Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

Je trouve que cet acteur génial devait avoir droit à son propre topic avec le grand nombre de critiques qu'il y a maintenant sur le site.

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Il naît dans une famille russe de propriétaires terriens aisés. Son père souhaite qu'il fasse son droit, mais, il quitte la faculté après 2 ans. Son père s'oppose à sa vocation d'acteur. Il quitte sa famille et entre au théâtre de Kiev. Sa carrière progresse rapidement et il devient une des stars au théâtre de Moscou où il interprète tous les grands classiques (Ibsen, Shaw, Gogol, Tourgueniev...) Il fait ses débuts au cinéma dès 1911 car en Russie, toutes les grandes firmes -pathé, Vitagraph, Nordisk- ont déjà des agences. On remarque dès ses premiers films sa capacité de passer du rire au larme. Il tourne pour le réalisateur polonais Starewitch et le russe Protazanoff surtout des adaptations littéraires des grands chefs d'oeuvre de la littérature russe.
[Chez Bach Films, on trouve en DVD La Dame de Pique (1916) et Le Père Serge (1917) dans des copies médiocres, hélas!]
Mais la révolution russe est arrivée. Le producteur Ermolieff transporte ses studios à Yalta, en Crimée. Mais, rapidement, la situation se dégrade également à Yalta. En 1920, Ermolieff et toute sa troupe émigre en France via Constantinople. Ils s'installent dans des studios à Montreuil-sous-Bois et y resteront juqu'à la fin du muet. La Cie Ermolieff deviendra Albatros. Les premiers films tournés en France sont: L'Angoissante aventure (1920) et Justice d'Abord (1920) de Protazanoff. Puis vient L'Enfant du Carnaval dont il écrit le scénario. Il devient réalisateur pour Le Brasier Ardent (1923), un film étonnant qui mélange avant-garde, comique et dérision. Sa partenaire dans un grand nombre de films est son épouse [en fait ils n'étaient pas mariés devant M. le maire, bien que cela soit mentionné dans de nombreux ouvrages], l'actrice Nathalie Lissenko.
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C'est le début d'une série de films qui lui offre des rôles à sa mesure tel le Kean (1924) de Volkoff qui est une adaptation de la pièce d'A. Dumas sur le grand comédien anglais.
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En voyant le film, on ne peut s'empêcher de penser au Frédéric Lemaître de Pierre Brasseur. Je suis persuadée que le film a sûrement eu un impact sur Marcel Carné et son interprète. Kean meurt par une nuit de tempête dans un petit pavillon veillé par son souffleur (Nicolas Koline) et la femme qu'il a aimé sans retour. Une séquence du film est célèbre pour son montage rapide quand il danse habillé en marin dans une taverne (Coal Hole Inn). La même année, il est dans Les Ombres qui passent (1924) un autre film de Volkoff absolument admirable. Il y est Louis Barclay, un jeune anglais dominé par son père qui lui lit tous les soirs Thoreau et l'oblige à vivre au grand air, à traire les vaches. Bien que marié, il vit comme un petit garçon sous la domination de ce père omnipotent. Tout va changer quand il reçoit une lettre lui annonçant un héritage substantiel. Il part pour Paris habillé d'un nouveau costume fort mal ajusté (trop court tel Buster Keaton, une de ses grandes influences) où il suscite l'hilarité dans le grand hôtel où il séjourne. Il devient la proie d'escrocs qui lui envoie leur meilleure arme, la dangereuse Jacqueline (Nathalie Lissenko). Louis tombe amoureux quasiment instantanément, ouble famille, héritage et son épouse pour poursuivre cette sirène qui est elle aussi éprise de lui. Le film se termine en tragédie. La transition comédie-tragédie est absolument formidable.
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En cette année 1924, il tourne avec Marcel L'Herbier Feu Mathias Pascal d'après Pirandello qui lui offre un rôle en or. Mathias Pascal est victime d'une belle-mère acariatre et d'une épouse non moins désagréable. Sa vie serait infernale si il n'y avait leur enfant qu'il adore. Las, l'enfant meurt ainsi que sa mère. Il décide de quitter sa petite ville Toscane pour Rome et y refaire sa vie. ce très long film (155 min) est un des chefs d'oeuvre de L'Herbier et il doit beaucoup à Mosjoukine. Son désespoir à la mort de son enfant est réellement palpable.
Après cette série de films, il tourne maintenant de grands productions comme le Michel Strogoff (1926) de Tourjansky puis le Casanova (1927) de Volkoff. Ce dernier est tourné à Venise. Il reçoit alors une offre de Hollywood et n'y résite pas. ce sera un échec. Il ne tourne qu'un seul film, Surrender (1927) de Edward Sloman. Puis, il part pour l'Allemagne où il continue à faire quelques films à grand spectacle comme Der Weisse Teufel (1930) tiré de Tolstoï. Mais, le parlant arrive qui va complètement laminer Mosjoukine. Il parle le français avec un fort accent russe. Il n'obtient plus que de petits rôles. Et en 1939, oublié et sans la sou, on le ramasse sur un banc à Neuilly. Il est emmené à l'hôpital où il meurt.
Pour vous resituer l'importance de Mosjoukine, je vais vous citer les propos de Charles Vanel qui fut son ami et son partenaire:
"Mosjoukine me plaisait beaucoup, d'abord il avait du talent et ensuite, parce que contrairement à beaucoup, il avait une haute idée du cinéma. Il pensait qu'on était à la veille de voir naître une véritable littérature cinématographique....
Un jour en allant sur la tombe de mon père, au cimetière de Neuilly, je vis celle qui était à sa tête et qui m'attira par son dénuement. Il n'y avait qu'une pauvre croix de bois, à moitié pourrie déjà, et sur laquelle difficilement je lus 'Ivan Mosjoukine'...j'en fus retourné. je sais bien que les artistes tombent dans l'oubli. Tout est périssable. Mais tout de même... ce fou généreux, cette idole, qui avait brûlé toute sa vie pour le public, ce très grand acteur qui refusait de se faire doubler dans les exercices les plus périlleux: dans son premier Casanova (1927) il se battait seul contre douze en grand épéiste...
"

Je dois ajouter que Mosjoukine combine la puissance de l'acteur de théâtre et celle d'un vrai homme de cinéma qui joue avec son corps tel un Fairbanks. Il est acrobatique ou intime. Un vrai grand acteur comme le dit Vanel. Espérons que certains de ses films français seront un jour disponibles en DVD. :)

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La Maison à Kolomna (Domik v Kolomne, 1913) de Petr Chardynin avec Ivan Mosjoukine, Praskovia Maksimova et Sofia Goslavskaia
Image (I. Mosjoukine)
Une veuve (P. Maksimova) vit seule avec sa fille Parasha (S. Goslavskaia). Celle-ci flirte avec un bel officier (I. Mosjoukine) pendant que sa mère dort. Quand elle lui demande de trouver une nouvelle cuisinière, Parasha aide l'officier à se déguiser en femme. Mavrushka (I. Mosjoukine) est embauchée...

J'ai été très agréablement surprise par cette charmante comédie basée sur un poème de Pouchkine. Elle démontre que les russes savaient aussi faire du cinéma comique. Ivan Mosjoukine montre tout son talent en personnifiant la cuisinière Mavrushka. Portant jupe, fichu et tablier par dessus son pantalon et ses bottes, il campe un travesti très réussi. Mais, le film ne tombe pas dans la grivoiserie ou l'effet facile. Il y a une délicieuse scène où Mavrushka aide Parasha à se dévêtir sans qu'il n'y ait de sous-entendus. Mosjoukine semble s'amuser comme un fou alors qu'il allume sa pipe en l'absence de la veuve. Mais, celle-ci le découvre en train de se raser et elle tombe en pâmoison. :mrgreen: Morale de l'histoire: "Voici ce qui arrive quand on veut trouver une cuisinière qui ne coûte pas trop chère!" :uhuh: Le film est tourné pour la plupart en plan général sauf pour le plan moyen montrant Mosjoukine fumant la pipe. Il est bien composé alternant scènes en extérieur et studio. Une charmante pépite.

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L'angoissante aventure (1920, Y. Protozanov) avec Ivan Mosjoukine et Natalie Lissenko

Octave de Granier (I. Mosjoukine) veut éloigner une actrice (N. Lissenko) que courtise son frère. Mais ce faisant, il tombe lui même dans les filets de la sirène. Il l'épouse et est répudié par son père. Commence une nouvelle existance pour Octave, en tant que mari d'une vedette venue d'un autre monde...

Ce film du catalogue Albatros (en fait Ermolieff) tient une place spéciale dans leur production. Il s'agit du premier film tourné par Mosjoukine en France. La troupe Ermolieff, fuyant la Révolution, a quitté Yalta pour prendre le bateau à Constantinople. Ils arriveront à Marseille où commencera le tournage du film. Le scénario du film est assez décousu, et on peut penser que le scénario a été plus ou moins improvisé en cours de route. On aperçoit des plans de Constantinople ainsi que de très belles scènes tournées à Marseille. Mosjoukine et Lissenko sont filmés sur le pont transbordeur au dessus du port de Marseille offrant une vue imprenable sur la ville. Mosjoukine tire son épingle du jeu grace à son charme et à son humour. Il se démène comme un beau diable avec cette actrice capricieuse et jalouse ; il est tour à tour timide, humilié et désespéré. Lissenko n'est pas en reste en reine du music hall, puis du grand écran. Les quelques scènes de tournage en studio (un film dans le film) sont d'ailleurs très réussies. On ne peut que regretter que le scénario soit aussi décousu. Et le final semble être là uniquement pour éviter au film une fin tragique: Octave se réveille chez lui et se rend compte qu'il a eu un cauchemar. Le metteur en scène Yakov Protozanov avait déjà tourné plusieurs films avec Mosjoukine avant la Révolution (Le Père Serge et La Dame de Pique tous deux disponibles chez Bach Films dans des versions accélérées). Il feront ensemble aussi Justice d'Abord (1921) dont il ne reste qu'une copie incomplète que j'ai pue voir à Pordenone (le film est un mélo bien mené et excellemment interprété par Mosjoukine qui en tant que procureur doit envoyer à la guillotine la femme qu'il aime). Mais contrairement aux autres metteurs en scène russes émigrés en France, Protozanov retournera en URSS où il tournera Aelita (qui a été chroniqué récemment sur le site). Cette angoissante aventure vaut surtout grace à la présence magnétique de Mosjoukine.

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L'Enfant du Carnaval (1921, Ivan Mosjoukine) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Paul Ollivier

Octave de Granier (I. Mosjoukine) est un noceur patenté qui fait la fête tous les jours au milieu du carnaval niçois. Un jour en rentrant au matin, fort éméché, il trouve un bébé abandonné devant sa porte. Il ramasse le nourrisson et se transforme en papa-poule...

Ce film réalisé par Mosjoukine a été tourné à Nice. Il a lui même écrit le scénario du film qui combine des éléments du mélodrame à la française avec du comique et une touche tragique typiquement russe. Visuellement, le film profite de l'excellent travail de F. Bourgassoff, un superbe opérateur russe. Une séquence délicieuse montre une ligne de noceurs -très éméchés- en goguette en ombres chinoises sur la Promenade des Anglais. Mais, c'est Mosjoukine qui fait vivre le film avec son talent habituel. Son charisme illumine l'écran alors que le fêtard -qui rentre en dansant, sous le regard désapprobateur de son domestique (P. Ollivier excellent)- se transforme en père attentif qui pouponne l'enfant trouvé. On pense au Kid (1921) de Chaplin -sur un mode mineur- en voyant son intéraction avec le jeune acteur. Nathalie Lissenko, la mère abandonnée dans le dénuement, est engagée comme nurse de l'enfant et un tendre sentiment s'établit entre la bourgeoise déchue et le marquis noceur. Mais, le film évite une conclusion heureuse retrouvant là les origines russes de son auteur. Octave va se retrouver seul alors qu'il pensait que le bonheur était tout proche. Mosjoukine montre avec ce film non seulement son talent d'interprète, mais aussi son talent de metteur en scène avec cette ouverture où il tire le rideau révélant un vaste panorama du Carnaval Niçois, tel un magicien évoquant un conte pour adultes. Un très joli film. La copie de la Cinémathèque est malheureusement peu contrastée et très granuleuse.

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La Maison du Mystère (1922) de Alexandre Volkoff [en 10 épisodes] 1ère Partie
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Julien Villandrit (Ivan Mosjoukine)

Résumé des 3 premiers épisodes *Attention Spoilers*

1- L'Ami félon -2- Le Secret de l'étang -3- L'Ambition au service de la haine

Julien Villandrit (Ivan Mosjoukine) est épris de Régine (Hélène Darly). Timide de nature, il a du mal à faire sa demande en marriage. Mais, les parents acceptent facilement. Il repart éperdument amoureux et heureux. En chemin il croise son ami d'enfance, le sombre Corradin (Charles Vanel) qui etouffe de jalousie en apprenant son marriage imminant avec la femme qu'il aime lui aussi. Julien et Hélène sont maintenant marrié depuis 7 ans. Une petite fille, Christiane est née. Le vieux banquier Marjory vient souvent visiter Hélène. Corradin en profite pour insinuer à Julien que le vieux pourrait être l'amant de sa femme. D'autant plus que la filature que dirige Julien va mal finacièrement et que Marjory lui prête régulièrement de fortes sommes d'argent. Corradin subtilise une lettre de Marjory à Régine -qui pourrait être mal interprétée- et la laisse en évidence dans les appartements de Julien. Furieux et jaloux, il se précipite chez Marjory, le menace et tente de l'étrangler. Marjory lui avoue alors être le véritable père de Régine. Il est mal en point et Julien se précipite pour chercher de l'aide. Quand il revient, Marjory n'est plus à la même place et il est mort. Tous les indices sont contre Julien qui devient le suspect numéro 1. Mais le bûcheron Rudeberg (Nicolas Koline) a pris des photos de Corradin en train de frapper et de tuer Marjory. Il fait chanter celui-ci. Corradin récupère les clichés et les brûle. Mais, il réalise qu'il n'a pas la négatif. Pendant ce temps, Julien échappe à la surveillance des gendarmes. Il se cache dans le parc de son château. Corradin a drogué Rudeberg et met le feu à sa cabane en espérant le faire disparaitre ainsi que les preuves le compromettant. Julien aperçoit les flammes et sauve in extremis Rudeberg. Corradin se rend compte que les négatifs sont dans un tabouret que le bûcheron garde près de lui....

Si je vous ai raconté le film dans ses moindres péripéties, c'est que ce film à épisodes est basé sur un roman populaire de Jules Mary qui fut un grand succès lors de sa parution en épisodes dans Le Petit Parisien. Volkoff et Mosjoukine en assure l'adaptation qui se veut fidèle. Comme le résumé le suggère, il contient tous les ingrédients indispensables: jalousie, meurtre, naissance cachée, etc. Dès les premières images, Julien est présenté comme un garçon sensible et intègre. Mosjoukine lui donne une épaisseur comique et romantique typiquement russe, au meilleur sens du terme. Il faut le voir sauter sur la selle de son cheval et attérir debout sur celle-ci! :shock: Après avoir embrassé sa bien-aimée, il se laisse aller à une exubérance tout Keatonienne: galipettes, jouant à saute-mouton, etc. Charles Vanel est l'ami félon qui dès le début du film apporte le malaise. Nous le découvrons alors qu'il effrait un mendiant sans défense avec un molosse à l'allure féroce. Il marche dans les sous-bois épiant Hélène et son ami. La violence est à fleur de peau chez lui dans son jeu tout intérieur et calme en apparence. Nicolas Koline -qui interprète très souvent des roles comiques avec talent y compris dans le Napoléon d'Abel Gance- est le bûcheron amateur de photographie qui va se trouver sur le chemin de l'affreux Vanel. Si les situations sont stéréotypées, le film lui avance avec un rythme souple prenant le temps de bien situer chaque personnage. La cinématographie de Joseph-Louis Mundwiller est remarquable. Le marriage de Julien est traité en ombres chinoises avec tous les personnages en silhouettes comme dans un dessin animé de Reiniger.
Vanel ne reculera devant rien pour détruire Mosjoukine et les épisodes suivants seront surement plein de nouveaux rebondissements. A suivre! :wink:

La Maison du Mystère (1922) Alexandre Volkoff 2ème Partie

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Julien bagnard (I. Mosjoukine) et tournage de l'évasion du bagne.
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(à G.) Julien clown (à D.) Corradin (C. Vanel) Régine (H. Darly) Christiane (F. Mussey) et Pascal (V. Strijevsky) rient en voyant le numéro de Julien.

Episodes 4-L'implacable verdict -5-Le Pont Vivant -6-La Voix du Sang -7-Les Caprices du destin

Corradin (C. Vanel) cherche toujours à retrouver les clichés compromettants mais Rudeberg (N. Koline) est plus malin que lui. Corradin repère la cachette de Julien (I. Mosjoukine) dans une ancienne citerne et écrit une lettre anonyme pour le dénoncer à la police. Il est arrêté et condamné à 20 ans de travaux forcés. 7 ans passent. Corradin essaye toujours vainement de séduire Régine (H. Darly). Elle le repousse. Le bûcheron Rudeberg travaille dans les serres du château et l'éducation de son fils est payé par Corradin. Christiane (Simone Genevois) a maintenant 10 ans et elle déteste Corradin. Régine de son côté a reçu une lettre de Julien apportée par un bagnard. Il lui dit de se méfier de Corradin.
Régine relit les journaux de l'époque du procès de Julien puis consulte les pièces du dossier chez le juge. Elle trouve la lettre anonyme et comprend que Corradin en est l'auteur, mais ne peut le prouver. Julien s'évade du bagne sur un train avec quelques co-détenus. Ils traversent ravins et rivières. Julien est blessé par une balle mais réussit à rejoindre la mer où il prennent un petit bateau. Corradin apporte à Régine un journal annonçant la mort de Julien lors de son évasion.
Rudeberg se promène dans les ruines d'une abbaye et Corradin le suit révolver au poing pour le tuer. Il tombe sur un vagabond et le laisse partir. Il n'a pas reconnu Julien qui est méconnaissable avec sa barbe et ses cheveux longs. Chemin faisant, Julien rencontre la petite Christiane (Simone Genevois) qui elle reconnaît son père. Il lui fait jurer le secret sur leur rencontre. La guerre de 1914-1918 éparpille les destinés.
Après à la guerre, Corradin harcèle toujours Régine. Christiane (F. Mussey) est maintenant une jeune femme amoureuse de Pascal (V. Strijevsky) le fils de Rudeberg. Julien ayant été démobilisé est embauché comme clown dans un cirque. La famille complète s'amuse de son numéro sans le reconnaître. Il quitte le cirque brusquement et se fait embaucher sous un faux nom comme contremaître dans sa propre usine dirigée par Corradin. Il veut prouver son innocence une bonne fois pour toute....

Comme vous pouvez le voir, les péripéties sont nombreuses et inattendues! Vanel raconte que Mosjoukine attrapa la fièvre typhoïde durant le tournage et perdit tous ses cheveux. Il continua néanmoins à tourner malade. Son crane chauve fut utilisé pour son rôle de bagnard. Les séquences de l'évasion sont pleines de suspense et de morceaux de bravoure comme la traversée d'un ravin où les bagnards s'accrochent à des cordes pour offrir à Julien un pont de leur corps. :shock: Les retrouvailles entre le père et la fille sont également un grand moment d'émotion, sans aucune mièvrerie. La petite fille de 10 ans qui joue le rôle de Christiane est Simone Genevois qui en 1928 sera Jeanne d'Arc dans le film de Marco de Gastyne. Mosjoukine montre l'étendue de son talent passant du bagnard, au vagabond puis au clown triste d'un cirque ambulant. Toujours juste et émouvant. La suite au prochain numéro!

La Maison du Mystère (1922) Alexandre Volkoff Dernière partie

Episodes -8-Champs clos -9-Les angoisses de Corradin -10-Le triomphe de l'amour

Julien, grimé en vieil homme, est employé comme contremaître dans l'usine dirigée par Corradin. Sa fille Christiane se doute de son identité et elle l'emmène dans la pièce du château où sa mère et elle conservent le souvenir de leur père. Julien se découvre devant elles deux. Ils décident de se retrouver loin de Corradin sur la Côte d'Azur. Mais Corradin croit reconnaitre Julien dans le train et il décide d'arriver sans prévenir sur la Côte. Corradin et Julien se battent avec une violence inouïe et finalement Julien est poussé dans le vide par Corradin qui le croit mort. Il réussit à s'accrocher à une branche avant de chuter lourdement sur un pic rocheux. Il est remonté, blessé mais vivant.
Corradin écrit une lettre au procureur pour lui annoncer que Julien est vivant. Il menace de l'envoyer si Régine n'accepte pas de l'épouser. Mais, Corradin a maintenant aussi des vues sur Christiane qui lui rappelle la jeune et fraîche Régine qui a maintenant vieilli. Christiane terrifiée est prête à accepter le marché pour sauver son père mais Pascal s'interpose. Puis Rudeberg, qui possède toujours les preuves de la culpabilité de Corradin, lui offre un marché: il récupère les preuves mais il laisse Pascal et Christiane tranquilles. Corradin acquiesce. Mais, la nuit tombée, il suit Rudeberg parti chercher les clichés et le balance dans le vide. Il récupère les clichés sur son corps et les détruit. Mais, il n'a pas la lettre d'aveux qu'il lui avait signé... [si vous voulez voir le film, éviter de lire le reste :wink: ]
Spoiler (cliquez pour afficher)
Les préparatifs du mariage de Corradin et Christiane avancent. Le vieux Rudeberg a survécu à sa chute mais il est paralysé. Pascal désespéré décide de se suicider et Christiane le suit. Julien les sauvent juste à temps de la noyade. Le vieux Rudeberg se suicide pour permettre à la lettre qu'il a laissé en dépôt au notaire d'arriver dans les mains de Régine. Elle contient la preuve de la culpabilité de Corradin. Celui-ci tente une dernière manoeuvre en arranguant les ouvriers pour arrêter Julien le bagnard en fuite. Mais, Julien le confronte avec la preuve. Il est fini et il avoue.
Pour les 3 derniers épisodes, tout se précipite. Le combat à mort entre Vanel et Mosjoukine est d'une violence rare et laisse une pièce dévastée. Ils reçoivent une bibliothèque entière sur le corps! On se demande d'ailleurs à quel point les coups sont réels ou non. Vanel raconte que entre les prises, il se battait fréquemment avec lui pour le plaisir... En tous cas, le personnage de Corradin est vraiment un des pires monstres que l'on puisse imaginer et Vanel le rend crédible avec ses larges épaules et son sourire féroce. Mosjoukine est aussi 'physique' que lui dans les scènes d'action qui sont nombreuses dans cette dernière partie. Ce 'sérial' est aussi palpitant que ceux de Feuillade avec ses déguisements et ses péripéties. J'aimerais beaucoup le voir sur grand écran avec une musique appropriée. 8)

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Le Brasier Ardent (1923, Ivan Mosjoukine) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Nicolas Koline

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Une femme (N. Lissenko) fait un cauchemar affreux où elle croise un homme sous diverses identités. Son époux (N. Koline) plus âgé craint de la perdre et embauche un détective (I. Mosjoukine) pour l'aider à recouvrer son 'âme'...

Si mon résumé paraît obscur, c'est qu'Ivan Mosjoukine avec ce film crée un OVNI cinématographique qui ne correspond à aucun genre précis du cinéma français de l'époque. Il utilise les clichés du mélo mondain (avec le mari âgé, la femme et l'amant), les décors surréalistes et une dose de parodie de sérial à la Feuillade. Contrairement à ce qu'un générique entaché d'erreurs indique, le film est bel et bien l'oeuvre de Mosjoukine lui-même. Alexandre Volkoff n'y a pas participé. Et l'opérateur Mundwiller s'appelle Joseph-Louis et non pas Jean-Louis. Pour cette projection, nous avons pu voir un tirage teinté et viré réalisé par la Cinémathèque Royale de Belgique. J'avais déjà vu le tirage N&B de la Cinémathèque et cette nouvelle copie apporte certainement une nouvelle profondeur au film. Les séquences du cauchemar gagnent en intensité avec leur flamboiement rouge-orangé. Seuls les virages bleu pour les scènes nocturnes sont décevants car l'image perd tout contraste. Cette oeuvre de Mosjoukine réussit à conjuguer l'effroi et le comique. Il joue habilement de son physique magnétique et se travestit sous de multiples identités. De l'homme enchaîné sur un bûcher qui tire par les cheveux Nathalie Lissenko au noceur suprêmement élégant qui passe au milieu d'une foule de femmes droguées à l'opium, il habite l'écran comme peu save le faire. Certes, le film a une hétérogénéité certaine. D'ailleurs, il ne fut pas un succès lors de sa sortie. Il contient des éléments avant-gardistes comme le montage rapide (à l'instar de La Roue qui sortit quelques mois auparavant) qui sont utilisé à bon escient. Une des meilleures scènes est celle du bouge de Montmartre où Mosjoukine assis au piano joue un air endiablé et propose 1000F à celle qui arrivera a tenir la cadence en dansant. Les 'apaches' jettent leurs compagnes sur la piste. Et s'en suit une scène au rythme infernal qui hier soir prenait un relief particulier avec le superbe accompagnement du pianiste britannique Neil Brand. Et c'était certainement un des clous de la soirée. Pour ceux qui n'ont pas la chance d'aller à Pordenone ou dans d'autres cinémathèques, le jeu tout en nuances de Neil Brand a dû être une découverte et un plaisir. Il faut bien le reconnaître, en France, nous n'avons pas d'accompagnateurs de cette trempe et de ce professionnalisme. Il apporte au film ce qu'il faut de dynamisme et sait chuchoter quand il le faut. Il sait reconnaître immédiatement le plus petit changement d'atmosphère dans une scène et le met en musique. Une très bonne soirée.
Les captures d'écran que vous voyez sont issus d'un enregistrement sur Ciné-Classic. Hier soir, on nous a annoncé que certains films Albatros seront diffusés sur Arte (mais sans dire lesquels).

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Image (I. Mosjoukine & N. Koline)

Kean, ou Désordre et Génie (1924) d'Alexandre Volkoff avec Ivan Mosjoukine, Nicolas Koline et Nathalie Lissenko

Le célèbre acteur shakespearien Edmond Kean (I. Mosjoukine) est amoureux de la comtesse de Koefeld (N. Lissenko) qui est l'épouse de l'ambassadeur du Danemark. Elle est aussi la maîtresse du Prince de Galles...

Cette biographie de l'acteur Edmund Kean (1789-1833) est une adaptation de la pièce qu'Alexandre Dumas écrivit pour un autre grand acteur Frédéric Lemaître en 1836. La vie turbulente de l'acteur anglais était du pain béni pour les auteurs romantiques français qui cherchaient à s'échapper des conventions du théâtre classique français. Shakespeare était aux antipodes de notre théâtre néo-classique racinien. Il représentait le bruit, la fureur, la vulgarité et l'explosion des sentiments en scène. De même, l'arrivée des immigrés russes dans le cinéma français des années 20 apportent une bouffée d'oxygène dans notre cinéma hexagonal. Ivan Mosjoukine est leur figure de proue avec son magnétisme, son athlétisme et ses qualités protéiformes. Il n'est pas étonnant qu'il ait voulu interprété le rôle de Kean, un artiste, comme lui, qui vivait le moment présent au risque de bruler la chandelle par les deux bouts. Produit par la Sté Albatros, le scénario du film modifie considérablement la pièce originale de Dumas. Il n'y aura pas de fin heureuse : Kean va mourir par une nuit d'orage. Ce recentrage de l'intrigue vers le destin tragique de Kean est une brillante idée. Mosjoukine (qui a participé à l'écriture du scénario) peut y déployer ses talents complets d'interprète. Kean est une idole des planches londoniennes. Toutes les femmes sont folles de lui. Mais, après la représentation, il se retrouve seul avec son seul ami, le souffleur Salomon (N. Koline) qui est son homme à tout faire. Au lieu de passer la soirée dans la bonne société, il part s'encanailler, habillé en marin, dans un bouge 'The Coal Hole Tavern' buvant des litres de rhum et dansant jusqu'au matin. Cette scène de la taverne est l'occasion pour Volkoff de réaliser la meilleure séquence du film. Avec un montage rapide et accéré, nous observons Kean dansant la gigue avec les clients. Alors que la cadence s'accélère, les bouteilles se mettent à danser sur les étagères et la folie semble s'emparer de tous. Reprenant, le système du montage rapide créé pour La Roue (1923), Volkoff l'utilise avec une suprême habilité, si bien, que Gance l'engagera comme assistant réalisateur sur Napoléon (1927) peu de temps après. Le film est un récital Mosjoukine qui est sur scène Roméo et Hamlet avant de mourir dans une débauche de romantisme exacerbé qui ne déparerait pas un tableau de Caspar David Friedrich. A l'agonie, il demande à son fidèle Salomon de lui lire du Shakespeare alors qu'un chien hurle sous la tempête. Kean a été détruit par sa folle passion pour la comtesse de Koefeld (N. Lissenko). Dévoré de jalousie, il perd la raison. Rejeté par le public, il meurt misérable et oublié. On ne peut qu'être frappé par le parallèlisme avec la destinée de Mosjoukine lui-même, qui mourut dans la misère en 1939. Cette recréation du milieu du théâtre des années 1830 a certainement dû avoir un impact sur le jeune Marcel Carné. Et je ne serais pas étonnée qu'une partie des Enfants du Paradis (1945) trouve sa source dans ce film. Le Frédéric Lemaître de Brasseur mène une vie aussi agitée que le Kean de Mosjoukine. Après tout, Carné a travaillé comme assistant de Jacques Feyder à la Sté Albatros à la fin des années 20. Nicolas Koline forme un duo remarquable avec Mosjoukine, alternant comique et tragique. Il faut les voir sortir déguisés, Mosjoukine en marin et Koline en femme, pour échapper aux créanciers ! Le film est un très bel hommage à l'artiste romantique comme le proclame le désordre et le génie du titre.

Vous pouvez voir ci-dessous trois extraits de films avec Mosjoukine. Successivement:
L'Angoissante Aventure (1921, Y. Protazanov) avec la séquence de tournage sur le toit de l'hôtel Crillon
Kean (1924, A. Volkoff) la gigue dans la 'Coal Hole Tavern'
Casanova (1926, A. Volkoff) extraits divers du film avec séquences coloriées en Pathécolor

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Le Lion des Mogols (1924, Jean Epstein) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Camille Bardou

Le prince Roundghito-Sing (I. Mosjoukine) doit quitter précipitamment son pays car il est recherché par le Grand Khan, son ennemi. Il prend un bateau pour la France et il rencontre une équipe de cinéma dont la mystérieuse Anna (N. Lissenko) une comédienne...

Je ne pensais pas que le 'Kitsch' et le 'Camp' avaient existé au cinéma muet. Mais, la vision de ce Lion des Mogols m'a prouvé le contraire. A partir d'un argument signé de Mosjoukine lui-même, Epstein crée un film qui se veut à la fois mélo, conte des milles et une nuits et d'avant-garde. Mais, hélas, tous ces éléments restent disparates. Et à nouveau, on remarque l'absence de direction d'acteurs, y compris sur les figurants lors des premières scènes du film. Mosjoukine regarde fixement la caméra pendant de longues minutes en restant impassible. De plus, il se retrouve attifé d'un costume particulièrement croquignolet recouvert de perles avec un mini-short bordé de dentelles. Cette histoire rocambolesque aurait dû être traitée comme une comédie. D'ailleurs les meilleures scènes du film sont celles où il atterrit au milieu de l'équipe de cinéma dans son costume emperlé. Le reste de la narration est assez décousue et les personnages restent totalement plats. Je ne résiste pas à l'envie de vous citer ce qu'Abel Gance a pensé de ce film lorsqu'il l'a découvert en 1924: "Contrefaçon constante de La Roue. Les bons passages sont de moi. Scénario idiot. Décors, costumes et jeu à l’avenant. Mosjoukine n’est pas très loin d’être flambé. Epstein a un petit cœur enfermé dans une cuirasse d’acier. Prise de vue exagérée, factice, faite pour épater. Pas de fond. Des redites. Un échec." Cette critique lapidaire et féroce de Gance, en tous cas, met le doigt sur les faiblesses du cinéma d'Epstein. Comme d'autres, il s'est inspiré des techniques développées par Gance dans La Roue. Mosjoukine le fait dans Le Brasier Ardent (1923) et Volkoff dans Kean (1924). Mais, contrairement à ses deux exemples, Epstein est incapable d'intégrer intelligemment ces techniques dans un récit. Il abuse de la caméra subjective quand Mosjoukine se met à boire avec force images floutées. Quant à l'idée de la mise en abîme en montrant un studio de cinéma, elle n'était pas nouvelle. En 1920, Albatros-Ermolieff l'avait déjà fait pour L'Angoissante Aventure (Y. Protazanov) et Mosjoukine avait déjà joué un acteur de cinéma dans Derrière l'écran (1917, Azagarov) dont il ne subsiste qu'un fragment, hélas.
L'accompagnement musical de Mathieu Regnault était compétent avec cependant des pauses un peu trop fréquentes.

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Feu Mathias Pascal (1924, Marcel L'Herbier) avec Ivan Mosjoukine, Lois Moran, Marcelle Pradot, Michel Simon et Pauline Carton

Mathias Pascal (I. Mosjoukine) issu d'une famille riche -maintenant endettée- vit dans l'oisiveté. Son ami, le timide Pomino (M. Simon) lui demande de demander la main de Romilde (M. Pradot), une jeune fille dont il est amoureux. Mais, Romilde aime Mathias. Ils se marient, mais, la vie devient vite infernale pour Mathias entre une belle-mère acariâtre et son épouse qui le délaisse...

Cette adaptation de Pirandello est l'un des meilleurs films produit par Albatros et de Marcel L'Herbier. En 171 min, nous suivons la destinée de Mathias Pascal qui veut se réinventer une autre vie pour échapper à l'enfermement de la sienne. L'Herbier a à son service un acteur hors du commun dans le rôle titre: Ivan Mosjoukine. Il réalise là, ce qui est, à mon avis, une des plus belles performances d'un acteur du cinéma muet. Il est d'abord jeune homme timide qui vit dans la poussière de ses bouquins, puis un père aimant qui pouponne sa fille. Mais, la mort subite et simultanée de sa mère et de son enfant vont le plonger dans les affres d'une douleur indescriptible. Loin de sujouer la douleur, le visage de Mosjoukine reflète comme un rayon de folie qui l'envahit face à ce malheur qui l'anéantit. Soudain libéré de ses chaînes conjugales et de son odieuse belle-mère par cet événement, il part à l'aventure. Devenu riche en jouant au casino, il atterrit dans un meublé à Rome où il rencontre la douce Adrienne Paléari (L. Moran). La 'nichée' de la pension Paléari se révèle particulièrement cocasse: un faux chevalier, son frère maladif et une médium alcoolique. Mathias ayant été déclaré mort, il pense pouvoir se faire une autre vie. Mais, il a perdu son identité. Le film a été tourné à San Gimignano et à Rome et les extérieurs sont superbement utilisés par L'Herbier qui profite même des fêtes locales pour ajouter à l'ambiance du film. Le film est inclassable: ce n'est ni une comédie, ni un mélodrame. Il y a pourtant des moments de franche hilarité quand Mathias chasse les rats avec ses deux chats ou quand la tante de Mathias (P. Carton) 'entarte' à coup de pâte à pain le visage de l'odieuse belle-mère. De même, Mosjoukine passe facilement du rire aux larmes. Son corps agile rappelle Buster Keaton alors quil poursuit Lois Moran dans les escaliers de la Piazza di Spagna à Rome. On retrouve cette même verve débridée dans Les Ombres qui passent (1924, A. Volkoff) où Mosjoukine offre aussi cette image Keatonienne décalée. Mais, il y aussi ces pulsions de suicide qui envahissent un Mathias Pascal qui ne sait plus qui il est vraiment. L'Herbier utilise alors les doubles expositions où le nouveau Mathias se confronte à l'ancien. Il faut aussi mentionner la présence d'un jeune débutant nommé Michel Simon qui campe un Pomino fort amusant avec sa chevelure bouclée en bataille sous son canotier. Vu la complexité du film, il fallait une partition musicale à la hauteur. Et elle le fût. Le compositeur américain Timothy Brock a composé une partition orchestrale pour le Festival de Bologne en 2009, lors d'une projection spéciale au Teatro Comunale di Bologna (l'opéra de Bologne). La musicale a été enregistrée live et l'enregistrement a été diffusé hier soir à la cinémathèque. Il réussit brillamment à suivre les multiples changements de ton du film du comique débridé au drame le plus noir. La couleur orchestrale rappelle les musiciens baroques italiens, sans sombrer dans une couleur locale exagérée. C'est dansant, léger et suit le rythme des scènes. Pour les moments dramatiques, il se tourne vers un orchestre essentiellement à cordes qui rappelle les couleurs sombres d'un Bernard Herrmann. Revoir ce film -que j'avais vu muet auparavant- dans ces conditions fut un immense plaisir. La copie présentée était numérisée. Elle est composée de nombreux fragments de qualité diverses, mais dans l'ensemble, elle est tout à fait correcte (surtout les parties teintées). J'espère que la Cinémathèque va publier rapidement ce film magnifique en DVD. Ce doit être facile vu que la copie est déjà numérisée et la musique enregistrée!
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Les Ombres qui passent (1924, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Henry Krauss, Andrée Brabant et Nathalie Lissenko

Louis Barclay (I. Mosjoukine) vit dans le sud de l'Angleterre entre son père authoritaire (H. Krauss) et son épouse Alice (A. Brabant). Son existence est régulée par son père, selon les préceptes de Henry David Thoreau. Mais, un jour, il reçoit une lettre lui demandant de se rendre à Paris pour toucher un énorme héritage...

Ce film d'Alexandre Volkoff produit par la société Albatros a été écrit par Mosjoukine lui-même avec Kenelm Foss. Ne cherchant aucunement à adapter une quelconque pièce de théâtre ou un roman, il laisse libre court à son imagination. Il veut utiliser ses qualités comiques qui sont absolument évidentes dès ses premiers films tel que l'hilarant Domik v Kolomne (La petite maison à Kolomna, 1913) où il se travestit en cuisinière. Mais, en 1924, il trouve son inspiration dans les comiques américains qu'il révère. Son Louis Barclay, naïf et exhubérant, doit beaucoup à Buster Keaton et à Chaplin. Ce qui rend les films de Mosjoukine si attractifs et si différents de la production française des années 20, c'est leur ton et leur narration. Il utilise les éléments habituels du mélodrame à la française en leur ajoutant une fantaisie venue de la comédie américaine et des éléments de tragédie purement russes. Avec Les Ombres qui passent, il se crée pour lui-même le personnage le plus fantaisiste de sa carrière française. Ce jeune anglais, totalement dominé par son père, mène une vie heureuse à la campagne. Il part à cheval de bon matin avec son épouse Alice pour aller se baigner. Ils sont tous deux en maillot de bain et semble adorer cette vie sans soucis. Mais, il reste les contraintes imposées par son père : la lecture du Walden de Thoreau tous les soirs, la prière avant le dîner et un manque de liberté général. L'arrivée d'une lettre annonçant un héritage va lui permettre de changer d'air. Il s'achète un costume (de deuil, son père a précisé) parfaitement ridicule avec un pantalon très court et une veste large qui lui donne un air Keatonien en diable. Son père lui fait emporter une giganstesque couronne mortuaire dont il espère pouvoir se débarrasser rapidement. Inutile de dire qu'il ne passe pas inaperçu en arrivant à l'hôtel Impérial à Paris. Sa défroque provoque le rire et son attitude sans complexe dans le restaurant continue à susciter l'ironie. Mais, comme les bruits vont vite, des aigrefins ont vent de son gros héritage. Les sinistres John Pick (Georges Vaultier) et Baron Ionesko (Camille Bardou) le mettent en présence d'une de leur complices, la belle Jacqueline (N. Lissenko). Oubliant héritage et famille, Louis change d'apparence pour devenir un homme du monde parisien et poursuit cette sirène enveloppé d'extravagantes tenues signées Paul Poiret. L'aventurière est elle aussi attendrie par ce jeune homme simple et renonce à lui extorquer son argent. Louis ne songe plus alors qu'à suivre la belle Jacqueline jusque dans son château en Corse. Le film vire insensiblement de la comédie à la tragédie. Et cette transition est une belle réussite avec un final poétique où l'aventurière disparaît et Louis retourne à sa vie antérieure, avec certainement de lourds regrets qu'il n'exprime pas. Le film entier est un festival Mosjoukine qui utilise tous les ressorts de son talent comique et dramatique avec une verve et un entrain communicatif. Mais, autour de lui, les autres acteurs ne sont pas en reste. Le vétéran Henry Krauss des grands films d'Albert Capellani des années 10, est un père autoritaire de poids, la blonde Andrée Brabant est une Alice espiègle et la brune Nathalie Lissenko, la partenaire de longue date de Mosjoukine, est une sirène mystérieuse. Il faut aussi ajouter le superbe travail des techniciens : les décors superbes d'Alexandre Lochakoff et la très belle photo de Fédote Bourgassoff. La copie teintée de la Cinémathèque est de toute beauté. J'avais déjà vu ce film en 2008 et le revoir a été un plaisir de tous les instants. Un des meilleurs films de Mosjoukine.
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Michel Strogoff (1926) de Viacheslav Tourjansky avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Kovanko et Chakatouny
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Le roman de Jules Verne est ici adapté par des russes qui lui donnent une patine et une authenticité absente des nombreuses autres version. Je dirais d'ailleurs que ce film est la meilleure version du roman que j'ai pu voir - et de loin ! Le film a été tourné en Lettonie dont les monuments et paysages rappellent leur grand voisin. Tous les russes immigrés de Paris se sont retrouvés là pour servir ce roman français avec des décors fantastiques de Lochakoff. Le film dure environ 2h50 et paraît infiniment plus court. Le film part comme un boulet de canon avec un montage rapide à faire pâlir Abel Gance (d'ailleurs les opérateurs du film sont ceux de Napoléon: L.H. Burel, Bourgassoff et Toporkoff). Hélas, la copie bien médiocre que j'ai vue ne permet pas de l'apprécier pleinement. Il y a une scène dans le film qui m'a rappelé la scène du cauchemar dans Le Brasier Ardent de Mosjoukine: la même folie expressioniste lorsque Strogoff délirant se voit la proie de sorcières qui tire son habit déchiré. je pense que l'interprète a dû avoir une influence décisive pour cette scène. Nathalie Kovanko (Mme Tourjansky à la ville) joue le rôle de Nadia avec talent. Les scènes de bataille et d'action sont tout à fait formidables. Tourjansky venait de travailler comme assistant réalisateur sur Napoléon, ceci explique probablement cela. Voilà un réalisateur très inégal; mais, il faut reconnaître que son Strogoff est remarquable. La copie que j'ai vue était accompagnée par une partition musicale absolument formidable de Amaury du Closel. Il porte littéralement le film à bout de bras avec un tapis sonore chromatique qui évoque autant Debussy que Tchaikovski. Il n'y a pas trace de 'couleur locale' artificielle dans sa partition qui donne au film un dynamisme foudroyant ainsi qu'une atmosphère quasi impressionniste. Formidable! :D
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Casanova (1926, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Diana Karenne, Suzanne Bianchetti, Rudolf Klein-Rogge et Michel Simon

Le séducteur vénitien Casanova (I. Mosjoukine) est obligé de quitter précipitament Venise après les nombreuses plaintes reçues par le Conseil des Dix. Il part pour l'Autriche, puis pour la Russie où il rencontre la Tsarine Catherine II (S. Bianchetti)...

Avec cette super-production réalisée avec une débauche de moyens, Ivan Mosjoukine tire sa révérence à l'écran muet français. L'année suivante, il sera à Hollywood croyant donner à sa carrière un nouvel élan, qui fera long feu. Il avait quitté la Société Albatros après avoir joué le rôle principal dans Feu Mathias Pascal (1926, M. L'Herbier). Il ne fera plus que deux films supplémentaires en France: Michel Strogoff (1926, V. Tourjansky) qui sera tourné aux studios Billancourt d'Abel Gance et en Lettonie, puis ce Casanova tourné à Venise. Le scénario nous donne une vision joyeuse et romanesque du séducteur et aventurier vénitien. Le film est une comédie d'aventures fort bien mené où Casanova/Mosjoukine passe de conquête en conquête avec un entrain contagieux. Il se moque des maris jaloux et des créanciers avec une bonne humeur communicative. Il réussit à effrayer l'affreux Menucci en lui faisant une (fausse) scéance de sorcellerie cabalistique qui terrorise le créancier et ses deux hallebardiers (dont l'un est un Michel Simon à l'allure ahurie). Alexandre Volkoff utilise au mieux la ville de Venise avec son carnaval trépidant qui est comme un écho de la vie de Casanova. Léger et vigoureux comme un héros de cape et d'épée, Mosjoukine saute en selle, escalade une façade de palais ou se bat en duel contre six hommes d'armes. Il sait aussi faire preuve de son sens comique habituel alors qu'il se fait passer pour M. Dupont, le fournisseur de Catherine II. Les costumes sont d'une grande somptuosité, virant par moment au grotesque, comme les basques fort larges et excentriques de l'habit de Casanova à la cour de Russie. Volkoff introduit juste ce qu'il faut de sensualité et de nudité affriolante pour transmettre l'atmospère de licence et de libertinage du XVIIIème siècle. Le film contient une scène coloriée au pochoir (le carnaval final) qui est une réponse aux séquences en Technicolor bichrome que produisent les américains à l'époque. L'épisode russe est l'occasion de nous montrer l'assassinat du Tsar Pierre III (R. Klein-Rogge) dont la démence ne fait guère de doute. Suzanne Bianchetti, qui était abonnée aux rôles de tête couronnée (Marie-Antoinette, Eugénie, Marie-Louise), se montre plus convaincante que d'ordinaire en impératrice croqueuse d'hommes. Mais, le film appartient à Mosjoukine qui atteint ici son apogée de star du cinéma français. Il ne retrouvera jamais par la suite cette liberté et cette légèreté. Pour finir, il faut saluer la très jolie partition de Georges Delerue qui apporte l'atmosphère pétillante et joyeuse que requiert un tel film.
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Der geheime Kurier (Le Rouge et le noir, 1928) de Gennaro Righelli avec Ivan Mosjoukine, Lil Dagover, Jean Dax, José Davert et Agnes Petersen

Julien Sorel (I. Mosjoukine) est employé comme secrétaire du bougmestre M. Rénal (José Davert). Il est l'amant de la femme (L. Dagover) de celui-ci. Mais, lorsqu'on lui offre un poste de secrétaire à Paris chez le Marquis de la Môle (J. Dax), il part immédiatement...

Les spécialistes de Stendhal furent profondément offusqués par l'adaptation du Rouge et le Noir réalisée par Claude Autant-Lara en 1954. Je me demande quelle aurait été leur réaction face à cette production allemande de 1928 réalisée par un italien et jouée par un russe. En effet, le scénario est une telle trahison du roman de Stendhal qu'on peut imaginer que l'auteur a dû se retourner dans sa tombe. Les éléments sociaux qui marquaient les différences de classe qui obsèdaient Julien Sorel ont été pratiquement tous éliminés. Monsieur Rénal n'est plus un aristocrate, mais un simple bourgeois mal dégrossi qui boit. Son épouse insatisfaite se réfugie dans la chambre de son amant et lui demande même de supprimer son mari pour retrouver sa liberté. Un fois à Paris, Julien est envoyé à Strasbourg par le Marquis de la Môle pour transporter une missive secrète, fruit d'un complot pour faire tomber Charles X. Et à la fin, Julien au lieu de mourir sur l'échafaud, meurt en héros sur une barricade lors de la révolution de 1830. Une fois ces éléments établis, si on fait abstraction de cette trahison, on peut examiner le film en tant qu'oeuvre cinématographique.
Le film de Righelli n'est pas dépourvu d'intérêt. Il sait créer une atmosphère (même si elle n'est pas Stendhalienne). Le début du film chez les Rénal est assez savoureux. On voit la belle Lil Dagover, en léger déshabillé, ouvrir la porte de sa chambre et illuminer en ombres chinoises ses formes gracieuses alors qu'elle s'apprête à rejoindre son amant. Il faut d'ailleurs souligner la qualité de l'interprétation de Lil Dagover. Elle donne à Mme Rénal une sensualité tout à faite remarquable. C'est elle, avec Mosjoukine, qui domine le film. Les scènes chez le Marquis de la Môle marque une petite baisse de régime. On sent que le film a été écrit avec la légende de Mosjoukine en tête lorsqu'on le voit escalader le balcon de Mlle de la Môle et la séduire tout de go. Ce Julien Sorel est un petit frère de Casanova. Puis, on nous met quelques belles chevauchées où Julien echappe de justesse aux gendarmes. Dans une auberge, il est presque démasqué par une jolie servante. Pour l'empêcher de nuir, il utilise un stratagème : il déshabille entièrement la malheureuse qui se retrouve en tenue d'Eve (une vision fort coquine pour l'époque). Autre belle réussite : la tentative de meurtre sur Mme Rénal. On voit Mosjoukine lui tirer dessus à bout portant et quelques plans en caméra subjective suggère la chute de Mme Rénal. Le final sur les barricades de 1830 fait presque penser aux Misérables de Victor Hugo. Et le procès de Julien semble être plus politique qu'autre chose alors qu'il clame son soutien à Louis-Philippe ! Gennaro Righelli, un pionnier du cinéma italien, réalise tout cela avec une certaine fougue, même s'il n'est pas à l'avant-garde de la technique comme Alexandre Volkoff ou Marcel L'Herbier.
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Julien Sorel : Ivan Mosjoukine
En 1928, Ivan Mosjoukine est sur la pente descendante. Après une période glorieuse dans le cinéma français des années 20, il part pour l'Amérique où il ne fera qu'un seul film qui ne sera pas un succès. Puis, il part pour l'Allemagne où on lui offre un contrat faramineux de 600 000 francs par mois. Il mène grand train et épouse même sa partenaire du film, Agnes Petersen, qui joue Mlle de la Môle. Cependant, la qualité des productions dans lesquelles il joue est bien inférieure aux grands films qu'il faisaient en France. Et l'arrivée du parlant va définitivement le crucifier. En arrivant en Allemagne, il a subi une opération de chirurgie esthétique qui a modifié son visage, en particulier son nez. Cette opération reste mystérieuse : pourquoi l'a-t-il tentée ? En tout cas, le résultat n'est guère heureux. Ivan a perdu une partie de son entrain et de son charisme.
Au total, cette trahison de Stendhal est un film qui se laisse regarder avec plaisir grâce à ses interprètes, à sa mise en scène et à sa belle cinématographie.
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Image (I. Mosjoukine et B. Helm)

Manolescu: Der König der Hochstapler (1929, V. Tourjansky) avec Ivan Mosjoukine, Brigitte Helm, Heinrich George et Dita Parlo

George Manolescu (I. Mosjoukine) rencontre la troublante et mystérieuse Cleo (B. Helm) à bord du train Paris-Monte-Carlo. Envouté, il devient voleur, escroc et faux-monnayeur pour lui offrir le train de vie qu'elle réclame...

La carrière d'Ivan Mosjoukine est fort complexe. Il passe de la Russie Impériale à la France, puis fait une courte escale à Hollywood en 1927 pour un seul film (Surrender d'E. Sloman) avant de retourner en Europe faire des films en Allemagne. De retour en France, au moment de l'arrivée du parlant, il disparaît rapidement des premiers rôles miné par son accent russe et les mauvais films. Pour Manolescu, une production allemande muette, il retrouve son compatriote Victor Tourjansky qui est lui aussi passé de l'autre côté du Rhin après un échec à Hollywood. Le film bénéficie d'une belle distribution avec Brigitte Helm en femme fatale et Dita Parlo en jeune innocente. L'intrigue ne me semble pas offrir, néanmoins, le type de personnage complexe que Mosjoukine interprétait fréquemment dans sa première période française (la meilleure). Il est un escroc victime d'une femme qui retrouve le chemin de l'honnêteté au contact de la pure Dita Parlo. C'est un film plus formaté que ceux de la période Albatros où comique et tragique faisait bon ménage. Cela dit, le film doit certainement recéler des beautés plastiques grâce à la photo de Carl Hoffmann. Malheureusement, la hideuse copie que j'ai pu voir ne permet pas du tout de les apprécier. De même le jeu tout en nuances de Mosjoukine est parfois à peine perceptible tant son visage ressemble à un point blanc. Par contre, il semble que Tourjansky avait conservé son talent avec des mouvements de caméra remarquables comme celui où elle se déplace vers une fenêtre, arrive au niveau du carreau avant de passer au travers pour nous faire pénétrer à l'intérieur de la maison. Tout cela est totalement fluide et sans à-coups. Helm et Parlo offre un beau contraste dans les deux personnages féminins opposés. Ce n'est pas le meilleur film de Mosjoukine ; mais, c'est certainement un de ses meilleurs pour la période allemande.

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(I. Mosjoukine et V. Tourjansky)
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Dernière modification par Ann Harding le 13 juin 12, 15:20, modifié 1 fois.
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Ann Harding
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

Et maintenant après ce gros pavé, une vraie rareté, le seul film de Mosjoukine à Hollywood.

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Surrender! (L'Otage, 1927) d'Edward Sloman avec Mary Philbin, Ivan Mosjoukine et Nigel de Brulier

En 1914, en Galicie, aux confins de l'Empire Austro-Hongrois. Lea Lyon (M. Philbin) la fille du rabbin (N. de Brulier) croise le chemin de Constantine (I. Mosjoukine), un prince Cosaque. Peu après, la guerre est déclanchée et le village est envahi par l'armée russe. Constantine demande que Lea vienne se livrer à lui ou le village sera brulé...

Lorsqu'Ivan Mosjoukine quitte la France auréolé de gloire après une incroyable série de grands films à succès, il n'imaginait probablement pas que sa carrière allait marquer le pas au sein du système Hollywoodien. Attiré à Hollywood par un contrat au sein de la Universal, il s'est retrouvé dans une production d'Edward Sloman tirée d'une pièce à succès Lea Lyon d'Alexander Brody. Suite au succès de Michel Strogoff (1926, V. Tourjansky), les firmes américaines se lancent toutes dans des productions 'russes' pour exploiter le filon. Universal et son patron Carl Laemmle font de même. En voyant ce film de Sloman, il est évident que Mosjoukine n'a plus du tout la marge de manoeuvre qu'il avait dans les films français. Il ne doit pas avoir son mot à dire ni sur le metteur en scène et encore moins sur le scénario. Nous sommes dans le règne du star-système et tout est fait pour mettre en valeur la star maison, Mary Philbin. Le chef opérateur Gilbert Warrenton la mimbe de lumières diffuses et éclaire sa chevelure avec sensualité. Mosjoukine devient un faire-valoir de luxe pour la belle Mary. Mais, au-delà cet aspect, le film offre une très belle cinématographie, utilisant habilement la lumière naturelle combinée à des éclairages artificiels. Edward Sloman se faisait une spécialité des films qui exploraient la vie des populations juives, aussi bien immigrés en Amérique que celle des shtetls d'Europe de l'Est, comme dans ce film. Et sa reconstitution est réellement une réussite. Il nous montre la vie de tous les jours des habitants juifs peu avant l'invasion russe. Une vie qui suit strictement les préceptes de la religion avec un dîner du sabbat décrit en détail. Le seul autre film de cette époque que je connaisse qui décrive cette région avec autant de détails est l'excellent La terre promise (1924, Henry Roussell). Certes l'histoire de Lea Lyon est relativement stéréotypée. On supplie la pure jeune fille de se sacrifier pour la communauté. Le prince décide finalement de l'épargner, étant tombé amoureux d'elle. Mais, ensuite, elle est prise à partie par la foule déchaînée qui l'accuse d'avoir trahi son peuple dans les bras d'un prince cosaque. Tout cela est cependant bien mené par Sloman qui bénéficie également du concours du futur réalisateur Edward L. Cahn au montage. Le film se termine sur un happy end fort peu convaincant qui semble avoir été imposé par la production. Pour la qualité de sa reconstitution et la beauté des images, ce film mérite d'être vu, même s'il ne fait pas partie des meilleurs films de Mosjoukine.
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Ann Harding
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

J'aurais dû ajouter - pour remettre à jour ce topic - que certains films de Mosjoukine vont être édités par Flicker Alley: La Maison du Mystère, Le Brasier ardent, Kean et Feu Mathias Pascal.
allen john
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :J'aurais dû ajouter - pour remettre à jour ce topic - que certains films de Mosjoukine vont être édités par Flicker Alley: La Maison du Mystère, Le Brasier ardent, Kean et Feu Mathias Pascal.


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Ann Harding
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

allen john a écrit :
Ann Harding a écrit :J'aurais dû ajouter - pour remettre à jour ce topic - que certains films de Mosjoukine vont être édités par Flicker Alley: La Maison du Mystère, Le Brasier ardent, Kean et Feu Mathias Pascal.
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La nouvelle a déjà été mentionnée dans le topic cinéma muet français, mais je crois qu'elle est plus visible ici. :wink:
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Tommy Udo »

Ann Harding a écrit :J'aurais dû ajouter - pour remettre à jour ce topic - que certains films de Mosjoukine vont être édités par Flicker Alley: La Maison du Mystère, Le Brasier ardent, Kean et Feu Mathias Pascal.
Merci Ann pour cette mise à jour et ce topic :wink:
Y aurait-il déjà une date de prévue pour cette sortie DVD (ou blu-ray) ?
La cinémathèque française ne devait-elle pas également sortir les films du catalogue Albatros en DVD. J'ai l'impression qu'il y a beaucoup d'annonces mais pas grand chose de réellement concret (rien ne sort)...
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Ann Harding
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

Non, aucune date encore pour Flicker Alley. Quant à la cinémathèque, je crois qu'ils cherchent encore un éditeur DVD...
Dernière modification par Ann Harding le 13 juin 12, 17:45, modifié 1 fois.
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Tommy Udo
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Tommy Udo »

Ann Harding a écrit :No aucune date encore pour Flicker Alley. Quant à la cinémathèque, je crois qu'ils cherchent encore un éditeur DVD...
Comme d'hab, prenons patience... Merci Ann ! ^^
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Ann Harding
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

Un autre film que j'avais oublié. Un petit fragment...hélas! Mais, passionnant malgré tout.

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Kulisy Ekrana (Derrière l'écran, 1917) de G. Azagarov (?) & A. Volkoff (?) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Nikolai Panov

Il ne reste malheureusement qu'un fragment (une seule bobine sans intertitres) de ce long film en 8 bobines produit par Ermolieff. Ce petit fragment se révèle malgré tout passionnant (et frustrant!), car on se promène dans les studios Ermolieff avec les deux grandes stars de ce studio, Ivan Mosjoukine et Nathalie Lissenko qui y jouent leurs propres rôles. On devine l'intrigue en l'absence des intertitres. Mosjoukine revient au studio amputé d'un bras et découvre, qu'en son absence, sa loge a été affectée à un autre acteur. Son nom est barré sur la porte (voir photo ci-dessus). On voit sur son visage toute la souffrance et l'humiliation de l'acteur sur la pente descente de l'oubli. Il repart avec une pile de photos de ses anciens rôles, disant adieu à la célébrité. Au même moment, Mosjoukine savait qu'il devrait bientôt partir, lui aussi, suite à la Révolution. L'exil à Yalta, puis en France n'était pas loin. Il y a donc une concomitance passionnante entre le personnage et l'acteur.
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Music Man »

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le romancier Romain Gary a souvent prétendu qu'il était le fils d'Ivan Mosjoukine avec lequel il présentait une certaine ressemblance.
Sa mère l'actrice Mina Owczyńska aurait, selon lui, eu une liaison avec le fameux comédien.
bruce randylan
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par bruce randylan »

les joies de faire du ménage sur mon ordi, je suis retombé sur ça ! :shock:
Ann Harding a écrit :Image

Les Ombres qui passent (1924, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Henry Krauss, Andrée Brabant et Nathalie Lissenko

Ce film d'Alexandre Volkoff produit par la société Albatros a été écrit par Mosjoukine lui-même avec Kenelm Foss. Ne cherchant aucunement à adapter une quelconque pièce de théâtre ou un roman, il laisse libre court à son imagination. Il veut utiliser ses qualités comiques qui sont absolument évidentes dès ses premiers films tel que l'hilarant Domik v Kolomne (La petite maison à Kolomna, 1913) où il se travestit en cuisinière. Mais, en 1924, il trouve son inspiration dans les comiques américains qu'il révère. Son Louis Barclay, naïf et exhubérant, doit beaucoup à Buster Keaton et à Chaplin. Ce qui rend les films de Mosjoukine si attractifs et si différents de la production française des années 20, c'est leur ton et leur narration. Il utilise les éléments habituels du mélodrame à la française en leur ajoutant une fantaisie venue de la comédie américaine et des éléments de tragédie purement russes. Avec Les Ombres qui passent, il se crée pour lui-même le personnage le plus fantaisiste de sa carrière française. Ce jeune anglais, totalement dominé par son père, mène une vie heureuse à la campagne. Il part à cheval de bon matin avec son épouse Alice pour aller se baigner. Ils sont tous deux en maillot de bain et semble adorer cette vie sans soucis. Mais, il reste les contraintes imposées par son père : la lecture du Walden de Thoreau tous les soirs, la prière avant le dîner et un manque de liberté général. L'arrivée d'une lettre annonçant un héritage va lui permettre de changer d'air. Il s'achète un costume (de deuil, son père a précisé) parfaitement ridicule avec un pantalon très court et une veste large qui lui donne un air Keatonien en diable. Son père lui fait emporter une giganstesque couronne mortuaire dont il espère pouvoir se débarrasser rapidement. Inutile de dire qu'il ne passe pas inaperçu en arrivant à l'hôtel Impérial à Paris. Sa défroque provoque le rire et son attitude sans complexe dans le restaurant continue à susciter l'ironie. Mais, comme les bruits vont vite, des aigrefins ont vent de son gros héritage. Les sinistres John Pick (Georges Vaultier) et Baron Ionesko (Camille Bardou) le mettent en présence d'une de leur complices, la belle Jacqueline (N. Lissenko). Oubliant héritage et famille, Louis change d'apparence pour devenir un homme du monde parisien et poursuit cette sirène enveloppé d'extravagantes tenues signées Paul Poiret. L'aventurière est elle aussi attendrie par ce jeune homme simple et renonce à lui extorquer son argent. Louis ne songe plus alors qu'à suivre la belle Jacqueline jusque dans son château en Corse. Le film vire insensiblement de la comédie à la tragédie. Et cette transition est une belle réussite avec un final poétique où l'aventurière disparaît et Louis retourne à sa vie antérieure, avec certainement de lourds regrets qu'il n'exprime pas. Le film entier est un festival Mosjoukine qui utilise tous les ressorts de son talent comique et dramatique avec une verve et un entrain communicatif. Mais, autour de lui, les autres acteurs ne sont pas en reste. Le vétéran Henry Krauss des grands films d'Albert Capellani des années 10, est un père autoritaire de poids, la blonde Andrée Brabant est une Alice espiègle et la brune Nathalie Lissenko, la partenaire de longue date de Mosjoukine, est une sirène mystérieuse. Il faut aussi ajouter le superbe travail des techniciens : les décors superbes d'Alexandre Lochakoff et la très belle photo de Fédote Bourgassoff. La copie teintée de la Cinémathèque est de toute beauté. J'avais déjà vu ce film en 2008 et le revoir a été un plaisir de tous les instants. Un des meilleurs films de Mosjoukine.
Je serai bien plus nuancé.
La première heure est admirable avec Mosjoukine irrésistible dans un personnage très proche de Harold Lloyd et Buster Keaton. Sa fraicheur, sa candeur, sa naïveté et sa bonne humeur sont très contagieux d'autant que le film distille un sentiment de douce euphorie avec une légèreté et une spontanéité qui n'ont rien de calculé. On a vraiment l'impression que Mosjoukine tel un grand enfant s'amuse des conventions, des clichés, des genre avec un plaisir permanents avec un humour absurde assez étonnant dans le cinéma français. Il se laisse porter par son imagination.
Ca fonctionne très bien donc un moment mais la machine montre de gros signes de faiblesses dans sa seconde partie. Mosjoukine se laisse tellement porté par ses idées qu'il en oublie totalement son scénario et surtout le rythme. Rapidement, il s'éparpille inutilement dans tous les sens (le film dure plus de 2h !). Le mélange des genre (comédie, mélodrame, policier) a plus l'air de couper tous les moyens à Volkoff qui semble perdu et ne sait plus où donner de la tête. Entre les fugaces changements de tons, les passages superflus ou tout simplement l'intrigue qui tourne en rond, j'ai vraiment fini par décroché et trouvé le temps long dans les interminables péripéties en Corse, retrouvant seulement par moment la verve et l'enthousiasme presque juvénile qui transfiguraient la première partie.
Regrettable car Mosjoukine est au sommet de son art et que techniquement le film est irréprochable.


J'ai également vu l'enfant du carnaval (1921) que Mosjoukine signe seul.
L'histoire est abracadabrante au possible : abandonné par son mari suite à des problèmes financier, une femme est contrainte d'abandonner son enfant à un riche dilettante qui mène une vie dissolue dans les soirées alcoolisées. Le hasard fera qu'elle deviendra la nurse de son propre enfant alors qu'elle apprend la disparition de son mari en pleine mer. Voilà pour la première moitié sachant que la suite tombe dans des situations encore plus invraisemblables digne des plus mauvais roman de gare.

Pourtant, ça marche.

Ca marche parce Mosjoukine est conscient que son histoire est cousue de film blanc et qu'il ne cherche pas du tout à en faire un pure mélodrame. Il s'en amuse même et ne se prend pas vraiment au sérieux. Il opte surtout pour une narration très rapide et condensée qui ne s'attarde jamais en longueurs pour chaque séquence. Ça va vite, très vite et on n'a pas forcément le temps de se dire que cette intrigue est tout de même grotesque. Cet approche est vraiment salvatrice et met surtout en avant la personnalité fantasque de son acteur/scénariste/réalisateur qui livre une nouvelle fois un fabuleux numéro d'acteur équilibriste alternant drame, humour, charme, espièglerie...

Après, ce n'est pas la mise en scène la plus inspirée mais elle est toujours chaleureuse et humaine. Il essaye surtout un mélange des genres et des tonalités qui trouveront pleinement leur épanouissement dans le brasier ardent. Certaines scènes semblent d'ailleurs presque à un brouillon (mais de qualité).
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Ann Harding »

Flicker Alley a mis en ligne une bande-annonce de La Maison du mystère (1922):
https://vimeo.com/121941607"%20target="_blank
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par bruce randylan »

Michel Strogoff (Viatcheslav Tourjansky - 1926)

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Formidable adaptation de Jules Verne dont les 2h45 passent à une vitesse folle. :)
(Ca serait encore mieux passé avec un accompagnement musical quand même)

Avec son équipe grandement constitués d'acteurs et techniciens russes exilés après la révolution 1917, on sent une réelle véracité dans la reconstitution, par ailleurs grandement filmé en Lettonie. Les costumes, l'architecture, les étoffes, les paysages, le mobilier et le choix des figurants et seconds rôles nous plongent immédiatement dans l'époque. Et quand je dis immédiatement, je pèse mot puisque les premières secondes commencent directement par un montage fulgurant et bouillonnant dans la cour du Tsar.
Victor Toujansky ne m'a pas toujours convaincu comme réalisateur mais il trouve ici un bon dosage entre explosion de virtuosité, classicisme, rythme trépidant de sérial et lyrisme mélodramatique avec un réel sens épique, sans oublier la gestion des scènes de foules grandioses. Par étonnant que Gance l'a choisi dans la foulée comme réalisateur de seconde équipe pour son Napoléon. On retrouve d'ailleurs derrière la caméra de Michel Strogoff plusieurs des chef opérateurs ayant travaillé avec lui.
La photo est ainsi remarquable et surtout, à l'instar du Casanova d'Alexandre Volkoff (toujours avec Mosjoukine) sorti la même année, il y a une utilisation du pochoir pour coloré deux séquences parmi les plus fastueuses du film : celle du bal au début et le fameux châtiment qui doit rendre aveugle le héros sous les yeux de sa mère.
Le résultat est formidable à l'écran et sur certains plans on oublie même la dimension rudimentaire du procédé tant la précision est de mise.

Sorti de l'introduction et du bal dont l'intérêt reste avant tout d'en mettre plein les yeux, le film trouve son rythme de croisière lors de l'attaque de la barge pour ne plus s'arrêter jusqu'à la fin, enchaînant divers morceau de bravoure du délire expressionniste frappant Strogoff durant sa convalescence jusqu'au combat final, plein de fureur et de violence, bien qu'un peu candide sur le fond.
Certes quelques aspects ont pris un petit coup de vieux ou ne sont pas toujours aboutis (le duo de journalistes) mais cette version cinématographique est non seulement la meilleure transposition du roman mais tout simplement une immense réussite du cinéma muet.
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Tommy Udo
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Tommy Udo »

Je t'envie. Limite jaloux pour être honnête :mrgreen:
Dire qu'une version restaurée de ce long film est passée au CDM il y a quelques années, et je l'ai (involontairement) ignorée :(
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Supfiction
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Re: Ivan Mosjoukine (1889-1939)

Message par Supfiction »

Pour ceux qui ont la chaîne Histoire, ce documentaire revient sur l’histoire des russes blancs à Paris et leur importance dans le cinéma français d’après guerre (l’avant dernière dernière guerre). La chute de Mosjoukine est évoquée entre son erreur d’avoir céder aux sirènes hollywoodiennes et la catastrophe de l’arrivée du parlant.

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