Are You Listening? - Harry Beaumont (1932)
Le dernier film tourné pour la MGM par William Haines (avec Fast Life) prouve que l'acteur pouvait tenir un rôle plus sérieux que ceux qu'il a pu endosser pendant sa période muette où les gags, grimaces et autres pitreries peuvent lasser et paraissent fortement datés aujourd'hui. Avec Are You Listening?, l'acteur gomme tout ce qui a pu agacer de ses rôles précédents, ne se repose plus sur son personnage de blagueur et endosse avec sérieux et charisme un rôle qui va varier entre les moments comiques et dramatiques, et ce, sans jamais faillir. C'est d'ailleurs le premier aspect que l'on note à la découverte de ce film, Haines est un acteur élégant, qui sait se placer devant la caméra et qui n'a pas du faire beaucoup d'effort lors du passage au parlant. Il avait déjà ce dynamisme naturel devant la caméra dans ses films muets mais là on découvre un acteur différent, plus "solide".
Le second aspect important est le dynamisme que le réalisateur impose au film en nous faisant vivre dans et en dehors du studio de radio et nous faisant suivre 2 histoires plus ou moins liées sans jamais se perdre (et nous avec), avec beaucoup de sobriété dans la mise en scène et avec un montage suffisamment calibré pour que le rythme ne retombe jamais. Le film voit se croiser une première histoire dans laquelle on retrouve William Haines coincé malgré lui entre 2 femmes : celle avec qui il est marié et qui le hait et celle qu'il aime réellement et avec qui il se sent vivre. La première, Alice (Karen Morley), vit au crochet du créateur d'annonce publicitaire et refuse de divorcer tant que Bill ne gagnera pas suffisamment d'argent pour payer sa pension, elle ne l'aime plus et ment à ses amis de peur pour son image. La seconde, Laura (Madge Evans), travaille avec lui et représente un échappatoire, une bouffée d'oxygène pour Bill car il y trouve une femme dynamique et qui attend son heure.
Autour de cette histoire gravite une seconde où l'on retrouve Laura et ses 2 soeurs, Sally (Anita Page) et Honey (Joan Marsh), et qui apporte le côté Pre-Code au film de Beaumont. Si Laura est une femme qui gagne sa vie au travail, Sally et Honey sont des femmes bien plus libres qui ne se limitent pas à un seul homme, qui profitent de leurs largesses et applique le principe des Gold Diggers à la lettre. En fait si on prend un peu de recul sur ces 2 histoires, outre le pivot central en la personne de Laura, c'est surtout le thème "Les gens utilisent les gens" qui ressort et qui s'avère être le moteur de chacune d'elle. Si l'histoire liée à Bill et Laura prend le pas sur celle de Sally et Honey en terme de gravité dans le film, la seconde ne doit pas être considérée comme mineure car elle apporte un dynamisme propre au Pre-Code et repose sur un duo d'actrice au charme indéniable. La jeune Joan Marsh et Anita Page tiennent à merveille ses rôles de jeunes femmes un peu légères qui cherchent la compagnie des hommes, qu'ils soient jeune ou non, et qui se prennent à rêver d'une vie facile, riche et sans effort. Mais c'est sans compter sur le thème central "Les gens utilisent les gens" et les 2 jeunes femmes vont s'en rendre compte par la suite.
Le troisième aspect notable du film résulte dans sa faculté à jouer sur 3 styles différents avec beaucoup de fluidité et d'intelligence de la part du réalisateur. Si le film commence sur la première histoire comme une comédie à laquelle vient se greffer un peu de critique sociale - femme qui refuse le divorce de peur de ternir son image, travail à la radio où le plus important est déjà "l'entertainment" -, il glisse vers le film Pre-Code lorsqu'il aborde la seconde histoire liée à la vie nocturne, alcoolisée et utopique des 2 jeunes soeurs de Laura - tenues légères, filles faciles, alcool, liaisons multiples -. Une fois cette histoire terminée avec le retour à la réalité pour la jeune Honey, qui s'est laissée happer par les promesses d'un homme riche et influent, et la remise dans le droit chemin de Sally par sa grande soeur Laura, le film se transforme en un drame avec un évènement qui va marquer la vie de Bill et celle de Laura puisque le jeune homme, fraichement licencié pour cause de mauvais résultats, va être accusé du meurtre de sa femme, décès accidentel survenu lors d'une discussion entre les 2 époux, et va se transformer en un fugitif. Ce basculement complet de l'histoire est parfaitement maîtrisé par Harry Beaumont qui va réussir à instaurer, sur la dernière partie du film, une tension permanente sur les épaules de Bill et Laura et va en profiter pour nous livrer une critique assez acide d'un autre "entertainment" radiophonique. Le radioman devient la cible du média pour lequel il travaillait quelques jours avant et subit le zèle d'un magnat prêt à tout pour apporter le scoop ultime à ses auditeurs, sorte de reflet du miroir de films comme Too Hot to Handle ou His Girl Friday , et qui va nous emmener à une conclusion multiple.
D'un coté, Sally et Honey vont se rendre compte que les personnes (en l'occurrence des hommes) sur lesquels elles pensaient pouvoir compter ne vont pas se révéler à la hauteur. Sally qui avait une liaison avec un juge haut placé (joué par Jean Hersholt) ne peut compter sur son aide pour sauver Bill de la prison et perd en quelque sorte sa foi dans les hommes. Les 2 jeunes femmes quittent leur tenues de Gold Diggers et préfèrent rentrer chez elle pour retrouver une vie plus sérieuse tout en ayant quelque chose de mort en elle. De l'autre coté, Laura est brisée car elle va perdre celui qu'elle aime pendant 3 ans en espérant pouvoir tout reconstruire par la suite. Cette double conclusion nous laisse avec ces personnages brisés par l'histoire qu'ils viennent de vivre tout en laissant planer la question "Que vont-ils devenir?". Le plan final où l'on voit Bill s'éloigner dans le train et Laura le regardant partir sur le quai, tous les deux avec les "fingers crossed", répond à cette même image de Bill laissant Laura à l'entrée de son immeuble, le réalisateur voulant sans doute nous laisser espérer des jours meilleurs pour eux deux.
Avec un casting solide - William Haines offre un visage vraiment différent, Madge Evans est toujours aussi élégante et agréable à voir jouer, Anita Page est...Anita Page (coucou Tommy
) -, un scénario simple mais dynamisé par ces différents styles et par ce rebondissement final, et une mise en scène maitrisée par Harry Beaumont,
Are You Listening? se place comme un Pre-Code MGM peut être mineur mais à découvrir car il arrive à emballer tous ces ingrédients avec beaucoup de simplicité et d'efficacité.