Les Gainsborough Pictures

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Flavia
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Flavia »

Profondo Rosso a écrit :
Flavia a écrit :
The man in grey est un mélo tragique comme je les aime. :D
Tu peux vraiment sauter sur The Wicked Lady si tu as aimé The Man in grey Flavia, c'est les mêmes ingrédients en encore plus retors et réussi le côté amoral est assez jouissif :mrgreen: C'est l'idéal en tout cas pour s'y mettre Daniel :wink:
J'ai vu le synopsis qui est bien gratiné, j'adore :D Merci Profondo.
joe-ernst
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par joe-ernst »

The Wicked Lady : un MUST ! 8)
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
daniel gregg
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par daniel gregg »

Flavia a écrit :
Profondo Rosso a écrit :
Tu peux vraiment sauter sur The Wicked Lady si tu as aimé The Man in grey Flavia, c'est les mêmes ingrédients en encore plus retors et réussi le côté amoral est assez jouissif :mrgreen: C'est l'idéal en tout cas pour s'y mettre Daniel :wink:
J'ai vu le synopsis qui est bien gratiné, j'adore :D Merci Profondo.
Seulement dispo avec sta apparemment, que ce soit à l'unité ou dans le beau coffret UK dédié à Margaret Lockwood, c'est bien çà ?
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Profondo Rosso
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Oui sinon il y a aussi ce coffret Eclipse où on trouve en plus Man in grey et Madonna of the seven moon.

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http://www.amazon.co.uk/Criterion-Coll- ... on+eclipse
daniel gregg
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par daniel gregg »

Merci. :wink:
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Profondo Rosso
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

The Magic Bow de Bernard Knowles (1946)

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Paganini fait la connaissance d'une ravissante jeune fille, Jeanne de Vermont. Les deux jeunes gens s'aiment, mais Napoléon destine Jeanne à l'un de ses officiers, le Comte de la Rochelle.

Cette divine production Gainsborough nous propose ici un biopic largement romancé du légendaire violoncelliste Niccolò Paganini avec Stewart Granger dans le rôle-titre. Hormis bien sûr son génie musical (sans être connaisseur on sent d'ailleurs tout le travail de Granger dans le jeu et le positionnement lorsqu'il s'exécute au violon) et la façon novatrice qu'il eut de promouvoir son art à l’époque, l'ensemble est donc un pur prétexte à une pure œuvre romanesque en costume typique de la Gainsborough. On suivra ici les débuts et l'ascension du musicien qui se fera bien évidemment en parallèle à une grande histoire d'amour. Musicien de génie confiné à sa modeste condition au sein de la ville de Gênes, Paganini est introduit dans toute sa virtuosité et sale caractère lors d'une scène où il se plaint de son instrument rudimentaire dont il ne peut faire sortir tous les sons qu'il a en tête. Son talent attire l'attention de Jeanne de Vermond (Phyllis Calvert), une noble qui va user de lui pour faire évader son père, le faisant jouer pendant qu'il scie les barreaux de la prison où il est emprisonné ! Le contexte de luttes des classes et celui historique des guerres napoléoniennes s'infiltre donc là de la plus ludiques des manières.

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Les amours de Jeanne et Paganini seront ainsi constamment contrariées par ses origines modestes. Le musicien voit ainsi son exigence se confronter à l'oisiveté du public nantis devant lequel il joue, dans un champ contre champs parfait où la fureur de Granger monte tandis que les nobles s'adonnent à leurs jeux et discussion. Le succès sera donc une longue quête où Paganini cherchera notoriété autant pour se défier ces nobles qui l'ont snobés que conquérir le cœur pourtant déjà acquis de Jeanne. C'est dans cette idée que le réalisateur déploie toute une imagerie flamboyante pour mettre en valeur la musique et le brio de Paganini.

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Un des grands moments du film est certainement le premier concert triomphal de Paganini tandis qu'à l'extérieur les troupes de Napoléon envahissent Parme. Le propriétaire de la salle hésite à évacuer la salle happée par la musique et n'ayant pu s'y résoudre voit les hommes en uniforme investir les lieux. Paganini après s'être arrêté pour voir l'arrivée des intrus toise leur chef de son regard le plus hautain (Granger est absolument grandiose) puis reprend son récital tandis qu'admiratifs et penaud les soldats repartent. La salle de musique ne sera un lieu de conquête que pour Paganini.

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L'histoire étend cette idée à des fins dramatiques par la suite avec l'impossible romance entre le musicien et Jeanne promise à un officier napoléonien. Le musique ne sert dont plus l'égo du musicien mais le déchirement de son cœur lorsque meurtri il doit la laisser partir et qu'elle lui demande de jouer dans l'intimité de sa chambre tandis qu'elle quitte les lieux. La fusion entre le héros et son instrument le montrera alors perdu lorsque l'épée remplace l'archer quand il sera défié en duel et l'amour définitivement perdu il ne pourra plus empoigner son instrument. Cela semble de plus constamment en lien avec les pièces musicales entendues lors de ces moments (et que les connaisseurs sauront mieux que moi rattacher à la dramaturgie du film).

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Tout ce tourbillon de sentiment explose lors du final supposé être la consécration artistique de Paganini mais un déchirement personnel quand il devra jouer devant le pape dans l'enceinte du Vatican. Knowles mêle flamboyance grandiloquente avec ces lieux dépeints dans tout l'excès rococo de la Gainsborough et dimension intime où les doutes de l'artiste et la douleur de revoir son amour perdu amène une fabuleuse intensité dramatique. Un grand moment où le romanesque se marie parfaitement à l'ode de cette grande musique dans cette magnifique conclusion. Moins fou et déroutant que d'autres production Gainsborough, mais captivant dans son romanesque musical. 5/6

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Profondo Rosso
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Message par Profondo Rosso »

Prisonnières de guerre de Frank Launder (1944)

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Durant la Seconde Guerre Mondiale, en France, Freda Thompson, une journaliste déterminée, est déportée dans un camp allemand. Une nuit, alors que les bombardements font rage, un avion britannique est touché. Trois de ses occupants échappent miraculeusement à la mort grâce à leur parachute, mais atterrissent dans le camp nazi qu'ils étaient en train de survoler. Frida et ses camarades décident alors de les cacher pour mieux les aider à s'évader...

Lorsque le studio Gainsborough contribue à l’effort de guerre du cinéma anglais, ce sera forcément sous un angle romanesque et féminin avec ce Two Thousand Women. Frank Launder aura su dresser le portrait de l’Angleterre en guerre sous un angle intimiste à travers une trilogie composée de Ceux de chez nous (1943) illustrant la mobilisation des femmes en usine d’armement et Waterloo Road (1945) (coécrit et réalisé avec son partenaire Sidney Gilliat) narrant un triangle amoureux sur fond de blitz. Two Thousand Women est plus frontal dans sa dimension de film de guerre (avec confrontation directe à l’ennemi nazi quand il restait une menace invisible dans les deux autres films) et mélange la touche humaniste de Frank Launder avec le côté plus piquant de la Gainsborough tout en maintenant la tension attendu dans le genre.

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Durant la Seconde Guerre Mondiale, un groupe de jeune femmes, anglaises pour la plupart, sont déportée dans un camp allemand assez particulier, un ancien hôtel de luxe reconvertit en geôle. La première partie permet d’expliquer l’incongruité de cette présence anglaise par le portrait des prisonnières qui dessine tout un panorama des classes sociales anglaises. On aura ainsi une vieille fille arrachée à sa villégiature (Flora Robson), une journaliste/écrivain en voyage (Phyllis Calvert), une religieuse arrachée à son couvent (Patricia Roc) et surtout une des jeunes femmes « aventurières » ayant exercée les professions diverses et plus ou moins recommandables (Jean Kent et son passé de stripteaseuse). Ce contraste permet quelques moments amusant comme quand, pénurie d’eau oblige, les femmes se déshabillent sans gêne et partagent leur bain tout en dégustant une tasse de thé sous le regard horrifié des plus collet-monté peu habituées à cette promiscuité. La cohabitation se fera tant bien que mal, si ce n’est que plane la menace d’une espionne allemande parmi les prisonnière. Lorsque des pilotes anglais abattus trouveront refuge dans l’hôtel, nos héroïnes devront jouer avec cette menace intérieure et celle de leurs geôliers allemands pour les faire échapper.

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On démarre ainsi dans une touche légère du fait de ce cadre pénitentiaire inhabituel d’où les français ne sont pas absents (le propriétaire de l’hôtel joué par Guy Le Feuvre). La tonalité change quelque peu du fait de cette orientation féminine et la facette patriotique se conjuguera constamment aux passions de nos héroïnes, faisant l’originalité du film par rapport à d’autres avatars du genre comme La Grande Illusion de Jean Renoir ou Stalag 17 de Billy Wilder. La tension grimpera progressivement, de disparition d’objet mystérieuse en punition envers certaines que seule une trahison peut justifier jusqu’à le jeu de dupe et de cache-cache lorsqu’il faudra dissimuler les pilotes. Le scénario tout en en faisant des personnages forts se joue aussi de certains « travers » féminins comme une scène mémorable où le caquetage va répandre la rumeur de la présence des prisonniers jusqu’à arriver aux oreilles de l’espionne allemande infiltrées.

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Le tempérament passionné de ses femmes est source de courage et de danger à la fois, à l’image du personnage de Jean Kent prêt à tout pour la perte puis la survie d’un des pilotes coupable d’un machisme révoltant envers celle qui l’a sauvé. On aura également une approche plus tendre avec la romance entre Patricia Roc et un autre pilote. On reconnaît bien là le mélange des genres de la Gainsborough et Frank Launder regrettera par la suite de n’avoir pas adopté un ton plus globalement sérieux au film. C’est pourtant ce qui fait tous le sel du film, passant du cliché sur la femme frivole et précieuse à la vraie héroïne et patriote anglaise digne de ses comparses masculins lorsque le danger se fait jour. On vibre d’autant plus tout en étant confronté à des situations inédites dans le genre (le final est un modèle de suspense). Ces femmes ont mérité notre admiration (le casting des habituées de la Gainsborough est parfait avec Phyllis Calvert, Jean Kent et Patricia Roc, ne manque que Margaret Lockwood) lors du final triomphal où elles chantent la gloire de l’Angleterre face aux allemands qu’elles ont dupés. 4,5/6
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Message par Profondo Rosso »

Miranda de Ken Annakin (1948)

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Le docteur Paul Martin passe un jour de vacance à pécher seul sur la côte des Cornouailles, sa femme n'aimant pas la pêche. Il hameçonne Miranda, une sirène qui l'emporte dans l'eau jusqu'à une caverne sous-marine. Elle ne veut pas le laisser partir mais lorsqu’il lui promet de lui faire voir Londres, elle accepte de le libérer. Le docteur la déguise en handicapée dans une chaise roulante et la fait passer pour une de ses patientes. Il l'amène chez lui...

Miranda est une délicieuse sucrerie qui au premier abord semble aux antipodes des mélodrames vénéneux et provocateurs qui ont fait la gloire du studio Gainsborough. C'est pourtant bien cette touche vénéneuse typique du studio qui transcende la candeur surannée du postulat, adapté de la pièce éponyme de Peter Blackmore qui en signe également le scénario. Le docteur Paul Martin (Griffith Jones) ne parvient pas à convaincre son épouse Clare (Googie Withers) de l'accompagner pour une partie de pêche et va donc passer une journée de vacances en solitaire sur la côte des Cornouailles. Une prise inattendue va se trouver au bout de son hameçon avec Miranda (Glynis Johns), une magnifique sirène qui va l'entraîner dans son antre sous-marine. Seul moyen d'être libéré de cette prison dorée, emmener Miranda dans une civilisation dont elle rêve à travers les revues de modes récupérée des déchets de navire. Miranda passera ainsi pour une malade impotente, meilleure moyen de dissimuler sa queue.

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Avec pareil synopsis, on s'attend donc à une découverte du monde émerveillée et innocente de notre sirène c'est avec Gainsborough cela prendra bien sûr un tour plus audacieux. C'est avant tout le pouvoir ensorceleur et synonyme de perdition pour les hommes de la sirène qui est ici retenu à travers une comédie de mœurs enlevée. Dès la première rencontre, le ton est donné puisque ce n'est par Paul qui remonte Miranda vers la surface mais bien elle qui l'attire vers les fonds marins. Glynis Johns incarne le mystère, la grâce et le désir à travers le regard envoutant, les poses lascives et une chevelure en cascade qui couvre bien sa poitrine nue (et sur laquelle un Paul envouté pose gracieusement sa tête). Arrivé à la civilisation, ce pouvoir charmeur va semer la discorde dans les différents couples du film, que ce soit les domestiques Charles (David Tomlinson) et Betty (Yvonne Owen) ou les amis du couple Nigel (John McCallum) et Isobel (Sonia Holm). Glynis Johns ne joue jamais la carte de la vamp surnaturelle (comme pouvait le faire une Veronica Lake dans Ma femme est une sorcière (1942) mais au contraire happe les hommes par ce mélange d'innocence et de sensualité, sa voix douce et son regard tendre ce conjuguant à une présence subtilement charnelle. Le fait que tous les hommes soient obligés de la porter d'un lieu à un autre provoque une promiscuité constante où elle susurre les compliments qui les font rougir, où elle les provoque en les incitant à prononcer son nom de manière toujours plus passionnée. Les promesses de voluptés de la sirène constituent en fait une échappatoire pour les hommes dont la fantaisie naturelle semble comme étouffée par leurs compagnes trop terre à terre. On l'aura vu avec le refus de Clare d'aller à la pêche en ouverture, il en va de même pour Nigel, peintre dont la fiancée se désintéresse du travail et même le majordome Charles révèle un aspect plus rêveur que le suppose au départ sa relation terne avec Betty.

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Ken Annakin apporte la flamboyance formelle à la Gainsborough pour amener le piquant attendu à l'ensemble aidé par la belle photo de Bryan Langley. L'appartement bourgeois du couple offre un visuel des plus soigné, tout comme l'antre délicieusement kitsch de la sirène. Chaque séduction de Miranda est révélé par un lieu : l'atelier du peintre - et la peinture concentrée de l'attrait charnel de la figure féminine, fréquent chez Gainsborough -, le zoo qui fait tomber les réserves du guindé Charles et surtout un très osé bain de minuit dans une crique entre Paul et Miranda (où on le voit distinctement dégrafer sa robe). C'est très amusant donc grâce à ces provocations masquées sous l'aspect mignon du film, et qu'Annakin truffe de quelques gags plaisant où le bocal à poissons voit ses hôtes diminuer a vu d'œil pour les plus observateurs, Miranda vole la denrée de poisson à des phoques où fait profiter de ses dons pour le chant dans un opéra. Alors que le film semble néanmoins retomber sur ses pattes morales au final, une dernière image de Miranda nous signifie bien que l'adultère a été consommé. Avec qui ? Mystère ! Le film sera un des plus grand succès du box-office anglais en 1948, au point de générer une suite tardive (et réputée moins bonne, sans doute car hors du giron Gainsborough désormais fermé) avec Mad About Men (1954) où Glynis Johns reprend son rôle. 4/6

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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Waterloo Road de Sidney Gilliat (1945)

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Une jeune femme, délaissée par son mari parti pour la guerre, se console dans les bras d'un mauvais garçon. Averti, le mari s'échappe et poursuit les amants dans les rues de Londres.

Joli film croisant mélo et comédie qui sur fond de triangle amoureux classique offre une vision assez juste du quotidien des anglais sous le Blitz. Tillie Colter (Joy Shelton) est une jeune mariée qui n'a guère eu le temps de gouter aux joies du bonheur conjugal puisque son époux Jim (John Mills) fut mobilisé peu après les noces. Esseulée elle se sent désormais étouffée entre la bienveillance pressante de sa belle-mère et la surveillance permanente de sa belle-soeur qui la soupçonne d'adultère. Ainsi oppressée et malheureuse, Tillie est finalement malgré elle toute disposée à céder aux avances du fourbe séducteur Ted Purvis (Stewart Granger) mais averti le mari fuit sans permission pour connaître le fin mot de l'histoire.

Avec pareil pitch on s'attend forcément à du gros vaudeville et si le film joue parfois dessus le propos s'avère bien plus intéressant. Sidney Gilliat avait déjà abordé le thème des conséquences de la guerre sur une famille anglaise dans son précédent Millions Like Us (déjà avec Joy Shelton) et poursuit sa réflexion ici à l'échelle d'un couple. On découvre ainsi comment l'irruption du conflit a brisé l'élan des jeunes gens, les faisant abandonner leur responsabilités avant qu'ils se montré digne de les assumer et de grandir. Gilliat exprime sobrement cette idée à travers un court flashback sur le dernier moment heureux commun du couple le jour de leur mariage et leurs timidités et manières empruntées témoignent de leur candeur et d'une complicité qui ne demande qu'à s'installer mais ils n’en auront pas le temps. Le script rend étonnement peu coupable l'adultère potentiel de Joy Shelton (cela va même plutôt loin pour la tatillonne censure anglaise) et justifie ses motifs par le caractère effacé de John Mills. Ce dernier n'a rempli aucun de ses "devoirs" en laissant sa femme sans foyer (qui vit donc chez sa belle-famille où elle se sent épiée) ni enfant, ce dernier point soulevant une interrogation sur sa virilité et donc puissance sexuelle puisque symboliquement lorsque tout sera résolu l'épilogue montrera désormais la présence d'un nourrisson au sein du couple. A l'opposé le coureur de jupon incarné par Stewart Granger déborde de masculinité, autant par son physique imposant (face à la frêle carrure de John Mills) que par ses attitudes désinvoltes envers les femmes. Un aspect bien appuyé par la caractérisation du personnage, ancien boxeur qui se plaît à claquer les fesses de ses futures conquêtes. Face à cette toute puissance, Joy Shelton ne peut/veut pas résister et pour la reconquérir, John Mills devra lui prouver qu'il est désormais un homme, un vrai.

Hormis des inutiles prologues et épilogues nostalgiques avec le personnage de médecin joué par Alastair Sim, l'histoire fonctionne en unité de temps et de lieu dans ce quartier ferroviaire de Waterloo Road. Le rythme se fait trépidant et riche en péripéties où John Mills sillonne le quartier tout en étant traqué par l'armée pour retrouver son épouse avant qu'elle ne commette l'irréparable. On a quelques moments et rencontres amusantes comme ce soldat canadien en fuite également qui va occasionner quelques courses poursuites communes trépidantes avec notre héros mais sous la légèreté, les hurlements des sirènes, le grondement des bombes et les destructions inattendues d'édifices nous ramènent constamment aux temps difficiles que l'on vit alors. La résolution se fera bien évidemment par une empoignade brutale entre les deux rivaux, filmée avec énergie par Gilliat qui y amènent une émotion inattendue. Ainsi John Mills (excellent comme toujours) sévèrement malmené trouvera les ressources pour se relever par un échange de regard avec sa femme inquiète, aimante et enfin admirative de son homme venu l'arracher des bras d'un autre. Stewart Granger demeure étonnement sympathique malgré la goujaterie de son personnage et on est finalement fort admiratif du trio d'acteur qui dote d'une belle humanité ces héros imparfait et attachant. Vraiment un excellent et riche film bouclé en 1h15 à peine. 4,5/6
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Profondo Rosso »

Jassy de Bernard Knowles (1947)

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Jassy est considéré comme le dernier grand mélodrame du studio Gainsborough. En 1947 Maurice Ostrer, directeur de la production du studio et élément créatif majeur de ses mélodrames à succès, est remplacé par Sidney Box. Ce dernier goutte très peu l'extravagance du registre habituel de la Gainsborough et va réorienter les productions suivantes vers une veine plus réaliste qui ne prendra pas et conduira à la fermeture du studio au début des années 50. En attendant ce virage, Sidney Box est forcé de laisser se faire Jassy dont la pré-production est déjà bien avancée. Il s'agira du plus gros budget de la Gainsborough et de son premier film en couleur.

Jassy (adapté du roman de Norah Lofts paru en 1944) semble réfréner l'outrance habituelle du studio, du moins dans l'intrusion d'éléments fantastiques (réduits aux dons de voyance de l'héroïne) mais très vite l'avalanche de rebondissements (il y a au moins 4 films à faire en creusant les évènements des seules premières 40 minutes) nous ramène en terrain connu. Le jeune Barney Hatton (Dennis Price) s'est juré de reprendre un jour le domaine de Moderlaine, perdu au jeu par son père face à l'infâme Nick Helmar (Basil Sidney). Réduit à une existence de fermier, Barney se lie d'amitié avec Jassy (Margaret Lockwood) fille de gitane rejetée par la communauté car considérée comme une sorcière. Celle-ci sera également victime de la brutalité de Nick Helmar quand ivre il abattra accidentellement son père. Le récit suit plus particulièrement le parcours de Jassy parvenant au fil des difficultés à s'élever, tout en formant un triangle amoureux déchirant avec Barney et Dilys (Patricia Roc) fille de Nick Helmar.

Le grain de folie formel des mélos Gainsborough s'estompe grandement (alors que Bernard Knowles est capable du meilleur dans ce registre en tant que directeur photo sur Love Story (1944) ou réalisateur dans The Magic Bow (1946) voir même plus tard puisqu'on lui doit le téléfilm The Magical Mystery Tour des Beatles) pour ressembler à un drame en costume plus classique, sans la démesure rococo habituelle. Il en va de même du côté sexuel sulfureux habituel du studio, certains éléments de l'intrigue reprennent des éléments de The Wicked Lady ou The Man in grey (amitié puis rivalité amoureuse entre Patricia Roc et Margaret Lockwood, cette dernière confrontée à un châtelain ombrageux) mais au service d'un romanesque plus lumineux, moins perfide. Margaret Lockwood a ainsi pour une fois le bon rôle avec ce personnage de basse extraction mais déterminé à réussir par amour. La façon dont son personnage est le seul à rester droit face à la cruauté (Basile Sidney délectable en grand méchant même si moins fin qu'un James Mason), la frivolité (Patricia Roc plus intéressée qu'amoureuse) ou faiblesse de caractère (Dennis Price qui prépare déjà son rôle de Noblesse Oblige (1949)) de ceux qui l'entoure n'est pas sans rappeler la Fanny du Mansfield Park de Jane Austen ce qui tend à ramener effectivement Gainsborough à un courant romanesque plus classique.

Le film n'en reste pas moins réussi et prenant. Bernard Knowles déploie une mise en scène élégante qui fait de la multitude d'environnement (en particulièrement le château de Moderlaine entre maquette stylisée et intérieur fastueux) un régal pour l'œil et l'intrigue dense nous ballade de coup de théâtre en rebondissements où malgré l'excès la cohérence demeure dans la caractérisation des protagonistes. Sans retrouver l'équilibre ténu d'un Leslie Arliss dans les ruptures de ton, le réalisateur pose habilement éléments anodins, personnages secondaires (le très beau rôle de muette d'Esme Cannon) qui prendront tous leur importance dans le drame en cours. La couleur amène aussi une fraîcheur bienvenue (belle photo de Geoffrey Unsworth) pour l'habitué du studio. Pour résumer donc un Gainsborough plus sage mais qui reste plaisant. Le public anglais ne s'y trompera pas en en faisant le septième plus gros succès de l'année au box-office anglais, un beau chant du cygne aussi pour Margaret Lockwood dont la carrière déclinera lentement ensuite. 4,5/6
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Jeremy Fox
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Jeremy Fox »

Pour notre rendez vous british hebdomadaire Justin nous propose de découvrir The Man in Grey de Leslie Arliss
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Re: Les Gainsborough Pictures

Message par Ikebukuro »

Toutes ces captures écran font plaisir à voir et donnent envie de voir les films.
Merciiiiiiiiiiiiiiii :)
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