Le Western américain : Parcours chronologique III 1955-1959

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Tall Man Riding

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La Furieuse Chevauchée (Tall Man Riding - 1955) de Lesley Selander
WARNER


Avec Randolph Scott, Peggy Castle, Dorothy Malone, William Ching, John Baragrey, Robert Barret, John Dehner
Scénario : Joseph Hoffman
Musique : Paul Sawtell
Photographie : Wilfrid M. Cline (Technicolor 1.37)
Un film produit par David Weisbart pour la Warner


Sortie USA : 18 juin 1955

A peine quelques semaines après le très bon Shotgun (Amour, Fleur Sauvage), arrivait sur les écrans américains un autre film signé par le prolifique Lesley Selander, auteur que l’on a un peu trop vite eu tendance à classer parmi les tâcherons. Sur plus de cent films, il y eut vraisemblablement pas mal de déchets mais finalement le cinéaste aura aussi eu quelques très sympathiques réussites à son actif (Panhandle, Fort Osage…). Alors que jusqu’à présent, il avait œuvré la plupart du temps pour des studios de la Poverty Row (la Allied Artists tout récemment), il put à l’occasion de Tall Man Riding tourner pour la prestigieuse Warner même si ce fut une nouvelle fois avec un budget assez limité. Relatant une vengeance ainsi qu’une traditionnelle lutte entre pionniers et ranchers, La Furieuse Chevauchée (nommée ainsi en français pour sa séquence finale) est un film de série B assez conventionnel même si le scénario est plus complexe qu’on pouvait s’y attendre au départ. Un peu inutilement complexe même, l’efficace scénariste Joseph Hoffman (Duel at Siver Creek de Don Siegel) n’ayant pas bénéficié d’assez de temps pour pouvoir développer tous les fils qu’il avait mis en place, pour pouvoir exploiter à fond toutes les situations exposées ; il s’en trouve que l’intrigue s’avère parfois un peu confuse, faussement alambiquée et par là même manquant de fluidité. Ce n’en est pas moins un honnête western que les aficionados prendront plaisir à regarder.

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1892 dans le Montana. Cinq ans après en avoir été chassé, Larry Madden (Randolph Scott) revient à Little River pour se venger du grand propriétaire du Warbonnet Ranch, Tucker Ordway (Robert Barratt), qui l’avait humilié par le fouet en pleine rue pour avoir courtisé sans sa permission sa fille Corinna (Dorothy Malone). Sa fierté en ayant pris un coup, il avait alors fui la région après avoir brûlé de rage son propre domaine. Sur le point d’arriver à destination, Larry prend la défense d’un homme attaqué par trois autres. Un des assaillants est tué et il apprend que celui dont il vient de sauver la vie n’est autre que Rex Willard (Bill Ching), l’actuel époux de Corinna. Il le reconduit néanmoins au ranch de son ennemi mortel et lui demande de prévenir ce dernier de son arrivée afin de lui mettre la pression. En ville, il retrouve l’avocat Ames Luddington (John Dehner) qui, à sa demande, a mené en secret une enquête de laquelle en ressort que Tucker n’est pas légalement propriétaire de son domaine et qu’il sera ainsi facile de l’en déloger. Larry jubile jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que d’autres que lui souhaitent s’accaparer le ranch Warbonnet et notamment une de ses vieilles connaissances, Cibo Pearlo (John Baragrey), le patron du saloon qui semble avoir la ville sous sa coupe, un shérif corrompu à sa botte. Cibo tente de mettre Larry de son côté mais ce dernier, le haïssant autant qu’il déteste Tucker, décide de faire cavalier seul aidé en cela par la maîtresse de Cibo, la chanteuse Reva (Peggie Castle). C’était en fait Cibo qui avait envoyé ses tueurs se débarrasser du gendre de Tucker et c’est encore lui qui demande au Marshall d’aller arrêter Rex pour l’accuser du meurtre d’un de ses hommes et ainsi discréditer le gros rancher aux yeux de la communauté. Corinna vient demander de l’aide à son ex-amant pour l’aider à sauver une seconde fois son mari en témoignant la légitime défense. Il accepte mais l’inquiétant Peso Kid (Paul Richards) va tenter de l’en empêcher…

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Si vous avez pu lire l’histoire du film que j’ai vainement tenté d’écrire avec le plus de clarté possible, vous avez certainement deviné la complexité de ce scénario où les alliances se font et défont, les trahisons et magouilles vont bon train, les relations entre les différents protagonistes ne restent jamais figées. Les quelques originalités de l’intrigue viennent aussi d’une part du fait que Larry (joué par Randolph Scott) soit un vengeur au départ pas forcément sympathique, surtout sachant que le personnage qu’il souhaite châtier est un vieil homme ; d’autre part du fait que le même Larry ne prenne fait et cause ni pour un camp ni pour l’autre dans le conflit que se livrent ranchers et habitants de la ville, finissant même par trouver son ennemi juré bien plus fréquentable que la plupart des citoyens corrompus ou lâches qu’il côtoie lors de la mise en place de son plan de vengeance. Autre détail scénaristique qui rend ce petit western encore plus attachant, l’idée de faire des deux personnages féminins presque les plus intéressants de l’intrigue. Elles sont ici loin d’être des potiches et, contrairement à ce que l’on aurait pu penser au vu de l’affiche, bien plus encore la ravissante Peggie Castle que la plus célèbre Dorothy Malone. Tall Man Riding nous permet ainsi peut-être pour la première fois de voir enfin une Saloon Gal de temps en temps ‘hors contexte’, en dehors de son lieu de travail. C’est un petit détail mais de voir Reva en pantalon en train de chevaucher cheveux au vent, fini de rendre ce personnage stéréotypé de courtisane au grand cœur un peu plus réel qu’à l’accoutumé. Les relations qui se tissent entre les deux femmes sont également assez biens vues ; une amitié qui se noue alors même qu’elles éprouvent des sentiments pour le même homme : une estime entre rivales en somme ! Et, même si Reva aide Larry qu’elle pense être dans son droit, elle ne souhaite cependant pas trahir son employeur/amant auquel elle est néanmoins attachée :

Larry Madden : - “What's a girl like you doin' tied in with a dog like Pearlo?
Reva : - “Sometimes you can get sort of attached to a dog.”

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Ce qui me permet de rebondir sur l’efficacité des dialogues ainsi que sur la qualité d’ensemble de l’interprétation. Si Randolph Scott ne nous étonne guère, égal à lui-même, si les deux actrices s’en sortent relativement bien grâce aussi à des personnages bien écrits (Peggie Castle se révélant être également une bonne chanteuse, entonnant avec entrain ‘A Big Night Tonight') il ne faut pas oublier des ‘Bad Guy’ plutôt inhabituels de par les comédiens choisis pour les interpréter qui n’avaient pas forcément au départ ‘la gueule de l’emploi' : d’un côté John Baragrey dans le rôle du chef de gang qui a tout d’un dandy, de l’autre Paul Richards, son acolyte-tueur à gages, inquiétant et efféminé. Deux acteurs qui n’ont pas fait une grande carrière au cinéma, s’étant très vite tournés vers la télévision, deux visages assez marquants, tout du moins dans ce western. Et nous ne passerons pas sous silence le toujours excellent John Dehner dans la peau de l’avocat qui change de camp en cours de route. Le Larry de Randolph Scott est constamment pris entre plusieurs feux tout au long du film, les morts tombant comme des mouches autour de lui. Il se retrouve à devoir se battre violemment à mains nues, à devoir participer à un duel dans le noir complet à l’intérieur d’une grange dont on a fermé toutes les ouvertures, à prendre part à une ‘furieuse chevauchée lors d’une course à la terre…

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Toutes ces nombreuses scènes d’action sont mises en scène avec les faibles moyens du bord mais plutôt efficacement menées, Selander ayant eu la très bonne idée de laisser tomber les deux plus gros points faibles des westerns Warner tournés jusqu’à présent : l’humour lourdingue et malvenu ainsi que les transparences. Ici point de clownerie de la part de quiconque, pas de thèmes musicaux prétendument 'rigolos' à la David Buttolph et surtout pas de gros plans tournés en studio lors des chevauchées ou autre séquences mouvementées. On peut en féliciter les auteurs de ce film, Selander prouvant à l’occasion que ses scènes d’action faisaient alors souvent partie des plus teigneuses du genre pour l'époque. Dommage que par ailleurs, le cinéaste ne fasse sinon guère d’étincelles car il avait aussi à sa disposition de beaux décors extérieurs qui, sils avaient été utilisés comme dans Shotgun auraient rendus le film encore meilleur. Tel quel il s’agit d’une honnête série B, bizarrement le seul film que tourneront ensemble l’acteur et le réalisateur respectivement les plus féconds du genre. Du coup, on pouvait quand même s’attendre à beaucoup mieux mais nous nous contenterons du fait qu'il soit plaisant. On remarquera cependant que Randolph Scott commençait à se voir attribuer des personnages un peu plus sombres qu’auparavant ; ce qui allait aboutir l’année suivante à sa sublime collaboration avec Budd Boetticher !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par daniel gregg »

Le prochain film chroniqué, ce n'est que du bonheur et devrait sans doute intégré sans peine ton Top 30, non ? :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

daniel gregg a écrit :Le prochain film chroniqué, ce n'est que du bonheur et devrait sans doute intégré sans peine ton Top 30, non ? :wink:
J'aime beaucoup mais il n'intègrera pas le top 30 :oops:
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Message par Jack Carter »

:shock:
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

Jack Carter a écrit ::shock:

Ah ben si en fait, je pensais à Top 20 :oops: J'ai donc modifié et en ai profité pour remonter un Walsh qui me trottine dans la tête ; ça fera deux raisons de sourire à daniel gregg :wink:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par homerwell »

Jeremy Fox a écrit :
Jack Carter a écrit ::shock:

Ah ben si en fait, je pensais à Top 20 :oops: J'ai donc modifié et en ai profité pour remonter un Walsh qui me trottine dans la tête...
:D :D :D

Pour Wichita, il n'y a toujours pas de dvd ? J'entends en zone 2 ou avec des sous-titres en Français !

J'ai fait pour ma part une belle découverte hier soir avec La chevauchée du retour. C'est un très bon western au scénario à la fois riche et tendu, et avec une belle paire d'acteurs.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »


Pour Wichita, il n'y a toujours pas de dvd ? J'entends en zone 2 ou avec des sous-titres en Français !
Non :|
J'ai fait pour ma part une belle découverte hier soir avec La chevauchée du retour. C'est un très bon western au scénario à la fois riche et tendu, et avec une belle paire d'acteurs.

:D Depuis le temps que j'en fait "la promotion" ; l'un des plus beaux personnages de shérif de l'histoire du western 8)
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Jeremy Fox
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Wichita

Message par Jeremy Fox »

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Un Jeu Risqué (Wichita – 1955) de Jacques Tourneur
ALLIED ARTISTS


Avec Joel McCrea, Vera Miles, Lloyd Bridges, Wallace Ford, Edgar Buchanan, Peter Graves, Keith Larsen, Carl Benton Reid
Scénario : Daniel B. Ullman
Musique : Hans J. Salter
Photographie : Harold Lipstein (Technicolor 2.35)
Un film produit par Walter Mirisch pour la Allied Artists


Sortie USA : 18 juin 1955


Combien de pépites du western méritent-elles encore d'être sorties de l’oubli voire même carrément d'intégrer sans tarder les classiques du genre ? En tout cas assurément celles d’un cinéaste que l’on a trop souvent, encore récemment, cantonné à n’être considéré que comme un génie du cinéma fantastique. Il ne faudrait pas oublier que Tourneur a également signé des merveilles dans le domaine du film d’aventure (La Flèche et le flambeau…), du film noir (Nightfall…), mais aussi de très grandes réussites dans le genre qui nous intéresse ici ; outre Wichita, on pouvait déjà dix ans auparavant s’émerveiller devant le sublime et novateur Passage du Canyon (Canyon Passage) avec Dana Andrews et Susan Hayward ; et ça ne s’arrêtera pas là mais nous en reparlerons au moment voulu, en 1956 plus exactement, pour un western tombé encore plus profondément dans les oubliettes (il faut dire aussi que le titre français n’aidait pas vraiment), L’or et l’amour (Great Day in the Morning) avec Robert Stack et Virginia Mayo. En 1950, Tourneur signait aussi une magnifique tranche d’Americana qui fait partie de ses plus belles œuvres, Stars in my Crown avec déjà Joel McCrea, acteur discret que l’on retrouve dans la peau du célèbre Marshall Wyatt Earp dans cet excellent Un Jeu risqué, l’un des westerns les plus dépouillés et épurés qui soit ! Si j'évoque en début de paragraphe une souhaitable réhabilitation, c’est pour la simple raison qu’on ne peut pas dire que Wichita soit encore de nos jours bien représenté dans les différentes anthologies du genre ; le film est ainsi encore bien trop méconnu par le public français, considéré trop souvent avec un peu de condescendance comme étant une ‘simple série B’, ce qui ne devrait pourtant plus être péjoratif, cette notion portant avant tout sur les budgets alloués aux films.

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Wichita en 1875 : une petite ville du Kansas en pleine expansion grâce à l’arrivée du chemin de fer. Une opportunité pour les habitants ainsi que pour les éleveurs de bétail qui ne sont plus obligés de faire traverser à leurs bêtes tous les Etats-Unis. Clint Wallace (Walter Sande) et son équipe de texans se réjouissent d’ailleurs d’y arriver pour pouvoir enfin y faire relâche, s’amuser, boire et surtout mettre à sac la ville ‘comme il se doit’ pour évacuer la tension d'un tel voyage. Venu ici pour ouvrir un petit commerce, le taciturne Wyatt Earp (Joel McCrea) se lie immédiatement d'amitié avec le directeur du journal local, Arthur Whiteside (Wallace Ford) et son jeune reporter Bat Masterson (Keith Larsen), qui redoutent tous deux la future entrée en ville des cow-boys, sachant pertinemment qu’elle sera cause de dégâts ; Whiteside connaît bien le problème, ayant tragiquement perdue son épouse lors d’une telle ‘réjouissance’. A peine arrivé, à la banque où il venait déposer son argent, Wyatt Earp se fait remarquer malgré lui par sa dextérité au pistolet en mettant hors d’état de nuire trois bandits qui tentaient de commettre un hold-up. Le maire (Carl Benton) lui propose alors le poste vacant de Marshall ; Wyatt le refuse. Quand des cow-boys ivres morts saccagent la ville en tuant par mégarde un petit garçon de cinq ans, il revient sur sa décision et prête aussitôt serment. Avec l’aide de Bat Masterson, il les fait tous arrêter pour trouble de l’ordre public. Il les chasse ensuite de la ville dans laquelle il interdit désormais de porter des armes. Ses décisions drastiques inquiètent les notables, qui trouvent ses méthodes trop radicales et craignent pour la prospérité de leur ville ; notamment Sam McCoy qui voit du coup avec circonspection l’amour que le nouveau shérif porte à sa fille Laurie (Vera Miles)…

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Avec Stars in my Crown et Stranger on Horseback, Un Jeu risqué constitue en quelque sorte le troisième film d’une trilogie basée sur la volonté de non-violence, sur l’intégrité et l’honnêteté ‘jusqu’auboutistes’ de chacun de ses personnages principaux, tous interprétés par le même comédien, à savoir Joel McCrea, tour à tour pasteur, juge et shérif. Le pasteur Gray faisait le bien autour de lui sans avoir recours à autre chose qu’à son bon sens et à sa parole dans le touchant et attachant Stars in my Crown ; le juge Thorne de Stranger on Horseback pouvait s'apparenter à un double de ce dernier personnage, les textes de loi remplaçant les préceptes moraux et religieux pour un résultat final équivalent : même probité, même détermination et, ce qui le rendait plus humain encore par le fait de n’être pas exempté de défauts, même intransigeance. C’était un homme flegmatique qui, malgré les menaces des dirigeants et l’inertie des habitants, fonçait tête baissée sans jamais faire un pas en arrière. Cette assiduité, ce courage et cette opiniâtreté qui le faisaient respecter feront aussi partie de la personnalité du Wyatt Earp filmé par Tourneur. Comme le juge Thorne, avant d’être estimé à sa juste valeur par les citoyens de Wichita, il aura été rejeté à cause de son trop grand rigorisme qui allait à l’encontre du but lucratif que les notables rêvaient pour leur cité. Une Cattle Town en plein expansion qu’arrive d’ailleurs à rendre remarquablement vivante Tourneur avec la description de ses rues grouillantes, de ses saloons bondés et à l’aide d’une multitude de petites touches et petits détails bien observés (c’était déjà le cas dans ses précédents westerns). La civilisation est en marche et on le ressent très clairement au travers de l’atmosphère qu’a réussi à créer le cinéaste pour son film.

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En à peine 77 minutes, le film, avec une sobriété exemplaire, une rigueur, une douceur et une intelligence de tous les instants, nous fait avant tout nous questionner sur le fameux ‘Law and Order’. Comment doit-on faire appliquer la loi pour faire retrouver l’ordre ? Jusqu’à quel point doit-on se montrer intransigeant ? Doit-on accorder des passe-droits, octroyer des privilèges à certaines personnes ? Comment concilier la liberté accordée aux cow-boys avec la sécurité des habitants ? Est-ce seulement possible ? Comment concilier l’expansion d’une ville et sa tranquillité ? Un journal doit-il façonner l’opinion et chercher à avoir une certaine influence ? Voici les thématiques principales du film, d’ordre plutôt politiques et sociales. A côté de cette réflexion sur la loi, l’ordre et la justice, Tourneur n’oublie pas de nous décrire des destinées individuelles, croquant une brochette de personnages sans aucun manichéisme, la plupart subissant une évolution en cours d’intrigue, la plus intéressante étant celle du ‘bienfaiteur’ de la ville (le père de Vera Miles) qui devra endurer un drame personnel pour retrouver une certaine estime de soi, une sorte d'exemplarité. Les cow-boys, qui sont la cause première des drames, ne sont pas vraiment des ‘Bad Guys’ mais ne supportent pas qu’on leur impose des règles trop strictes surtout sous l’influence de l’alcool et après avoir bourlingués des mois durant. Les notables peuvent s’avérer bien plus vicieux et dangereux que ces derniers, réfléchissant avant tout, plus qu’à la sécurité de leurs concitoyens, à l’avenir de la ville qu’ils dirigent, acceptant tant bien que mal la sauvagerie des cow-boys puisque leur prospérité vient avant tout de la présence en ville de ces derniers ; d’ailleurs, celui qui entrainera les fortes têtes à vouloir descendre le Marshall ne fera pas partie du groupe des cow-boys mais des notabilités de la ville, en l’occurrence le personnage joué par Edgar Buchanan qui trouve ici l’un de ses rôles les plus négatifs.

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Puisque le comédien militait hors cinéma pour la non-violence, comme dans la plupart des westerns avec Joel McCrea en tête d’affiche, Wyatt Earp évite au maximum de tuer ses adversaires ; alors qu’à plusieurs reprises, alors qu’il intervient, on frise l’irruption d’une forte violence, il arrive toujours à faire en sorte qu’elle n’éclate pas, préférant blesser ses opposants quand il doit en arriver à de telles extrémités plutôt que de les faire passer de vie à trépas. Le film est donc souvent très tendu mais la résolution de ces séquences n’aboutit que rarement à des gunfights ou des bagarres. Quant ceux-ci s'avèrent inévitables, ils déboulent brusquement sans prévenir et se déroulent très rapidement à l’image du duel final au cours duquel le shérif a juste le temps de dire à son adversaire qu’il est désolé pour lui de ne pas pouvoir faire autrement que de le tuer, son coup de feu s’ensuivant immédiatement ; un homme qu’il a tué sur le coup mais sans aucun plaisir. Les séquences d’action se déroulent elles aussi sèchement, sans fusillades ni tueries excessives ; à ce propos, il suffit d’admirer la superbe séquence de poursuite à cheval qui commence par de superbes et longs panoramiques et travellings latéraux, la course des chevaux aux sommets sinueux des collines donnant seule l’impression de mouvement. Puis viennent des plans aériens de toute beauté en légère plongée sur les chevaux au grand galop qui, en plus de la superbe partition de Hans Salter (décidément l’un des plus grands compositeurs de musiques de westerns qu'il faudrait très vite réhabiliter), apportent un lyrisme inattendu et un superbe panache à la scène avant que la violence n’explose. Une fois les fuyards rattrapés, la fusillade ne dure que très peu de temps et Earp, très pragmatique, alors que dans 90% des westerns aurait continué à poursuivre le principal coupable ayant réussi à s’échapper de nouveau, préfère retourner en ville en disant à ses frères qu’il y aura bien d’autres occasions de l’appréhender. Une réaction qui étonne positivement, loin d’être habituelle de la part d’un héros d’une telle trempe.

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Car le Wyatt Earp de Joel McCrea est un personnage tout aussi passionnant que le reste du film et d’ailleurs très différent de celui joué par Henry Fonda dans My Darling Clementine de John Ford. Un ‘Natural Born Lawman’ comme le pressentent les notables de la ville, et qui pourtant n’a jamais cherché à le devenir, au départ étant venu à Wichita pour y être tranquille ("La violence me perturbe"). Après qu’un enfant se soit fait tuer suite à l’ivrognerie des cow-boys, il se sentira moralement obligé d’accepter l’emploi qu’on lui propose puisqu’il consistera à faire retrouver l’apaisement à la ville. Et à partir du moment où il aura signé, il sera tenace, ne démordant pas de ses idées, ne se détournant pas un seul instant de la ligne qu'il s'est fixé. Dans la réalité, Wyatt Earp n’avait que 27 ans lorsqu’il vécu durant une année à Wichita avant de partir ‘nettoyer’ d’autres villes plus notables telles Dodge City ou Tombstone. Il est clair que le Earp de McCrea est un homme plus mûr, plus réfléchi et qui aspire à la paix, un homme de loi qui le devient par fatalité alors qu'il rêvait de quiétude. A Wichita, non seulement il réussira à réinstaurer l’ordre mais en changera les données et le sens, la lutte contre l’insécurité ne devant pas forcément en passer par la violence et l’intimidation si on peut les éviter. Pour les intégristes de la véracité, les faits relatés dans le film se sont en fait déroulés dans deux villes différentes, Ellsworth et Wichita et la séquence la plus savoureuse du film, celle de l’arrivée des deux frères (mais je ne vous en dirais pas plus de peur de déflorer un trait de génie du scénario et de la mise en scène) s’est effectivement passée de la sorte. Quant à Bat Masterson, il fut également un tireur d’élite et homme de loi très connu ; il est assez cocasse de savoir que Joel McCrea tiendra son rôle en 1959 dans Le Shérif aux mains rouges (The Gunfight at Dodge City) de Joseph M. Newman.

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La rigueur de la réalisation, la splendide utilisation du scope (il s’agissait de la première production de la Allied Artists dans ce format) que ce soit pour les larges plans d’ensemble (l’arrivée de Wyatt Earp du fin fond de l’écran lors de sa première apparition) ou pour les plans plus rapprochés (celui, superbe, de nuit, voyant Joel McCrea en plan américain avec son fusil, tenant en respect la quarantaine de cow-boys en face de lui), l’habileté et la sensibilité du scénariste qui conduit parfaitement son récit jusqu’à son terme, etc. : la combinaison de ces éléments fait que le film nous captive tout du long alors même que l'intrigue ne comporte que peu d'action ou de coups de théâtre. Un film qui nous montre un Wyatt Earp alors même qu’il n’avait pas acquis la célébrité, avant de devenir le fameux Marshall de Tombstone et d’être entré dans la légende comme le héros du ‘Règlement de comptes à Ok Corral’ immortalisé par John Sturges et John Ford dans respectivement Gunfight at OK Corral et My Darling Clementine (La Poursuite Infernale). Jacques Tourneur, pour son scénario, fut d’ailleurs conseillé par Stuart Lake, le biographe officiel de ce personnage historique que Joel McCrea interprète à la perfection avec calme et pondération, arrivant néanmoins à dégager un fort charisme grâce aussi à sa façon de se tenir et aux positionnements de la caméra qui le rendent parfois ‘Bigger than Life’. Vera Miles est irréprochable elle aussi et toute la galerie de personnages qui les entoure est admirablement croquée sans jamais avoir recours au pittoresque. Superbe casting en tout cas avec de nombreux noms rendus célèbres par la suite : Lloyd Bridges, Peter Graves, Robert Wilke, Jack Elam…

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Ne pas oublier la délicate photographie de Harold Lipstein, un score enlevé de Hans J. Slater dont une très belle chanson de générique chantée par Tex Ritter ainsi qu'un scénario admirable signé Daniel B.Ullman (déjà auteur de celui non moins passionnant de Fort Osage de Lesley Selander) d’après son propre récit. Pour l’anecdote, engagé comme ‘dialogue director’, Sam Peckinpah fait aussi partie de la figuration lors d'une très brève apparition en employé de banque lors de la séquence du hold-up manqué. Avec Wichita, la série B a une nouvelle fois accouchée d'un chef-d’œuvre. Un peu trop court à mon goût pour intégrer avec puissance toutes ses passionnantes thématiques et parce que l’on aurait aimé rester plus longtemps aux côtés de personnages aussi richement dessinés, en connaître un peu plus à leur encontre et notamment sur leur passé, pouvoir s’appesantir plus longuement sur la touchante romance entre Joel McCrea et Vera Miles… Mais ne chipotons pas ; il s’agit d’un grand ‘petit’ western politique, dépouillé, concis, sans fioritures mais diablement efficace et surtout attachant !
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par cinephage »

Un fabuleux western, dont ton texte souligne bien la richesse et les enjeux moraux, qui n ont rien perdu de leur pertinence.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Strum »

Tourneur + McCrea + enjeux moraux = un cocktail qui me tente bien.
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Jeremy Fox
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

cinephage a écrit :Un fabuleux western, dont ton texte souligne bien la richesse et les enjeux moraux, qui n ont rien perdu de leur pertinence.
Merci.

Et il se peut très bien qu'il grimpe encore dans mon top car je me rappelle que lors de sa découverte, ce fut un émerveillement. Il faudrait qu'il sorte en DVD en France pour que je puisse le voir dans d'encore meilleures conditions. Si Warner pouvait nous lire :fiou:
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par Jeremy Fox »

J'ai d'ailleurs oublié de mentionner le happy-end, aussi concis et superbe que le reste : on sort deux sacs de jute, un couteau les déchire, des mains en sortent des poignés de riz que l'on jette sur les mariés déjà sur le départ pour... Tombstone. Le tout en à peine 15 secondes.

Sans dire ni même penser que "c'était mieux avant", j'avoue regretter un tout petit peu ces films allant à l'essentiel quand je vois le nombre de films actuels (surtout dans les blockbusters d'ailleurs) qui n'en finissent pas de finir.
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Message par monk »

Jeremy Fox a écrit : Sans dire ni même penser que "c'était mieux avant", j'avoue regretter un tout petit peu ces films allant à l'essentiel quand je vois le nombre de films actuels (surtout dans les blockbusters d'ailleurs) qui n'en finissent pas de finir.
Je suis vachement d'accord avec ça en ce moment...Je me suis découvert un vrai amour pour les séries B des 50's.
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Re: Le Western américain : Parcours chronologique Part 3 (55

Message par hellrick »

Jeremy Fox a écrit : Sans dire ni même penser que "c'était mieux avant", j'avoue regretter un tout petit peu ces films allant à l'essentiel quand je vois le nombre de films actuels (surtout dans les blockbusters d'ailleurs) qui n'en finissent pas de finir.
A ce propos on annonce 3 heures pour le Django de QT :shock: (bon je suppose qu'il va beaucoup développer ou à peine s'inspirer de l'original mais ce-dernier durait moins de 90 minutes)

Sinon très bon film que Wichita bien sûr...par contre l'Homme du Kentucky j'avais pas trop aimé...pour rester poli :? (pas assez "western" pour moi je pense)
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

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Message par Jeremy Fox »

hellrick a écrit :
Jeremy Fox a écrit : Sans dire ni même penser que "c'était mieux avant", j'avoue regretter un tout petit peu ces films allant à l'essentiel quand je vois le nombre de films actuels (surtout dans les blockbusters d'ailleurs) qui n'en finissent pas de finir.
A ce propos on annonce 3 heures pour le Django de QT :shock: (bon je suppose qu'il va beaucoup développer ou à peine s'inspirer de l'original mais ce-dernier durait moins de 90 minutes)

Sinon très bon film que Wichita bien sûr...par contre l'Homme du Kentucky j'avais pas trop aimé...pour rester poli :? (pas assez "western" pour moi je pense)
Oui mais QT ce n'est pas pareil ; il aime et sait délayer sans jamais m'ennuyer. Là au contraire, ça me plait qu'il fasse long.

J'aime assez le Lancaster par contre. Dans le style western d'aventure familial, c'est nettement meilleur que Davy Crockett je trouve
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