée à sa présence évanescente une sorte d'icône religieuse en mouvement. Cela est contrebalancé par l'énergie pétillante de sa fille Angela (Patricia Roc qui a pourtant le même âge que Phyllis Carver) qui affirme sa féminité et sa séduction avec un aplomb qui effraie Maddalena. Quelques indices annoncent le basculement à venir quand on apprend que touché par une maladie mystérieuse la mère n'a pas écrit à sa fille durant une année entière et n'est pas venue lui rendre visite. Tous ses changements semblent profondément troubler Maddalena jusqu'au vrai choc lorsqu'elle apprend les fiançailles d'Angela. L'agression initiale a en fait provoqué chez Maddalena un dédoublement de personnalité et c'est à Florence qu'elle va fuir pour endosser son autre "moi" et redevenir Rossanna, l'amante volcanique du gangster local Nino (Stewart Granger) dont elle s'est éprise lors d'une précédente crise quelques années plus tôt.

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Phyllis Calvert d'habitude si douce et bienveillante trouve enfin un rôle lui laissant exprimer une vraie démesure avec cette schizophrène. Effrayée par toute évocation du sexe en Maddalena, elle devient lascive et provocatrice en Rossanna les coiffures sophistiquées de la première laissant place au cheveux lâchés de la seconde), Crabtree osant une belle scène en ombre chinoise après l'étreinte entre les deux amants. Une nouvelle fois les repères sont troublés avec cette intrigue se déroulant de nos jour mais dont tout ramène au passé avec des décors studio jouant totalement la carte du rêve éveillé, via le ton prude issu de la personnalité de Maddalena (la procession religieuse tout droit sortie d'un livre d'iconographie) ou par une outrance et une luxure surprenante avec une pétaradante scène de carnaval finale. Une pure intrigue policière s'ajoute à tout cela avec les activités illicites de Nino pour un mélange des genres pas loin d'être indigeste dans ses ruptures de ton et multiples personnages secondaires. L'émotion parvient néanmoins à émerger grâce à l'intense histoire d'amour entre Rossanna et Nino, Stewart Granger délivrant une prestation ardente en brute épaisse rongé par la passion. On en espérerait presque que Maddalena ne retrouve pas sa personnalité initiale pour qu'ils restent ensemble malgré une toujours attachante Patricia Roc en fille menant l'enquête pour retrouver sa mère, seul lien fort avec l'ancienne vie le personnage du mari étant trop fade comparé à Stewart Granger.

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Entre ce passé douloureux et le futur incertain, la résolution semble se trouver dans un présent sous forme de recueillement dans un film multipliant les symboles religieux. Seul moment heureux son existence, les années de couvent paisible apaise Maddalena par ces symboles tandis que le versant païen par la culture gitane (une récurrence qui teinte une grande partie des productions Gainsborough ici avec le mystère des sept lunes) éveille ses ardeurs mais signifie aussi la malédiction qui pèse sur elle. Le script ne choisit pas réellement, la paix mais l'ennui domine du côté de Maddalena tandis que la passion et la douleur forme le tempérament de Rossanna. La conclusion poignante résout dramatiquement ce conflit permanent par un poignant adieu. Objet inclassable, Madonna of the Seven Moons sera pourtant un grand succès au box-office anglais, établissant un peu plus Stewart Granger comme la grande star montante locale et saluant les audaces de Gainsborough qui en cette même année 1945 triomphe avec Le Septième Voile autre ovni teinté de psychanalyse. 5/6

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Profondo Rosso
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Le Septième Voile de Compton Bennett (1945)

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Une nuit d'été Francesca Cunningham, autrefois pianiste mondialement renommée, s'échappe de sa chambre d'hôpital et tente de se suicider en sautant d'un pont. Elle est sauvée et ramenée à l'hôpital où elle suit une thérapie avec le Dr Larsen. Celui-ci veut absolument connaître les évènements et les personnes qui l'ont conduite à attenter à sa vie.

The Seventh Veil est un des film les plus populaire et célébré du cinéma britannique, son mélange puissant de mélodrame, romance et psychanalyse n'ayant rien perdu de sa force. La séquence d'ouverture happe d'emblée dans ce tourbillon d'émotions exacerbée lorsqu'une jeune patiente s'évade de sa chambre d'hôpital pour se suicider en se jetant d'un pont. Sauvée de justesse, elle est prise en main par le Docteur Larsen (Herbert Lom) qui va chercher à savoir ce qui l'a conduite à ce geste. Ce dernier a une théorie originale pour guérir les âmes tourmentées. A l'image de Salomé lors de sa célèbre danse, l'esprit humain dispose de sept voile dont il se délestera selon l'interlocuteur. A des amis proches trois ou quatre voiles peuvent être écartés, à un être aimé cela peut aller jusqu'au sixième voile mais il restera toujours le jardin secret et intime qu'est le septième voile. C'est pourtant bien ce septième voile que devra lever le Docteur Larsen s'il souhaite connaître la nature du ma de Francesca (Ann Todd).

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Le Septième Voile est un des premiers films (avec La Maison du Docteur Edwardes de Hitchcock sorti la même année) à user de la psychanalyse comme l'un des moteur dramatique d'une trame narrative et certains aspects pourront sembler lourds et démonstratifs (toute les longues tirades de Lom entre chaque grands tournant du récits où il explique les réactions de Ann Todd) au spectateur moderne mais le réel brio de Compton Bennett pour traduire cela visuellement et les performances des acteurs rendent le tout finalement très fluide. La preuve en est de la séquence d'hypnose qui amorce un long flashback jusqu'à l'adolescence de Francesca où un fondu enchaîné progressif (qui annonce les expérimentations de Mankiewicz dans Soudain l'été dernier) incruste le passé dans le présent, les éléments autour d'Ann Todd sur le divan s'estompant par un jeu sur la profondeur de champ séparant les deux mondes pour peu à peu pour donner corps à cette nouvelle réalité. Les nombreuses transitions en fondus enchaînés, les effets de montages s'accrochant à un objet d'une séquence à une autres et les ellipses constamment déroutantes appuie cet effet de rêve et de souvenir dans lequel on s'enfonce plus profondément. On découvre ainsi la jeune Francesca amenée à séjourner chez un oncle à la parenté vague suite à la mort de son père. Célibataire froid et distant, Nicholas (James Mason) ne prête guère attention à elle jusqu'au jour où il découvre ses exceptionnelles aptitudes au piano. Dès lors s'engage un apprentissage impitoyable destiné à en faire une artiste virtuose.

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La nature de leur lien devient trouble dans la manière impitoyable et autoritaire qu'à le tuteur d'écarter le premier prétendant sérieux de Francesca. James Mason tout en ambiguïté s'avère aussi bienveillant qu'inquiétant, délivrant de son timbre suave les saillies les plus cruelles et sa prestance nonchalante pouvant être brisée à tout moment par des élans de brutalité. Mais comme souvent avec lui la subtilité de l'interprétation est telle que le vrai sentiment caché par ses attitudes contradictoires n'est bientôt plus un secret. Ann Todd aussi à l'aise en jeune fille sautillante qu'en jeune femme torturée trouve là le rôle de sa vie. La nature involontairement autobiographique de son personnage soulève quelques moment d'une fulgurante intensité à son interprétation. Elle même fille d'un pianiste elle fut elle même destinée à une grande carrière de musicienne avant que son incapacité à se produire devant une audience ne stoppe net ce bel avenir. Deux scènes du film font écho à cette expérience personnelle, la première lorsque adolescente elle est punie de coup de bâton sur les mains par un professeur ce qu'il empêche d'être à son niveau lors d'une audition qu'elle va rater. La seconde est lors de son premier concert où terrassée par l'anxiété elle s'évanouit sur scène après sa performance. Toute les scène musicales sont d'ailleurs brillantes, le premier rapprochement entre Francesca et Nicholas au piano, le fameux premier concert où le lien musique/image se fait virtuose dans le montage porté par une Ann Todd possédée et également le concert au Albert Hall où le cadrage dévoile un Mason fier (et amoureux) en coulisse parallèlement à Francesca au sommet de son art face à son instrument sur du Rachmaninoff. La formation de Ann Todd lui permet d'ailleurs de jouer elle même de nombreux moments (les plan d'inserts trop virtuose étant eux assuré par la pianiste Eileen Joyce) accompagné par l'orchestre du London Philarmonic Orchestra pour l'occasion.

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Sans trop en dévoiler la nature du trouble de Francesca viendra du doute qu'un terrible évènement lui donnera sur sa capacité à jouer à nouveau. La dernière partie donne donc la part belle à Herbert Lom et à sa thérapie de guérison, où Francesca devra faire face à ses peurs et ses sentiments pour pouvoir pratiquer son art. Malgré le côté surexplicatif de cette touche psychanalytique elle distille l'émotion de manière inédite et forte car on a plus l'habitude de ce type d'artifices dans un thriller que dans un drame. La magnifique scène finale permet donc à une Francesca désormais apaisée et équilibrée d'ouvrir les yeux sur le seul homme où se confond son amour pour la musique et celui de son coeur de femme. Le Septième voile est levé. Le film est un succès immense l'un des plus grand du cinéma anglais avec 18 millions d'entrée et recvra l'Oscar du scénario pour son originalité tandis que les carrière de Ann Todd et Herbert Lom seront lancées. Quant à James Mason c'est une performance mémorable de plus au compteur et parmi ses plus reconnues. 5/6

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Jeremy Fox
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Re: Les Gainsborough Pictures

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:o

Bonne idée que de regrouper tous ces avis sur un topic consacré au studio. Immense lacune pour ma part (avec aussi un gros manque de curiosité) ; je pense n'en avoir vu aucun.
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Profondo Rosso
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Et pour finir un peu différent des précédents

Easy Money de Bernard Knowles (1948)

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Easy Money est un très plaisant et amusant film à sketch satirique autour de la tradition anglaise du "football pool", soit les paris sur les matchs du championnat. Le film marquait la prise de pouvoir du producteur Sidney Box aux studios Gainsborough, auréolé du succès extraordinaire du Septième Voile un des films les plus populaire du cinéma anglais qu'il écrivit (avec sa femme Muriel Box) et produisit. Jusque là spécialisé dans le mélodrame en costume, le studio Gainsboruough change de direction sous l'influence d'un Sidney Box souhaitant amener une touche plus contemporaine et réaliste au films du studios. Easy Money par son mélange des genres, son humour caustique et surtout son sujet très terre à terre parlant à un public subissant encore les privations de l'immédiat après guerre est donc assez emblématique de ce nouvel élan.

Après une introduction ironique nous présentons le goût des anglais pour les jeux d'argent et plus particulièrement pour le "football pool", le film se divise en quatre sketch nous présentant avec humour les réactions diverses et variées de diverse tranche de la population face à des gains inattendus.

Le premier sketch nous présente une famille anglaise de classe moyenne heureuse et aimante mais qui a tout de même du mal à joindre les deux (le fils et la fille aîné adultes ainsi que la grand mère vivant toujours avec la famille souligne de manière sous-jacente cet aspect économique difficile). Tout change lorsque le père (Jack Warner) découvre avec stupeur que son traditionnel pari est gagnant. L'argent n'est pas même arrivé que la famille se déchire déjà, entre les affaires douteuse du fils, le désaccord entre mari et femme pour déménager au bord de la mère et la grand-mère scandalisée d'avoir des parieurs sous son toit. Gros problème cependant, la fille cadette (jouée par une toute jeune Petula Clark, oui celle de Downtown !)a oubliée de poster le billet gagnant à la loterie nationale... Simple et efficace, le sketch montre assez habilement comment l'argent devient pomme de discorde et réveille les vieilles rancoeurs à l'opposé de la modeste condition de départ qui amenait tout le monde a se serrer les coudes. Les protagonistes très attachants évite au sketch de tourner à la rhétorique démonstrative et l'ensemble se suit avec plaisir.

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Le second sketch est plus ouvertement caustique et distancié, mais aussi plus tragique. Atkins, un modeste employé (Mervyn Johns) découvre qu'il est vainqueur de son dernier pari sportif. La nouvelle a de quoi alarmer cet homme faible et effacé qui ne sait comment gérer la situation sans mettre à mal sa discrétion naturelle. Mervyn Johns est épatant en esprit faible pris entre sa femme qui l'incite à démissionner de son emploi ingrat et son patron qu'il n'ose pas même regarder dans les yeux (et une belle idée de ne signaler sa présence qu'en voix off et vue subjective qui le rend plus imposant encore pour le malheureux héros). La chute est assez cruelle avec un stratagème farfelu qui tourne bien mal.

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Le troisième sketch est le plus luxueux avec son univers du music-hall et lorgne sur le film noir. C'est d'ailleurs à Gilda qu'on pense avec une Greta Gynt se la jouant Rita Hayworth en chanteuse au sex-appeal ravageur et affolante en robe longue fendue. Une vraie femme fatale qui va causer la perte de son amant Joe (Dennis Price futur héros de Noblesse Oblige), employé de loterie qui va truquer la billetterie afin d'avoir les moyens de l'entretenir. Une bonne petite intrigue policière habilement mené et à la chute bien cynique dominée par la prestation de Greta Gynt aussi vénale que sensuelle.

Le dernier sketch est aussi le plus léger et drôle de l'ensemble. Edward "Teddy" Ball (Edward Rigby) est un vieux contrebassiste méprisé par son chef d'orchestre qui ne lui accorde qu'un espace minimale d'expression (son jeu est génialement limité) et ne cesse de le railler. Lorsqu'à son tour il devient riche grâce au "football pool" l'occasion lui sera donné de prendre une éclatante revanche. Le vétéran Edward Rigby est génial en vieux musicien bougon et le sketch est le seul à montrer son héros réellement jouir de sa nouvelle condition. Le second degré est omniprésent avec la bande son envahi par la seule note de contrebasse que Rigby peut (sait ?) jouer nous guidant vers une chute éclatante de drôlerie.

Très bon et homogène (c'est rare) film à sketch donc, une belle réussite dans le genre. 4/6
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Profondo Rosso
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Jeremy Fox a écrit ::o

Bonne idée que de regrouper tous ces avis sur un topic consacré au studio. Immense lacune pour ma part (avec aussi un gros manque de curiosité) ; je pense n'en avoir vu aucun.
Oui d'ailleurs histoire de ne pas passer pour un grand malade j'ai recollé des avis pondu sur 2 ans au moins :mrgreen: donc assez de matière pour un topic. La plupart sont trouvable au moins avec la VOSTA (plus de la moitié des films que j'ai mis se trouvent sur le coffret Stewart Granger par exemple), c'est vraiment très accessible et divertissant et sous le joli apparat ça ose pas mal de dérapage par rapport au cinéma Hollywoodien. C'est un peu oublié aujourd'hui mais pas mal de ces films furent parmis les plus populaire du cinéma anglais des 40.
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par daniel gregg »

Fichtre ! :o
Ah oui très bon The seventh veil avec un James Mason comme d'habitude, magistral.
Et tu me donnes envie de découvrir The man in grey ! :)
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Flavia
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Flavia »

daniel gregg a écrit :Fichtre ! :o
Ah oui très bon The seventh veil avec un James Mason comme d'habitude, magistral.
Et tu me donnes envie de découvrir The man in grey ! :)
The man in grey est un mélo tragique comme je les aime. :D
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Flavia a écrit :
daniel gregg a écrit :Fichtre ! :o
Ah oui très bon The seventh veil avec un James Mason comme d'habitude, magistral.
Et tu me donnes envie de découvrir The man in grey ! :)
The man in grey est un mélo tragique comme je les aime. :D
Tu peux vraiment sauter sur The Wicked Lady si tu as aimé The Man in grey Flavia, c'est les mêmes ingrédients en encore plus retors et réussi le côté amoral est assez jouissif :mrgreen: C'est l'idéal en tout cas pour s'y mettre Daniel :wink:
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