Les frères Boulting

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Les frères Boulting

Message par Profondo Rosso »

Brighton Rock de John Boulting (1947)

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Pinkie Brown est à la tête d’une bande de gangsters dans la cité balnéaire de Brighton. Après avoir assassiné un journaliste qui enquêtait sur eux, Pinkie craint d’être démasqué par une jeune serveuse. Pour l’empêcher de parler, il décide de l’épouser...

Les frères Boulting signent un pur diamant noir avec cette adaptation d'un roman de Graham Greene (au scénario avec Terence Rattigan). On y sera en bien désagréable compagnie avec le héros malfaisant campé brillamment par Richard Attenborough. Celui-ci est Pinkie, gangster aux traits juvénile et à l'âme damnée capable des pires exactions. Chef d'une petite bande de malfrats, il apprend le passage en ville d'un journaliste responsable de la disparition de l'un d'entre eux et décide de lui régler son compte. Le contraste et la crainte inspiré par Pinkie à ses acolytes s'annonce d'emblée quand ceux-ci hésitent à lui annoncer la nouvelle car craignant sa réaction. Et lorsqu'ils se décident à lui dire John Boulting introduit le personnage de la façon la plus inquiétante qui soit, en vue subjective triturant nerveusement un élastique. Cela se confirmera lors de la longue et haletante traque du journaliste où la manœuvre d'intimidation tourne court face aux élans sanguinaire de Pinkie qui trucide sa victime dans un pur moment de cauchemar lors d'un passage dans une attraction de train fantôme.

John Boulting considérait les films noir américain (où Brighton Rock sortira sous le titre de Young Scarface) des "opiacés de la vie" et souhaitait conférer un plus grand réalisme et ancrage social à Brighton Rock. Le cadre ensoleillé de la station balnéaire de Brighton le lui permet et offre un cadre assez inédit pour un film noir. L'intrigue du roman se déroule dans les années 30 et un panneau au début du film nous indique que ce Brighton dangereux et criminel est désormais révolu (plus un moyen pour la production de ne pas s'aliéner la collaboration de la ville qu'une réelle réalité) et cet aspect sert grandement le ton constamment double de l'ensemble. Les atmosphères estivales, la plage et les vacanciers souriants contrastent constamment avec les mines menaçantes du gang, l'environnement typique de film noir (un hôtel sordide qui abrite le gang) alterne constamment avec des vignettes touristiques qui la nuit venue prennent un tour nettement plus inquiétant (voir la remarquable scène finale). Ce contraste fonctionne également dans la nature du personnage principal et de ce qu'il véhicule. Paranoïaque et bafouant tout semblant de moralité, Pinkie malgré toute ses exactions est loin du dur qu'il pense être (aspect encore plus appuyé avec l'interprétation de Sam Riley dans le remake de 2010). Sa panoplie de truand lui sert surtout à intimider ses adversaires et assouvir ses pulsions puisque toute ses victimes seront des faibles et/ou des innocents : le journaliste apeuré en ouverture, l'homme de main Spicer (Wylie Watson) et surtout la malheureuse Rose (Carol Marsh), témoin gênant qu'il va séduire et épouser pour s'en débarrasser en toute tranquillité. La méthode est toujours lâche (voir la manipulation finale sur une Rose pourtant folle d'amour pour lui), renforçant la dimension abjecte du personnage qui balaie d'un revers de la main toute opportunités de rédemption qui s'offriront à lui tout au long du récit.

La thématique annonce aussi une forme de basculement dans l'œuvre des frères Boulting. Le film sort dans une Angleterre d'après-guerre où perdure un idéal de fraternité et d'entraide qui permit à la population de tenir bon pendant les difficiles années de privations du conflit. Sans l'approuver mais également sans faire preuve de la lourde morale qui contrebalance les écarts dans les film noir américains, Brighton Rock nous fait partager l'inconfortable point de vue d'un héros nihiliste qui n'a que faire de ces valeurs, conscient et fier de ses actions néfastes. Le destin, la malchance et les mauvaises rencontres n'ont rien à voir dans l'odyssée noire de Pinkie qui est un monstre, tout simplement. C'est un revirement assez étonnant des Boulting qui avaient pourtant participé à cet élan bienveillant et patriotique avec notamment leur magnifique Thunder Rock (1942). Du coup cela annonce leurs grandes comédies des années 50 (Private Progress, I'm alright Jack, Carlton-Browne of the F.O.) qui useront de la satire pour finalement exprimer cette même idée d'une Angleterre guidée par l'individualisme et dont les élans fraternels se sont arrêtés avec la guerre. C'est un rêve à l'image du splendide final où un disque rayé transforme un message de pure haine en déclaration d'amour illusoire. Un très grand film noir porté par un glaçant Richard Attenborough. 5,5/6
joe-ernst
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Re: Les frères Boulting

Message par joe-ernst »

Profondo Rosso a écrit :Brighton Rock de John Boulting (1947)
Content qu'il t'ait plu, et très jolie chronique ! :wink:
L'hyperréalisme à la Kechiche, ce n'est pas du tout mon truc. Alain Guiraudie
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Profondo Rosso
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Re: Les frères Boulting

Message par Profondo Rosso »

Merci ! Bonne claque vu que je connais surtout les comédies des Boulting ça donne envie de tenter un peu plus leurs thriller. Il faudra que je matte Twisted Nerve dont parle Bruce Randylan en première page depuis le temps que j'ai le dvd qui traîne...
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Jeremy Fox
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Re: Les frères Boulting

Message par Jeremy Fox »

Aujourd'hui, Justin Kwedi nous parle de Heavens Above avec Peter Sellers, film sorti ces jours-ci en DVD chez Tamasa.
Lord Jim
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Re: Les frères Boulting

Message par Lord Jim »

Excellente comédie des frères Boulting mais comme souvent chez eux, une comédie cruelle et pas très optimiste quant à la nature humaine: il n'y a pas grand chose à espérer des hommes, qu'ils soient riches, pauvres, ecclésiastiques, ils sont méchants, racistes, mal honnêtes, profiteurs...la seule "lumière", la seule note d'espoir vient du révérend Smallwood qui est la bonté, la patience incarnée; il aime profondément son prochain, ce qui le rend naïf (mais jamais idiot) voire inconscient: non, tous les hommes ne sont pas comme lui, bien au contraire!
Peter Sellers dans le rôle de Smallwood est touchant (comme il l'était dans le rôle du caricaturale syndicaliste dans "It's alright Jack" des mêmes frères Boulting), tout à fait remarquable de retenue (eh oui, ça arrive!); il parvient à incarner physiquement cette bonté par son visage et sa voix douce. Le reste de la distribution n'est pas en reste où on retrouve des têtes connues, des habitués de la comédie brittonne des années 40-50-60: Eric Sykes, Irene Handl, Cecil Parker, Ian Carmichael, l'excellent Kenneth Griffith et la tronche pas possible de Miles Malleson.
Mon seul reproche à ce film: une fin déconcertante et à mon avis franchement trop "décalée" avec le reste du récit. Mais une comédie qui vaut le coup d'être découverte.
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Profondo Rosso
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Re: Les frères Boulting

Message par Profondo Rosso »

Oui tout à fait la différence avec les autres comédies des Boulting étant que ces dernières restent dans la farce jusqu'au bout, là avec le très beau personnage de Peter Sellers, sa bienveillance et sa naïveté on va vers quelque chose de plus noir et dramatique dans la dénonciation. Après la pirouette finale permet de conclure sur une note plus légère même si un peu décalée du reste c'est vrai.
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Jeremy Fox
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Re: Les frères Boulting

Message par Jeremy Fox »

Heavens Above! 1963

Suite à une erreur administrative, l'arrivée inopinée d'un aumônier très tolérant dans une petite ville d'Angleterre en lieu et place de l'ecclésiastique attendu. Voulant faire le bien, il va se heurter aussi bien aux notables qu'à ceux qu'il souhaitait sortir de la misère (aussi bien morale que matérielle)...

Vision très pessimiste de la société au sein d'une comédie souvent très drôle portée à bout de bras par un excellent Peter Sellers qui n'en fait ici jamais des tonnes. Son pasteur fortement humain (le seul protagoniste foncièrement bon) est peut-être l'un de ses rôles les plus attachants. Attention, aucune bondieuserie dans cette comédie finalement assez sarcastique qui patine un peu dans le dernier quart après néanmoins nous avoir fait rire, sourire et grincer des dents durant presque toute sa durée. Rythme soutenu, belle photographie, excellente partition de Rodney Bennett pour une comédie anglaise qui touche à son but : faire rire sans oublier la profondeur de son sujet.

Décidément, je redécouvre la comédie anglaise en ce moment, paradoxalement surtout par le biais des autres studios que le plus célèbre d'entre eux, la Ealing, compagnie qui m'avait en fait plutôt détourné du genre jusqu'à présent.
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Kevin95
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Re: Les frères Boulting

Message par Kevin95 »

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THE LAST WORD (Roy Boulting, 1979) découverte

L'élément le plus étonnant de The Last Word est sans doute la jaquette fantaisiste de la VHS française vendant un polar sec et nerveux avec un acteur en visuel, inconnu au bataillon, sous le titre : Cop, le justicier. De l'arnaque pure et magnifique quand on sait que le film de Roy Boulting est une comédie dramatique en pantoufles autour d'un quinqua (ou plus) qui ne veut pas déménager de son appartement pas extra (en matière de nervosité ça se pose là). Voilà donc le film, pas folichon, qui essaye de masquer sa naïveté fatigante derrière les codes du cinéma de Frank Capra. Rien ne décolle car tout est fait sans trop d'effort, le personnage du papy inventeur n'est jamais touchant, sa tentative de garder son appart n'est jamais justifiée et sa "prise d'otage" est d'une mollesse incroyable : je regarde la télé, je parle aux flics, je regarde la télé, je téléphone, je regarde la télé (...) je sors de l'appart, je garde la pose pour le freeze du générique de fin. Boulting pense à la retraite, torche le film en deux coups de cuillère, Richard Harris a un bob et Karen Black joue une contrefaçon du personnage de Barbara Stanwyck dans Meet John Doe, sans aucune finition. La sieste me gagne, oui je dors très mal en ce moment.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Profondo Rosso
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Re: Les frères Boulting

Message par Profondo Rosso »

The Guinea Pig (1948)

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Jack Read, un jeune homme issu de la classe ouvrière, gagne une bourse pour étudier dans une "public school". Il sert en fait de cobaye (guinea pig en anglais) pour une expérience éducative à la suite du rapport Fleming. Il va devoir faire face aux réactions des élèves et des enseignants, tous issus de la haute bourgeoisie ou de l'aristocratie.

L'après-guerre vit une forte remise en question du modèle social et notamment du clivage de classe si marqué au sein dans cette société anglaise. La comédie noire avec Noblesse Oblige ou le film noir tel Brighton Rock (1947) furent des œuvres abordant ce thème en creux et The Guinea Pig se distingue par son approche se faisant sous l'angle de l'éducation. Le film est adapté de la pièce éponyme écrite par Warren Chetham-Strode et jouée entre février 1946 et juin 1947 au Criterion Theatre de Londres. Warren Chetham-Strode s'inspira de faits réels pour son récit. En 1942, un rapport sur le système éducatif anglais évoque la nécessité de changements et notamment le rapprochement entre l'école publique et le General Education Board (organisation philanthrope soutenant l'enseignement supérieur) et il en résulte deux ans plus tard une volonté d'intégrer 25 % d'enfants des classes populaires à des établissements réservés au nantis. Malheureusement cette initiative va tourner court, le gouvernement attendant de voir les régions investir dans le projet et inversement. Warren Chetham-Strode avec sa pièce illustre donc ce que donnerait une telle expérience par la fiction.

Jack Read est un adolescent de 14 ans (Richard Attenborough en ayant en réalité 25) issu d'un milieu ouvrier qui se voit intégrer à la prestigieuse Saintbury School. Il est le cobaye d'une expérience éducative dont l'échec ou la réussite déterminera ce changement de paradigme qui bousculera ce clivage de classe dans le secteur de l'éducation. L'histoire met en parallèle la difficile intégration de Jack au sein de l'école avec en parallèle la remise en question des modèles d'éducation et d'autorité au sein de l'établissement. Là vont s'opposer Lloyd Hartley (Cecil Trouncer) directeur installé depuis 30 ans aux idées obtuses qui verre d'un mauvais œil ces changements, et Nigel Lorraine (Robert Flemyng) jeune enseignant et ancien vétéran aux idées plus progressistes qui sera un grand soutien pour Jack. On découvre donc cette école et ces codes, la déférence aux aînés "tuteur" qui ont droit d'autorité et de châtiments corporels sur les plus jeunes, le bizutage humiliant dont bénéficient les nouveaux venus et les multiples règles de bienséances inconnues de notre héros. Cet environnement inconnu s'avère oppressant pour Jack (qui quitte son foyer familial pour la première fois) tant par son système complexe que par la manière dont il semble pris de haut par les élèves de statut social supérieur (notamment sur certaines matières lui étant inconnues comme le français ou le latin). C'est la partie la plus captivante notamment grâce au jeu très habité et vulnérable de Richard Attenborough qui s'avère particulièrement touchant. On pense notamment à cette première nuit où il tente de fuguer du dortoir de l'école, rattrapé par Lorraine auprès duquel il fond en larme. Il va cependant s'accrocher et trouver peu à peu sa place. Il est dommage que le film joue de l'ellipse et ne développe pas davantage ou en tout cas autant l'intégration de jack et son rapport aux autres que cette opposition initiale.

Le scénario développe davantage l'opposition idéologique des adultes dans une veine qui anticipe Cette sacrée jeunesse (1950) ou Les Belles de St Trinians (1954) de Frank Launder qui abordaient également les mues éducatives et sociales mais sous l'angle de la comédie. Dans ces films l'accent était mis également sur les professeurs/mentors plutôt que les élèves et ici hormis Jack ils ne sont guère caractérisés. C'est un peu dommage d'autant que l'on est loin de la noirceur d'un The Browning Version d'Anthony Asquith (1951) et son professeur en échec, puisqu’ici la démarche même de la pièce et du film amène à une bienveillance naïve qui verra chacun évoluer dans le bon sens. Lloyd Hartley n'est pas bousculé dans ses certitudes par les progrès de Jack, mais plutôt par un échange avec son père qui salue le changement qu'a amené l'école chez son fils en termes d'assurance, d'esprit du collectif. Il y a là une réminiscence militaire de l'éducation (logique au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale) très discutable désormais et qui le sera notamment dans un film comme If de Lindsay Anderson (1968) qui semble d'ailleurs détourner sciemment les codes esthétiques et situationnels supposés "positif" de The Guinea Pig pour inciter à la rébellion (déjà amorcée par l'humour dans les films de Frank Launder). Les bonnes intentions ont un peu altéré le ton incisif des frères Boulting sur ce film dont on saluera néanmoins les velléités progressistes louables et une émotion qui fonctionne néanmoins dans sa belle conclusion. 4,5/6
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Barry Egan
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Re: Les frères Boulting

Message par Barry Egan »

I'm All Right Jack

Alléché par l'idée de regarder une comédie sur le monde du travail souvent citée en même temps que "L'homme au complet blanc" et de retrouver Peter Sellers, j'ai été conquis par les gags qui commencent au premier plan et s'arrêtent au dernier. Le héros est attachant, et il est très bien soutenu par une distribution de caractère (dont Peter Sellers presque à contre-emploi et qui prouve encore quel interprète incroyable il était). Pas mal de répliques cinglantes, dont une plagiée par Coluche dans les années 80 ("Les syndicalistes ont tellement l'habitude de ne rien faire que lorsqu'ils font grève, ils appellent ça une journée d'action !"). Fin jubilatoire. Un régal !
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Jeremy Fox
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Re: Les frères Boulting

Message par Jeremy Fox »

The Guinea Pig de Roy Boulting, le "British Kwedi" de ce vendredi
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Profondo Rosso
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Re: Les frères Boulting

Message par Profondo Rosso »

Un article intéressant sur les Boulting sur le site Fucking Cinephiles http://fuckingcinephiles.blogspot.com/2 ... lting.html
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