Haines (The Lawless)
1950
Réalisation : Joseph Losey
Scénario : Daniel Mainwaring
Image : J. Roy Hunt
Musique : Mahlon Merrick
Produit par William H. Pine et William C. Thomas
Paramount
Durée : 83 min
Avec :
Macdonald Carey (Larry Wilder)
Gail Russell (Sunny Garcia)
Lalo Rios (Paul Rodriguez)
Maurice Jara (Lopo Chavez)
Johnny Sands (Joe Ferguson)
John Hoyt (Ed Ferguson)
Lee Patrick (Jan Dawson)
A Santa Marta dans le sud de le sud de la Californie, des centaines de mexicain sont employés pour le ramassage des fruits et légumes dans les exploitations environnant la ville. A la fin de leur journée de travail, deux amis, Lopo Chavez et Paul Rodriguez prennent leur véhicule pour aller en ville et provoque un banal accident de voiture qui se termine en bagarre en raison d'une insulte raciste proférée par Joe Ferguson, un des jeunes américains présent dans l'autre voiture. Le soir même, un bal organisé par la communauté mexicaine est perturbé par l'irruption des mêmes jeunes gens qui ont reçu le renfort de quelques amis. L'un d'eux manque de respect à une jeune fille mexicaine, Paul prend sa défense mais il est frappé par Joe et une bagarre générale éclate. Dans la bousculade, Paul renverse Al Peters un policier, il prend peur et vole un véhicule. Plus tard au cours de la nuit, il finit par se rendre mais il est frappé par le policier qu'il avait involontairement renversé. Il est stoppé par son collègue mais dans le véhicule qui les ramène vers le commissariat, Peters recommence à battre Paul, à nouveau son collègue tente de l'arrêter mais il pert le contrôle du véhicule qui quitte la route. Lorsque Peters se rend compte que son collègue est mort, il tente d'abattre Paul qui avait déjà commencé à fuir. Il le rate mais accuse Paul d'être le responsable du décès de son collègue. Paul trouve refuge dans une ferme isolée mais il est découvert par Mildred, la fille de la maison qui panique en le voyant et s'assomme toute seule sur une planche. A l'aube, une battue est alors organisée pour retrouver Paul…
2ème film de Joseph Losey après
La garçon aux cheveux verts. Il se penche sur les problèmes d'intégration des familles mexicaines venues s'installer dans le sud de la Californie, une région dont la principale activité économique, la culture des fruits et légumes, a attirée une population immigrée qui vit à la périphérie des villes, isolée de la communauté blanche. Losey montre quelques jours dans la vie de deux jeunes garçons, Loco Chavez et Paul Rodriguez. Ce n'est pas une dénonciation assénée à grand renfort d'effets dramatiques. Losey livre son message tranquillement, adaptant un scénario extrêmement charpenté qui fait monter la tension de manière progressive et qu'on peut même trouver un peu trop prémédité car on sent très vite au fur et à mesure du visionage ou l'on veut nous emmener. En revanche, on ne peut pas lui reprocher d'avoir voulu faire une démonstration caricaturale de la situation des populations immigrés. Même si le film dénonce avant tout les discriminations raciales dont sont victimes les jeunes mexicains, il montre aussi que les préjugés sont des deux cotés et qu'il suffit de quelques individus extrémistes, quelques circonstances malheureuses, un peu de lâcheté, d'indifférence ou la fuite devant les responsabilités de quelques personnes influentes ou disposant de quelques pouvoirs…et la complicité de médias complaisants flattant le potentiel de haine et de violence d'une population sous l'influence de quelques leaders haineux et revanchards pour que la violence éclate. Ces leaders ne sont d'ailleurs même pas montrés véritablement comme des êtres abjects mais comme des américains moyens subissant eux aussi les conséquences d'une discrimination raciale qu'ils n'ont pas voulu mais dont ils subissent de plein fouet les conséquences. Ce propos là était déjà trop subversif mais la controverse autour de ce film est injustifiée car son propos reste mesuré mais évidemment l'audace c'était d'avoir oser filmer un tel sujet dans le contexte du cinéma américain des années 50.
Pour ce qui est du procédé, je l'ai dit, il est un peu trop (pré)visible. Losey et son scénariste commencent par montrer des petits incidents en apparence anodins, ici un banal accident de voiture mais le soir même, le bal se transforme en bagarre générale puis les incidents se font de plus en plus graves et cela ira crescendo jusqu'à l'épilogue. Tous ces événements se passent sous les yeux de 2 observateurs qui vont finir par s'impliquer, naturellement pour la jeune Sunny Garcia, par une lente prise de conscience pour Larry Wilder. Ces deux personnages principaux sont des symboles, de culture par leur métier, de tolérance en raison du chemin qu'ils parcourent, surtout celui interprété par Macdonald Carey. Symbole de culture car les deux sont journalistes mais d'un genre différent. Sunny est une jeune fille d'origine mexicaine qui travaille avec son père qui est l'éditeur du journal local en langue espagnole destiné à la communauté mexicaine. Larry Wilder est lui un grand journaliste polémiste qui travaillait pour un grand quotidien mais lassé des grands combats, il est venu s'installer dans cette petite ville et est devenu le rédacteur en chef de la modeste feuille de chou locale pour y trouver la tranquillité. Il ne veut d'ailleurs pas prendre parti dans les faits divers en cours et est même d'abord assez cynique car lorsqu'il rencontre Sunny le soir du bal, il lui avoue être là uniquement car il anticipe une bagarre et veut être la pour en rendre compte. A partir de cette rencontre décevante pour Sunny, toutes les scènes suivantes entre ces deux personnages seront comme des parenthèses douces et tranquilles en raison des sentiments qui naissent entre les deux mais aussi car se retrouvant seul à seul ou ne fréquentant que le centre paisible de la ville, ils ne sont pas confrontés à la violence qui est à l'oeuvre ailleurs. Cette insouciance est un peu ambiguë car elle est aussi une lâcheté et un confort moral. Ce détachement n'est que provisoire pour Sunny qui est très impliquée auprès de sa communauté mais celui de Larry est plus discutable. Il finira par s'impliquer - et totalement - sans qu'il soit montré comme une évidence qu'il le fait par amour pour Sunny. Il s'agit plutôt d'une prise de conscience de ses responsabilités et de ses devoirs envers sa communauté. Il aura aussi son pendant négatif, comme tous les autres personnages -réels ou symboliques- du récit.
Pour lui, ce sera Jan Dawson (Lee Patrick), la journaliste d'un grand quotidien qui débarque pour rendre compte des événements. Elle tentera de tirer parti des incidents pour faire du tirage. Elle commence par exagérer la bagarre initiale et parle d'émeutes attirant ainsi des médias plus importants puis elle tentera de manipuler Mildred, la jeune fille soi disant victime d'une agression de la part de Paul. Au début de la présence de Jan Dawson à Santa Marta, les deux journalistes ne sont d'ailleurs pas montré comme si différents. Ils veulent faire de bons papiers et parlent des évènements de manière détachée voir avec un peu d'ironie. Cela dit, même ce personnage en apparence peu recommandable se révèlera plus complexe qu'il n'y parait. En tout cas, Losey montre parfaitement toute la complexité des sentiments qui habitent les deux journalistes qui par leurs dialogues montrent deux façons d'envisager leur métier et ce n'est en rien manichéen ou caricatural. En revanche, Losey est sans pitié pour la télévision qui est montrée comme systématiquement racoleuse.
Même le "monde" des adultes, des parents, des notables est montré avec subtilité et nuance. Les notables de la ville se montrent hostiles à la mauvaise publicité qui pourrait être faite à la ville mais au moins un personnage important et influant, Ed Ferguson (le père du seul jeune homme ouvertement raciste) est montré comme un homme ouvert et tolérant alors qu'il pourrait au contraire, étant donné qu'il est le père du jeune Jo, le leader des jeunes garçons recherchant le conflit avec les jeunes mexicains, vouloir en être le protecteur. Ferguson ira même jusqu'à payer la caution des mexicains arrêtés. D'un autre coté, les parents mexicains que l'on aura à connaitre montreront parfois leur fermeture et un repli communautaire n'aidant pas leur intégration. Le père de Paul se montre même très méfiant vis à vis des "américains" et met en garde son fils. Paul proteste en lui répondant qu'il est américain !..Les représentants de l'autorité, la police et le shérif sont eux aussi montrés de manière nuancée. Le premier policier que l'on voit se montre conciliant avec les jeunes mexicains. Un autre, un peu plus tard, frappe gratuitement Paul puis provoque la mort d'un de ses collègues mais ce dernier l'avait auparavant défendu à plusieurs reprises. L'attitude du shérif est elle aussi complexe : d'abord hostile puis beaucoup plus humain.
Malgré la bienveillance et les actions apaisantes et conciliatrices de quelques uns, le suite des évènements sera malgré tout inéluctable :
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- Après les événements de la nuit relatés plus haut, au petit matin, Paul est chassé d'une ferme par un paysan alors qu'une battue menée par le shérif et des volontaires se lance à sa recherche. Un des hommes prévient même Larry Wilder qui s'est déplacé sur les lieux que le garçon sera abattu avant le soir. Il est aussi menacé car certains citoyens ne supportent pas de voir sur les lieux ce témoin gênant mais Wilder retrouve Paul juste avant la milice et lui sauve la vie. Wilder rédige alors un article prenant enfin parti qui lui vaut d'être menacé, battu par les parents et les amis de Mildred pour avoir mis en doute la parole de la jeune fille. Très vite l'émeute populaire devient incontrôlable. Lopo et trois de ses amis sont agressés et tabassés par une foule déchainée. Paul arrive au tribunal sous les cris indignés de la population surexcitée par le récit de l'agression subie par la jeune fille…mais Losey s'arrête (presque) là et ne va pas au bout de la logique de son film et le trahie même par un final totalement invraisemblable. Ce happy end inattendu pourrait être vu comme un retournement valant comme un espoir, un souhait de réconciliation possible mais en raison de la violence des scènes d'émeute et des agressions que subissent Lopo, Paul et Sunny, que le lynchage collectif se termine sans drame est abérrant. Le reste est filmé avec tant d'habilité que je penche pour un final imposé par la production ; pour un désaccord -et donc un compromis de toute façon insatisfaisant- entre le cinéaste et son scénariste ou un revirement volontaire mais quoiqu'il en soit c'est bien navrant et plus que çà extrêmement maladroit car en raison de l'hystérie collective qui prend la population dans la partie finale et en raison des actes qu'on leur voit faire (avant la mise à sac du journal dans lequel Sunny et Lopo avaient trouvés refuge, Lopo est lapidé à coups de pierre puis saisit et porté en l'air par une vague humaine qui l'emporte….et ressurgit plus tard avec quelques bleus. En un autre endroit de la ville, Paul et trois de ces amis sont lynchés par la foule. Or, tout le monde s'en sort avec quelques ecchymoses. Même si ce final positif part d'une volonté délibérée de Losey -et j'en doute fortement- c'est pour le moins absurde et maladroit.
Même si ce film puissant ménage quelques moments de répit et qu'une humanité et même une certaine douceur baigne le film (je l'ai évoqué plus haut), il est aberrant de prétendre que c'est ce qui est au coeur du film et que ce serait la principale ligne de force d'un film dont le moteur et la raison d'être seraient les sentiments d'amitié et l'amour émanant ou liant les 3 principaux personnages. C'est sans doute la plus grande aberration que j'ai jamais lu sous la plume de Jacques Lourcelles. Certes, cette ville pourrait -en d'autres circonstances- passer pour un endroit charmant ou il fait bon vivre et la population est sans doute constituée d'un majorité silencieuse de gens bienveillants mais parler de ce film en parlant comme le fait Lourcelles d'une atmosphère douce c'est juste allucinant. S'il peut se le permettre, c'est sans doute en raison de ce final tronqué mais avec ou sans cette fin sabotée, à partir d'une telle histoire qui est avant tout l'histoire d'un lynchage, comment peut-il parler d'un film qui serait "le contraire d'un film noir"…En tout cas c'est l'un de mes Losey préféré et plus largement l'un de mes classiques "controversés" favoris.