Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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kiemavel
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par kiemavel »

Chip a écrit :Parmi les premiers films de Budd Boetticher " l'antre de la folie " avec Richard Carlson et Lucille Bremer est sorti chez Bach films en 2009, collection Spécial polar ,bonus de B.Tavernier, copie correcte. Sam Fuller a dû s'en inspirer pour son " Shock corridor".
Oui, exact. C'est le seul des Boetticher de début de carrière à avoir été édité. C'est d'ailleurs surement le meilleur de la période Oscar.
Dans ses deux premiers films , la vedette féminine était Janis Carter :wink:
Supfiction a écrit :C'est vrai mais du coup, lorsqu'il est endormi ou à la merci de sa prédatrice, on se dit qu'il joue la comédie et qu'il n'est pas assez con pour se faire avoir..
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D'où le suspense !
Avec Richard Basehart ou Zachary Scott, tu l'aurais pas eu le suspense mon gars. :lol:
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Profondo Rosso
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par Profondo Rosso »

Al Capone de Richard Wilson (1959)

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Dans cette biographie précise et inhabituelle, le truand Al Capone arrive à Chicago à la veille de la prohibition pour être le garde du corps du trafiquant Johnny Torrio. La progressive prise de pouvoir de Capone dans le gang s'accompagne d'une série de meurtres, d'actes d'extorsion et de fraudes politiques. Il prend alors la tête de la plus grosse "affaire" de Chicago, mais déjà le déclin de son pouvoir s'amorce et une fin horrible l'attend.

La fin des années 50 voit un véritable essor dufilm de gangster dans le cinéma américain. Le genre n'avait jamais complètement disparu mais n'était plus pourvu de l'aura du début des années trente avec le triomphe des productions Warner (Le Petit César de Mervyn LeRoy (1931), L'Ennemi public de William A. Wellman (1931)). La criminalité montante aux Etats-Unis d'alors se répercutait sur les écrans mais les studios devaient avancer masqués dans leur évocation, Scarface (1932) de Howard Hawks étant un biopic officieux et romancé d'Al Capone sans pouvoir le nommer. C'est donc le créneau pour lequel vont opter les productions des années 50 avec une multitude de biopic assumés dont la nature de série B (et un relâchement du Code Hays) autorisera une violence bien plus corsée : Baby Face Nelson de Don Siegel (1957), The Bonnie Parker Story (1958) de William Witney ou encore Machine Gun Kelly de Roger Corman (1958).

Le film de Richard Wilson s'inscrit dans ce courant et va trouver avec Rod Steiger un interprète à la démesure du célèbre gangster, en plus d'entretenir une troublante ressemblance physique avec son modèle. L'acteur affirme avoir fait grandement modifier le scénario qui selon lui romantisait trop Al Capone. Il en fait effectivement une figure monstrueuse et exubérante, passant de la petite frappe mal dégrossie à l'homme de l'ombre indispensable puis au chef impitoyable et sanguinaire. L'aura maléfique de Capone se déploie progressivement, d'abord par ce physique intimidant et la violence dont il est capable puis par un pouvoir de séduction insidieux où il nourrit l'ambition (Johnny Torrio (Nehemiah Persoff) poussé à trahir son mentor) mais aussi le désir (Fay Spain séduite par l'homme qui l'a rendue veuve). L'ascension d'Al Capone se fait dans le sang et la corruption, Richard Wilson s'appliquant autant à dépeindre les règlements de comptes incroyablement brutaux (avec en point d'orgue le fameux Massacre de la Saint Valentin superbement filmé) que les processus du trafic d'alcool lors de la Prohibition et surtout l'aspect moins connu des méandres de la corruption et fraude politique (le long épisode où la Mafia investira une petite ville voisine de Chicago pour détourner une élection). Al Capone par son énergie, férocité et bagout balaie dans un premier temps toute les entraves, soumet les opposant, attire les soupirant et séduit les femmes. C'est pourtant un être profondément seul dont l'attrait ne tient qu'à sa poigne de fer et deviendra de plus en plus solitaire et pathétique quand son pouvoir se délitera. Le scénario fait des échos constant entre l'ascension et la déchéance, les raisons de la réussite étant les mêmes que celles de la chute avec un Capone s'accrochant maladivement à un pouvoir si durement conquis. Le récit alerte fait passer tout cela efficacement, humanisant Capone malgré ses actes notamment dans sa relation avec Fay Spain. L'épilogue en prison retrace en miniature et à ces dépends ce qui a constitué l'existence de Capone, la mégalomanie, la solitude face au monde qui l'entoure et la violence. La voix-off amène une hauteur morale paradoxale aux excès en tous genres auxquels on vient d'assister. 4/6
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par kiemavel »

Rod Steiger en fait évidemment des caisses mais ça colle bien au personnage. Peut-être en réponse à ce film, le metteur en scène Richard Wilson en a tourné un autre l'année suivante qui prend le problème de la mafia sous un angle tout à fait différent. Le personnage central était aussi un personnage "historique" mais cette fois ci c'était un flic, un petit flic d'origine sicilienne qui lui aussi - à sa manière - gravissait tous les échelons jusqu'à devenir un grand flic. Le personnage modeste et mesuré qui tentait de faire changer les mentalités au sein de sa communauté était interprété par quelqu'un qui pouvait avoir un jeu comparable à celui de Steiger mais qui est dans ce film d'une remarquable sobriété : Ernest Borgnine. Très bon film.

La mafia (Pay or Die) de Richard Wilson (1960). Passé à la TV chez nous (et sinon DVD zone 1 Warner Archive)
========
Dans la série des biographies de criminels célèbres des années 30, à cheval entre les années 50 et 60, il y eu :

L'ennemi public (Baby face Nelson) de Don Siegel en 1957 … Sur Lester J. Gillis, dit George Nelson et surnommé Baby Face (Mickey Rooney). On y voyait aussi John Dillinger (Leo Gordon), Homer Van Meter (Elisha Cook Jr.) et John 'Red' Hamilton (Anthony Caruso) + Jack Elam, Ted de Corsia …

Mitraillette Kelly de Roger Corman (1958) … sur George R. 'Machine Gun' Kelly (Charles Bronson) . DVD éd. One plus one

The Bonnie Parker Story de William Witney (1958)

Al Capone de Richard Wilson (1959). DVD Les trésors Warner

La chute d'un caïd de Budd Boetticher(1960) … sur Jack 'Legs' Diamond (Ray Danton) DVD Les trésors Warner

Portrait of a Mobster de Joseph Pevney (1961) … sur 'Dutch' Schultz (Vic Morrow)

King of the Roaring 20's : The Story of Arnold Rothstein de Joseph M. Newman en 1961 avec David Janssen (+ un casting de seconds couteaux de 1er choix)

Young Dillinger de Terry O'Morse en 1965 avec John Dillinger (Nick Adams), 'Pretty Boy' Floyd (Robert Conrad) et aussi 'Baby Face' Nelson et 'Red' Hamilton

Le succès de Bonnie and Clyde a relancé l'affaire. Par la suite, il y eu aussi :

L'affaire Al Capone (The St Valentine's Day Massacre) de Roger Corman (1967). DVD Opening
Bloody Mama de Roger Corman (1970) sur Ma Barker (Shelley Winters) et ses fils
Dillinger de John Milius (1973) avec la Dream Team des années 30 … et comme interprète Michelle Phillips :oops: (The Mamas and the Papas). DVD Universal
Capone de Steve Carver (1975) avec Ben Gazzara dans le rôle de Capone. Avec aussi Stallone et Cassavetes. DVD 20th Century Fox
Du rouge pour un truand (The Lady in Red de Lewis Teague (1979) avec Dillinger (Robert Conrad)
...
Très peu de ces jeunes gens ont de beaucoup dépassé la trentaine en dehors de 'Ma' Barker et 'Machine Gun' Kelly
Chip
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

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Sans oublier:
MAD DOG COLL (1961) film Columbia de Burt Balaban avec John Davis Chandler, Telly Savalas, Jerry Orbach.
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Re: Step by Step

Message par kiemavel »

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Step by Step (1946)
Réalisation : Phil Rosen / Production : Sid Rogell pour RKO / Scénario : Stuart Palmer d'après une histoire de George Callahan / Photographie : Frank Redman / Musique : Paul Sawtel

avec Lawrence Tierney (Johnny Christopher), Anne Jeffreys (Evelyn Smith), Lowell Gilmore (Van Dorn), Myrna Dell (Gretchen), Harry Harvey (Le sénateur Remmy), Addison Richards (Blackton), Jason Robards Sr. (Bruckner), George Cleveland (Le capitaine Caleb Simpson)
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A peine engagée par le sénateur Remmy, Evelyn Smith, sa nouvelle secrétaire, découvre que son patron est à la tête d'un service surveillant les activités des ex nazis réfugiés aux USA. Remmy reçoit un appel d'un agent qui annonce sa visite dans la journée. Se sachant écouté et afin que l'entretien demeure confidentiel, Remmy libère sa secrétaire pour l'après midi et celle ci part se baigner sur une plage proche de la villa. Elle y est remarquée par Johnny Christopher, un ex marine récemment démobilisé qui ne se décourage pas lorsque la jeune femme se dérobe à ses approches. Peu après qu'elle l'ai quitté en disant devoir retourner à son travail, Il se rend à la villa mais c'est une autre femme prétendant s'appeler Evelyn et être la secrétaire du sénateur qui lui répond. La police ne lui est d'aucune aide. Au contraire, on le rend responsable de la mort d'un agent du FBI dont le cadavre est vite retrouvé dans la maison de Remmy. Johnny retrouve la véritable Evelyn ligotée dans la villa et parvient à la libérer mais ils sont contraints de fuir …
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Un thriller d'espionnage traitant de manière assez fantaisiste un sujet sérieux : la traque aux fugitifs nazis entrés clandestinement aux USA après la guerre. Ici, les grands blonds rêvent de faire renaitre le nazisme au coeur même des États-Unis. Rien que ça. L'idée était sans doute de prolonger la vigilance vis à vis de ce pays qui nous en avait fait bavé pendant 5 ans mais le discours du sénateur va encore plus loin puisqu'il affirme que : La guerre de l'Allemagne contre la civilisation dure depuis Bismarck ! Toute une époque … Cela dit, en 1946 qui n'éprouvait pas une légère méfiance à l'égard de l'Allemagne … Heureusement, malgré les amalgames et le vieux fond patriotique, le film ne se prend pas très au sérieux mais je me suis quand même demandé s'il le faisait tout le temps exprès car la tension se relâche de temps à autre dans cette histoire de détectives amateurs classiquement soupçonnés d'un meurtre qu'ils n'ont pas commis, poursuivis par des agents nazis - et par ceux du FBI - et qui tentent de faire reconnaître leur innocence.
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L'usurpation d'indemnité, les faux coupables en fuite et poursuivis par tous les camps, cela peut donner des récits bien tendus mais ici ceux qui ne connaissent de Lawrence Tierney que les pics de l'iceberg et qui ne l'envisagent pas autrement que terrorisant hommes, femmes et enfants risquent d'être surpris. Cela dit, même si Tierney n'est pas du tout dans le genre de films qui a fait sa gloire, il est quand même bien moins cool que ne l'aurait été plus d'un acteur. Il ne desserre pas beaucoup les dents et semble même prêt à bondir et sauter à la gorge de ses opposants ce qui n'est pas plus mal car un acteur moins sombre aurait pu faire pencher le film encore davantage vers la comédie policière ; ce qu'il est par moments puisqu'il arrive au couple d'être suppléé dans son enquête par le petit chien de Johnny nommé Bazooka :mrgreen: (qui ne manque pas de flair. Forcément ! SVP, ne partez pas encore. y'en a plus pour longtemps). Du coup, parfois Lawrence Tierney sourit. Certes le sourire est quand même un peu crispé mais y'a pas à dire, ça fait plaisir de voir un homme heureux !
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Même si le film est plaisant tout du long, on est quand même dans la petite prod. fauchée. Du coup, les scénaristes se sont débrouillés pour que les péripéties de l'histoire n'amènent pas trop de frais. Le couple d'innocents pris dans les phares de la Sedan, traqué par tous et trahit par leur véhicule trouve refuge dans un motel tenu par le capitaine Caleb Simpson, un brave type dont ils gagnent facilement la confiance … Or, coup de bol incroyable, c'est aussi là que se planquent les nazis ! Tout est à l'avenant, pauvre, mais certains détails à priori fantaisistes sont bien employés ; de l'emplacement des documents ultra secrets sur lesquels figurent les noms des nazis infiltrés aux USA ----> à la façon dont l'ex marine se tire finalement d'affaires ; en passant par la façon dont les nazis se trahissent auprès du vieux Caleb et on ne s'ennuie pas (remarquez, ça dure 1 heure). Par contre, l'alchimie entre les deux vedettes ne crève pas l'écran mais au moins un second rôle est assez bien servi, c'est l'amusant George Cleveland (le capitaine Simpson) qui est plus convaincant que les grands blonds avec des chaussures de marche, c'est à dire le poste avancé du IVème Reich interprété par Jason Robards Sr. (le faux sénateur), Lowell Gilmore (Van Dorn) et Myrna Dell (la fausse Evelyn). Sympathique mais quand même loin d'être indispensable.
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Si c'est eux le couple témoin, ça fait moyennement envie. Myrna Dell qui se fait passer
pour Anne Jeffreys en se faisant appeler Evelyn alors que son vrai prénom c'est Gretchen,
je dis pas : elle est très bien pour une nazi mais les deux autres, pardon …
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par Chip »

Encore ne rareté qui va le rester, il aurait pû avoir sa place dans la défunte collection RKO des éditions Montparnasse. Dans la série des bios de criminels célèbres dont on parle plus haut, un rajout : " PRETTY BOY FLOYD (1960) de Herbert J. Leeds avec John Ericson.
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Re: The House Across the Bay - Destins dans la nuit

Message par kiemavel »

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Destins dans la nuit - The House Across the Bay (1940)
Réalisation : Archie Mayo / Production : Walter Wanger / Distribution : United Artists /Scénario : Myles Connolly, Kathryn Scola / Photographie : Merritt B. Gerstad / Musique : Walter Janssen

Avec George Raft (Steve Larwitt), Joan Bennett (Brenda Bentley), Lloyd Nolan (Slant Kolma), Walter Pidgeon (Tim Nolan) et Gladys George (Mary Bogel)
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Steve Larwitt (George Raft) est le propriétaire d'une boîte de nuit de New-York possédant en son sein une salle de jeu privé qui lui rapporte très gros, tout comme ses autres affaires plus ou moins légales. Amoureux de la star de sa boite, la chanteuse Brenda Bentley (Joan Bennett), il finit par la conquérir et se marier avec elle ce qui décuple son ambition. Il poursuit son ascension sociale, diversifiant ses affaires en allant jusqu'à racheter une écurie de courses. Son bonheur est de courte durée car son empire est menacé par des gangsters rivaux qui cherchent à l'évincer et Larwitt échappe même de peu à un assassinat. C'est pour le protéger que Brenda monte une opération avec l'avocat de son époux, Slant Kolma (Lloyd Nolan) afin de le faire enfermer pour une courte durée mais l'avocat plaide volontairement si mal la cause de l'accusé que celui ci écope d'une peine de 10 ans de prison. Parce que son mari est enfermé à Alcatraz, Brenda loue une maison en face à la prison, de l'autre coté de la baie : The House Across The Bay ...
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Retour à George Raft pour ce drame criminel - plutôt que film noir - qui est une production indépendante de Walter Wanger pour sa femme Joan Bennett (épousée juste après le tournage). Le 1er grand tournant du scénario est fumeux : une femme qui dénonce son mari en révélant au fisc qu'il fraude pour qu'il soit gardé au chaud en prison, c'est dur à encaisser. Passé ce premier outrage commis à l'encontre du public, la suite promet d'être mouvementée car l'avocat de Larwitt, lorgnant à la fois sur les affaires de son employeur et sur sa belle épouse, trahit le premier et même la seconde puisque c'est à son insu que l'avocat agit, même si Glenda était avec lui à l'origine de l'initiative fatale à son mari… Bien plus tard, on a même un Double Cross dans le Double Cross puisque l'avocat - par dépit amoureux - va aussi trahir Glenda auprès de son époux ; lequel va légitimement vouloir se venger en tuant la traitresse …
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Les premières impressions n'étaient pourtant pas mauvaises du tout. George Raft - déjà pratiquement à la fin de sa période de gloire - est très bien dans un rôle qui le montre davantage en amoureux transi de sa vedette qu'en dur même si l'on sait d'emblée ce qu'il en est de ses "affaires" (on lui voit commettre un coup de force contre un rival). Même si Larwitt est enfermé à Alcatraz pendant une bonne moitié du métrage, c'est le personnage qui reste le plus marquant, celui auquel on s'attache le plus et qui est le mieux dessiné. On découvre George Raft tiré à 4 épingles déambulant dans sa salle de jeux, semblant sûr de lui mais très vite on le sent perdre de sa superbe et de son assurance face à la femme qui se dérobe puis qu'il redoute de perdre, manifestant à son égard une jalousie quasi maladive. C'est pour cette femme ambitieuse qu'il prend encore davantage de risque pour s'enrichir, acquérant une autre boite, une distillerie, des chevaux de course puis une écurie en se montrant impitoyable avec ses concurrents. Ce qui est intéressant, c'est que cette histoire d'amour avec Glenda est le véritable déclencheur de l'ambition et de l'ascension de Larwitt sans pour autant que Glenda ne soit montrée comme une femme fatale. Mais tout ce que fait Larwitt, il est évident que c'est pour elle, pour la garder. Quels qu'en soient les fondements, c'est la profondeur des sentiments de Larwitt qui nous le rend sympathique et qui fait que la plupart des spectateurs seront probablement avec lui jusqu'au bout, quoiqu'il fasse.
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Son couple avec Joan Bennett fonctionne très bien et elle aussi donne une solide performance. Elle était alors au sommet de sa beauté mais, pour autant, les producteurs n'avaient pas lésiné sur les moyens déployés pour la mettre en valeur puisque les notes de production montrent que Miss Bennett avait porté 26 costumes différents sur ce tournage. Au moins 3 étaient utilisés pour ses prestations sur scène puisque Joan Bennet chante 3 chansons dont un numéro exotique qui rappelle Carmen Miranda (et elle n'était pas doublée, comme toujours semble t-il). Le sentiment de culpabilité éprouvé par Glenda suite à son mauvais calcul (dont son mari évidemment ne sait rien) fait que l'on décroche un peu tant la ficelle est grosse. Si l'ascension de Larwitt avait été plutôt bien montrée, par contre sa chute est donc amenée de manière absurde. Mais on reste dans une certaine logique du personnage qui éloigne toutefois de plus en plus le film de l'univers du film noir. Etant donné que Glenda - bien qu'originaire des bas-fonds comme la plupart de ses consoeurs - n'avait pas été montrée comme la petite amie classique du gangster et n'était en rien une femme fatale, autant continuer sur la lancée et en faire une sainte. Glenda déménage donc à San Francisco dans une maison d'où elle peut voir les lumières d'Alcatraz de sa fenêtre et d'où elle peut prendre un ferry pour visiter son mari autant que possible. Même séparé par les murs de la prison, le couple semble donc incassable.
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Jusque là le spectateur tenait aussi le coup mais la suite s'avère plus douteuse et surtout assez ennuyeuse. Ce sont tous les développements du scénario liés aux rivaux de Larwitt. Le premier prétendant est l'avocat véreux interprété par Lloyd Nolan qui revient périodiquement pour retenter sa chance auprès de Glenda en utilisant des moyens de plus en plus dégueulasses : d'abord la manipulation puis les menaces voilées, avant le chantage et enfin la dénonciation. Le bon Lloyd Nolan fait ce qu'il peut mais les scénaristes ne l'ont pas beaucoup aidé. Reste qu'il est gai comme un cimetière mais lui au moins c'était volontaire. Ce n'est rien à coté de ce que les scénaristes ont fait de l'arrivée dans l'histoire du vrai rival interprété par un Walter Pidgeon plus soporifique que jamais. Lorsque Glenda attire l'oeil de Tim Nolan, un constructeur d'avion honnête, propre et tout ; elle est toujours la femme amoureuse de son époux et elle se dérobe. Puis elle devient progressivement plus scrupuleuse qu'autre chose car on sent bien que la belle est lassée de passer une partie de sa jeunesse à l'ombre et les années de parloir ont épuisés son amour pour un homme abandonné de tous (il ne faut pas oublier qu'à l'époque les parloirs sexuels n'existaient pas encore :o ). C'est l'avocat, toujours dans les bons coups, qui force bien involontairement la décision en révélant à l'avionneur que Glenda est mariée ce qu'elle lui avait caché. C'est le 1er événement qui va entrainer toutes les péripéties de la dernière partie du film .. dont je ne dis rien. Le soucis c'est qu'on ne croit pas beaucoup au point de départ puisque Glenda a l'air aussi emballée à l'idée de convoler avec l'excitant Tim Nolan que de se jeter du haut d'une falaise (1).
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Dans un film assez languissant et manquant singulièrement de flamme (sauf le couple Raft-Bennett), deux seconds rôles sympathiques amènent un peu de personnalité et de fantaisie au moment où le film en manque le plus, c'est à dire dans la partie "Alcatraz" ; ce sont Gladys George qui joue une des femmes de prisonniers que rencontre Glenda dans le ferry les menant à Alcatraz. Et Joe Sawyer, un brave type porté sur la boisson, amusant et colérique qui devient l'ami des deux femmes. Pour finir, d'après ce qui a été rapporté par différents témoins - dont Joan Bennett - durant le tournage il y eu des accrochages entre Archie Mayo et George Raft. Ce serait pourquoi le metteur en scène aurait quitté le tournage et aurait refusé de terminer le film. D'ailleurs certaines séquences sont réputées avoir été tournées par Alfred Hitchcock pour rendre service à Walter Wanger (on aurait d'ailleurs du mal à identifier sa griffe dans la seule séquence qui serait assurément de lui : le survol de San Francisco dans l'avion de Nolan). Bilan : Je m'étonnais un peu de la rareté de ce film eu égard au casting 1ère classe. Je m'étonne moins maintenant que je l'ai vu. Dès sa sortie, le film fut mal accueilli. Les critiques furent mauvaises et le film enregistra une perte de plus de 100 000 $. 4/10

(1) En revanche, dès l'année suivante, le couple Joan Bennett / Walter Pidgeon fonctionnait très bien dans le formidable Chasse à l'homme (Man Hunt) de Fritz Lang … A la fin de cette même année 1941, Lang fut d'ailleurs remplacé par Archie Mayo sur La péniche de l'amour (Moontide)
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Message par Supfiction »

Aaaaargh.
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par kiemavel »

Supfiction a écrit :Aaaaargh.
Tu as mal ? :wink:
Je n'ai pourtant pas commis d'outrage à Joan Bennett, seulement un peu esquinté un film que j'ai trouvé assez assommant après pourtant un assez bon début.

Il est à voir pour elle, éventuellement. La petite singularité c'est qu'elle y chante plus que dans aucun autre film il me semble.
Tiens, un quiz : dans quels films chante t'elle ?
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par Supfiction »

kiemavel a écrit :dans quels films chante t'elle ?
Pas très bien dans Vertige (1930) ou dans La cuisine des anges pendant que Bogart est planqué dans la cuisine.
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par kiemavel »

Supfiction a écrit :
kiemavel a écrit :dans quels films chante t'elle ?
Pas très bien dans Vertige (1930) ou dans La cuisine des anges pendant que Bogart est planqué dans la cuisine.
J'aurais juré qu'elle était chanteuse dans un autre film mais je ne retrouve pas … si c'est bien réel.
Chip a écrit :Encore ne rareté qui va le rester, il aurait pû avoir sa place dans la défunte collection RKO des éditions Montparnasse
Snif … Je m'en suis remis mais c'est c'est vrai que ce fut une triste nouvelle pour les amoureux du genre. Reste que bien d'autres noirs RKO "méritaient" plus que celui ci :
L'implacable, Le masque arraché, The Long Night (remake de Carne 's "Le jour se lève"), Passion sous les tropiques, Death of a Scoundrel, The Devil Thumbs a Ride (un autre L. Tierney). Et aussi des petites perles méconnues : Crack-Up, Roadblock … et beaucoup de George Raft, justement : Race Street, Johnny Angel, Nocturne, A Dangerous Profession, etc...
Dans la série des bios de criminels célèbres dont on parle plus haut, un rajout :
PRETTY BOY FLOYD (1960) de Herbert I. Leeds avec John Ericson.
+
MAD DOG COLL (1961) film Columbia de Burt Balaban avec John Davis Chandler, Telly Savalas, Jerry Orbach
Connais pas et - mieux que ça - je crois bien ne les avoir jamais croisé dans aucun bouquin sur le genre. On en apprend tous les jours. Herbert I. Leeds, je connais en revanche mais il était plutôt spécialiste de comédie policière : Michael Shayne, Mr. Moto, Charlie Chan. La plupart des titres de ces séries sont en revanche visibles avec du français, soit en zone 2, soit en zone 1.
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Message par Supfiction »

Miss Nobody a écrit : Image
Association criminelle / The big combo (Joseph H. Lewis)
Une très bonne série B, dotée d’une belle atmosphère en noir-et-brume et d’un personnage de « big méchant » mémorable : l’inquiétant Mr Brown, impassible et sadique, qui débite sa philosophie de surhomme avant de perdre finalement son sang froid. Cornel Wilde, malgré son manque de charisme, campe un détective plutôt convaincant. Les personnages féminins sont moins marquants même si ce sont bien eux qui, comme souvent, affaiblissent les hommes. On retiendra néanmoins le charme froid et le port de tête altier de Jean Wallace, digne d'une Carole Bouquet blonde. On se délectera également de quelques scènes osées ou suggestives : un homme qui pleure (littléralement et face caméra) la perte de sa petite amie, une scène de torture plutôt brutale, un cunnilingus suggéré par un subtil hors-champ, l’évocation à peine voilée de l’homosexualité de deux malfrats…
Miss Nobody a écrit :
kiemavel a écrit : Sinon, sur ce film là, moi c'est le cunnilingus que je n'ai pas vu (je ne sais même pas ce que c'est à vrai dire)
:o !!! (+1 :o pour la parenthèse, quand même!)

Pourtant, j'ai rarement vu scène plus explicite dans un film de cette époque.
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J'espère que ça éveille la curiosité des forumeurs qui n'auraient pas encore vu le film! :mrgreen:
Je remets ça là, ayant revu le film hier. Pour apporter ma pierre à ce débat de fond, le cunnilingus en question me semble difficile compte tenu de la position "géographique" de Richard Conte qui est clairement positionné derrière Jean Wallace.. donc à mon humble avis, il se contente de lui retirer sa petite culotte pour la mettre dans un tel état.

Concernant l'homosexualité des deux hommes de main, c'est vrai que la souffrance et le désarroi affichés du second quand
Spoiler (cliquez pour afficher)
il découvre le cadavre de son acolyte
surprend un peu, ce n'est pas forcement la réaction usuelle dans le milieu, mais là encore elle ne me semble pas signifier forcement quelque-chose de plus. Ce serait dans un film d'Ozon ou Amodovar, je dis pas..
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Alexandre Angel
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Re: Les films noirs à petits budgets et/ou de cinéastes méconnus

Message par Alexandre Angel »

Supfiction a écrit : Pour apporter ma pierre à ce débat de fond, le cunnilingus en question me semble difficile compte tenu de la position "géographique" de Richard Conte qui est clairement positionné derrière Jean Wallace.. donc à mon humble avis, il se contente de lui retirer sa petite culotte
Monsieur est géographe! :mrgreen:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Re: The Glass Key

Message par kiemavel »

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The Glass Key de Frank Tuttle (1935)
Réalisation : Frank Tuttle / Production : E. Lloyd Sheldon pour Paramount / Scénario : Kubec Glasmon et Kathryn Scola d'après le roman de Dashiell Hammett / Photographie : Henry Sharp

Avec George Raft (Ed Beaumont), Edward Arnold (Paul Madvig), Claire Dodd (Janet Henry), Rosalind Keith (Opal Madvig), Charles Richman (Le sénateur John T. Henry), Robert Gleckler (Shad O'Rory), Guinn Williams (Jeff), Ray Milland (Taylor Henry), Charles C. Wilson (le District Attorney Edward J. Farr), Ann Sheridan (l'infirmière)

Contre toute attente, à l'approche des élections, Paul Madvig - patron du crime et figure politique de sa ville - décide d'apporter son soutien au sénateur John T. Henry, un membre de la haute société dont il espère épouser la fille. Il commence par refuser de laisser passer un accident mortel provoqué par le membre d'un gang alors qu'il était ivre puis il avertit le gangster Shad O'Rory qu'il va fermer son cercle de jeux et nettoyer la ville. Taylor, le fils du sénateur, qui est un joueur compulsif s'est lui même lourdement endetté dans le cercle de O'Rory. Il demande de l'argent à Opal, la soeur de Madvig avec laquelle il a une liaison. C'est Ed Beaumont, le garde du corps et homme de confiance de Madvig qui remet à Opal la somme réclamée par le gangster mais un peu plus tard, Beaumont découvre le corps de Taylor à proximité du domicile de Madvig. Très vite, les soupçons se portent sur l'homme tout puissant de la ville …
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Cette première adaptation à l'écran du roman de Dashiell Hammett (la seconde sera réalisée en 1942 par Stuart Heisler) en offre une version très simplifiée mais même ainsi l'intrigue reste complexe et c'est pourquoi je commence par situer un peu mieux les principaux personnages. D'un coté, il y a le clan des "gangsters" avec Paul Madvig (Edward Arnold), sa soeur Opal (Rosalind Keith) et son bras droit Ed Beaumont (George Raft). De l'autre, une famille appartenant à la bonne société, les Henry avec le sénateur John T. Henry (Charles Richman), sa fille Janet (Claire Dodd) … que veut épouser Paul Madvig ; et son fils Taylor (Ray Milland) … qui a une liaison avec Opal Madvig. Ces liaisons "familiales" à priori contre nature ne sont tout de même pas tout ce qui reste de ce que le roman montrait de la collusion entre élite politique et milieu du gangstérisme mais le film ne rend compte que très partiellement de cet aspect du roman. En effet, la fonction exacte et les activités de Paul Madvig, de même que celles de Ed Beaumont ne sont jamais vraiment éclaircies en grande partie pour se conformer aux exigences de la censure qui avait refusé un premier traitement du script, demandant notamment que Madvig et son entourage apparaissent sans antécédents criminels et que soient supprimés les éléments impliquant les responsables municipaux ou les services de l'état (police, justice). Et de fait, si dans l'adaptation ultérieure, certains policiers et même le District Attorney sont aux ordres de Madvig et Beaumont, il n'en est rien dans la première et un certain flou entoure la nature de leurs affaires.
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Pourtant, même si cela n'est pas explicite, il est évident que Madvig est autant un homme d'affaires … en partie illicites qu'un homme politique local influent dont il n'est jamais dit qu'il a une fonction officielle mais c'est plutôt une puissance occulte, un homme vers lequel tout le monde se tourne, des élites de la ville aux petits malfrats. C'est à lui que s'adresse un petit truand pour lui demander d'étouffer l'accident mortel provoqué par un de ses amis ivres et c'est aussi Madvig que O'Rory, le chef d'un gang rival, met au défit de l'arrêter, prétendant qu'il a trop grandi pour qu'il puisse encore avoir le pouvoir de fermer sa salle de jeux ce que pourtant il prétend vouloir faire pour assainir la ville. C'est le même homme auquel s'allie le très respectable sénateur Henry. D'ailleurs, pour montrer le mélange des genres, il suffit de dire que le siège de la campagne électorale de Madvig ainsi que son bureau sont situés à l'étage d'une salle de jeux … alors même que les producteurs avaient accepté d'inclure une ligne de dialogue disant que Madvig avait l'intention de rompre tout contact avec ses supports politiques appartenant au monde du jeu ou des paris. Evidemment, il n'est pas non plus question de racket ou de trafic d'alcool dans cette histoire se déroulant aussi à une époque indéterminée même s'il semble évident que l'on est en pleine prohibition.
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Le flou entoure aussi les motivations et les intentions des personnages mais en l'occurrence cela respecte le style de Hammet qui ne dit rien des pensées des "héros" de ses romans et qui s'embarrasse rarement de psychologie mais dans cette première adaptation, une partie de l'ambivalence ou de l'ambiguité des personnages et des doubles jeux réels ou apparents se sont évaporés. Le sénateur Henry semble sans arrières pensées en ce qui concerne son alliance avec Madvig même si toutefois ni Janet ni surtout son frère Taylor ne semblent d'accord avec l'association de leur père avec le "truand". Mais dans le roman et l'adaptation ultérieure, s'exprimait une part de mépris pour les manières familières et le coté tonitruant du personnage de Madvig qui n'hésite pas - par exemple- au milieu d'une soirée mondaine à narrer ses premiers pas professionnels peu reluisants (le tabassage de marchands de journaux). Mais c'est surtout dans le clan Madvig que cette alliance est désapprouvée. Ed Beaumont déconseille en effet à son patron une alliance de circonstance qui ne durera que tant que le sénateur aura besoin de Madvig pour se faire réélire mais il lui prédit que la clé qui ouvre la porte de la maison des Henry est une "clé de verre" qui se brisera très vite. A tord semble t'il …
De toute façon, l'alliance est évidemment compromise par la mort de Taylor Henry. Le scandale compromet la réélection du sénateur notamment en raison des soupçons qui se portent sur son allié Madvig … mais pas seulement car Taylor embarrassait tout le monde. Le paradoxe c'est que le jeune homme était celui qui avait bien involontairement réussi la fusion entre les deux mondes puisque c'était un joueur qui s'était fortement endetté auprès de O'Rory et qui éprouvait les pires difficultés pour rembourser ses dettes de jeu (ce qui est toujours dangereux). Son père désapprouvait son attitude et le tenait pour un bon à rien ; Madvig ne voulait pas d'une liaison entre le "mauvais" Henry, le fils de bonne famille qui avait mal tourné et sa soeur. Des raisons suffisantes pour pousser l'un d'eux à tuer Taylor ? C'est en tout cas ce que les adaptateurs ont avant tout gardé du roman : la surface … criminelle sous la forme d'une enquête menée en solitaire par Ed Beaumont faisant passer au second plan les enjeux humains, notamment les sentiments élémentaires : l'amitié, la loyauté et l'amour, et surtout oubliant la façon dont ces trois aspirations peuvent parfois devenir incompatibles puisque le "triangle amoureux" est ici totalement absent (alors qu'il était très important dans la version de 1942)
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Car l'amitié et la loyauté sont quand même bien illustrés par la belle relation entre Madvig et son second qui lui est entièrement dévoué. C'est lui qui mène l'enquête et il est le personnage central de cette histoire. Cette figure du casino de Madvig en est un animateur-joueur mais au delà il occupe toutes sortes de fonctions auprès d'un homme dont il est tout, de l'éminence grise au valet de chambre (on le voit épousseter le costume de son patron et porter la plus grande attention à sa tenue). Il est aussi le garde du corps, le gros bras qui peut devenir un bras armé, mais il est surtout le conseiller écouté et le meilleur ami. Même s'il désapprouve les nouvelles orientations prises par Madvig car il est sceptique sur les bénéfices apportés par la vertu, il va continuer de l'appuyer mais progressivement le désaccord ira croissant ; jusqu'à l'affrontement puisque Beaumont va même quitter Madvig après l'avoir publiquement frappé. Comme Beaumont, on s'interroge un peu sur les raisons qui poussent Madvig à rechercher l'honorabilité en renonçant à certaines pratiques, quitte à se couper de son milieu et de ses soutiens. On se demande s'il n'agit pas par calcul électoral, en tout cas si c'est vraiment l'amour qu'il éprouve pour Janet Henry qui le pousse à s'amender, il semble s'aveugler … Le rôle tenu par la jeune femme est d'ailleurs beaucoup plus limité dans cette version que dans le roman puis surtout la seconde adaptation dans laquelle le rôle était tenu par Veronica Lake puisqu'une des forces motrices de l'histoire, ce qui pousse les personnages à agir et ajoute de l'incertitude, c'est le triangle amoureux impliquant Madvig, Beaumont et Janet Henry ; l'attitude ambigüe des 2 derniers oscillant entre séduction et méfiance réciproque - et allant même jusqu'à l'hostilité du coté de Beaumont - brouillant encore les pistes. Tout ceci est donc absolument absent de cette 1ère version à tel point que George Raft et Claire Dodd, le couple figurant sur l'affiche, se rencontre à peine sur l'écran. L'une des raisons éventuelles de la rupture entre Beaumont et Madvig n'est donc pas à rechercher là.
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D'ailleurs, cette rupture est elle réelle dans une intrigue qui nous entraine à croire à la culpabilité de Madvig puis à la trahison de Beaumont ; qui ménage également quelques fausses pistes … et met dans la balance un indice matériel, celui trouvé sur le lieu du crime par Beaumont. Dans un dénouement "à l'ancienne", cet indice sera capital pour démasquer le/la coupable (c'était un chapeau dans le roman ; cela devient une canne dans le film). Il existe de plus grosses différences avec le roman et/ou avec l'adaptation ultérieure ; par exemple l'origine des lettres anonymes qui dénoncent Madvig comme responsable de la mort de Taylor. D'autre part, la campagne de presse orchestrée par le gangster rival Shad O'Rory (Robert Gleckler) devient plus massive et on nous montre à plusieurs reprises les réactions de la population qui suit attentivement l'évolution de l'affaire et la commente alors que c'est totalement absent de la version ultérieure dans laquelle on étouffe dans un quasi huit-clos.
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Visuellement, le film est assez terne, aussi bien en terme de photographie que de mise en scène mais quelques séquences sortent assez évidemment du lot, ce sont les formidables séquences impliquant Beaumont et O'Rory (et ses hommes dont un abruti surpuissant, Jeff, interprété par Guinn 'Big Boy' Williams). L'attaque de Beaumont par le berger allemand de O'Rory puis son tabassage par ses hommes présentaient une violence sans doute inédite en 1935 (ils le torturent pour le faire parler). Même les séquences qui suivaient étaient saisissantes : l'incendie provoqué pour s'évader, les chutes spectaculaires pour échapper à ses tortionnaires … et plus encore, un peu plus tard, les retrouvailles entre Beaumont et Jeff, encore plus violentes mais dont je ne dis rien. Je signale pour finir les quelques rares intermèdes comiques : les très courtes mais assez nombreuses apparitions d'un joueur du casino qui est aussi un magicien amateur absolument pas doué (une petite touche de fantaisie pas malvenue mais ses interventions tombent comme un cheveu sur la soupe) et les deux apparitions assez souriantes de la mère de Madvig (interprétée par Emma Dunn)… ainsi que la brève apparition de Ann Sheridan qui joue l'infirmière qui soigne George Raft à l'hôpital. Même si la seconde adaptation frise déjà la caricature d'un genre pourtant débutant, il est permis de la préférer mais celle de 1935 est à voir. Ce film fut un des grands succès de l'année 1935. 6/10
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kiemavel
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Re: The Hoodlum

Message par kiemavel »

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The Hoodlum de Max Nosseck (1951)
Réalisation : Max Nosseck / Production : Maurice Kosloff / Distribution : Eagle Lion / Scénario : Sam Neuman et Nat Tanchuk / Photographie : Clark Ramsey / Musique : Darrell Calker

avec Lawrence Tierney (Vincent Lubeck), Allene Roberts (Rosa), Marjorie Riordan (Eileen), Lisa Golm (Mme Lubeck), Edward Tierney (Johnny Lubeck), Stuart Randall (le lieut. Burdick)

Alors que le directeur de la prison où il purgeait une peine de 5 ans pour le braquage d'une banque ne croit pas du tout en sa réinsertion, Vincent Lubeck, un jeune homme au lourd passé judiciaire est tout de même libéré sur parole après intervention de sa mère qui plaide sa cause auprès de la commission des libérations conditionnelles. Vincent rentre chez lui ou plutôt découvre la nouvelle maison de la famille, celle achetée grâce à la prime d'assurance vie du père et aux premiers gains de Johnny Lubeck, le jeune frère de Vincent qui vient d'acheter une station service. Mais cette petite réussite ne semble susciter que le mépris de Vincent. Malgré ses réticences, Johnny accepte néanmoins d'employer Vincent comme pompiste et mécanicien. Très vite, une jolie cliente qui apporte sa voiture en réparations, attire l'attention de Vincent. Il faut dire qu'elle est la jeune secrétaire de la banque située en face du garage …
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The Hoodlum aka The Lawrence Tierney Experience … Ce film dont le titre original peut se traduire par "Le voyou" aurait pu s'appeler en français : L'irrécupérable. Ce cas pathologique terrifiant, mais qui est aussi - si on veut (question de sensibilité :wink: ) - un cas social est interprété par un très bon Lawrence Tierney qui trouvait, encore une fois grâce à Max Nosseck, un rôle à sa mesure puisque ce metteur en scène globe trotteur peu prolifique aux USA (une grosse dizaine de films) l'employa 4 fois après lui avoir offert le rôle qui lança sa carrière, celui de Dillinger dans son film de 1945. Mais en 1951, en raison de ses frasques hors plateau, la carrière de Tierney en tant que tête d'affiche était déjà pratiquement derrière lui. Dès l'année précédente, il n'était déjà plus que le 3ème couteau d'un honnête film noir comme Reportage fatal, devancé au générique par Howard Duff, Brian Donlevy ou même Bruce Bennett et on ne l'a plus retrouvé n°1 au générique que dans quelques petits films criminels d'une heure comme celui de Nosseck. Le programme est donc court mais il est copieux dans cette petite série B pourtant absolument fauchée dont une bonne partie des interprètes principaux n'a pas fait véritablement carrière ; ni le plus jeune frère de Lawrence Tierney, Edward qui joue … son frère ; ni la vamp de la bande que reconstitue Vincent Lubeck (interprétée par Angela Stevens) ni même Allene Roberts qui joue Rosa, la jeune femme que doit épouser le frère de Vincent, même si on la vu tenir quelques rôles relativement importants dans d'autres films criminels. La seule qui avait de la bouteille, Lisa Golm (la mère de Lubeck) en fait des caisses (notamment quand elle supplie les membres de la commission de libérer son bon garçon :o ).
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Le film est néanmoins à voir notamment pour le show Tierney, inégalable dans un registre certes limité. Même si le personnage multiplie les ignominies et s'il est donc bien tel que l'annonçait le directeur de la prison en ouverture du film : un jeune homme impossible à réinsérer ; même si c'est ensuite illustré avec pas mal de complaisance dans la noirceur, on trouve néanmoins trace de petites notes n'atténuant pas les responsabilités de Vincent mais lui concédant quelques circonstances atténuantes. D'abord la naissance et l'enfance, encore plus bas que le caniveau, le fameux Sidewalk dont il est question dans plus d'un film noir : celui d'où l'on vient … ou celui dans lequel on peut tomber en se tenant trop près du bord. Une enfance qui ne s'oublie visiblement pas puisque lorsque la mère de Vincent se montre fière de la nouvelle mais modeste maison familiale qui constitue un progrès par rapport à celle située juste à coté de la décharge municipale où ses garçons avaient grandi, Vincent lui répond à la fin d'une tirade assez brillante (1) : Dough is the only thing that will cover up the stink of the city dump (le fric est la seule chose qui pourrait couvrir la puanteur de la décharge de la ville)
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Sa libération n'atténue donc en rien son amertume et sa colère mais ces traits de caractère sont encore accentués dès les premiers temps de sa libération, provoqué qu'il est par les réactions de son entourage ou les réminiscences de son passé. Quelque soit ce passé, même si on subodore que le jeune frère a toutes les raisons d'être échaudé, il se montre très vite, très sévère et très exigent avec Vincent, lequel n'est pas aidé non plus par le harcèlement du flic qui l'avait arrêté 5 ans plus tôt et qui revient le cuisiner sur son lieu de travail … le perturbant et le poussant à la faute … ce qui donne donc des arguments à son jeune frère. Des engrenages que Nosseck montre concrètement, bien aidé il est vrai par un scénariste qui avait fait de la station service du petit frère, la station de guet idéale pour celui qui a des facilités pour mal tourner. On va dire que c'est la fatalité plutôt que le scénariste qui a placé juste en face du nouveau lieu de travail de Vincent Lubeck une belle banque ! Mais cette finesse a été bien utilisée car avant même que lui même en ait l'idée, malgré que les regards de Vincent aient été immédiatement attirés par ce qui se passe de l'autre coté de la rue (on ne se refait pas … Tiens, lui aussi ) le flic subodore ce qui n'existe pas, ou pas encore : un cambriolage déjà programmé.
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La suite est en revanche programmée ; les mauvaises relations que l'on retrouve après le travail ne faisant qu'accélérer le cours des événements que de toute façon très vite Vincent prend en main et orchestre. Même si on anticipe bien sûr dès le début l'essentiel de ces événements, il est absolument impossible d'en envisager par avance la noirceur. Le début des ignominies commence d'ailleurs dans le cadre privé quand le soir même de la journée de travail humiliante sommairement décrite un peu plus haut, à la suite de nouveaux reproches exprimés par son frère, Vincent va s'isoler sur le toit de la maison, recevoir le soutien et des marques de compassion de la part de Rosa, la fiancée à son frère. De colère, Vincent va alors libérer les colombes détenues en cage puis voler un baiser à sa future belle soeur après s'être moquer de ses belles certitudes et de son optimisme ! Ce n'est que le début de ses exploits car le diabolique Vincent Lubeck va tout détruire autour de lui …
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Les péripéties à proprement parler criminelles ne donnent d'ailleurs pas les séquences les plus réussies. Le prix de ce petit film, c'est la succession de séquences fortes, intrigantes ou brillantes, parfois par le dialogue souvent incisif. Elles débutent dès les premiers instants car Max Nosseck ne perd pas de temps. Le générique défile en effet en surimpression d'images montrant un Lawrence Tierney ayant l'air inquiet et dépité se trouvant à bord d'une voiture conduite par un homme inconnu tenant un revolver (l'inconnu ne le reste pas longtemps puisqu'on découvre très vite qu'il s'agit de son jeune frère). Puis on nous montre - sans nous l'expliquer - qu'il s'agissait probablement d'événements que l'on retrouverait plus tard puisque les premières scènettes post générique reviennent à l'origine, aux premiers actes délinquants de Vincent qui défilent très vite. Puis vient le temps de la libération. Au plaidoyer puissant de la mère de Vincent, le directeur de la prison qui finit par se résoudre à la libération du jeune homme, répond à sa manière. Avant d'ouvrir la porte de la prison, il ouvre celle qui conduit à la chaise électrique en avertissant Vincent que c'est probablement là qu'il finira ! La suite amène trop loin dans l'intrigue, c'est pourquoi je poursuis en spolier
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Par la suite, en dehors de l'attaque à main armée, le plus grand forfait de Vincent sera donc de corrompre la petite amie de son frère et de la mettre enceinte … ce qui entraine son suicide ! Le repas qui suit la mort de Rosa est terrible car Vincent est le seul à pouvoir joyeusement se contenter ce qui lui attire pour la première fois les regards soupçonneux de sa mère. Plus tard, dans l'épilogue, lorsqu'il se retrouve traqué par la police, il court chez la jolie banquière … qui lui met un revolver sous le nez et du coup il retourne sur les genoux de maman mais celle ci est à l'article de la mort et la confession qu'elle fait à celui qu'elle avait jusque là toujours farouchement défendu est extraordinaire. Pour répondre aux propos amers de Vincent prononcés plus tôt, elle va lui répondre : All the times you was yelling about the smells from the City Dump … You are the Smell !! You are the Stink !!! avant de mourir en serrant toutefois sa main sur la tête de son fils. On peut voir ce qui suit, c'est à dire la scène finale comme une adaptation à la "film noir" de la prière des morts : Ashes to ashes, Dust to dust … Dump to Dump ! Et on finit par se dire que cette idée de fuite dans une voiture funéraire, si ça n'était pas une idée de génie, c'était au moins de la divination.


L'un des meilleurs Lawrence Tierney. 7/10
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(1) Voici plus précisément ce que Vincent Lubeck répond à sa mère qui lui demande de profiter de l'air pur après qu'il ai fait part de son amerture pour l'argent de la prime d'assurance vie dépensé dans la nouvelle maison.

Stop it, Ma! Keep the windows closed ! What was the use ? The stink came through them anyhow into all the corners of your lungs, your skin! Even if you took a bath every day, the stink would still stink! Our playground, where we picked up a few pieces of junk to get spending money. A rotten stink! Even now we're not too far away from it! Yeah, but you wait! I've got ideas. I'll get plenty of money ! Yeah, dough ! That's the only thing that'll ever cover up the stink of the city dump! // Arrête, Maman ! Laisse les fenêtres fermées ... à quoi ça servait ? L'odeur passait au travers et allait jusqu'au tréfond de vos poumons, de votre peau ! Même en prenant un bain tous les jours la puanteur était encore puante ! Notre aire de jeux : c'était où nous ramassions quelques dechets pour nous faire de l'argent de poche ! Une puanteur ! Même maintenant nous n'en sommes pas assez loin ! Oui mais attends ! J'ai des idées ! J'aurais beaucoup d'argent ! Oui, du fric ! L'argent est la seule chose qui poura jamais recouvrir la puanteur de la décharge municipale.
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