Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Demi-Lune »

Ce chef-d’œuvre mérite un topic particulier.

Bertolucci a à peine 30 ans lorsqu'il dégaine ce film. La même année, il soumet également La stratégie de l'araignée, enquête trouble et critique sur le passé mythifié d'une certaine Résistance italienne. Les deux films pourraient constituer les facettes d'une même pièce, dédiée à l'étude des mécanismes sociologiques de corruption des valeurs sous Mussolini. Au travers de ce diptyque, Bertolucci analyse l'attraction du fascisme, la perméabilité d'individus à son système à la faveur de leur opportunisme, de leur couardise. Le conformiste illustre par l'étude de cas la normativité sociale du fascisme, qui représente concrètement une possibilité de se fondre dans la masse, et d'y trouver matière à satisfaire ses ambitions. "La stratégie de l'araignée" pourrait s'appliquer au parcours du personnage de Trintignant, qui met sa transparence au service des fascistes non par conviction idéologique, mais parce que le système mussolinien repose sur l'uniformisation sociale qu'il a toujours cherchée. A un propos de fond qui semble clair, Bertolucci oppose néanmoins les contours d'une narration labyrinthique. C'est un film très accessible et pourtant complexe, car l'écriture psychologique ne dissipe jamais totalement ses mystères. Le personnage de Trintignant reste impénétrable et emporte avec lui des secrets qui assurent l'aura de fascination que dégage ce film, d'une exécution formelle époustouflante (pas un plan qui ne soit réglé au poil de cul + le jeu sur la monumentalité des décors et l'Art déco - les stries noir et blanc de la robe de Sandrelli qui épousent celles des stores vénitiens, génial - Storaro qui est décidément le Dieu des chefs op'). Pour moi, clairement ce que le cinéaste a fait de mieux avec Le dernier empereur.
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bogart
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par bogart »

Demi-Lune a écrit :Ce chef-d’œuvre mérite un topic particulier.
C'est un bon film mais qui n'atteint pas l'excellence de 1900 ou encore Le Dernier empereur.
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feb
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par feb »

Demi-Lune, king of the screen caps. :mrgreen: C'est superbe, ça fait envie donc je mets ça dans mon panier, merci :wink:
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Demi-Lune
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Demi-Lune »

bogart a écrit :C'est un bon film mais qui n'atteint pas l'excellence de 1900
Je n'apprécie que modérément 1900, fresque cinq étoiles sur le plan technique mais que je trouve très inaboutie dans son volet social (ou même en termes émotionnels, les personnages étant souvent décevants). C'est une fresque qui m'apparaît vampirisée par les convictions politiques de son auteur, se complaisant dans des développements inutiles ou a contrario dans des schématismes (ou des caricatures) gênants, quand ils ne sont pas ridicules.

Mais nous nous éloignons de l'objet du topic... :mrgreen:
feb
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par feb »

Oui si on pouvait recentrer la discussion sur Stefania Sandrelli :oops: :mrgreen:
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Père Jules
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Père Jules »

Et pas un mot sur Delerue ?
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Demi-Lune
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :Et pas un mot sur Delerue ?
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De la daube !
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J'déconne.
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par monfilm »

Plutôt client du cinéma de Bertulocci je me suis assoupi devant celui-ci. Oui c'est formellement beau. Le reste m'a semblé poseur au point de décrocher complètement.

Désolé hein. Chui encore moins susceptible d'être keupinkeupin, mais c'est mon avis sincère et spontané. Sandrelli est jolie oui. Autant la revoir chez Tinto Brass tiens.
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par blaisdell »

Le plus grand film de tous les temps pour votre serviteur.
Je rêvais depuis longtemps d'un topic sur ce film, demi-lune l'a fait.

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Il s'agit pour moi clairement du plus beau film de Bertolucci (puisque c'est pour moi le plus beau film tout court !!). Et pour sa première production d'envergure, il s'agit d'un coup de maître.
On a souvent vanté la beauté plastique des cadrages et des lumières dues à Vittorio Storaro. On louera également la beauté des costumes et des décors , qui font penser à Visconti, l'une des références majeures de BB, ainsi que la beauté... des deux actrices principales :oops:

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Rendre belle une époque bien laide, voilà un paradoxe mais le film en est rempli.

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En outre l'esthétique du film est assez peu datée: le nombre assez réduit de zooms par rapport à d'autres productions italiennes de la même époque.
Le conformiste a me semble t-il mieux traversé l'épreuve du temps que Les Damnés, autre évocation stylisée de la beauté plastique de cette époque décadente et morbide.

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Tandis que dans le récent Innocents (2003), le cinéaste cinéphile rendait hommage à ses films fétiches en se contentait d'insérer des extraits de ces derniers, ici le jeune Bertolucci utilise le style pour rendre hommage à un cinéma qu'il aime. On citera la première scéne où Marcello Clerici, allongé sur son lit tout habillé tel un samourai melvillien, est uniquement éclairement par un panneau affichant le titre d'un film de Jean Renoir, "La vie est à nous". On peut également évoquer les cadrages penchés évoquant le cinéma des années 30 ou une influence parfois évidente de J-L. Godard dans l'utilisation des filtres ou des couleurs. Le choix de Delerue comme compositeur est évidemment un clin d'oeil au Mépris, adaptation par Godard d'un roman signé lui aussi Moravia.
On pense plus d'une fois à l'esthétique du film noir, tant dans les costumes des personnages que dans les éclairages: l'appartement de Giulia ou l'ampoule de la cuisine du restaurant vietnamien évoquent cet univers.

Ceci dit la poésie visuelle déployée est vraiment unique. Des feuilles mortes s'envolent. Dans un train, pendant que Clerici et sa femme font l'amour, les couleurs du paysage changent du jaune ou bleu.

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Paradoxalement, j'estime qu'il s'agit avant tout de la plus belle narration de Bertolucci. En effet, si la plupart des films du réalisateur ont une beauté plastique certaine, jamais il n'a plus proposé un tel suspense qui accroche le spectateur, et qui culmine dans la scène de la forêt. Ayant revu récemment Le dernier tango à Paris ou La tragédie d'un homme ridicule, je trouve que ce sont des films prometteurs mais qui se perdent dans des sous-intrigues peu intéressantes et des séquences qui tombent parfois à plat.
J'aime bien 1900 et Le dernier empereur mais ce sont quand même deux oeuvres plus hétérogènes et moins émouvantes.
Tandis qu'avec Le conformiste, tout est tendu, tout est terrible, tout est poignant , notamment tout ce qui est axé sur le meurtre professeur et le sauvetage hypothétique de sa femme, incarnée par Dominique Sanda. A t-on retrouvé chez le cinéaste une telle richesse dramatique, une telle densité ? J'en doute fort même si c'est un cinéaste que j'ai rarement trouvé inintéressant.

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Rarement une adaptation de roman aura été aussi judicieuse. Et pourtant dieu si Moravia n'est pas un romancier de gare.
Mais là si Bertolucci s'est écarté de la lettre du roman, on ne pourrait le lui reprocher, tant tous ses choix ont été pertinents, des plus petits (le chauffeur de Clerici- Trintignant ne s'appelle plus Orlando mais Manganiello, "petite matraque") aux plus importants.
Ainsi la modification de la structure. Le cinéaste était parti pour un film respectant comme le livre la chronologie de la vie du personnage.
Et au montage, il s'est décidé à casser la chronologie et à faire du voyage du conformiste et de son chauffeur le fil conducteur du récit.
Cette structure, qui n'est pas sans évoquer il était une fois en Amérique de Sergio Leone, en se calquant sur les souvenirs d'un personnage en proie à une très vive émotion, peut perturber au premier abord. Mais le puzzle se reconstitue assez vite. Le film se remet vite au présent, enchaînant dans sa dernière demi-heure les séquences magiques: le bal à Joinville, la forêt et la dernière séquence.

Autre modification spectaculaire et ô combien judicieuse: la fin.
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Dans le roman, la voiture de Marcello Clerici, de sa femme et de ses enfants est bombardée par les Alliés. Bertolucci a refusé d'en faire ici un martyr mais un effroyable résistant de la dernière heure qui retourne sa veste au moment de la chute du régime, se rendant compte de l'échec de son existence. De même, dans le roman, le conformiste apprend par un courrier le meurtre du professeur Qaudri et de sa femme tandis que dans le film il est le témoin horriblement lâche de leur agonie Image
Voilà donc un film supérieur au roman sur lequel il se base, même si le scénario en béton armé doit évidemment énormement à Moravia.

On peut trouver excessifs les antécédents du personnage: un père fou (superbe séquence de l'asile), une mère droguée et nymphomane, une homosexualité refoulée et surtout, la culpabilité d'un meurtre commis enfant sur la personne de son chauffeur (Pierre Clémenti). Le personnage remédie à cette lourde ascendance en se mariant avec une bourgeoise idiote (Stefania Sandrelli) et en adhérent à l'idéologie de masse inspiratrice d'ordre, le fascisme.
Là encore le film allège considérablement le freudisme du livre. Et la thèse du film n'est pas forcément "il faut malade ou fou pour être un fasciste".

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Elle est plus simple, plus fine et plus dérangeante, comme l'écrivait Jean-Louis Bory dans le Nouvel Observateur du 22 février 1971: "A aucun moment la beauté plastique ne s'embourbe dans l'esthétisme gratuit. Jamais elle ne nous divertit du propos profond de Bertolucci: nous inviter à méditer cette question « Comment peut-on être fasciste ? ».C'est d'une terrifiante facilité, répond Bertolucci. Il suffit que les autres autour de vous le soient. Refuge des faibles, des écrasés, le conformisme jouera alors, sans qu'on puisse à proprement parler de lâcheté. Il s'agit seulement de goûter la sécurité anesthésiante que promet l'obéissance passive au pouvoir."

Le conformisme n'étant hélàs pas un sentiment démodé ou disparu, le film n'a guère perdu de son actualité.

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Le regard sur le fascisme me semble également plus subtil ici que dans 1900. Toute l'abjection du fascisme est exprimée sans pour autant verser dans les scènes outrancières de Novecento.

La subtilité se trouve également renforcée, dans le jeu magistral de Jean-louis Trintignant. L'acteur français a souvent joué les personnages inquiétants d'une manière générale. Dans Le combat dans l'ile d'Alain Cavalier, il avait déjà eu l'occasion d'incarner un militant néo-fasciste. Mais là il atteint un degré de nuance et d'expressivité rare, réussissant à exprimer les contradictions si fortes du personnage de Clerici.
D'une belle sobriété mais dont on sent qu'il peut exploser d'une minute voire d'une seconde à l'autre.
L'acteur a souvent dit que ce film représentait le sommet de sa carrière (avec le récent Amour ou Rouge). On ne saurait lui donner tort.

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Les autres interprètes restituent brillamment l'ambigüité des êtres, avec une mention spéciale pour Dominique Sanda incarnant avec talent un personnage de femme glamour et intelligente, un peu garce dont Clerici, son exact opposé va tomber amoureux.

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Subtilité par la beauté même des images. Un plan et c'est toute une époque, tout un climat qui se trouvent brillamment recréés: l'Italie Mussolienne comme le Paris des années 30.

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Les cinéastes Italiens avaient le don de faire on passer facilement le spectateur du comique, voire de l'ironie au tragique.
Toute la première partie notamment, est remplie d'un humour agressif et difficilement oubliable.
On n'oubliera pas de sitôt la scène de la confession où le conformiste s'indigne que le prêtre juge le péché de sodomie plus grave que le péché d'homicide !
Ou la façon dont le personnage joue avec le pistolet qui lui a été transmis au QG de Vintimille.

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La musique de Delerue, est magnifique, digne du Morricone des grands jours, que ce soit la valse mélancolique du générique de début ou le thème présent dans la scène du train, qui fait de cette séquence un superbe moment.

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Voilà ce qu'il me vient spontanément en tête sur ce film, d'une complexité et d'une richesse thématique égales à sa beauté formelle.
Je terminerai en souhaitant que ce film, déjà édité en zone 1 (chez Paramount) ou en zone 2 voire blu-ray (chez raro video) avec oh joie ! l'indispensable version française , qui magnifie Paris et présente à son générique plusieurs acteurs français ait enfin le droit à un dvd ou un blu ray français, à des diffusions télé hexagonale, à une ressortie en salle parisienne voire nationale.

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Car ce film, adulé aux Etats-Unis par de nombreux réalisateurs, notamment James Gray, Paul Schrader et surtout Francis Ford Coppola -qui s'empressa d'engager pour ses films Storaro (Apocalypse now) ou Gastone Moschin (Le Parrain II)- mériterait enfin dans la cinéphilie française une place parmi les films les plus importants !
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Jeremy Fox »

:oops: Vous me l'avez surement déjà dit mais.... comment l'avez-vous vu : passé à la télé récemment je suppose ? Car vu une seule fois au cinéma de minuit voici au moins 30 ans et j'avais été sous le 'charme' moi aussi. Les captures sont splendides.
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par blaisdell »

Deux solutions: 1) le dvd zone 1 paramount épuisé
2) le dvd (ou blu-ray) raro video peut-être moins impeccable que le paramount mais bien beau quand même.
Les 2 possèdent vf et st anglais.
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Jeremy Fox »

blaisdell a écrit :Deux solutions: 1) le dvd zone 1 paramount épuisé
2) le dvd (ou blu-ray) raro video peut-être moins impeccable que le paramount mais bien beau quand même.
Les 2 possèdent vf et st anglais.
Merci :wink: . J'attendrais donc un DVD français
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Rick Blaine »

blaisdell a écrit :Deux solutions: 1) le dvd zone 1 paramount épuisé
2) le dvd (ou blu-ray) raro video peut-être moins impeccable que le paramount mais bien beau quand même.
Les 2 possèdent vf et st anglais.
+ Le Blu-Ray Arrow VOSTA que j'ai trouvé plutôt beau.

Film que j'ai découvert il y a deux mois, et qui m'a particulièrement marqué. SI j'ai tendance à oublier rapidement les films que je vois, ce ne sera pas le cas de celui-ci, qui mêle qualités plastiques remarquables et narration impeccable.
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par Watkinssien »

Une réussite incontestable de Bertolucci !

Oeuvre d'une beauté grave et cruelle, Le conformiste est un film audacieux et curieusement prenant, porté par un grand Trintignant (et la beauté des comédiennes :oops: ).

Bertolucci y signe une narration complexe à travers une mise en scène sereine et magnifiée par le travail sur l'éclairage.

Il faut que je le revoie. :)
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Re: Le Conformiste (Bernardo Bertolucci - 1970)

Message par monfilm »

Watkinssien a écrit :Une réussite incontestable de Bertolucci !
Ah bon.

La surenchère de superlatifs n'y change rien. On peut aussi très bien s'ennuyer devant ce que la majorité considère comme un chef-d'oeuvre. Tout comme je n'arrive pas à adhérer à d'autres classiques.
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